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Section II. L’intégrité physique des biens culturels juridiquement envisagée

A. Les fonds d’archives

1. Les solutions de la doctrine archivistique internationale

Ces documents précieux par leur potentiel juridique, historique et politique271, sont toujours tributaires des changements de souveraineté ou de successions d’États. Des solutions empiriques propres aux archives se sont ainsi progressivement développées pour tenter de protéger l’intégrité des fonds272. Même s’il ne s’agit pas d’un droit codifié273, la pratique a su se fixer avec le temps en des principes relativement observés. La doctrine archivistique internationale évoque ainsi les principes de territorialité des archives et de respect de l’intégrité des fonds. En droit international, alors que la Convention de Vienne du 8 avril 1983 rappelle le passage de plein droit des biens de l’État prédécesseur à l’État successeur en cas de transfert de souveraineté, les archives semblent pouvoir justifier d’un régime dérogatoire, pris à la fois sur la base des deux principes précités et également sur celui du droit à la mémoire, invoqué par l’État prédécesseur pour obtenir le maintien in situ des archives (art. 28 § 7)274.Quant aux principes de territorialité et de respect de l’intégrité des fonds, le premier impose le fait que les archives produites en un certain lieu doivent y demeurer, ou si ces

271 Selon Louis Jacob, au XVIIIe siècle un intérêt très vif pour les archives se manifeste chez les souverains

français : « Le prix attaché à la possession des archives, soit comme source de droits éventuels, soit comme monuments de droit public, soit comme collections historiques pendant cette période, fit naître naturellement chez les souverains annexant un plus grand désir de les acquérir en même temps que les territoires, et, chez les États démembrés, une plus grande préoccupation d’en retenir la possession. » (La clause de livraison des archives publiques dans les traités d’annexion, Thèse pour le doctorat en sciences politiques et économiques, Paris, 1915, p. 38-39).

272 Notamment depuis la systématisation de l’insertion de clauses concernant les archives dans les Traités de Paix

des XVIIe et XVIIIe siècles. V. supra, p.45.

273 Robert-Henri BAUTIER, « Rapport général », dansLes archives dans la vie internationale, Actes de la 6e

C.I.T.R.A. (Varsovie, 1961), Paris, Imprimerie nationale, 1963, p. 8-51, cit. p. 11.

274 Quoc Dinh NGUYEN, Droit international public, Paris, L.G.D.J., 6e éd., 1999, p. 542-543. Pour M. Nguyen, à

la question, « faut-il se contenter de régles supplétives et laisser ainsi les mains libres aux négociateurs des accords de succession ? [notamment] si l’État est en position de faiblesse, face par exemple à l’ancienne puissance coloniale », il était impossible aux auteurs de la Convention de 1983 de poser des règles impératives. Ils se sont donc « contentés de fixer quelques directives d’action : pour l’État « nouvellement indépendant », les accords particuliers ne doivent pas porter atteinte au principe de la souveraineté permanente de chaque peuple sur ses richesses [...], ni – en ce qui concerne les archives d’État – au droit des peuples au développement, à l’information sur leur histoire et à leur patrimoine culturel. » (Ibidem). Dans le même sens v. Marcel SINKONDO, Droit international public, Paris, Ellipses, 1999, p. 323-324.

archives ont subi un transfert, qu’elles soient restituées à leur espace d’origine. Le second, tel qu’il est définit par Christian Gut, suppose que « l’existence et le devenir d’un fonds d’archive n’étant déterminé que par l’activité de son créateur, aucun démembrement ou remembrement ne saurait en être admis. »275D’emblée l’analogie avec les biens culturels est saisissante. Il convient d’insister sur le fait qu’une doctrine spécialisée a tenté de codifier les deux principes qui se situent au cœur de cette recherche sur les biens culturels ; il s’agit des Conférences internationales de la table ronde des archives (C.I.T.R.A.) de Varsovie en 1961 et de Cagliari en 1977, ainsi que la XXe Conférence générale de l’UNESCO de 1978 et la Convention de Vienne d’avril 1983 qui lancèrent le processus de codification de ces usages anciens276.

Le principe de territorialité impose qu’on s’y attarde tant il est lié à celui du respect de l’intégrité des fonds d’archives277. Le principe de territorialité des archives ou de « provenance » agit lorsqu’en cas de changement de souveraineté par exemple, les archives dites administratives produites au sein de ce territoire sont cédées en même temps que le territoire lui-même, car elles sont de nature à assurer le fonctionnement continu de l’administration278. L’avantage du principe en question réside dans le fait qu’il n’implique pas obligatoirement un transfert géographique des fonds concernés ; au transfert juridique ne répond donc pas nécessairement le déplacement physique des archives279. Toutefois il est utile

275 Christian GUT, « Rapport général », dans Constitution et reconstitution des patrimoines archivistiques

nationaux, Actes de la 17e C.I.T.R.A. (Cagliari, 1977), Paris, 1980, p. 2-28, cit. p. 8.

276 « On se doit de respecter des principes tels que le principe de territorialité, les archives doivent demeurer sur

le territoire où elles ont été produites ou lui être restituées en cas de transferts, et le principe de respect des fonds en vertu duquel, un fonds d’archives constitue une entité organique indivisible par sa nature même. » (Gérard ERMISSE,« L’actualité des contentieux archivistiques », dans Archives et Patrimoines, Marie Cornu et Jérôme Fromageau (dir.), Paris, 2004, t. I, p. 51-79, cit. p. 53). Dans le même sens, v. Robert-Henri BAUTIER,« Rapport général », dans Les archives dans la vie internationale..., op. cit. ; Christian GUT,« Rapport général », dans Constitution et reconstitution des patrimoines archivistiques nationaux..., op. cit. ; Santiago TORRES BERNARDEZ, « Successions d’États », dans Droit international. Bilan et perspectives, Mohamed BEDJAOUI (dir.), Paris, 1983, t. I, p. 405-424, ici 422-423 ; Quoc Dinh NGUYEN, Droit international public..., op. cit., p. 542-543 ; etMarcel SINKONDO, Droit international public..., op. cit., p. 323-324.

277 Pour les questions relatives à l’espace culturel d’origine où ce principe trouve évidemment toute sa place,

v.infra p. 160 s.

278Hervé BASTIEN, « Fortune et infortune des archives par-delà les frontières », art. cit., p. 95-100 ; Robert-Henri

Bautier, « Rapport général », dansLes archives dans la vie internationale…, op. cit., p. 22.

279 On connaît des exemples de maintien d’archives in situ et de restitution dès le XIVe siècle : le roi de France

ayant renoncé en 1328 au royaume de Navarre uni au sien propre sous les règnes précédents, ordonna à son garde du Trésor des chartes de remettre au roi de Navarre les documents provenant de ce royaume tandis que devaient être conservés au Trésor ceux qui concernaient seulement la Navarre, une copie pouvant en être faite aux frais de l’intéressé. Voir Robert-Henri BAUTIER, « Rapport général », dansLes archives dans la vie internationale…, op. cit., p. 13.

de rappeler qu’au principe de « provenance » qui proclame le maintien physique in situ en cas de cession ou de restitution en cas de déplacement, il a parfois été substitué le principe de « pertinence » qui visait à sélectionner les archives en fonction de critères identitaires ou de propriété280. Les risques de porter atteinte à l’unité des fonds d’archives dans un tel cas de figure sont nettement perceptibles281 et soulignent l’importance de ce principe fondamental qu’est le respect de l’intégrité des fonds.

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