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Section I. Biens culturels et outils ad hoc de la restitution, deux siècles de mutation

A. Des restitutions justifiées par la fonction des biens culturels, 1814-

2. La nature des restitutions de

C’est dans le silence des traités de paix que se sont effectuées les restitutions de 1814 et 1815. Aucune clause concernant des objets d’art n’a été insérée dans ces textes. Au regard des biens culturels, tels qu’ils sont appréhendés aujourd’hui comme catégorie dérogeant à celle des biens ordinaires, seule une disposition concernant la restitution d’archives a été introduite avec l’article 31 du traité de Paris du 31 mai 181442. On voit ainsi que c’est moins la valeur historique ou artistique des objets déplacés qui commande la restitution, que leur fonction politique, permettant d’administrer un territoire. À défaut d’être juridiques, les restitutions de

38 A Venise, le Lion de Saint-Marc exposé sur un piédestal dans l’esplanade des invalides et les Chevaux de

Saint-Marc placés sur l’arc de triomphe, étaient particulièrement attendus. Ironie du sort, les chevaux avaient été volés aux Byzantins par les vénitiens. Pour des détails sur l’enlèvement des chevaux du Carrousel voir Charles SAUNIER, Les conquêtes artistiques de la révolution et de l'empire..., op. cit., p. 140-142 et Arthur CHUQUET, « Les Prussiens et le Musée du Louvre en 1815 », art. cit., p. 277-278. Quant au Lion de Saint-Marc,v. Georges POISSON, « Quand le Lion de Saint-Marc était à Paris », Souvenir Napoléoniens, Paris, 1996, p. 15-17.

39 Ferdinand BOYER, « Le retour à Florence en 1815 des œuvres d’art emportées en France », art. cit., p. 114-

123, notamment à propos du retour le 27 décembre 1815 à Florence de la Vénus de Médicis, exilée de la Galerie des Offices depuis 1802.

40 Nicole GOTÉRI, « Enlèvements et restitutions des tableaux de la galerie des rois de Sardaigne », art. cit., p.

459-481.

41 Canova agit,outre les États pontificaux, pour le compte des duchés de Parme et de Modène, autorisés le 30

septembre à reprendre leurs œuvres d’art. Voir F. BOYER, « A propos de Canova et de la restitution des œuvres d’art de Rome », art. cit., p. 472-477 et aussi Léopold DELISLE, « Les archives du Vatican », Journal des Savants, Paris, août 1892, p. 492-501. Pour une bibliographie canovienne : Erik JAYME,« Antonio Canova, la republica della arti ed il diritto internazionale », Rivista di dirito internazionale, LXXV, 4, 1992, p. 889-902 ; Erik JAYME, Antonio Canova (1757-1822) als Künster und Diplomat, Heidelberg, 1994 ; Christopher M. S. JOHNS, Antonio Canova and the Politics of Patronage in Revolutionary and Napoleonic Europe, Berkerley, Los Angeles; Londres, 1998, p. 171-194 ; Franca ZUCCOLI, « Le repercussioni del Trattato di Tolentino sull’attivită diplomatica di Antonio Canova per il ricupero delle opere d’arte nel 1815 », dans Ideologie e patrimonio storico- culturale nell’età rivoluzionaria e napoleonica. A proposito del Trattato di Tolentino, Actes du colloque de Tolentino (1997), Rome, 1999.

42Traité de Paix entre le roi et les Puissances alliées, conclu à Paris, le 30 Mai 1814, art. 31 : « Les archives,

cartes, plans et documents quelconques appartenant aux pays cédés, ou concernant leur administration, seront fidèlement rendus en même temps que le pays, ou, si cela était impossible, dans un délai qui ne pourra être de plus de six mois après la remise des pays mêmes. Cette stipulation est applicable aux archives, cartes et planches qui pourraient avoir été enlevées dans les pays momentanément occupés par les différentes armées. »

1815 sont donc diplomatiques et c’est le jeu des influences, des avancées et des retraits entre les grandes puissances qui scella le destin des objets d’art apportés en France.

Afin de mieux comprendre la nature des restitutions de 1814-1815, une courte modélisation du processus de restitution s’impose. En décomposant le processus complet de restitution, on observe que celui-ci présente une phase continue, le déroulement de la restitution, qui elle-même va être affectée par l’action ponctuelle de la fonction de l’objet. La phase continue adopte une dynamique linéaire, en cumulant deux éléments, le procédé de restitution et l’objectif de la restitution. Le procédé de restitution relève d’une mécanique simple, un modus operandi qui hésite entre les outils légaux de restitution, contraingnant (du type traité de paix), et les procédés souples de restitution, négociés. L’objectif de la restitution va quant à lui s'associer au procédé et déterminer la qualité de la restitution. L’objectif revêt essentiellement quatre formes : juridique (la restitution d’un bien à son propriétaire d’origine en vertu du droit de propriété initial) ; culturel (la restitution de l’objet à son espace culturel d’origine) ; politique (comme ce fut le cas en 1815) ; voire économique, en vertu de la valeur marchande de l’objet. Bien entendu ces objectifs ne sont pas exclusifs les uns des autres et peuvent se conjuguer lors d’une même restitution. Durant ce processus, la fonction du bien agit de manière ponctuelle sur l’objectif de la restitution et c’est le type de fonction qui va orienter cet objectif. Le type de fonction du bien culturel est variable, ce sont les exigences du moment qui l’influencent, mais en définitive le bien va revêtir principalement trois formes : il peut ainsi être objet juridique, car grevé de droits réels, objet culturel ou objet politique. Ainsi la fonction peut être considérée comme le moteur de la restitution en ce qu’elle influence l’objectif de la restitution grâce à une action ponctuelle, qui fluctue au gré des variations du contenu juridique, politique ou culturel du bien.

Ces clefs de compréhension permettent d’appréhender les variations observées entre les restitutions de 1814 et celles de 1815. Si dans les faits un changement a lieu par le passage de restitutions parcellaires en 1814 à celles globales en 1815 (ou voulues comme telles), il est lié à la fonction de l’objet. Comme cela a déjà été dit, en 1814 un consensus s’est établi chez les alliés autour de l’idée du maintien sur le sol français d’une grande partie des objets d’art importés des pays d’Europe afin, de favoriser le retour de la monarchie ; à cet égard la fonction de l’objet consistait à conforter le statut du roi. Après les Cent Jours a contrario, et face à l’inertie de Louis XVIII devant certaines réclamations parcellaires tout au long de l’année 1814, des restitutions globales furent imposées durant l’été 1815. Il faut comprendre ce retournement de situation en observant l’évolution de la fonction des biens culturels durant cette courte période. Les années 1814-1815 marquent le passage d’une catégorie de biens dépourvus de contenu idéologique et d’enjeux politiques internationaux – l’empreinte napoléonienne sur les biens ayant été volontairement effacée par les puissances européennes pour faciliter le retour de Louis XVIII –, à une catégorie de biens vecteurs d’enjeux politiques car ils étaient vécus comme la manifestation ostentatoire des victoires révolutionnaires et surtout impériales. Enrichis d’un tel contenu idéologique, les objets d’art accédaient au statut provisoire d’objets politiques, réceptacles d’une mémoire menaçant les intérêts des monarchies européennes. Dans ces conditions, le statut ponctuel de ces biens a déterminé l’objectif des restitutions, objectif essentiellement politique. En l’espèce la décision

britannique de déclencher le processus de restitution a été influencée par le type de fonction, politique, des objets en cause.

On comprend donc que des restitutions qui se fondent exclusivement sur un objet politique, provoquent des lacunes culturelles, notamment la dispersion et le déplacement d’œuvres en dehors de leur contexte d’origine. Il faut attendre la seconde moitié du XIXe siècle pour que la fonction culturelle oriente des restitutions de type juridique.

B. L’apparition du critère culturel dans les restitutions : l’apport

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