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D'un point de vue étymologique, le terme représentation issue du latin « repraesentatrio »48 signifie rendre présente une chose absente de notre champ perceptif. A partir de ce sens premier du concept, diverses métaphores sont nées. Au théâtre, la représentation traduit le fait de représenter une pièce en public en la jouant sur une scène. En droit, elle se réfère au fait d'agir à la place d'une personne dans l'exercice d'un droit. En politique, le terme veut dire représenter le peuple ou la nation dans l'exercice du pouvoir.

Historiquement, la notion de représentation existait bien avant les travaux de Moscovici. Elle apparaît dans les textes philosophiques d'Emmanuel Kant, pour qui la représentation est un objet de notre connaissance. Chez les sociologues tels que Weber ou Durkheim, la représentation est un concept utilisé pour analyser les différents domaines sociaux. Durkheim distingue les représentations individuelles des représentations collectives. Pour lui, une représentation individuelle est propre à l'individu, alors qu'une représentation collective est une mosaïque de représentations. Chaque individu dispose d'une partie de la mosaïque mais celle-ci, prise dans sa totalité, est plus qu'une simple somme de ses parties. De ce point de vue, le groupe n'est pas réductible aux individus qui le composent mais constitue une entité à part entière.

Les représentations sont d'abord des constructions collectives et constituent ce qu'on peut appeler le sens commun. Elles résultent (mythes et idéologies) de la longue expérience des générations. Étant historiquement et géographiquement situées, ces constructions font la variété des cultures. Elles sont ancrées au sein d'un groupe ayant un système de valeurs qui lui est propre. Elles jouent le rôle de filtre cognitif. En somme, les représentations sont donc une forme de connaissance construite socialement. Elles se concrétisent dans la vie pratique de tous les jours, surtout au moment des échanges et des interactions. Elles permettent d'organiser l'environnement social et matériel mais également le monde des idées.

Serge Moscovici a montré notamment que des groupes sociaux tels que les communistes et les catholiques donnaient chacun une interprétation divergente de la psychanalyse, car leur interprétation était liée à leur vision particulière de l'individu et de la société à une époque donnée. Ainsi, les objets et les êtres que nous rencontrons durant notre vie suscitent en nous un désir de nomination et nous tentons de leur attribuer un sens, qu'il soit sous forme idéel, conceptuel, iconique ou schématique. Ces représentations constituent un processus dynamique à travers lequel s'effectue une reconstruction sociale du réel.

La manière dont on définit les représentations sociales amène à distinguer le savoir scientifique et le savoir du sens commun. Le savoir scientifique est un ensemble de connaissances vérifiables obtenu grâce à des recherches, il se base sur des résultats empiriques. Les connaissances de sens commun s'opposent à celle de l'expert ou du scientifique. Elles sont généralement considérées comme des théories naïves des

connaissances qui regroupent des savoirs socialement transmis et largement diffusés dans une culture donnée : exemple « l'écriture est un don ». Elles sont une interprétation de la réalité. Le sens commun désigne ainsi une forme de connaissance s'acquérant par la socialisation, ce qui est complètement opposé aux savoirs scientifiques qui exigent l'emploi de méthodes scientifiques.

Les représentations s'intéressent aux processus symboliques dans leurs relations avec les conduites humaines. Pour Abric, les représentations véhiculées par les individus sont considérées comme une grille de lecture et de décodage de la réalité. En ce sens, elles permettent l'étude des comportements puisqu'elles reproduisent l’anticipation des actes et des conduites des individus en favorisant l'interprétation de la situation dans un sens préétabli, grâce un système de catégorisation cohérent et stable. D’après Barré de Miniac, par rapport à l’écriture, ces représentations peuvent être de nature axiologique ou conceptuelle. Ces représentations peuvent être modifiées. Dans l’ouvrage « Le rapport à l’écriture aspect théoriques et didactiques » l’auteur, en se référant à Abric, distingue le noyau central, appelé par la suite « la représentation autonome », et les éléments périphériques dits « représentations non autonomes ».

La première relève du social, de l’histoire et de la sociologie. Ce noyau central est simple, concret et cohérent. Il répond aux exigences du système de valeurs de référence du sujet :

Ce noyau central est essentiel et constitue l’objet de la représentation et c’est lui qui définit les liens entre les différents éléments de la représentation. Les éléments périphériques, eux, jouent sous la direction du noyau central un rôle d’interface entre la représentation et la situation dans laquelle s’élabore ou fonctionne la représentation. (Chartrand S-G, Blaser, C. 2008 :62).

Ce noyau central assure deux fonctions essentielles : une fonction génératrice : il est l'élément par lequel se crée ou se transforme la signification des autres éléments constitutifs de la présentation. Il est ce par quoi ces éléments prennent un sens, une valence.

Une fonction organisatrice : c'est le noyau central qui détermine la nature des liens qui unissent entre eux les éléments de la représentation. Il est en ce sens l'élément unificateur et stabilisateur de la représentation.

Le noyau central est donc l'élément le plus stable d'une représentation ; c'est lui qui résiste le mieux aux changements. Toute modification ou changement apporté au niveau de ce noyau engendrera une transformation de la représentation elle-même. L'étude du contenu d'une représentation doit s'accompagner d'une analyse de l'organisation de son contenu et de sa structure. Deux représentations peuvent être définies par un même contenu, mais si l'organisation de ce contenu est différente dans les deux représentations, on pourra les considérer comme étant complètement distinctes.

Ce qui définit la centralité d'un élément, ce n'est pas tant sa présence quantitative que sa valeur qualitative.

L'importance d'un élément réside dans le fait qu'il offre une signification à la représentation. Ainsi, on tiendra compte aussi des liaisons d'induction et des relations qu'un élément entretient avec les autres et qui permettent de déterminer sa centralité ou non.

La représentation autonome change difficilement, alors que la représentation non autonome est sujette à la mobilité, comme en témoigne l’extrait suivant :

Le système central évolue de façon très lente parce que profondément ancré dans le système des valeurs partagé par les membres du groupe. Les éléments périphériques, nourris des expériences individuelles, intègrent les données du vécu et des situations spécifiques. Ils sont en fait constitués de principes organisateurs diversifiés et autorisent une certaine mouvance et une certaine souplesse de la représentation. (Barré de Miniac 2000 : 63).

En partant d’une de ses recherches, l’auteur émet l’hypothèse que les représentations de l’écriture font partie des éléments périphériques « d’un noyau central dont l’objet serait l’école ».

Elle pose donc le postulat que ces représentations peuvent évoluer.

Les représentations sont le fruit d'une confrontation, d'un contact entre l'individu et son environnement. La nature de ces représentation est déterminée à la fois par l'individu en tant qu'histoire personnelle et par son environnement en tant qu'influences extérieures, comme l’atteste Abric.

Elles sont considérées comme étant un ensemble structuré d’opinions, d'attitudes, et d'informations se rapportant à un objet ou une situation.

Selon Jodelet, « il s'agit d'une connaissance socialement élaborée et partagée » (Jodelet 1984 : 364) qui vise à maîtriser, comprendre, et expliquer notre environnement ainsi que les événements qui y surviennent afin d'agir sur le monde et de répondre aux questions que l'on se pose. Il s'agit donc d'une connaissance pratique grâce à laquelle l'individu ou le groupe appréhende son environnement.

Inscrites dans l'histoire familiale, ces conceptions prennent un caractère d'immuabilité car amender ou se défaire des représentations de son groupe, notamment du groupe-famille, c'est remettre en cause sa propre histoire, son propre rapport au monde, et son identité.

Les caractéristiques de cette représentation semblent se définir par sa stabilité et sa résistance. Ainsi, nos opinions ne changeraient ni au rythme de nos débats, ni au fil de nos lectures. Cette stabilité prend racine dans un triple ancrage psychologique, social et institutionnel. L'enracinement psychologique profond des représentations mentales se trouve dans le conditionnement précoce de schèmes de perception formés et de comportements acquis très tôt dans l'enfance.

Les représentations sont fonctionnelles. Étant communes aux membres du groupe, elles constituent un instrument social qui facilite la communication et la coopération entre les individus d'un même groupe. Ainsi les mythes, les religions, les idéologies et les philosophies sont des représentations qui relient entre eux les membres d'une société par une même vision du monde, et par conséquent elles leur permettent de se comprendre, d'avoir des affinités et de collaborer. Durkheim attribuait aux représentations le rôle de support du lien social.

Ces représentations remplissent selon Hèlène Bézille une fonction pratique qui opère en fonction de différentes modalités.

Tout d’'abord, par leur pouvoir de traduction de la réalité et de son ordre, les représentations constituent des guides pour l'action et des repères pour penser la réalité quotidienne. Ensuite, elles jouent également un rôle par leur capacité à réduire les dissonances, dans la résolution des conflits psychiques. Elles nous permettent, du fait de leur pouvoir adaptatif, d'intégrer des nouvelles données qu'impose le milieu. Enfin, elles assurent, par leur constance, une continuité dans la vie individuelle et collective, et par conséquent la construction de l'identité personnelle et sociale.

Ce concept est un paramètre fondamental pour comprendre le fonctionnement de la pensée et l'implication du sujet aux prises avec son environnement social et surtout pour comprendre le rapport au changement des individus et des groupes.

Pour Hélène Bézille, ce concept est opératoire :

dans les situations inédites qui viennent remettre en question, bousculer nos représentations héritées et intériorisées (les évidences, ce qui va de soi) ou construites au fil de l'expérience ; situations qui sont conjointement des situations venant bousculer nos identités (personnelles, sociales, professionnelles) dans les institutions actualisant et radicalisant les positions d'appartenance sociale, professionnelles, culturelles, en terme de solidarités et conflits dans les institutions mobilisant des rapports de pouvoir.49

En résumé, les représentations sociales vont permettre aux individus d'intégrer des données nouvelles à leur cadre de pensée. Chacun interprète le monde en fonction des représentations qu'il possède mais aussi en fonction de ses valeurs et du contexte dans lequel il évolue. C'est pourquoi il y a en chacune de nos représentations une part de création individuelle et une part de création collective en fonction de notre groupe d'appartenance. Cette part de création indique que les représentations sociales ne sont pas figées mais évoluent.

Ce qui est intéressant dans la construction représentationnelle est qu'elle combine l'expérience antérieure mais aussi le contexte social et culturel. Il apparaît que ces représentations sont influencées par le contexte, par des systèmes de normes, par la perception de soi. Elles sont toujours des reconstructions du donné dans un contexte culturel et social des valeurs, de notions de règles qu'on retrouve dans un premier temps dans le giron familial puis dans le monde scolaire. Elles génèrent des modes de vie et des principes que l'enquêté s'approprie. Ce sont ces expériences, de l'écrit en l’occurrence, qui permettent à ces enquêtés de construire des représentations sur l'écrit.

Autrement dit, les représentations sont des constructions qui se nourrissent des évènements de la vie des enquêtés. Ces représentations sont des processus dans le sens où elles se transforment, se remodèlent en fonction de la réalité sociale. Elles se construisent à partir d'informations fournies par l'environnement et nos sens. Elles sont à la fois individuelles et sociales, elles font apparaître la façon dont on interprète le monde.

Ces représentations sociales élaborées et partagées au sein d'une communauté vont permettre de créer du lien entre les personnes, les aider à communiquer et à agir dans leur environnement. Elles vont donc orienter les conduites en engendrant des opinions et des attitudes.

A partir de ce qui précède, on peut déduire que les représentations sociales génèrent plusieurs fonctions :

Ø Celle de savoir : elles permettent aux individus de comprendre et d'expliquer la réalité en l'intégrant dans un cadre assimilable par eux, en cohérence avec les valeurs, les idées, les opinions auxquelles ils adhérent. Par ailleurs, elles facilitent la communication sociale en définissant un cadre de référence commun qui permet l'échange, la transmission et la diffusion du savoir.

Les représentations sociales que les individus ont de l'écrit leur permettent de comprendre et d'expliquer pourquoi ils aiment écrire et viennent dans un atelier d'écriture. Cela les aide à prendre position sur ce sujet et à avoir leurs propres opinions.

Ø Celle d'orientation : les représentations sociales guident les comportements et les pratiques à trois niveaux. Elles interviennent directement dans la définition de la finalité d'une situation, en déterminant, par exemple, le type de relations pertinentes pour l'individu. Ainsi, on cherchera davantage la compagnie d'individus qui partagent la même représentation que la nôtre d'un objet.

Les individus vont rechercher davantage la compagnie de personnes qui partagent la même représentation qu'eux de l'écrit, en fréquentant un atelier d'écriture dans leur commune.

Elles produisent un système d'anticipations et d'attentes. On sélectionne, on filtre et interprète toutes les informations relatives à un objet afin de les rendre conformes à notre représentation. Lors d'un débat autour de l'écrit, une personne pour qui écrire est indispensable aura tendance à ne pas vouloir sympathiser avec une personne pour qui l'écrit compte peu.

Ø Celle de justification : les représentations sociales ne permettent pas seulement de guider les conduites, elles permettent de justifier a posteriori les comportements et les prises de positions. En effet, si elles jouent un rôle essentiel dans la détermination de l'action, elles interviennent aussi après celle-ci en permettant aux acteurs d'expliquer et de justifier leur conduite. Cette fonction est importante, car c'est elle qui, pour une large part, permet de maintenir ou de renforcer la différenciation sociale en la justifiant. Cette fonction vise ainsi la pérennité d'une distance entre les différents groupes sociaux.

Ø Celle d'identité : les représentations sociales permettent de définir l'identité d'un groupe et rendent le maintien de sa spécificité. Elles permettent ainsi de situer les individus et les groupes dans le champ social. Cette fonction identitaire donne une place primordiale aux représentations sociales dans les processus de comparaison sociale et de catégorisation : elles assurent à la fois le maintien de l'identité d'un groupe et la discrimination des autres groupes. La personne qui adore écrire aura tendance à s'identifier à un écrivain local, régional …etc. et aura tendance à discriminer les personnes qui n'aiment pas écrire.

En d’autres termes, la représentation est un concept transdisciplinaire qui constitue un modèle pour la compréhension des phénomènes humains. Elle est au cœur de diverses problématiques

liées aux sciences de l 'Homme car elle est intimement liée aux rapports existants entre les individus, leur fonctionnement cognitif et la société.