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Une opposition binaire : l’Europe contre la France et les premières résonances juridiques

Section III. L’aire culturelle d’origine des biens culturels juridiquement contrariée

B. Une opposition binaire : l’Europe contre la France et les premières résonances juridiques

Un parti pris manichéen s’appuyant ici sur l’opposition entre la Révolution et l’Europe peut se révéler pédagogique. Il favorise une meilleure compréhension des premières tentatives juridiques de restitution des biens culturels à leur espace d’origine. La polémique de 1796 ses origines et ses développements plante un décor intellectuel bipolaire au début du XIXe siècle, où l’idéologie révolutionnaire affronte un certain nombre de penseurs et d’artistes d’obédience quatremèrienne, en même temps qu’une pensée plus globalement libérale d’esprit anglo-saxonne. Emblématiquement, en France, cette bipolarisation se caractérise par

451 En 1816, M. Hugh Hammersley fit une proposition à la Chambre des communes : « Il faut déplorer, déclara-t-

il, que l’État n’ait pas réprimé cet acte de pillage ; puisqu’il a été commis, nous devrions nous efforcer d’en effacer la tache ; et au lieu d’installer dans notre musée un monument à notre propre déshonneur, nous devrions restituer immédiatement les présents qu’a acceptés notre ambassadeur, pour sa honte et celle de la patrie. » Pour Hammersley, la Grande-Bretagne ne devait conserver les marbres « que par fidéicommis, jusqu’à ce que l’actuel possesseur de la cité d’Athènes, ou tout autre à venir, les lui réclame ; que lorsqu’une telle demande sera faite, la Grande-Bretagne s’engage, sans entamer ni enquête ni négociations, à les remettre, pour autant que la chose puisse se faire, en la place où ils furent pris ; que dans l’intervalle, ils seront conservés avec soin au British Museum. » (William St. CLAIR, Lord Elgin..., op. cit., p. 265-266). La requête de Hammersley ne fut jamais suivie d’effets et, bien pire, les marbres furent nationalisés sous l’effet d’une loi adoptée par le Parlement britannique qui transférait désormais la propriété des sculptures à la nation britannique. Cet exemple n’est pas sans rappeler la loi russe qui, deux cents ans plus tard, en 1998, transférait à la Fédération de Russie la propriété des biens culturels saisis après la Seconde Guerre mondiale. Infra, p. 176 s.

452 Au-delà de Hugh Hammersley, des personnalités comme le romancier et poète Thomas Hardy (1840-1928),

le nationaliste irlandais sir Roger Casement, l’historien et juriste Frederic Harrison, Harold Nicholson, Jacob Epstein, Lord Esher, Compton Mackenzie, Lawrence Durrell, Lord Belhaven et Furneaux Jordan, jusqu’à la création au Royaume-Uni en 1982 de la Commission britannique pour la restitution des sculptures du Parthénon, des esprits éclairés n’eurent de cesse de réclamer le retour des métopes et des frises à Athènes. Cf. Robert BROWNING, « Pour la restitution des sculptures du Parthénon », Museum International, vol. 36, n° 2, 1984, p. 40.

l’opposition entre les pétitionnaires du 29 Thermidor an IV453 (16 août 1796), dont Quatremère est le chef de file, et les pétitionnaires du 12 Vendémiaire an IV (30 octobre 1796) qui soutiennent la politique des saisies d’œuvres d’art en Italie et où l’on retrouve Alexandre Lenoir. Ces derniers considèrent ainsi qu’un

« […] gouvernement astucieux semble se faire un parti jusque dans nos murs par des pétitions adroitement combinées. Il cherche à retenir des chefs-d’œuvre qu’il a fait semblant de nous céder : ses efforts sont secondés par des artistes estimables, qui ont l’amour des arts pour motif ; mais nous aussi nous sommes artistes ! Et si nous demandons qu’on transporte ici ces chefs-d’œuvre, c’est pour l’honneur, la gloire du nom français, et l’amour que nous portons à ces mêmes chefs- d’œuvre... »454

Idéologues d’un côté qui se situent, tel Joachim Lebreton455, dans la lignée de la thèse du patrimoine de la liberté élaborée dès l’an II par Wicar, Barbier ou l’abbé Grégoire, s’opposent aux membres de la République des Lettres de l’autre coté, opposés à l’eschatologie révolutionnaire. Sous l’effet de la philosophie de Quatremère de Quincy ce dualisme va se radicaliser et la polémique se gonfler, en ramenant le discours sur les arts au cœur d’un conflit plus global opposant la Révolution à l’Europe456. L’Angleterre, en porte- parole de cette dernière, incarne la figure inversée de la Révolution en ce qu’elle est porteuse des traditions culturelles, politiques et juridiques qui peuvent contredire le projet idéologique de la France révolutionnaire. Avant même les réactions politiques ou juridiques, le rôle déterminant joué par l’Angleterre dans la formation du néoclassicisme dès la seconde moitié du XVIIIe siècle457 avait fédéré nombre de penseurs hostiles aux grandes opérations de

453 Supra, p. 136.

454Pétition signée : Gauthier, J.-B. Isabey, Lormier, Redouté, Regnault, Gérard, Chery, Vandael, Duvivier,

Vernet, Guillon, Dumont, Dutertre, Dendrillon, Laneuville, peintres ; Hubert, Van Cleemputte, Gerbet, Peyre Neveu, Thierry, Veny, architectes ; Dupasquier, Villette, Georgery, Michallon, Chaudet, Castex,sculpteurs ; Belissen, inspecteur général du théatre des arts ; Lenoir, conservateur ; Guillot, artiste ; Bourgeois, Ève Demaillot, Schall, Henard, Constantin, Aug. C. Belle, Foucon.Pour l’intégralité de la pétition, cf.Lettres à Miranda sur le déplacement des monuments de l’art de l’Italie (1796)…, op. cit., p. 143-146.

455 Joachim Lebreton ((1760-1819), l’un des fondateurs de La décade, membre de l’Institut, soutient les saisies :

« Philosophiquement parlant, n’est-ce pas dans le pays où il y a de meilleures lois et plus de lumière […] que seront mieux placés et mieux conservés les plus beaux ouvrages de la Grèce et de Rome ? […] Il est temps que tous ces monuments du génie des Grecs abandonnent une terre qui n’est plus digne de les posséder. Ils furent crées dans un pays libre : ce n’est qu’en France qu’ils peuvent aujourd’hui retrouver une patrie. » (La décade, n° 81, 30 messidor an IV (18 juillet 1796), p. 2).

456Édouard POMMIER,L’art de la liberté. Doctrines et débats de la Révolution française…, op. cit., p. 397-466. 457 « Ce mouvement, loin d’être né d’une activité locale, est le produit d’un long développement international.

saisies458. Mais le point d’achoppement dans cette bipolarisation se situe d’un point de vue juridique à l’articulation de l’homme et de la chose, c’est-à-dire la propriété. En l’espèce c’est la philosophie qui précède le droit, quand dans sa première Lettre à Miranda Quatremère de Quincy souligne que « par une heureuse Révolution, les arts et les sciences appartiennent à toute l’Europe et ne sont plus la propriété exclusive d’une nation »459. L’idée d’un patrimoine commun n’est pas si éloignée, mais le souci premier de Quatremère consiste à soustraire les œuvres d’art des tentatives d’instrumentalisation et de nationalisation qui risquent de leur nuire. Pour le savant l’appropriation exclusive des arts par une nation est un non-sens. Pourtant le processus idéologique mis en œuvre par les révolutionnaires, associé à la conviction d’une appropriation légitime elle-même renforcée par la construction doctrinale progressive de l’exclusivisme460, induit en France et pour longtemps un puissant sentiment de propriété sur les œuvres importées. L’exaltation révolutionnaire, en irradiant la collectivité de ses idéaux, cristallise à un moment donné dans les esprits le sentiment de l’appropriation légale des objets spoliés, justifiée du reste à l’époque par la victoire. Ainsi animo et corpore le droit se crée et les biens transférés deviennent juridiquement et psychologiquement propriété pleine et entière de la Nation. Pour appréhender cette assimilation psychologique il n’est qu’à lire par exemple la correspondance de Dominique-Vivant Denon461, mais aussi la production d’auteurs plus tardifs et plus ou moins influencés par les tensions nationalistes exacerbées par les rivalités internationales, notamment entre la France et l’Allemagne à la fin du XIXe siècle. Ainsi l’historien Eugène Müntz n’hésite pas à intituler l’un de ses articles en 1895 encore, « La spoliation de nos musées » à propos des reprises de 1815462. Mais Eugène Müntz n’est pas le seul à exprimer sans nuance, en même temps que son antigermanisme, le fait que la France est encore à la fin du XIXe siècle verus dominus des objets déplacés à Paris,Henri de Chennevrières, Charles Saunier et Arthur Chuquet en font autant463.

un rôle ancien et déterminant dans une évolution qui est, avant tout, architecturale et qui, en dernière analyse, apparaît comme un palladianisme international en progrès ininterrompu depuis la fin du XVIe siècle,

parallèlement aussi bien au Baroque qu’au Classique. » (Pierre FRANCASTEL,« Canovadans le néo-classicisme », art. cit., p. 135).

458Pierre Francastel considère que le néoclassicisme « annonce le grand conflit entre les valeurs stables,

éternelles de l’art comme de la vie et la tumultueuse poussée des forces révolutionnaires. » (Idem, p. 142). Dans le même sens, voir René HUYGHE, Sens et destin de l’art…, op. cit., p. 181-183.

459Lettres à Miranda sur le déplacement des monuments de l’art de l’Italie…, op. cit., Paris, 1989, p. 88.

460 Anne-Marie PATAULT, Introduction historique au droit des biens, Paris, PUF, 1989, p. 216). Sur le droit de

propriété, cf. infra, Chap. II.

461Vivant Denon, directeur des musées sous le Consulat et l’Empire. Correspondance (1802-1815)..., op. cit. 462Eugène MÜNTZ, « Les invasions de 1814-1815. La spoliation de nos musées. », art. cit.

463 Pour les références bibliographiques, cf.supra, n. 16. Sur ce point, voir Bénédicte Savoy Patrimoine annexé...,

op. cit., t. I, p. 239-314 ; de la même « “Le naufrage de toute une époque”. Regards allemands sur les restitutions de 1814-1815 », art. cit., p. 261 et 265. Pour un autre exemple, tardif, car datant de 1920, mais édifiant sur la

Cette dimension psycho-juridique du droit de propriété, héritée de la Révolution et fixée dans les termes de l’article 544 du Code civil de 1804, focalise l’attention sur la dualité entre système juridique civiliste français et système coutumier anglais. C’est ainsi que des réactions juridiques opposées à la conception française vont se faire l’écho de la complainte de Quatremère. Sans surprise cet écho vient d’Angleterre qui reste fidèle à sa tradition coutumière, notamment au regard du régime de la propriété464. Comme pour confirmer cette différence une importante décision fut rendue le 21 avril 1813 par le juge Sir Alexander Croke, de la cour de la vice-amirauté de Halifax, à propos d’un navire anglais qui durant la guerre de 1812 captura une collection de gravures et de tableaux italiens en transit entre l’Italie et l’Académie des Beaux-Arts de Philadelphie aux États-Unis. Le juge Croke ordonna la restitution des biens à l’Académie de Philadelphie,

« (…) par la raison que les arts et les sciences sont reconnus chez toutes les nations civilisées comme faisant exception aux droits rigoureux de la guerre et ayant droit d’être favorisés et protégés ; ils sont considérés non comme le peculium (le bien particulier) de telle ou telle nation, mais comme la propriété du genre humain tout entier, et comme appartenant aux intérêts communs de toute l’espèce »465.

On retrouve dans cette décision les grandes nuances qui distinguent deux systèmes juridiques rivaux466. La Common law, dans son évolution juridique sans rupture brutale, continue d’imposer une maîtrise limitée et partagée sur les choses, ce que l’absolutisme du droit de propriété français réfute467, malgré les évolutions postérieures bien connues468. On connaît ainsi un cas parfaitement opposé à la décision d’Halifax qui souligne le dualisme en présence. Dix-neuf ans plus tôt, le 17 vendémiaire an III (8 octobre 1794), des marins français avaient saisi six tableaux de maîtres italiens sur des navires ennemis. Les marins, devenus alors légitimes propriétaires des tableaux, renoncèrent à leurs droits pour les donner au muséum du Louvre, afin « qu’ils deviennent une propriété nationale pour servir à l’instruction

permanence du ressentit, voir t. 2, Dossier documentaire, p. 176 : on y trouve, dans un Inventaire des œuvres à réclamer aux Allemands, des renvois incessants à la personne du général Blücher qui, bien que mort depuis cent ans, semble à lui seul incarner un siècle d’antigermanisme français.

464 Cf. p. 149 n. 460.

465Passage cité dans Travers TWISS, Le droit des gens ou des nations, considérés comme communautés politiques

indépendantes,t. II, Paris, A. DURAND et PEDONE-LAURIEL(éd.), 1889, n° 68, p. 124. Voir également, John Bassett MOORE, A Digest of international Law, vol. III, New York, 1970, § 1197, p. 460.

466 Eric AGOSTINI, Droit comparé, Paris, PUF, 1988, p. 202-208 ; Barry NICHOLAS,« Le langage des biens dans

laCommon Law », A.P.D.t. 24, Les biens et les choses, 1979, p. 55-65.

467 Barry NICHOLAS, « Le langage des biens dans la Common Law », art. cit., p. 62.

468Jean-Louis HALPÉRIN, Histoire du droit privé français depuis 1804, Paris, PUF, 2001, p. 196, à propos de la

publique »469 ; à l’universalisme anglo-américain en matière d’art répond ici un strict nationalisme.

Cet antagonisme culturel et juridique va trouver une nouvelle vigueur en 1815, par l’intervention énergique, non pas de juristes cette fois-ci, mais d’hommes politiques britanniques, comme Castelreagh, Wellington et Liverpool470, attachés à renvoyer les biens spoliés à leur espace d’origine et surtout décidés à châtier la France pour ses agissements. Même s’il ne s’agissait pas de leur motivation première, il est indéniable que ces hommes d’État ont contribué au développement d’une doctrine du retour des biens culturels à leur espace d’origine471. Les mots mêmes de Lord Castelreagh dans sa note du 11 septembre 1815 adressée aux puissances alliées sont sans équivoque : The principle of property regulated by

the claims of the territories from whence these works were taken, is the surest and only guide to justice472. À nouveau comme cela avait pu être le cas en France en 1796, une voie européenne s’élevait en 1815 pour inciter les décideurs britanniques à favoriser le retour des objets saisis à leur pays d’origine. Castelreagh, Liverpool et Wellington furent ainsi encouragés par une adresse que leur envoyèrent 39 artistes séjournant à Rome, parmi lesquels le célèbre Thorwaldsen473 et trois Belges. Les signataires s’adressaient, disaient-ils, aux sauveurs de l’Europe pour intercéder en faveur des arts. Ils signalaient la nécessité de laisser

469 Cas rapporté dans Édouard POMMIER,« Réflexions sur le problème des restitutions d’œuvres d’art en 1814-

1815 », art. cit., p. 255. L’affaire est relatée dans les Archives nationales, sous la cote F 17/1245/2.

470Si au début des discussions la question se posa de restituer les œuvres saisies ou de les partager entre alliés,

bientôt Castlereagh et Liverpool se rangèrent à l’avis des alliés. (Supra, sect. I-I-A.)

471 Contribution certes, mais pas juridicisation systématique du principe comme le montre l’exemple de la Pierre

de Rosette. Celle-ci avait été découverte par un officier français en 1799, Pierre François Bouchard, et envoyé pour étude à Alexandrie. Après la capitulation des français deux ans plus tard face aux anglais, on eut pu croire, par anticipation de la décision d’Halifax ou des principes émis lors des restitutions de 1815, que la pierre de Rosette resterait sur place. Néanmoins, comme chacun sait, la pierre est depuis 1802 exposée au British Museum de Londres. Elle était en effet devenue propriété anglaise en vertu de l’art. 16 du Traité d’Alexandrie entre l’Angleterre et la France : « Les membres de l’Institut d’Egypte pouvaient emporter avec eux tous les instruments des arts et des sciences qu’ils avaient apportés de France. Mais les manuscrits arabes, les statues et les autres collections qui avaient été faites pour la République française seraient considérés comme propriété publique et mis à la disposition des généraux de l’armée combinée. » L’art. avait été pris sur le fondement du droit de la guerre, « by the fortune of war » selon les mots mêmes du général Turner. Cf. Thomas G. H. JAMES, The British Museum and Ancient Egypt, London, British Museum Pub., 1981, p. 7.

472Nouveau recueil général de traités et autres actes relatifs aux rapports de droit international…, op. cit., t. II, p.

632 s.

473 « THORWALDSEN Bertel, sculpteur danois (Copenhague 1770 – id. 1844). Il travaille à Rome et à Copenhague

et connaît un grand succès. Ses contemporains l’admirent à l’égal de Canova et l’appellent le « Phidias danois ». Nombreuses œuvres au musée Thorwaldsen de Copenhague, ouvert du vivant de l’artiste ; quelques sculptures au Louvre. » (Hervé LOILIER, Histoire de l’art occidental, Paris, 2003, p. 329). Ironie de l’Histoire, les restitutions russes consécutives au Traité de Riga de 1921 font mention d’un bronze de Thorwaldsen représentant la statue équestre du Prince Joseph PONIATOWSKI.(SUPRA, p. 134n.399.)

les œuvres de chaque école sous le ciel qui les avait vues naître et dans le cadre auquel leurs auteurs les avaient destinées. Avec éloquence ils dépeignaient les vides laissés dans les collections d’Italie par les spoliations des conquérants »474. On ne saurait mieux donner la preuve qu’une conscience internationale naît à cette époque qui prône le respect de l’intégrité des patrimoines ; ou pour le moins de certains d’entre eux, tant cette conscience ne semble pas s’étendre aux patrimoines éloignés de l’Europe « civilisée », comme celui de la Grèce475. Dans le même sens ces bonnes intentions bornaient leurs effets à l’espace culturel et politique européen, puisque leurs États maîtres continuaient de développer par ailleurs leur empire colonial476.

L’influence anglo-saxonne dont il vient d’être question a pu favoriser, en 1815, un cas de restitution emblématique pour les notions de contexte et d’espace d’origine. L’affaire remonte en 1622 au début de la guerre de Trente Ans, ou le duc Maximilien de Bavière, après la prise de la ville de Heidelberg, fit saisir la célèbre bibliothèque Palatine et l’offrit au pape Grégoire XV qui la considéra immédiatement uti victoriae monumentum. Transférée au Vatican, la bibliothèque fut amputée de trente-huit de ses manuscrits précieux en 1797 par les Français qui prirent la route de Paris. Or en 1815, au moment des restitutions, Pie VII au lieu de remettre les manuscrits à la bibliothèque du Vatican les rendit au prorecteur de l’Université de Heidelberg, Friedrich Wilken477, qui bénéficiait de l’appui de Canova. Les trente-huit manuscrits faisaient ainsi retour à la Bibliothèque Palatine. Mais les choses ne s’en tinrent pas là, et Wilken, soutenu par Canova, réclama au pape la restitution de l’intégralité de la Bibliothèque. Pie VII accepta en définitive de ne rendre que huit cent quarante-sept livres dits de scienza nazionale, à savoir des textes sur l’Allemagne ou en langue allemande478.On le voit cette affaire constitue un cas précieux de restitution d’objets culturels à l’espace d’où ils tirent

474 Paul VERHAEGEN, La Belgique sous la domination française 1792-1814, t. V, Paris, 1929, p. 277. La citation

est tirée de la Correspondance de Castelreagh, 3e série, t. II, p. 429, 462.

475 Toutefois, pour mieux saisir cette défiance il faut noter que la Grèce qui est évoquée ici fait référence à

Athènes qui est à l’époque symbole de décadence, la référence obligée étant plutôt Sparte.Voir à ce sujet la question du mishellénisme, courant qui rassemble tout au long de l’histoire, et davantage au XIXe siècle,

voyageurs, intellectuels et artistes en tout genre hostiles à la culture grecque. Cf. Le(s) mishellénismes. Actes du séminaire organisé à l’Ecole française d’Athènes (16-18 mars 1998). Champs helléniques modernes et contemporains, n° 3, Paris, Ecole française d’Athènes, 2001.

476Cette période annonce les futurs contentieux culturels entre États coloniaux et pays colonisés qui perdurent

aujourd’hui, notamment grâce au renfort d’un droit conventionnel de la restitution, d’inspiration occidentale, qui ne favorise pas l’accueil des revendications des ex-pays coloniaux. (Infra, Chap. II).

477 Voir Bénédicte SAVOY, Patrimoine annexé…, op. cit., p. 188 et note 145. Elle cite l’ouvrage de Friedrich

WILKEN, Geschichte der Bildung, Beraubung und Vernichtung der alten Heidelbergischen Büchersammlungen, Heidelberg, 1817.

478 Ce qui ne semble pas dénué de lien avec l’éveille des nationalités et le développement du romantisme et du

toute leur signification479.Une doctrine émerge alors qui recevra des applications juridiques concrètes durant la seconde moitié du XIXe siècle ; les exemples cités ici, la décision d’Halifax et la restitution de la bibliothèque Palatine, ne sont que les cas embryonnaires d’une pratique se généralisera par la suite sans pour autant être convertie en coutume internationale480. Les idées ont donc précédé l’éveil juridique de la notion d’espace culturel d’origine constatée dans certains textes de la seconde moitié du XIXe et du XXe siècle.

II.

L’éveil juridique d’une notion

Dès la seconde moitié du XIXe siècle et de manière accrue au lendemain de la Première Guerre mondiale, certains textes juridiques internationaux suggèrent l’existence d’une relation juridique entre les biens culturels et l’espace géographique dont ils sont issus. Les archives,

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