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Démarches différentes en fonction des courants

Pour Lafont-Terranova (2009), il y a sept courants : les ateliers d’écriture américains, la contestation de Mai 1968, la pédagogie Freinet et sa conception du texte libre, le Nouveau Roman et le structuralisme, la théorie de l’intertextualité et enfin le Haïku japonais

1.1.1 Les ateliers américains

Selon Lafont-Terranova et Boniface, les ateliers d’écriture prennent corps aux Etats-Unis à la moitié du dix-huitième siècle. En effet, à partir de 1753, apparaît des groupes d’écriture qui se propagent dans les communautés universitaires.

Les premiers cours d’atelier d’écriture sont enregistrés à l’université d’Iowa et sont connus sous l’appellation de « creative writing workshops ». Dès 1931, des diplômes sont accordés : le Master of Fine Arts (MFA).

En s’appuyant sur les travaux de Boniface, de Rossignol ou de Lafont-Terranova, l’on constate que les ateliers d’écriture américains ne ressemblent pas totalement à ceux développés en France. Alors qu’en France on lit un texte produit sur place, aux Etat Unis, les scripteurs viennent communiquer aux autres des textes produits en dehors du groupe. C’est pourquoi Boniface préfère les nommer des « ateliers de lecture ».85

83 L’ALEPH fait partie de ces ateliers d’écriture dont l’un des objectifs est de former des futurs écrivains. 84 Il y’a en France encore cette représentation de l’écrivain isolé dans sa tour d’ivoire, ce qui est valorisant

pour nier le travail quantitatif que ce métier met en jeu. Sur ce point la tradition anglo-saxonne semble différente.

85 Ces ateliers ont pour fonction de fabriquer des écrivains. Ils différent des ateliers en France qui sont de

plus en plus explicites sur ce sujet. Parce qu’ils représentent un marché important en termes financiers, que la concurrence est sévère et que leur reconnaissance n’est plus à faire, les plaquettes de présentation qui se veulent informatives et rigoureuses, témoignent d’une grande prudence sur ce point.

Les textes proposés dans ces ateliers sont analysés et critiqués, parfois sévèrement, tandis que de telles critiques ne sont pas consentis en France. Par ailleurs, ces ateliers américains sont destinés à un public universitaire qui se destine à la profession d’écrivain et visent la publication à grande échelle par une maison d’édition.

En France, le public est très hétérogène et la publication reste souvent à l’échelle du groupe. Néanmoins, les ateliers américains et français se rejoignent sur un point. Tous les deux favorisent la lecture publique des textes produits, rompant ainsi avec la tradition scolaire, où le texte est destiné à un seul lecteur /correcteur : le professeur.

Si le modèle américain a influencé les ateliers d’écriture français, un mouvement social tel que mai 68 a influé sur les ateliers d’écriture français de manière indéniable.

1.1.2 Mai 68

Cette révolte exprime des revendications d’ordre social, politique et philosophique. Elle s’attaque à la société traditionnelle, rejette toutes les formes d’autorité et revendique la libéralisation des mœurs. C’est à cette époque qu’un nouveau rapport au savoir se met en place. Ce mouvement de contestation va, à en croire Rossignol, changer le rapport entre l’apprenant et le maître d’une part, ainsi qu’entre l’apprenant et le savoir d’autre part. En effet, le maître n’est plus le détenteur exclusif du savoir intellectuel. On voit surgir une remise en cause du rapport d’autorité, qui provoque une autre disposition des acteurs dans l’espace de la salle des cours. Le rapport au savoir des étudiants se manifeste par un droit d’expression, puisqu’ils sont impliqués dans sa production.

Cette ambiance a influencé la pionnière du groupe d’Aix, Anne Roche mais aussi Elisabeth Bing, l’une des fondatrices d’ateliers d’écriture en France. Dans son ouvrage « Et je nageais jusqu’à la page » (Bing 1993), elle rédige un véritable réquisitoire contre l’école traditionnelle et ses interdits.

Ce mouvement social va entraîner l’adoption d’une pédagogie nouvelle, dictée par le contexte et adaptée à la réalité du moment. Cette pédagogie sera connue par la suite sous l’appellation de « pédagogie Freinet ».

1.1.3 La pédagogie Freinet et le texte libre

Instituteur rencontrant un problème de santé dans une école rurale dépourvue de moyens, et accueillant des élèves en difficulté, Freinet imagine une nouvelle pédagogie. Pour cela, il tourne le dos à l’enseignement traditionnel et organise sa classe en sous-groupes. Il s’inspire des pédagogues novateurs du début du 20ème siècle tel que Ferreire (1922). D’après Freinet, l’élève doit cesser d’être passif et participer activement à la construction de son savoir, lequel doit répondre à ses intérêts. Il fonde sa pédagogie sur plusieurs principes : la nécessité

d’ouvrir l’école sur la vie, l’individualisation de l’enseignement, le tâtonnement expérimental, l’éducation par le travail… Son invention du texte libre, qui s’oppose à la rédaction traditionnelle, s’inscrit dans la pédagogie active. Dans l’atelier d’écriture comme dans la pratique du texte libre, l’accent est mis sur le rôle actif dans l’acte d’écrire. Le professeur ou l’animateur est simplement considéré comme un simple guide. Dans les deux cas, le texte produit s’adresse à plusieurs personnes. Le texte produit en atelier d’écriture et le texte libre ne sont pas notés et bénéficient souvent d’un accueil favorable de la part des destinataires. La différence réside dans le fait que, contrairement à ce qui se passe pour le texte libre, dans nombre d’ateliers d’écriture, comme le rappelle Lafont-Terranova (2009), on écrit à partir d’une piste d’écriture émanant d’un animateur ou d’un participant.

L’influence de la pédagogie de Freinet sur les pères fondateurs des ateliers d’écriture français reste remarquable.

Plusieurs de ces fondateurs se revendiquent de cette pédagogie (Anne Roche, Alain André, Jean Ricardou…etc.) ; ils ont ce même rejet de l’enseignement traditionnel du français qui n’accorde à l’élève qu’un rôle passif d’assimilation. Cependant, une des fondatrices de ces ateliers, Elisabeth Bing, reproche au texte libre de confronter l’enfant en difficulté à sa propre impuissance, au vertige de la page blanche, et de donner lieu à des textes inexpressifs.

1.1.4 Le nouveau roman et le structuralisme

Le nouveau roman est un mouvement littéraire qui se développe entre les années 50 et 70 et s’en prend particulièrement à la représentation traditionnelle du personnage et de l’intrigue, héritée du 19ème siècle, mais aussi aux notions d’engagement et de grand écrivain, et à la dissociation de la forme et du contenu. Ainsi ces nouveaux romanciers, tels que Robbe- Grillet, Samuel Beckett, remettent en question le « trop » d’importance que l’on accorde à l’histoire et au personnage, ainsi que le peu d’intérêt que l’on réserve aux aspects textuels. Ils dénoncent le manque de liberté des romanciers, qui doivent se conformer à des modèles et à des schémas tracés d’avance.

Ces nouveaux romanciers se rapprochent du structuralisme développé à partir de la notion Saussurienne de « structure », dans la mesure où ils pensent, comme Ferdinand de Sausssure, qu’il est impossible de séparer le signifié du signifiant, qu’il compare au recto et au verso d’une même feuille. En somme, ils ne conçoivent pas que l’on puisse séparer le contenu et la forme d’une œuvre d’art.

Le nouveau roman et le structuralisme ont apporté aux ateliers d’écriture, chacun à sa façon, l’idée que l’écriture est une fabrication et contribue à modifier la représentation selon laquelle elle relèverait du don et de l’inspiration. Pour les nouveaux romanciers, l’écriture est un « faire » plutôt qu’un « dire » (Rossignol 1994). On retrouve cette même idée chez les structuralistes, avec la notion de bricolage.

1.1.5 L’Oulipo (L’Ouvroir de la Littérature Potentiel)

Fondé en 1960 par Raymond Quenaud, François Le Lionnais et une dizaine d’écrivains, de mathématiciens et de peintres, l’Ouvroir de la littérature potentielle, l’Oulipo, en acronyme, est un mouvement littéraire. Les Oulipiens se sont donné la tâche d’allier littérature et mathématiques, dans le but de dégager ou de créer des formes qui entrent en jeu dans la production d’une œuvre d’art. Ils ont initié une écriture basée sur des contraintes, comme le lipogramme, rendu célèbre par Georges Pérec dans son roman « La disparition » (1989) ; dans cet ouvrage, il emploie un texte lipogrammatique sans employer la lettre « e » sur les 312 pages que compte la totalité de l’œuvre.

A l’instar de nouveaux romanciers, les Oulipiens rejettent la représentation de l’écrivain inspiré. Cependant, ils reprochent aux nouveaux romanciers d’avoir conduit à terroriser les gens par une excessive théorisation de l’écriture. Par ailleurs, ce mouvement tend à réduire au strict minimum la place à l’inconscient dans le processus d’écriture. Vers 1976, les Oulipiens organisent des stages d’écriture , qui sont apparentés aux ateliers d’écriture, au cours desquels ils expérimentent des contraintes qu’ils ont imaginées en faisant écrire et en écrivant eux- mêmes. Ce courant accorde une place exclusive à la matérialité du texte. On leur reconnaît le fait qu’ils favorisent d’un côté la réécriture et la mise à distance et de l’autre ils évitent la confusion entre l’auteur et le narrateur. On leur a cependant reproché l’application mécanique de règles ou des contraintes, la marginalisation du sens, l’imitation des modèles…etc.

Les oulipiens sont d’avis que toute écriture part du déjà-écrit. Et ils semblent avoir intégré que l’intertextualité est au cœur de toute acte d’écriture.

1.1.6 L’intertextualité

D’après Niwese (2004), Bakthine Mikhaïl, est le précurseur de cette nouvelle manière d’appréhender le texte. Pour Bakthine, il n’existe pas d’énoncé neutre. Tout énoncé résulte de l’interaction entre son auteur et son destinataire réel ou potentiel, les textes qui l’ont précédé, ceux qui lui sont contemporains ou ceux qui lui suivront ainsi dans le contexte où il s’est produit.

Cette idée que tout texte entre en rapport dialogique avec d’autres textes sera reprise par les critiques postérieurs à Bathkine.

Il est frappant de voir que les ateliers sont allés puiser dans les théories de l’intertextualité. Ainsi, dans nombre d’ateliers d’écriture, on lit les textes des autres avant de se mettre à écrire. On écrit pour imiter tel ou tel aspect, pour compléter l’histoire lue ou pour la transformer. Partir des textes de tiers, c’est s’inscrire dans la dynamique de l’intertextualité qui revêt plusieurs formes : « citation, allusion, plagiat, traduction… ». Ces différentes formes représentent les principales caractéristiques de la réécriture (Oriol-Boyer 1992).

Certains praticiens d’ateliers d’écriture ont la conviction qu’aucun texte n’est original, mais qu’il est plutôt le résultat de l’interaction entre d’autres textes, antérieurs ou à venir. Ce qui explique en partie que certains fondateurs sont allés puiser dans d’autres cultures, comme le recours au haïku, cette forme poétique codifiée dans l’Empire du soleil levant.

1.1.7 Le haïku japonais

De manière canonique, le haïku ou hokku est un poème bref d’origine japonaise. Pour Paul- Louis Couchoud,86 Bashô (1644-1694) est l’un de grands maîtres du haïku au 17ème siècle. Il conseillait à ses disciples de composer les haïkus avec le cœur pour ne pas produire des textes artificiels. Comme toute poésie en général, le haïku vise à partager ses sentiments, ses émotions, ses sensations et/ou ses impressions. Etant court, le haïku contraint d’aller à l’essentiel, à exprimer ce que l’on veut dire avec des mots comptés, car il n’y a pas de place pour de longs discours. Au travers du haïku, on emploie souvent un langage courant et imagé avec une certaine précision.

Ces poèmes japonais ont été introduits en Occident il y a plus d’un siècle et les ateliers d’écriture français se sont nourris de cette pratique. Pour certains fondateurs, comme Anne Roche ou Roland Barthes, ces haïkus permettent au sujet de traduire sa relation à soi et avec autrui.

Après une présentation des différents phénomènes qui ont influencé chacun à leur manière l’atelier d’écriture français, on va s’intéresser à deux expériences considérées comme fondatrices, qui sont à l‘origine de ces ateliers d’écriture en France.

2 Les ateliers d’écriture en France : de leur

origine à leur multiplicité d’expériences

existantes

En France, les ateliers d’écriture apparaissent vers la fin des années 60. Ils ont leurs sources dans deux expériences réalisées l’une par Elisabeth Bing, au sein de l’Institut médico- pédagogique de Dieulefit, et l’autre par Anne Roche à l’Université d’Aix en Provence.

Ces deux expériences sont au carrefour de plusieurs courants que nous avons cités ci-dessus. Initiées au milieu même du système scolaire, elles se veulent paradoxalement en opposition avec l’école. Elles exploitent la dimension personnelle du sujet et sa subjectivité pour proposer des consignes d'écriture. Elles se placent du côté de tout ce qui est subjectif chez le participant, en vue de déclencher la production de textes, car l'exploitation du côté personnel conduit inévitablement à surmonter le blocage à l'égard de l'écrit.