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Section II. L’intégrité physique des biens culturels juridiquement envisagée

B. Les collections

3. Les collections russes et le traité de R IGA

C’est le Traité de Riga du 18 mars 1921392 qui pose avec le plus d’acuité le principe de l’intégrité des collections artistiques. On lit en effet à l’article XI, paragraphe 7 :

« (…) les deux parties contractantes s’accordent à reconnaître que les collections établies suivant des systèmes scientifiques et présentant un but défini, constituent la base de trésors d’une importance mondiale pour la culture, et ne doivent pas être exposées à être détruites ; en conséquence, elles décident ce qui suit : si l’absence de l’un quelconque des objets susceptibles d’être rendus à la Pologne en exécution du paragraphe 1 b) du présent article, détruisait l’intégrité d’une collection de ce genre, l’objet en question, sauf le cas ou il serait étroitement lié à l’histoire ou à la culture polonaises, après accord des deux parties dans la Commission mixte envisagée au paragraphe 15 du présent article393, devrait être laissé en place, à

charge d’être remplacé par un objet équivalent de par son importance artistique ou scientifique ».

Trois éléments essentiels sont avancés par les contractants pour préserver les collections. Elles ont tout d’abord été élaborées selon des « systèmes scientifiques », élément déjà présent dans d’autres traités, notamment à l’égard des fonds d’archives. Ensuite elles

390 Article IV de l’accord.Cf. t. 2, annexe n° 11bis. 391 Article V de l’accord.Cf. t. 2, annexe n° 11bis.

392 A propos de ce Traité, voirsupra, p. 65 s. (Pour le texte du Traité : cf. t. 2, annexe n° 10.)

393 Article 15 : « Dans un délai de 6 semaines au maximum du moment de la ratification du présent Traité, une

Commission mixte sera créée, pour la réalisation des stipulations du présent article ; elle sera composée sur les bases paritaires de trois représentants et d’experts nécessaires de chaque coté et siégera à Moscou. Cette Commission devra suivre dans ses actes, l’Instruction composant l’Annexe n° 3-e du présent Traité » (cf. t. 2, annexe n° 10). On retrouve dans ce Traité la même idée qui, après la Première Guerre mondiale, avait conduit à l’élaboration du Comité des trois juristes lors des négociations de paix.

présentent un « but défini »394. Ces deux éléments soulignent la cohérence nécessaire à la qualification de collection en tant que rassemblement d’objets de provenances diverses. Enfin, le troisième élément est celui de « l’importance mondiale » accordée aux collections russes, qui n’est pas sans rappeler la remarque faite par Hans Tietze à propos des collections autrichiennes395.Le Traité de Riga reprend donc un principe déjà énoncé par les Traités de la Première Guerre mondiale où la valeur d’un ensemble complexe prime sur celle de l’objet isolé396, même si ce dernier est grevé d’un droit de propriété légitime dont la Pologne s’estime ici titulaire. Seule dérogation au principe d’intégrité invoqué dans l’article 11, les objets liés « à l’histoire ou à la culture polonaise » n’entrent pas dans la catégorie des biens assimilés au tout que représente la collection ; ils conservent leur individualité eut égard à la valeur culturelle et sociale dont ils sont porteurs pour la Pologne et le peuple polonais.

*

Évoquer la question de l’intégrité des collections comme un des fondements de l’autonomie juridique des biens culturels soulève certaines questions théoriques. Si l’un des buts de cette étude est de dégager une casuistique du principe d’intégrité des biens culturels à partir des exemples contenus dans les textes ad hoc, le cas des collections peut potentiellement contrarier l’autre principe directeur qui va être abordé maintenant, celui du retour des biens culturels à leur espace d’origine. En effet, l’une des caractéristiques essentielles de la collection est l’agrégation en un même lieu et dans un patrimoine d’objets souvent géographiquement exogènes. Une fois validé par le facteur temps, l’assemblage esthétique initial passe de la sphère artistique à la sphère culturelle globale où, par contagion, les objets sont socialement assimilés397. Le processus peut nuire à d’éventuelles restitutions

394 On retrouve ici le facteur de finalité propre à la collection, tel qu’il est dégagé par Bernard Edelman, celle-ci

devant porter témoignage d’une époque déterminée ou d’un génie créateur. (Supra.)

395 Supra, n.379.

396Pour les « tableaux provenant des collections particulières ; c’est dans cette catégorie que le déficit des

restitutions est le plus marqué, soit en raison de la dispersion des pièces en Russie, soit que l’on ait dû renoncer à certains tableaux, comme faisant partie de “collections systématiques élaborées scientifiquement” » (« Un exemple de restitution. Le traité de Riga de 1921 et le patrimoine artistique de la Pologne », art. cit., p. 208. Art. anonyme.)

397 Pour Maryvonne de Saint Pulgent, « la plupart des collections rassemblées par les grands États sont formées

d’objets déplacés, pris au hasard des conquêtes, achetés au cours des siècles, échangés, donnés parfois. Le critère d’origine ne suffit plus à définir ces trésors nationaux. Viennent s’y ajouter des considérations diverses – le temps passé sur le territoire ou l’incorporation de l’objet dans l’histoire nationale, artistique, religieuse ou même politique du pays d’accueil – qui conduisent à une définition plus large du trésor national. » (« Restitution et

quand une population estime que certains objets appartiennent à sa propre culture398. Ce phénomène constitue un frein au principe du retour des biens culturels à leur espace d’origine, à l’exception des cas sans équivoque, comme le montre le Traité de Riga, où des objets demeurent indissociables de la culture d’un peuple et sont considérés comme y étant physiquement attachés399.

trésor national », dans Patrimoine, temps, espace. Patrimoine en place, patrimoine déplacé..., op. cit., p. 371). Dans le même sens on peut lire chez Ignaz Seidl-Hohenveldern que « la pratique en cas de succession d’États, notamment lors du démembrement de l’Autriche-Hongrie, avait tenu compte de l’argument qu’une collection établie pendant des siècles était, elle aussi, un monument historique, faisant part du patrimoine culturel national du pays du site du musée, indépendamment des liens idéologiques entre certains objets exposés et d’autres cultures. » (« La protection internationale du patrimoine culturel national », R.G.D.I.P., t. 97, 1993, p. 403). Infra, Chap. III, sect. II.

398 Ce fut par exemple le cas (mais avec des raisons idéologiques en sus) lorsqu’en septembre 1815 les

Autrichiensse heurtèrent à la population parisienne lorsqu’ilsdéboulonnèrent le Quadrige de Saint-Marc fixé depuis 1802 à l’arc de triomphe du Carrousel. Pour les détails, voir Arthur CHUQUET, « Les prussiens et musée du Louvre en 1815 », art. cit., p. 277-278.

399 Pour une liste des objets de ce type qui furent restitués à la Pologne, voir « Un exemple de restitution. Le

traité de Riga de 1921 et le patrimoine artistique de la Pologne », art. cit., p. 207-208. A titre d’exemples, ont été rendus : « le glaive qui, selon la tradition, servait au couronnement des rois de Pologne depuis le début du XIVe

siècle ; le manteau de l’Ordre du Saint-Esprit, offert par Louis XIV à Jean III Sobieski, l’épée et le chapeau du même Ordre, offerts par le Pape Innocent XI […], le mobilier du château de Varsovie […], la grande statue équestre du Prince Joseph Poniatowski, bronze de Thorwaldsen, qui avait été élevée à Varsovie par souscription nationale, transportée à Modlin en 1831 et restituée en 1922. La statue se trouve actuellement sur une place publique de Varsovie. » (p. 207).

Section III. L’aire

culturelle

d’origine

des

biens

culturels

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