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Section I. Biens culturels et outils ad hoc de la restitution, deux siècles de mutation

A. L’apport des deux guerres mondiales : restitution et réparation La question des restitutions au XX e siècle ne doit pas être limitée au cas, considérable

1. Les traités de paix de la Première Guerre mondiale

La paix de 1918 innovait dans le sens de la complexité. La pluralité de vaincus d’une part, Allemagne, Empire Ottoman, Autriche-Hongrie, et la pluralité de vainqueurs de l’autre, avec pour les plus importants les États-Unis, la France, le Royaume-Uni, la Russie, l’Italie et le Japon, laissait entrevoir une Conférence de la Paix délicate, notamment sur le terrain des réparations61. Le bilan en est aujourd’hui connu et regretté, notamment au regard du Traité de Versailles à l’égard duquel les critiques de l’économiste J. M. Keynes n’avaient pu infléchir les positions revanchardes de Clemenceau et des autres plénipotentiaires, Lloyd George pour

remarquable qu’il faisait du nouveau concept de “réparations de guerre” qu’il déployait à partir de l’affirmation de la “responsabilité” de l’Allemagne et de ses alliés pour “l’agression” dont auraient été victimes les puissances alliées et associées. » (Les réparations de guerreen droit international public..., op. cit., p. 50). A propos cette fois-ci de la Seconde Guerre mondiale et de la responsabilité de l’Allemagne, voir Manfred LACHS, « Le problème de la propriété dans la liquidation des suites de la Seconde Guerre mondiale », A.F.D.I., 1961, p. 43- 66, spécialement p. 56.

60 Il est intéressant de noter le jeu de miroir qui a pu s’opérer entre la Première et la Seconde Guerre mondiale,

lorsque des injonctions quasi similaires ont été prononcées contre les pratiques spoliatrices. Une note du Gouvernement de la République française du 20 septembre 1916 déclarait en effet nulles et non avenues toutes les mesures de transfert de propriété vers l’Allemagne (cf. J.D.I.P., 1920, p. 6-10, et pour le texte complet J.D.I.P., 1917, p. 1376), ce qui correspondait presque point par point à la Joint Declaration du 5 janvier 1943. Sur ce point voir infra, p. 69 n. 111.

61 Recueil de documents sur l’histoire de la question des réparations (1919-5 mai 1921), Germain CALMETTE

(éd.), Publications de la Société de l’Histoire de la Guerre, Paris, 1924 ; R.CASTILLON, Les réparations allemandes. Deux expériences 1919-1932, 1945-1952, Paris, 1953.

le Royaume-Uni, Wilson pour les États-Unis et Orlando pour l’Italie62. Point culminant de cette logique belliqueuse, les réparations ont été utilisées comme la réponse synallagmatique des dommages infligés par l’Allemagne et ses alliés ; elles furent la cause de son échec et de l’embrasement européen ultérieur.

En ce qui concerne les objets culturels, la Première Guerre mondiale fut beaucoup plus une guerre de destruction63 que de spoliation64, à la différence de ce qui s’était produit sous la Révolution et l’Empire65. Les nationalismes intransigeants du XIXe siècle étaient passés par là et les objectifs n’étaient plus les mêmes66. Ainsi des villes entières furent dévastées, Reims, Arras, Soissons, Saint Quentin pour la France, Ypres et Louvain pour la Belgique et elles payèrent dans le même temps un lourd tribut en chefs-d'œuvre d’architecture civile et religieuse67. En sus de cette variante dans les comportements relatifs aux biens culturels, les

62 Sur le traité de Versailles voir : Jean-Jacques BECKER, Le traité de Versailles..., op. cit. ; J.-B. DUROSELLE,

Histoire diplomatique de 1919 à nos jours, Paris, 9e éd., 1985 ; Pierre MIQUEL, La paix de Versailles et l’opinion

publique française, Paris, 1972 ; P. RENOUVIN et al., Histoire des relations internationales, 8 vol. (du Moyen Âge à 1945), Paris, Hachette,1953-1958.

63 Louis RÉAU, Histoire du vandalisme. Les monuments détruits de l’art français, Paris, Hachette, 1959, 2 t.,

réed. Bouquins, 1994, p. 843-849 ; André PAVIE, Les dommages de guerre. Guide pratique contenant le texte de la loi du 17 avril 1919, son explication, Paris, Charles Lavauzelle, 1919, 184 p. Voir aussi la série des Guides illustrés Michelin des champs de Bataille, publiée dès 1919.

64 Il faut tout de même noter que de nombreux pillages commis par l’armée allemande eurent lieu en zone

occupée, et ceci autant pour les objets mobiliers privés de tous ordres que pour certaines œuvres d’art appartenant aux collections publiques. Cf. ChristinaKOTT, Protéger, confisquer, déplacer…, op. cit. ; de la même Préserver l’art de l’ennemi…, op. cit. ; éléments également dans A. MÉRIGNHAC et E. LÉMONON, Le droit des gens…, op. cit., p. 493, 515-568, spéc. p. 515-516, 533, 542.

65 Mais déjà, ainsi que le note Henri d’Arnoux de Fleury de l’Hermite, « comme corollaire du droit de spolier il y

avait le droit de détruire, et l'antiquité s'est fréquemment accordé cette triste satisfaction. Bornons-nous à rappeler l'incendie des 700 000 volumes de la bibliothèque d'Alexandrie par l'armée romaine sous Jules César, la destruction de Corinthe par Mummius, l'incendie de Rome par Néron, etc. » (Objets et monuments d'art devant le droit des gens, thèse droit, Paris, 1934, p. 13).

66A propos des rapports conflictuels qu’entretiennent la France et l’Allemagne à cette époque – et dont les

querelles concernant les biens culturels depuis le premier empire jusqu’à la seconde guerre mondiale se font l’écho,voir Lynn H.NICHOLAS, Le pillage de l’Europe. Les œuvres d’art volées par les nazis, Paris, 1995, p. 148-150 ; F. H. TAYLOR, The Taste of Angels, Boston, 1948 ; E. R. CHAMBERLAIN, Loot, New York, 1983 ; Protection of Art During War : Reports, P. Clemen (éd.), Leipzig, 1919, t. I ; et en dernier lieu Bénédicte SAVOY, Patrimoine annexé …, op. cit., p. 267-314.

67 Le bombardement de la cathédrale de Reims a été particulièrement stigmatisé et larevue d’art de l’époque,

L’art et les artistes, s’en est largement fait l’écho. Le numéro de 1916 faisait ainsi la promotion d’un tirage spécial intitulé : Les Vandales 1914-1916. Pour l’occasion, la direction avait lancé un vibrant appel à ses lecteurs : « Les Vandales 1914-1916.Tel est le titre du magnifique volume d’étrennes que, pour répondre aux pressantes sollicitations qui lui étaient adressées, la Direction de L’art et les Artistes a décidé de faire paraître, en réunissant en un seul ouvrage –, imprimé et paginé spécialement et d’un tirage limité, – trois des numéros de guerre de la Revue : La Cathédrale de Reims, La Belgique Héroïque et Martyre et les Vandales en France. » (cf. Lille sous le joug allemand, numéro spécial de L’art et les Artistes, Paris, 1916.) En outre, durant l’année 1915

traités de paix de 1919-1920 ajoutèrent une pierre durable et novatrice à l’édifice précaire de la restauration des patrimoines dispersés. Durant la conférence de la Paix de 1919, la question globale des réparations inclut celle des biens culturels, autant pour leur destruction que pour les déplacements dont ils avaient été l’objet au cours du XIXe siècle et avant. Il en résulta la présence quasi systématique de clauses de restitution dans les traités ; un organisme particulier, la Commission des réparations instituée par les articles 233 et suivants du traité de Versailles68 fut chargée de l’exécution de ces clauses69.

Les traités de 1919-1920 marquent une rupture importante dans l’évolution de la pratique internationale de la restitution, mais aussi dans le traitement original de points de droit sensibles ici, comme la propriété et la prescription70.Même si ces avancées se limitent au cadre des conflits armés, les textes internationaux étudiés continuent, en le systématisant, le travail engagé dans les années 1860-1870. Ainsi les cinq traités de paix de la Grande Guerre traitent des restitutions : celui de Versailles du 28 juin 191971 entre les alliés et l’Allemagne,

cinq numéros spéciaux au titre évocateur avaient été édité : La cathédrale de Reims 1211-1914 ; Au front ; La Belgique héroïque et martyre ; les vandales en France et L’Alsace délivrée, numéro spéciaux de L’art et les Artistes, Paris, 1915.

68A propos de la Commission des réparations voir Pierre D’ARGENT, Les réparations de guerre en droit

international public..., op. cit., p. 50-51. On trouve dans l’introduction de l’inventaire de la série AJ 6 des Archives Nationales, une note à propos de la Commission des Réparations mise en place après la Première Guerre mondiale : « La Commission des Réparations fut créée par application de la partie VIII, § 233 et annexe II du Traité de Versailles du 28 juin 1919 avec l’Allemagne et de la Partie VIII, annexe II, § 1 du Traité de Trianon avec l’Autriche. Elle fut organisée par une Commission d’Organisation de la Commission des Réparations (C.O.C.R.) qui siégea du 3 juillet 1919 au 24 janvier 1920 à Paris. La Commission des réparations tint une séance inaugurale le 21 janvier 1920 à 15h à Paris, à l’hôtel Astoria, elle y siégea jusqu’à sa disparition, à la suite des accords de La Haye du 30 août 1929 (en note : La Commission des Réparations continua à exister jusqu’à la stipulation des accords par les États signataires. Dans sa séance du 25 avril 1950 (P.V. n° 558) elle décida de cesser les paiements des délégués et employés à la date du 30 septembre et de se réunir le 27 pour examiner ce qui resterait à faire). Paris, le 4 février 1955. » (Signature illisible). A propos des réparations on trouve aux Archives Nationales un carton AJ 5/52 [Traité avec l’Allemagne, Partie VIII-réparations] où il est question de l’élaboration de la partie VIII du Traité de Versailles. (A propos de ces fonds d’archives, voir en tome 2 la présentation du Dossier documentaire consacré aux série AJ 5 et AJ 6 des Archives Nationales.)

69 Importants fonds documentaires sur cette question aux Archives Nationales notamment (séries AJ 5 et AJ 6). 70 Infra, Chap. II.

71 Traité de paix signé à Versailles le 28 juin 1919 entre les États-Unis d’Amérique, l’Empire Britannique, la

France, l’Italie, le Japon (Principales Puissances alliées et associées), la Belgique, la Bolivie, le Brésil, la Chine, Cuba, l’Equateur, la Grèce, la Guatémala, Haïti, l’Hedjaz, le Honduras, la Libéria, le Nicaragua, le Panama, le Pérou, la Pologne, le Portugal, la Roumanie, l’État Serbe-Croate-Slovène, le Siam, la Tchécoslovaquie et l’Uruguay (constituant, avec les Principales Puissances alliées et associées, les Puissances alliées et associées), d’une part ; et l’Allemagne, d’autre part. Pour le texte de ce traité voir, Recueil de textes de droit International public, Louis LE FUR et Georges CHKLAVER (éd.), Paris, 2e édition,1934, p. 297-520, mais aussi Publication du

dans ses articles 245 à 24772 ; celui de Saint-Germain du 10 septembre 1919 entre les alliés et l’Autriche, dans ses articles 191 à 19673 ; celui de Trianon du 4 juin 1920 entre les alliés et la Hongrie, dans ses articles 175 à 17974 ; celui de Neuilly du 25 novembre 1919 entre les alliés et la Bulgarie, dans son article 12675 ; celui de Sèvres du 10 août 1920 entre les alliés et la Turquie, dans son article 42076.

Les traités les plus prolixes en éléments concernant les biens culturels sont ceux de Versailles, de Saint-Germain et de Trianon. Les dispositions relatives aux biens culturels dans le traité de Versailles prennent place dans un contexte de haine réciproque entre la France et l’Allemagne et continuent la stratégie jusqu’au-boutiste des réparations. Des restitutions sont exigées et les objets restituables sont mentionnés dans les articles 245, 246 et 247. Une définition générique désigne les plus communs d’entre eux77, alors que d’autres sortent de l’anonymat et se hissent au rang des objets supérieurs porteurs d’un sens particulier, notamment politique78 ; l’obligation de restituer les drapeaux français souligne sans subtilité

72Recueil de textes de droit International public..., op. cit., p. 421-422.

73 Traité de Paix entre les puissances alliées et associées et l’Autriche, Protocole et déclarations, signés à Saint-

Germain-en-Laye le 10 septembre 1919, art. 191-196, annexe I-IV. (Recueil général des traités de la France. Accords bilatéraux publiés et non publiés au Journal Officiel de la République Française, Roger PINTO et Henry ROLLET(éd.), Paris, 1re série, 1919-1928, vol. II, 1984, p. 66-68 et aussi J.O.R.F. du 26 juillet 1920).

74 Traité de Paix entre les puissances alliées et associées et la Hongrie, Protocole et déclaration, signés à Trianon

le 4 juin 1920, art. 175-179. (Recueil général des traités de la France…, op. cit., 1re série, 1919-1928, vol. II,

1984, p. 249-250 et aussi J.O.R.F. du 26 août 1921).

75 Traité de Paix entre les puissances alliées et associées et la Bulgarie, signé à Neuilly-sur-Seine le 27 novembre

1919, art. 126 (Recueil général des traités de la France...,op. cit., 1re série, 1919-1928, vol. II, 1984, p. 155 et

aussi J.O.R.F. du 17 août 1920). Pour le texte de l’article, cf. t. 2, annexe n° 9.

76 Ces articles de traités de paix ont déjà été exploités, essentiellement par Charles DE VISSCHER dans « Les

monuments historiques et les oeuvres d'art en temps de guerre et dans les traites de paix », art. cit., p. 151-163, mais aussi par Stanisalw E. NAHLIK dans « La protection internationale des biens culturels en cas de conflit armé », art. cit., p. 99-102 ou RidhaFRAOUA dans Le trafic illicite des biens culturels et leur restitution…, op. cit., p. 130-131. (Le texte de ces articles de Traité intéressant les biens culturels sont retranscrits en tome 2, annexe 1 à 11).

77 Article 245 du Traité de Versailles du 28 juin 1919 : « Dans les six mois qui suivront la mise en vigueur du

présent traité, le Gouvernement allemand devra restituer au Gouvernement français les trophées, archives, souvenirs historiques ou œuvres d’art enlevés de France par les autorités allemandes au cours de la guerre de 1870-1871 et de la dernière guerre, suivant la liste qui lui sera adressée par le Gouvernement français [...] » (Pour le texte complet : cf. t. 2, annexe n°6.)

78 Doivent être restitués, « notamment les drapeaux français pris au cours de la guerre de 1870-1871, ainsi que

l’ensemble des papiers politiques pris par les autorités allemandes le 10 octobre 1870 au château de Gerçay, près Brunoy (Seine-et-Oise), appartenant alors à M. Rouher, ancien Ministre d’État. » (Article 245 du traité de Versailles). Autres objets restituables sortant de l’anonymat, ceux mentionnés par l’article 246 du même traité : « Dans les six mois qui suivront la mise vigueur du présent Traité, l’Allemagne devra restituer à sa Majesté le Roi du Hedjaz le Koran original ayant appartenu au Calife Osman et enlevé de Médine par les autorités turques pour être offert à l’Ex-Empereur Guillaume II. Le crâne du Sultan Makaoua ayant été enlevé du protectorat

le caractère politique que prennent certaines des restitutions allemandes79. Mais le traité de Versailles ne limite pas ses effets au retour pur et simple d’objets déplacés. La révulsion qu’a suscité dans l’opinion publique internationale l’incendie, les 25 et 26 août 1914, d’une partie de la bibliothèque de Louvain, provoque chez les alliés la volonté de compenser les pertes artistiques subies durant la guerre, en ponctionnant directement le patrimoine allemand. L’article 247 oblige alors l’Allemagne à livrer et non à restituer – le terme serait inadapté ici – les panneaux séparés des triptyques de Dierick Bouts et des frères Van Eyck depuis longtemps légalement acquis par l’Allemagne80.

Le traité de Saint-Germain de son côté veille au démembrement des anciennes possessions allemandes des Habsbourg et attribue des portions de territoire à la Tchécoslovaquie, à la Yougoslavie et à l’Italie. Ces restrictions territoriales vont avoir des conséquences sur le destin de certains biens culturels. L’article 192 du traité exige ainsi la restitution « de tous les actes, documents, objets d’antiquité et d’art, et tout matériel scientifique et bibliographique [...] qui auront été enlevés, depuis le 1er juin 1914, des territoires cédés »81. Des restitutions aux territoires cédés par l’Autriche-Hongrie sont donc exigées et il en va de même des territoires envahis durant la guerre (art. 191)82. Les États ayant entretenu des relations particulières durant les XVIIIe et XIXe siècles avec l’empire austro-hongrois, comme l’Italie, la Belgique, la Pologne et la Tchécoslovaquie vont, eux aussi, être concernés par de telles dispositions même s’il ne s’agit pas là de restitutions obligatoires mais de simples réclamations qui sont étudiées par un comité de juristes nommé par la Commission des réparations (art. 195)83. L’article 196, quant à lui, intéresse plus particulièrement les collections de la maison des Habsbourg qui tirent une partie de leur richesse de l’éclectisme des pièces provenant des anciens territoires de l’empire austro- hongrois. Les cessions de territoires ayant exacerbé les affirmations nationales, la reconstitution des patrimoines nationaux va être érigée en principe dans les traités de 1919-

allemand de l’Afrique orientale et transporté en Allemagne sera, dans le même délai, remis par l’Allemagne au Gouvernement de sa Majesté Britannique. La remise de ces objets sera effectuée dans tels lieux et conditions que fixeront les Gouvernements auxquels ils doivent être restitués. » (Pour le texte complet : cf. t. 2, annexe n°6.)

79 A propos de l’affaire des drapeaux, v. t. 2, Dossier documentaire, I, 3, Pièces n°11, 12, 13, 14. Voir aussi infra,

p. 361 s.

80 Article 247 du Traité de Versailles. Pour le texte complet : cf. t. 2, annexe n°6. Pour plus de détails v.infra, p.

101s.

81Pour le texte complet, v. t. 2, annexe n°7. L’Autriche, déclarée État indépendant par le traité de Saint-Germain,

fut amputée de l’essentiel des territoires qui constituaient l’ancien empire austro-hongrois des Habsbourg. Dans ces conditions il lui fallait régler la question du transfert des biens culturels aux nouveaux États issus de l’ancienne monarchie austro-hongroise qui revendiquaient la propriété de certains d’entre eux.

82 Cf. t. 2, annexe n°7. 83 Id.

1920. Mais cet objectif de reconstitution des patrimoines nationaux heurta la volonté de protéger l’intégrité d’un ensemble historique, comme pouvait l’être la collection de la maison des Habsbourg84.

Le traité de Trianon suit à peu près la même logique tant la situation de la Hongrie reste liée à celle de l’Autriche. Les restrictions territoriales obligent tout autant la Hongrie85 à effectuer des restitutions aux territoires cédés (art. 176 et 177) et également à restituer les « actes, documents, objets d’antiquité et d’art, et tout matériel scientifique et bibliographique » qui ont été enlevés des territoires envahis (art. 175). Des dispositions concernant là encore les collections de la maison des Habsbourg sont inscrites (art. 177), ainsi que diverses autres concernant des rétrocessions de documents au nouveau gouvernement hongrois de la part des États nés de l’ancienne monarchie austro-hongroise (art. 178)86. Enfin l’article 17987précise que la Hongrie, tout comme l’Autriche, reste tenue vis-à-vis de l’Italie d’exécuter un certain nombre d’obligations prévues par des traités de la seconde moitié du XIXe siècle que la Hongrie n’avait jamais honorée88.

Il est d’ores et déjà possible de dresser un premier état des avancées juridiques contenues dans ces textes. Ils mettent d’abord en évidence certains points de droit sensibles en la matière, comme la prescription89 et la nature des objets restituables90. D’autre part, ils insistent pour la première fois sur la complexité de l’objet culturel : on trouve par exemple dans le traité de Versailles le souci de respecter de l’intégrité physique d’une œuvre d’art complexe91 ; mais encore le respect de l’intégrité d’un ensemble historique, comme avec les collections de la maison des Habsbourg ; enfin, le retour dans son espace culturel d’origine d’un objet initialement déplacé 92. En somme les traités de paix de la Première Guerre mondiale, par des intuitions juridiques fondamentales et contemporaines des grands textes

84 Infra, p. 120s.

85 Proclamée république indépendante dès le 16 novembre 1918, la Hongrie à son tour dut abandonner une partie

de ses territoires à la Slovaquie, à la Roumanie et à la Yougoslavie.

86 C’est un principe essentiel qui émerge avec les accords de paix de 1919/1920. La Hongrie peut à son tour en

tant qu’État souverain prétendre au rapatriement sur son territoire des objets et documents intéressant son histoire nationale : cf. infra, Sect. II-II-B-2-c).

87Cf. t. 2, annexe n°8.

88 C’est dans ces conditions qu’un certain nombre de documents et d’objets d’art fut restitué à l’Italie en 1922.

Voir J.D.I.P., 1922, t. 49, p. 273.

89Infra, Chap.II, sect. III-II. 90Infra, p. 74 s.

91Infra, Sect. II-I-B. 92Infra, Sect. II-II-B-2.

internationaux de protections des objets d’art93, contribuent à exclure progressivement les biens culturels du domaine de la guerre.

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