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Section III. L’aire culturelle d’origine des biens culturels juridiquement contrariée

A. Les premières ébauches dans le droit des archives

concrètes durant la seconde moitié du XIXe siècle ; les exemples cités ici, la décision d’Halifax et la restitution de la bibliothèque Palatine, ne sont que les cas embryonnaires d’une pratique se généralisera par la suite sans pour autant être convertie en coutume internationale480. Les idées ont donc précédé l’éveil juridique de la notion d’espace culturel d’origine constatée dans certains textes de la seconde moitié du XIXe et du XXe siècle.

II.

L’éveil juridique d’une notion

Dès la seconde moitié du XIXe siècle et de manière accrue au lendemain de la Première Guerre mondiale, certains textes juridiques internationaux suggèrent l’existence d’une relation juridique entre les biens culturels et l’espace géographique dont ils sont issus. Les archives, parce qu’elles servent souvent de fondement à l’exercice des droits régaliens et donc éveillent l’intérêt des juristes, rendent compte des tâtonnements juridiques qui ont présidé à cette émergence. (A). L’enquête se poursuivra ensuite par l’exégèse de textes ou apparaît l’idée d’un lien entre certains biens culturels et l’aire géographique dont ils sont originaires (B).

A. Les premières ébauches dans le droit des archives

479Édouard POMMIER, « Réflexions sur le problème des restitutions d’œuvres d’art en 1814-1815 », art. cit., p.

257 ; Erik JAYME, Antonio Canova (1757-1822) als Künster und Diplomat, Heidelberg, 1994.

480 De manière connexe, il est possible d’élargir la question précise des restitutions de biens culturels à leur

espace d’origine à celle plus globale de l’existence d’une coutume internationale de la restitution qui se serait développée dès 1815. Si certains auteurs se sont satisfait un peu rapidementd’une telle affirmation [S. SÉFÉRADIÈS,« La question du rapatriement des Marbres d’Elgin considérée plus spécialement au pont de vue du Droit des Gens », Revue de droit international, 1932, p. 52 et 76 ; Karl BECHER, « On the Obligation of Subjects of International Law to Return Cultural Property to its Permanents Place », A.A.A.A., 1974, p. 96; mais aussi RidhaFRAOUA, Le trafic illicite des biens culturels et leur restitution..., op. cit., p. 142-150.], Guido Carducci

met en garde [Cf. « L’obligation de restitution des biens culturels et des objets d’art en cas de conflit armé : droit coutumier et droit conventionnel avant et après la Convention de La Haye de 1954 », art. cit., p. 289-357, et quelques années avant lui de manière moins aboutie Detlev Christian DICKE, « Les instruments et les organes de la protection internationale des biens culturels », dans La protection juridique internationale des biens culturels, Actes du colloque de Droit européen, Delphes, 20-22 septembre 1983, Strasbourg, 1984, p. 19-47], en démontrant que les éléments constitutifs de la coutume internationale, usus et opinio juris, ne sont toujours pas réunis à l’heure actuelle pour considérer qu’il existe une obligation coutumière internationale de restituer les biens culturels en cas de vol, de spoliation ou d’exportation illicite : « Il convient [...], à notre avis de bien distinguer les grandes affirmations en faveur du respect du patrimoine culturel et artistique de chaque nation, émanant de personnages et intellectuels éminents de l’époque, tels Quatremère de Quincy, Lord Castelreagh, Sir Croke, Canova, des comportements étatiques effectifs, et bien plus pauvres en contenu aux fins de l’usus. Il apparaît alors simplement vrai qu’à partir de ce moment les actes de pillage des biens culturels se firent plus rares, de moins en moins justifiables au nom de la seule tradition du ius praedae, et que les vicissitudes ayant conduit à la récupération d’une bonne partie du pillage issu des campagnes napoléoniennes ne sont pas de nature à démontrer qu’une obligation coutumière, juridique et non seulement morale, se soit formée. » (p. 297).

Même si l’expression de droit international des archives est inappropriée481 tant les principes fondamentaux d’intégrité des fonds et de provenance territoriale482 censés le guider sont fragiles483, la persistance historique de la question des archives dans la pratique des traités484, la longévité de ces deux principes directeurs485 et les tentatives de codification de ces principes durant la seconde moitié du XXe siècle486, font des archives, notamment publiques487, une catégorie de biens culturels pionnière ici. Aucun autre bien culturel n’a effectivement pu, d’une part bénéficier d’une telle individualisation juridique et d’autre part prétendre de façon aussi fréquente à ce que lui soit notamment appliqué le principe de provenance territoriale, donc de restitution à leur espace d’origine, d’archives initialement déplacées. Pour Charles Kecskemeti ce principe va de soi, « les variations durables (extensions de souverainetés dynastiques, établissements d’empires coloniaux, etc.) ou éphémères (occupations militaires, etc.) de la géographie politique ont souvent amené des déplacements d’archives pour diverses raisons, telles que la concentration de titres juridiques et du matériel d’information au siège du pouvoir souverain, la mise à la disposition des États- majors de matériels d’étude, la saisie d’archives pendant ou après les insurrections ou des guerres, etc. Ces archives déplacées doivent être restituées au pays d’origine. Le même principe s’applique aux pièces (titres, dossiers, statistiques, etc.) extraites des fonds du pays d’origine et rassemblées au siège du pouvoir souverain. Dans la plupart des cas de ce type, le droit de propriété est automatiquement déterminé par les motifs et la date du déplacement,

481 Hervé BASTIEN, Droit des Archives..., op. cit., p. 7. 482Voirsupra p. 105 s.

483 Tout comme les autres biens culturels les archives ont eu à subir les suites de la Seconde Guerre mondiale

(notamment par la pratique du droit au butin), ainsi que celles de la décolonisation. Supra p. 116.

484 Pour un aperçu de cette présence ancienne et permanente de dispositions concernant les archives dans les

traités de paix, voir le Tableau historique des accords portant sur des transferts d’archives dressé par Bernard MAHIEN, dans Constitution et reconstitution des patrimoines archivistiques..., op. cit., fascicule 3, appendice 2, Paris, 1980.

485 « Les archives, en tant que moyens de l’Administration publique, ont été traditionnellement mentionnées dans

les divers traités de paix signés entre souverains depuis le XVIIe siècle ; les solutions ainsi adoptées par la voie diplomatique s’appuient en règle générale sur le principe de territorialité des archives (qui reconnaît le lien privilégié entre les archives et le territoire qui les a vu produites), complété, le cas échéant, à partir de la fin du XIXe siècle par le principe du respect des fonds. » (Hervé BASTIEN, Droit des Archives…, op. cit., p. 51).

486 Ceci notamment au travers des outils déjà cités tels que, les C.I.T.R.A. de Varsovie de 1961 et Cagliari de

1977, la XXe Conférence générale de l’UNESCO de 1978 et la Convention de Vienne d’avril 1983. (Supra,n.273 et 275.)

487 Contrairement à l’essentiel des archives privées, les archives publiques servent de support à l’exercice de la

puissance régalienne, raison pour laquelle les juristes s’en sont autant préoccupés. Cf. Blandine BARRET- KRIEGEL, Les historiens et la monarchie, vol. 2, La défaite de l’érudition, Paris, PUF, 1988.

ainsi que par la date de la création des documents. »488 Ainsi il convient d’appliquer ce principe : « (1)-aux fonds d’archives qui avaient été créés avant l’exercice de la souveraineté par la puissance ayant opéré le déplacement, et qui ont été « gelés » après le transfert ; (2)-aux archives déplacées par fait de guerre ou d’occupation militaire ; (3)-aux fonds d’archives saisis pour des motifs militaires, politiques et judiciaires, notamment sur des mouvements insurrectionnels. »489

L’évolution historique des rapports entretenus entre les archives et l’espace, au regard du principe qui lie les archives à leur lieu de production et de formation organique, ne doit pas être prise comme un droit pionnier susceptible par imitation de s’étendre à l’ensemble des biens culturels, un tel droit n’existant pas. Davantage, le statut singulier des archives doit être considéré comme une source juridique suffisamment significative pour confirmer et soutenir l’éveil de la notion d’espace culturel d’origine, en même temps que contribuer à l’autonomisation juridique future des biens culturels dans leur ensemble.

B. La naissance juridique et pratique de l’idée d’espace culturel

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