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L'atelier d'écriture au sein du « Réso » : une activité parmi tant d’autres

L'atelier d'écriture au « Réso » se tient une fois par mois le mercredi de 17h à 19h30. Il se déroule dans la salle destinée à l'espace famille-enfant. Il est animé par un écrivain régional bénévole. Son statut d'écrivain118renvoie les participants à une certaine norme qui est

aisément associée à un modèle identitaire. Dans l’imaginaire, la personne qui écrit bien est sensée adopter un certain nombre d’attitudes, et de manières d’être. Elle dispose aussi de nombreuses qualités qui portent sur son caractère mais aussi sur ses aptitudes intellectuelles en plus de ses compétences scripturales. Ce modèle identitaire est celui de « l’intello » qui en filigrane désigne souvent la réussite scolaire par excellence.

Mes observations directes réalisées lors de la tenue des séances d'atelier d'écriture ont permis de constater que l'animateur se réfère à une seule source pour faire écrire.119 Il emploie la méthode de l'association libre qui est définit selon Laplanche et Pontalis cités par Besancon de la manière suivante :

Méthode qui consiste à exprimer sans discrimination toutes les pensées qui viennent à l'esprit, soit à partir d'un élément donné (mot, nombre, image d'un rêve, représentation quelconque) soit de façon spontanée. (Besancon 2002 :196).

Ainsi, l'animateur déclenche l'écriture en se servant de différents supports qui sont généralement des objets (une poupée, un sabot, un tableau…)120 à chaque séance. L'activité d'écriture se résume pour les participants à écrire une histoire fictive ou vécue sous forme de poésies, de scénarios, de contes…etc. en intégrant dans leurs textes tous les mots énoncés par les pairs. En effet, au début de chaque séance, chaque participant ainsi que l’animateur énonce de manière spontanée et à tour de rôle les mots qu’il associe à l’objet présenté. Ces mots, dont le nombre varie entre 15 et 20, en fonction du nombre de participants, sont notés au tableau. Ensuite, l’animateur et les participants ont une demi-heure pour écrire un texte. La seule contrainte émise est d’essayer d’insérer tous les mots notés au tableau dans son texte. Chacun est cependant libre de se référer ou non aux mots cités pour créer son texte. Cet objet et les mots associés servent surtout de support pour favoriser l’imaginaire chez les participants. Cet atelier est axé sur la spontanéité de l'expression verbale. Enfin, une fois le temps imparti écoulé, chacun à tour de rôle lit son texte à haute voix. Les réactions se résument par des « ah c'est beau » ou des « quelle belle histoire » ou parfois même par des applaudissements.

118 Ecrivain reconnu en Aquitaine, il a décidé pour une raison citoyenne, d’animer des ateliers d’écriture

pour des publics en difficulté.

119 Pourtant, nombreux théoriciens et praticiens recommandent la multiplication des entrées en écriture

pour faire écrire. Ce qui initierait les scripteurs à la variété des écrits qu'ils rencontrent dans la vie pratique.

En somme, l'activité d'écriture au sein de cet atelier se compose de trois phases fondamentales : une phase pour faire entrer en écriture, une phase pour produire son texte et une phase pour lire son texte aux autres, accompagnée de réactions généralement positives. Les phases de lectures et de réactions ne sont pas nettement séparées. En effet, les lectures des textes s’enchaînent en laissant peu de temps pour l’accueillir. De plus, j'ai constaté qu'il n'y avait pas de phase de réécriture.

Cet atelier d’écriture, où l’absence de références et de visées pédagogiques est évidente, privilégie une écriture du fragment et du premier jet ; il affiche ainsi, à l’instar des ateliers d’écriture centrés sur la personne, une préférence pour la spontanéité de l’expression verbale. En ce sens, cette orientation rapproche cet atelier de ceux que l’on propose généralement à des publics en difficulté, dans lesquels ce qui compte est moins le travail sur le texte que la valorisation de la personne elle-même.

Cet atelier d’écriture, comme beaucoup d’autres ateliers, met donc en place des activités d’écriture indépendantes les unes des autres et qui, de ce fait n’entrent pas dans une logique de construction d’un dispositif cohérent. Ses activités d’écriture n’obéissent à aucun projet pédagogique portant sur l’ensemble de ce qui est mis en œuvre. Les activités d'écriture ne sont pas envisagées dans une perspective d'ensemble. Chaque séance se conçoit comme autonome et autosuffisante, du fait du nombre fluctuant de participants, et utilise chaque fois l’activité d'écriture citée ci-dessus.

Cet atelier d'écriture ne situe pas sur l'échiquier des modèles existants. Il ne revendique aucune affiliation à un quelconque courant existant et ne s'organise pas autour d'objectifs précis. Néanmoins, s’il n y a pas de projet pédagogique clairement défini, les textes écrits durant l'année au sein de l'atelier sont assemblés dans un recueil dactylographié et font l'objet d’une manifestation publique.121Celle-ci a donné lieu au mois d’octobre 2011 à la mise en

œuvre d’une pièce de théâtre réalisée et jouée par l’animateur et quelques participants. A cette occasion, les participants volontaires ont pu prendre la parole en public et être reconnus pour leur travail d’écriture mais aussi pour leur interprétation sur scène.

Le fruit de ce travail accompli « à plusieurs mains »122 leur a fait prendre conscience que leur

production valait la peine d'être lue. Ainsi, certains ont témoigné parfois d'une sorte d'électrochoc : ce qui leur était étranger ou leur semblait réservé à d'autres est devenu possible et s’est incarné dans la réalité d'une expérience telle que cette fête de l’écrit.

Les manifestations, lorsqu’elles surviennent, constituent l'aboutissement d'un travail mené tout au long de l'année. Dans cette perspective, elles permettent de renvoyer aux participants une image positive d'eux-mêmes et de les valoriser, en leur montrant qu'ils sont capables de produire un texte identique à ce que l’on trouve dans les livres. Certains des textes écrits lors de l’atelier d’écriture sont publiés dans le journal « Résonnance ». Cette publication inscrit ces personnes dans un nouveau rapport à l'écrit puisqu'elles ne sont plus désignées par des

121 Cette manifestation se déroule généralement au mois d’octobre. C’est l’occasion où les participants qui

veulent socialiser leurs écrits de les exposer durant une semaine.

122 En 1989, Ricardou a publié dans Pratiques, n°61 (pp.111-117), un article intitulé « Ecrire à plusieurs

manques et des appellations négatives, mais elles sont reconnues comme porteuses d'une pensée et possédant des ressources propres. En somme, cet atelier vise apparemment la valorisation de soi, le changement du regard sur ses propres textes et la réconciliation de la personne avec l’écrit.

Le « Réso » a mis en place cet atelier d’écriture dans l'intention de lutter contre l’isolement socio psychique, qu’il soit spatial et/ou symbolique. En premier lieu, l'association propose à une population souvent démunie par le biais de l'atelier, un espace de rencontre dans lequel l’écriture peut s’échanger en combattant les processus d’auto-dévalorisation liés à l’écrit et à la lecture ; en second lieu, il s'évertue à installer en filigrane une relation de confiance mutuelle. Ainsi l’important, pour l’animateur est de :

Faire prendre conscience en sortant de l’atelier, que ce qu’elles ont écrit, même s’il y a encore des fautes, on peut le comprendre. Elles ont donné du sens et c’est ça qui est important. Qu’ailleurs, les autres puissent comprendre et réagir par rapport à ce qu’elles ont écrit.

Ensuite, il s’agit de redonner une place dans l’espace public à des individus ayant été progressivement enfermés dans l’espace privé par les mécanismes de relégation, que le directeur de « Réso » a déjà plusieurs fois abordés lors de l’entretien (précarisation, patriarcat) :

L’atelier c’est ça : travailler la pédagogie de manière détournée, en partant de ce que les personnes ont à exprimer et elles ont toutes quelque chose à exprimer, pour voir ensuite comment elles peuvent passer à l’écriture. Il faut que l’atelier d’écriture soit un lieu où les personnes vont écrire facilement, même s’il y a des fautes, et où l’on ne va pas comme cela se fait dans l’Éducation nationale faire le même conditionnement autour des fautes, et où l’on va aborder cela du côté ludique de la langue. (Extrait de l’entretien avec l’animateur).

L'expérimentation de cette prise en charge de soi dans des situations diversifiées et multiples donne à ce public accueilli la possibilité de (re)-trouver du sens à ses actes et de le mettre en position d'acteur responsable en tant que citoyen. Il ne s'agit plus d'assister l'autre et de décider ce qui est bon pour lui en faisant à sa place, car on l'invalide totalement. Il s'agit pour l’association « Réso » d'essayer de rendre sa place au sujet afin de lui permettre de déplacer sa situation de victime vers un désir d'agir et de ne plus subir. Cette mise en position d'ouverture et de rencontre des personnes modifie les clichés et les présupposés de départ sur cette partie de population en difficulté. Chacun donne à voir plutôt un aspect positif de lui-même dans une société où nous avons à démontrer à la société et à nous-mêmes que nous existons parce que nous réussissons.

Cet espace interstitiel autorise la réalisation des expériences et des apprentissages dans un cadre de bienveillance. Il est un lieu de conversation et d'écoute individuelle autant que d'animations de groupe. Nous l’avons vu, l'accompagnement des adultes n'est pas de les occuper futilement mais de les valoriser progressivement dans leurs capacités et dans leurs ressources. L’atelier d’écriture, dans ce contexte, en est un exemple. Ces actes de communications et d'écrits produits au sein de celui-ci ont permis aux participants de s'identifier comme des citoyens et de se construire comme sujets politiques.

Au demeurant, la structure propose de façon générale une formation civique et culturelle, et met au service du public un ensemble de prestations : accompagnements sociaux, cyber-

brasserie, hammam, sorties culturelles, de façon à répondre de manière optimale aux diverses demandes et enrayer toutes formes d’exclusion.

Contrairement, au "Réso", « L’Oiseau » est une association qui s'appuie essentiellement sur des ateliers de création de diverses disciplines artistiques.

2 « L’Oiseau » : Présentation de l’association

Actuellement, ce groupe associatif collabore à des projets de quartiers, d'écoles, de bibliothèques... Son objectif est de contribuer à un mieux vivre ensemble et faire de la création un bien partagé, en pratiquant le dialogue entre plusieurs disciplines artistiques, dont fait partie l'atelier d'écriture. La conceptrice et animatrice de l’atelier d'écriture a été formée par le GFEN (Groupe Français d’Education Nouvelle). Elle anime cet atelier dans diverses structures (écoles, collèges, lycées, centres de formation, médiathèques, facultés, etc.)

Après des études de Lettres, elle s’est consacrée au théâtre. Comédienne au sein de la Compagnie Pierre Debauche à Agen, elle a participé à de nombreux spectacles pour adultes et jeune public ; elle a écrit avec Aïssa Malouk la pièce destinée aux enfants : « Le Bonheur d'être Globule Rouge ».

En 2007, elle décide de mettre en place un atelier d’écriture au sein de cette association, afin de lutter contre l’idéologie des dons et du handicap socioculturel, en « mettant la création en partage ».123Dans cette optique, l'atelier d'écriture est considéré comme un espace de création et de liberté facilitant l’engagement des participants dans une aventure de mise en travail de l’imaginaire et de la langue. Les séances d’atelier d’écriture se déroulent 3 fois par semaine dans des lieux différents : le lundi et le jeudi de19h à 22h, et le mercredi de 15h à 19h. Ces séances, à la différence de celles du « Réso », sont payantes, à raison de 5 euros à la séance. L’animatrice anime cet atelier de manière ludique et conviviale et, à l’image de l’animateur issu du « Réso », elle s'engage dans l'écriture au même titre que les participants. Autour d’un café ou d’un thé, les participants se retrouvent pour partager un moment fort d’échanges et de création. Ils sont mis en situation d’écriture parfois proche de la mise en scène.

Ces ateliers permettent d’explorer divers thèmes et leurs corollaires grâce à l’écriture de poèmes et de fiction. Il y a un aller-retour permanent entre l’individuel et le collectif, qui permet à chacun, tout en explorant des enjeux liés à la création littéraire, de renouer avec le plaisir d’écrire et d’élaborer une parole singulière. A chaque fin de séance, un temps est donné à la discussion, à la réflexion et au partage des ressentis, ce qui permet aux participants de mettre à distance leur expérience de sujet écrivant.

2.1 Le public accueilli

Cet atelier s'adresse à tous, il n'y a pas de niveau requis, ni de connaissance particulière à avoir. Il constitue, selon l’animatrice, un dialogue original entre les générations et permet de s'emparer du patrimoine culturel en faisant connaître des auteurs méconnus au public accueilli.