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Les réparations en nature, les biens culturels considérés in genera

Section I. Biens culturels et outils ad hoc de la restitution, deux siècles de mutation

B. La nature juridique des biens culturels face aux réparations L’obligation morale et juridique de réparer, en 1919 comme en 1945, provoqua une

2. Les réparations en nature, les biens culturels considérés in genera

Les Traités de paix du XXe siècle ont eu cela d’original qu’en systématisant la réparation des dommages subis par des compensations avec remplacement en nature, ils niaient dans le même temps le caractère unique des biens culturels (a). Les deux expériences de 1919 et de 1945 soulevèrent alors le problème nouveau de la fongibilité des objets culturels (b).

a) Compensations

Après la restitution considérée comme forme première de réparation, on rencontre parmi les modes supplétifs de dédommagement161les réparations par remplacements ou réparations compensatoires, qui n’existent donc qu’en tant qu’obligation substitutive chaque fois qu’il est impossible de s’acquitter d’une restitution simple, in integrum. Cependant, devant la difficulté de réunir les conditions favorables à cette dernière – les biens culturels ayant été souvent détruits ou perdus durant le conflit –, le remplacement en nature s’impose parfois comme le principal moyen de réparation du préjudice subi162.

La spécificité du système réparateur mis en place dès 1919 dans les Traités de paix163, fut de mettre en place le principe du remplacement d’un bien perdu par un bien similaire ; cela eut pour effet de faire glisser la catégorie des biens culturels species vers celle des

genera164.On eut pu croire qu’un tel archaïsme juridique attentatoire au statut des biens culturels ne soit pas validé par la suite. Pour autant, encore après 1945 le droit international, à

160Pierre d’ARGENT, « La loi russe sur les biens culturels transférés. Beutekunst, agression, réparations et contres

mesures », art. cit., p. 131.

161 Les modes supplétifs de dédommagement permettent de contourner l’impossibilité matérielle ou juridique de

la restitution ; ainsi en est-il de la compensation en nature ou du paiement d’indemnités financières. Pour d’autres moyens de contournement non liés aux réparations en cas de conflit armé, v. Ridha FRAOUALe trafic illicite des biens culturels et leur restitution…, op. cit., p. 195-207.

162 Guido CARDUCCI, La restitution internationale des biens culturels..., op. cit., p. 125. 163 Voir spécialement la Partie VIII du Traité de Versailles consacrée aux réparations.

164 Pour plus de détails à propos des conséquences juridiques directes en droit des biens de l’application du

défaut d’autoriser, n’a pas cru bon interdire l’utilisation des biens culturels à des fins de réparations165. Seule la pratique du pillage était prohibée, notamment depuis la Convention de La Haye de 1907166. La pratique compensatoire en matière culturelle, même si elle fut légitimée lors des négociations de paix du premier et du second conflit mondial, n’en demeure pas moins une curiosité juridique. Le droit de la réparation, poussé dans ses limites extrêmes à l’occasion des deux conflits mondiaux, n’avait pas anticipé l’incohérence d’une fongibilisation des biens culturels.

b) Fongibilité des biens culturels

Les choses qui, selon le droit romain, se définissent qui numero, pondere, mensurave

constant167, sont interchangeables dans leur nature et peuvent se remplacer indifféremment. Comment dès lors les biens culturels, par essence uniques, pourraient-ils se fondre dans la catégorie de biens fongibles dont la spécificité tient en leur anonymat ! A priori leur nature les exonère d’une telle confusion168. Individualisables, uniques, irremplaçables, rien ne les destine à un tel statut si ce n’est l’effet d’un acte de volonté. Et la doctrine distingue de fait, entre une fongibilité objective liée à la nature matérielle de l’objet et une fongibilité subjective dépendante d’une volonté individuelle ou légale169. Cela implique de lourdes conséquences au regard du statut des biens culturels, quand un auteur comme Louis Josserand170 considère par exemple que toute chose est fongible puisque la fongibilité dépend de l’appréciation des parties171. L’élément intentionnel permet donc la transformation de la

165 Pierre d’ARGENT, « La loi russe sur les biens culturels transférés. Beutekunst, agression, réparations et contres

mesures », art. cit., p. 132.

166 Voir spécialement les articles 27 et 56 du règlement annexé à la Convention. Cf. introduction.

167GAIUS, Institutes, trad. Julien Reinach, Paris, Les Belles Lettres, éd. 2003, II, 196. Cf. égal. Institutes de

Justinien, Corpus juris civilis, t. I, Krüger, Berlin, 16e éd., 1954, 3, 14, pr.

168 Les productions artistiques sont caractérisées par l’originalité et la rareté, même si cette caractéristique des

œuvres d’art est aujourd’hui remise en question par certains artistes contemporains qui jouent sur la fongibilité ou l’éphémérité de l’œuvre.

169 Pierre JAUBERT, « Deux notions du droit des biens : la consomptibilité et la fongibilité », R.T.D.Civ., vol. 43,

1945, p. 75-101 ; Christian ATIAS, Droit civil, les biens..., p. 26-27. Pour Jean Carbonnier, « le droit [...] ici encore, a remodelé la nature, et souvent, plutôt que d’après des données physiques, c’est d’après l’usage des affaires ou l’intention des contractants que se fait, en dernière instance, la distinction entre biens fongibles et non fongibles, commercialiter et non plus naturaliter. » (Droit civil, les biens..., op. cit., 19e éd., p. 97).

170Louis JOSSERAND, Les mobiles dans les actes juridiques du droit privé, Paris, Dalloz, 1928.

171 Dans le même sens, Paul Ourliac et Jehan de Malafosse considèrent que la « différence entre chose de genre

et corps certains est surtout subjective, fonction qu’elle est de l’intention des parties. La réalité physique est largement interprétée par la volonté des contractants. La fongibilité d’une chose est étroitement dépendante des pratiques commerciales (les parties peuvent toujours décider que des choses éminemment fongibles, comme des pièces de monnaie, seront des corps certains : Digeste, 16, 3, 24). » (Droitromain et ancien droit, t. II, Les biens, Paris, PUF, 1961, p. 13, voir également p. 28 s.)

nature de la chose, la volonté assurant le passage d’une fongibilité objective à une fongibilité subjective.

À la suite des deux conflits mondiaux les impératifs économiques et moraux stimulent le jeu de la volonté dans le changement de destination des biens culturels ; pour la première fois ces derniers sont considérés comme potentiellement fongibles. Contradiction éclatante par rapport à leur nature initiale, ils devenaient interchangeables et des critères de similitude étaient recherchés afin de les classer. Ces critères devaient permettre de dégager des équivalences dans le but de s’acquitter le plus justement possible des objectifs de réparation172. Théoriquement donc les biens culturels devenaient catégorisables, ce qui faisait d’eux des choses de genre173. Les Traités de Paix de Versailles174, de Riga175 ou ceux de février 1947176recoururent systématiquement aux réparations par équivalents177. Une telle solution appliquée aux biens culturels évoque la technique des contrats de prêt de consommation et de l’usufruit, où « la restitution est moins affaire de qualité que de quantité »178. Détail remarquable, même si juridiquement le nouveau statut des biens culturels semblait ne se limiter qu’à celui des biens fongibles par destination, car leur nature première les excluait de toute fongibilité objective, les rédacteurs des traités paraissaient conscients de certaines subtilités en la matière. Ainsi dans le Traité de Versailles ils n’hésitèrent pas à employer à l’égard des manuscrits et incunables, les termes juridiques servant habituellement

172 Récemment encore, la loi russe de 1998 sur les transferts de biens culturels utilise de tels critères dans une

technique comparable à celle mise en œuvre par le Traité de Versailles (article 247) et les Traités de paix de février 1947. Les critères de similitudes entre biens culturels s’entendraient ainsi « de leur nature (objets culturels), de leur type (tableaux, orfèvrerie, objets religieux...), de leur époque et de leur valeur. Cette similitude [...] doit cependant permettre de rétablir le mieux possible le statu quo ante. » (Pierre d’ARGENT, « La loi russe sur les biens culturels transférés. Beutekunst, agression, réparations et contres mesures », art. cit., p. 134).

173 « Le plus souvent cette similitude qui donne à deux choses le même pouvoir libératoire n’existe pas

seulement entre deux choses d’une même série, d’un même groupe, d’une même catégorie. Les différentes choses de cette série seront fongibles entre elles. Les livres d’un même tirage sont fongibles entre eux. Et l’on peut donc apporter cette précision nouvelle à la notion de choses fongibles, les choses fongibles sont des choses de genre, et mieux que de prétendre qu’une chose fongible est une chose qui se compte, qui se pèse, qui se mesure, on peut dire que la chose fongible est ainsi une unité dans le genre. Toutes les unités du même genre sont semblables. » (Pierre JAUBERT, « Deux notions du droit des biens : la consomptibilité et la fongibilité », art. cit., p. 85).

174 Article 247 et paragraphe 19, annexe II de la Partie VIII. (Voirt. 2, annexe n°6). 175 Art. XI, § 7 et 9-c. (Voirt. 2, annexe n°10.)

176 Traité de paix avec l’Italie, Paris, 10 février 1947, article 75, § 9 (cf.t. 2, annexe n°12.) Traité de paix avec la

Bulgarie, Paris, 10 février 1947, article 22, § 3 ; Traité de paix avec la Hongrie, Paris, 10 février 1947, article 24, § 3.

177Voir infra, paragraphe (1) et (2). Pour un point de vue allemand sur la question v. E. KAUFMANN, « Die

völkerrechtlichen Grundlagen und Grenzen des Restitutionen », Archiv öffentliche Recht (AöR), 75, 1949, p. 1- 13, ici p. 2 s.

à qualifier les biens fongibles par nature, ceux qui se définissent par leur nombre, leur poids, leur volume et leur valeur. À l’occasion de la réparation en nature de l’Université de Louvain et de sa bibliothèque, l’article 247 du Traité de Versailles précisait ainsi que la compensation des manuscrits et incunables devait correspondre « en nombre et en valeur aux objets semblables détruits dans l’incendie »179. Cette solution se retrouve également dans d’autres traités comme celui de Riga180.

Mais les atteintes portées à la singularité des biens culturels ne devaient toutefois pas en rester là. Jusqu’à présent, afin de compenser une perte d’ordre culturel, seule une obligation de réparation par remplacement de biens semblables, c’est-à-dire de même genre, avait été évoquée. Du système compensatoire devait résulter le remplacement d’une œuvre artistique par une autre œuvre artistique, en fonction des critères de similitude. Mais une innovation introduite par le Traité de Versailles et reprise par ceux de 1947 ainsi que par les accords alliés, offrit la possibilité légale de noyer les biens culturels genera dans la masse des réparations économiques181. Cette nouveauté rendait juridiquement possible la compensation des pertes économiques en ponctionnant directement le patrimoine artistique de l’Allemagne182. Pour la France, le patrimoine de l’État vaincu ne devait donc pas limiter ses

179 Traité de Versailles, art 247 du (voir t. 2, annexe n°6). 180 Traité de Riga, art. 7 et 9-c. (Voir t. 2, annexe n°10.)

181 Voir Traité de Versailles, art. 297 et 357 ; Traité de paix avec l’Italie de février 1947, art. 79 ; Traité de paix

avec l’Italie et la Roumanie de février 1947, art. 27 ; Traité de paix avec la Bulgarie de février 1947, art. 25 ; Traité de paix avec la Hongrie de février 1947, art. 29. Sur la législation alliée d’occupation voir : Commandants en chefs des forces alliées, Proclamation n° 2, 20 septembre 1945, Journal officiel du Conseil de Contrôle en Allemagne, n° 1, p. 8 ; Conseil de Contrôle en Allemagne, loi n° 5 du 30 octobre 1945 sur la prise en charge et le recensement des avoirs allemands à l’étranger, Journal officiel du Conseil de contrôle en Allemagne, n° 2, 30 novembre 1945, p. 27 et s. ; Conseil de la Haute Commission Alliée, Loi n° 63 du 31 août 1951 précisant le statut des avoirs allemands à l’étranger et des autres biens appréhendés au titre des réparations ou des restitutions, Journal officiel de la Haute Commission Alliée en Allemagne, 5 septembre 1951, n° 64, p. 1107 et s. ; et Déclaration concernant la défaite de l’Allemagne et la prise de l’autorité suprême à l’égard de l’Allemagne par le Gouvernement provisoire de la République française et par les gouvernements des États-Unis d’Amérique, du Royaume-Uni et de l’Union des Républiques Socialistes Soviétiques, signée à Berlin, le 5 juin 1945. (Recueil des traités des Nations Unies, 1950, vol. 68, n° 230, p. 189 s.)Pierre D’Argent confirme cette innovation des Traités de paix du XXe siècle : « Les biens culturels ennemis peuvent cependant parfois être utilisés à d’autres

fins qu’au remplacement de biens détruits similaires : ainsi, les biens culturels, même privés n’échappent pas – sauf exception au bénéfice des institutions religieuses ou caritatives – à la saisie des biens ennemis à l’étranger, prévue en guise de réparations générales tant par les Traités de paix de 1947, que par le Traité de Versailles ou les accords alliés relatifs à l’Allemagne. » (« La loi russe sur les biens culturels transférés. Beutekunst, agression, réparations et contres mesures », art. cit.,p. 132-133). Voir aussi Manfred LACHS, « Le problème de la propriété dans la liquidation des suites de la Seconde Guerre mondiale », art. cit., p. 56-57.

182 Toutefois, pour ce qui est des faits, un sondage des fonds d’archives sur la période – fonds conservés aux

Archives Nationales (AN) [série AJ/5, AJ/6 commission interalliés des réparations], ainsi qu’aux Archives du Ministère des Affaires étrangères (AMAE) – nous permet de dire que cette possibilité ne s’est pas concrétisée en

sacrifices aux seules pertes d’ordre culturel mais aussi aux pertes d’ordre économique. Ainsi, par la prouesse juridique du changement de destination des choses, on observe le transfert tout à fait inédit d’une fongibilité culturelle des biens artistiques vers une fongibilité économique. Une telle situation opérait une distinction juridique surprenante quant au statut des biens culturels lié aux différents modes de réparations : d’une part, et avec un certain respect de leur nature première, les biens soumis à la « fongibilité culturelle » restaient des choses de genre, puisque c’est leur similitude qui primait dans la compensation ; alors que d’autre part, ceux soumis à la « fongibilité économique » étaient évacués de leur genre et réduits à un moyen de dédommagement en nature totalement anonyme, assimilable à une dation en paiement. Dans un tel cas de figure seule la valeur vénale se trouvait au cœur du rapport entre réparation et dommage et non les critères de similitude, culturel, scientifique, artistique ou documentaire du bien183. Les réparations en nature présentes dans les traités de paix du XXe siècle contredisaient donc en théorie la nature unique et irremplaçable de beaucoup de biens culturels. Toutefois, deux solutions alternatives semblent s’être imposées en même temps qu’opposées en 1919 et en 1945 : l’exercice d’une justice commutative en 1919 tout d’abord, contre l’exercice d’une justice distributive en 1945. La notion aristotélicienne de justice montre ici sa pertinence en ce qu’elle distingue les deux formes de justice, commutative et distributive : la première est arithmétique, dans le sens où deux personnes égales échangent proportionnellement des choses égales, alors que la seconde est géométrique, dans le sens où les deux personnes ne sont pas égales, mais pour que le partage soit juste entre elles les parts sont proportionnées en fonction de différents critères184.

La documentation révèle néanmoins une nette distinction, dès 1919, entre les solutions juridiques préconisées (commutativité) et la réalité des réclamations (1). Une inflexion favorable aux biens culturels est finalement clairement perceptible entre les solutions réparatrices issues de la Première Guerre mondiale et celles issues de la Seconde ; l’attitude

dehors des dispositions spéciales prévues par les articles 245 et 247 du Traité de Versailles à propos des drapeaux et des manuscrits. Cf., infra §a et §b.

183 Cette particularité découle du rôle de la volonté dans l’appréciation de la fongibilité. Ainsi pour Pierre

Jaubert, « la volonté peut permettre d’assimiler d’un certain point de vue deux choses absolument différentes », ainsi une gravure de Dürer et une usine détruite à compenser. Il ajoute en outre que « la volonté intervenant ainsi pour donner à deux choses la même valeur libératoire, la fongibilité subjective va essentiellement jouer un rôle dans la dation en paiement, dans l’exécution des obligations alternatives et dans la compensation conventionnelle. » (« Deux notions du droit des biens : la consomptibilité et la fongibilité », art. cit., p. 99).

184 Cf. Éthique à Nicomaque, trad. J. Tricot, Paris, Vrin, 5e tirage, 1983, livre V. Sur ces questions v. les travaux

de Michel Villey : Leçons d’histoire de la philosophie du droit, Paris, 1962, réédition présentée par René SÈVE, Paris, Dalloz, 2e éd., 2002, p. 118 s ;Philosophie du droit. Définitions et fins du droit. Les moyens du droit..., op.

cit., p. 58-61 ; ainsi que La formation de la pensée juridique moderne, Réédition présentée par Stéphane RIALS, Paris, PUF, 2003.

américaine hostile aux compensations culturelles en 1945 permis aux biens culturels de sortir du vague de la fongibilité (2).

(1) La tentation d’appliquer une justice commutative pour les biens culturels en 1919

En 1918, la victoire sur l’Allemagne fut l’occasion pour les alliés, et surtout la France, de mettre en pratique un légalisme qui imprégnait l’époque185. Comme le remarquait André Piettre186, ce phénomène se ressentit également dans l’élaboration des conditions de paix. Un climat général revanchard fut alors juridiquement soutenu, notamment chez les Français, en favorisant par le Traité de Versailles la mise en place d’une justice internationale de type commutatif (a). Toutefois la documentation exploitée187 montre que la réalité des réclamations atténua cet élan commutatif (b).

(a) Une justice commutative réclamée

En terme de dédommagement des préjudices subis, la position adoptée lors des négociations dès 1918 se traduisait par un strict légalisme. L’objectif était, autant que possible, de rétablir le statu quo ante par l’application d’un mécanisme réparateur total qui rejetait tout recours à l’équité au profit de l’Allemagne et de sa capacité de paiement. La victoire conférait un climat juridique et politique propice à l’adoption d’un système de réparation intransigeant188.

Avant toute chose les sacrifices consentis durant quatre ans par la France lui conféraient une sorte de droit moral qui lui permettait d’exercer sa tutelle sur les autres plénipotentiaires ; la délégation française orienta donc les négociations vers des réparations intégrales. L’obligation de réparation, en ne se fondant pas explicitement sur le Code civil français, en reprenait néanmoins l’esprit en matière de responsabilité telle définit par l’article 1382 pour lequel « tout fait quelconque de l’homme, qui cause à autrui un dommage oblige celui par la

185 Antoine LECA, La genèse du droit. Essai d’introduction historique au droit, Aix-Marseille, 2000, p. 382 et s.,

notamment à propos de l’émergence en France au début du XXe siècle du concept d’État de droit et du rôle de

Carré de Malberg dans sa diffusion.

186 Dans sa préface à l’ouvrage de Richard CASTILLON,Les réparations allemandes. Deux expériences 1919-

1932, 1945-1952, Paris, 1953, André Piettre écrivait ceci : « Les nouvelles réparations présentaient ainsi un caractère singulier, par rapport aux précédentes : les rançons de jadis (y compris celles de 1870-71) étaient marquées du sceau de la puissance ; les réparations de 1919 étaient établies sous le signe du droit ; celles de 1945 portaient un cachet plus réaliste, celui des faits. Les premières étaient dans leur essence, politiques ; les secondes juridiques ; les troisièmes économiques ». Il s’agissait pour lui des « trois âges » de la réparation, ce qui pour l’économiste qu’il était se rapprochait de son prosélytisme autour des « trois âges de l’économie ».

187 Archives Nationales (plus loin AN), séries AJ/5 AJ/6 Commissions interalliés des réparations. 188 Bénédicte SAVOY, Patrimoine annexé..., op. cit.

faute duquel il est arrivé, à le réparer »189. Pour les quatre grands – Clemenceau, Lloyd George, Orlando et Wilson, tous plus ou moins juristes190 –, à l’influence tacite de l’article 1382, s’ajoutait la Convention de la Haye du 18 octobre 1907 utilisée à son tour pour affirmer la responsabilité de l’Allemagne191 puisque cette dernière avait ratifié le texte ; un tel corpus normatif devait fonder l’obligation de réparer192. Ainsi, lorsqu’André Piettre évoquait à propos des conditions de paix de 1919 des réparations « juridiques » par opposition aux réparations « réalistes » de 1945193, c’est l’esprit légaliste du moment qu’il désignait, légalisme stimulé par la victoire 194. À la certitude légaliste d’avoir le soutien indéfectible du droit en matière de réparation195, s’associait le sentiment qu’une justice commutative devait être appliquée à l’encontre de l’Allemagne. À titre d’exemple le 5 avril 1919, avant la

189 A propos du rôle de l’article 1382 dans la reconnaissance du droit à réparation, on retrouve Carré de Malberg

qui dans son opuscule Du fondement du droit à la réparation intégrale pour les victimes des dommages de guerre, Paris, 1915, fait observer que « le fondement du droit ne peut être que la responsabilité de l’État ennemi : responsabilité pour faute en vertu du principe général de droit exprimé en l’article 1382 du Code civil. » Voir Robert DEBECKER, La réparation des dommages de guerre en France et en Belgique, Thèse droit, Chartres,

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