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L’accès aux entretiens

3.3.1 Les entretiens avec les animateurs : le chercheur

interpellé

Les entretiens avec les animateurs ont servi d’amorce à ma problématique de recherche. Ils ont permis de baliser mon travail. Ils se sont souvent déroulés dans des cafés, lieux qui sont propices à une convivialité et au déliement des langues mais l’environnement s'est parfois avéré fort bruyant.

Les entretiens avec ces animateurs avaient une visée double : d’abord évaluer le marché de l’offre des ateliers d’écriture et son public dans la région bordelaise, ensuite passer en revue leurs séances, leur public, les activités effectuées en atelier d’écriture et comprendre les raisons de leur existence. Ces échanges au statut informatifs ont donc éclairé certains points et ont permis de saisir la « philosophie » des ateliers d’écriture au fondement des pratiques. Par conséquent, dans la retranscription des entretiens avec les animateurs, je ne me suis attachée qu’au contenu, contrairement à ceux réalisés avec les enquêtés.

Parmi les animateurs rencontrés, plusieurs sont engagés dans des actions militantes au sein du GFEN. Animés par un souci de justice et d’égalité face à l’éducation, ils se mobilisent dans un engagement total d’eux-mêmes pour une approche démocratique de l’école. Lors de deux entretiens avec deux animatrices, j’ai été mise en présence face à une difficulté à laquelle je ne pensais pas a priori : celle du militantisme. En effet, ces deux animatrices ont difficilement accepté certaines questions qu’elles interprétaient comme des remises en cause de leurs pratiques d’animatrices d’atelier d’écriture. De fait, la rencontre s’est très vite apparentée à une confrontation entre deux positionnements diamétralement opposés par rapport à l’objet étudié : « l’atelier d’écriture », l’un « intérieur et militant », l’autre « extérieur et neutre ». La première posture, celle qu’occupaient les animatrices F et S, m’a été présentée comme la seule légitime ; la seconde, celle du chercheur débutant que je suis, était décrédibilisée. En en croire leurs propos, mon extériorité était un obstacle incontournable dans la compréhension de mon objet. Aussi, elles ont dénigré une grande partie de mes questions qu’elles ont jugées déplacées. Déstabilisée par leurs postures, je suis restée un temps perplexe quant à ma méthode d’appréhension de mon objet de recherche. Puis, la richesse des entretiens réalisés jusqu’alors avec d’autres animateurs et ensuite avec les enquêtés m’ont rassurée : mes questions n’ont pas été perçues comme saugrenues ou décalées. Si à mon tour, j’ai rejeté les remarques143 de ces deux animatrices, j'ai pris le parti de ne pas occulter ces échanges. En

143

La « neutralité » des sociologues rendrait critiquable leur posture selon ces deux animatrices qui déploraient que les chercheurs ne soient pas plus engagés dans le militantisme. D'après elles, les recherches n’ont aucun sens tant qu’elles ne sont pas accompagnées d’un réel engagement militant et c’est pourquoi elles m’ont incité fortement à « prendre position » et à rejeter ma neutralité.

reconsidérant leur lecture, ces entretiens ont éveillé plusieurs questionnements très instructifs dans la compréhension de mon objet.

Au regard des passions et des débats suscités par les ateliers d’écriture, l’objectivité scientifique peut-elle être atteinte sur un tel objet de recherche ? N’est-il pas du devoir du chercheur de s’engager dans et par-delà du travail de recherche afin de participer au débat politique ? Peut-on ou doit-on être « savant et politique » ?

Après de nombreuses réflexions, ces interrogations ont nourri ma conviction selon laquelle le respect d’une démarche impartiale et objective était une exigence essentielle. Aussi, ma démarche de recherche s’est attachée à respecter le principe de neutralité axiologique prescrit par Max Weber. Si le sociologue a pour tâche de porter un regard critique sur les événements, il doit, conformément à ce principe, toujours mettre à l’écart ses opinions, ses valeurs et ses convictions personnelles. S’il est difficile d’être impartial et objectif sur un tel sujet, j’ai toujours été attentive à ce que l’analyse ne soit pas entravée par des jugements de valeurs. Les entretiens avec les enquêtés ont été réalisés dans cette perspective, c’est-à-dire que je voulais avoir d’autres points de vue, recueillir « d’autre opinions ». J’estime alors que la distanciation avec un engagement partisan dans ce travail conditionne la légitimité de l’usage militant qui pourra être fait de cette recherche.

Pour autant, je ne pouvais pas prétendre être complètement désengagée sur le plan militant. Mon engagement se situant dans le choix du sujet qui « correspond précisément à ce qui suscite des convictions personnelles, des préjugés, des haines ». A travers lui, mon ambition a toujours été de déconstruire les idées reçues, fréquentes sur la population participant aux ateliers d’écriture et d’enrichir les réflexions couramment partagées sur les ateliers d’écriture. Mon objectif était de mettre en lumière ce qui, jusque-là, était resté dans l’ombre.

3.3.2 Les entretiens avec les enquêtés : entre la réticence

et la volonté de se raconter

Le soutien de la direction et de l’animateur de la structure "Réso" mais aussi de l'animatrice de l'association « L’Oiseau » a été indispensable dans la réalisation de mon travail. Cependant, j’ai dû « négocier » ma place auprès des participants et surtout auprès des non participants. Les premiers contacts établis avec les non participants se sont réalisés autour du bar du" Réso" grâce à une présence constante.144 C'est de manière aléatoire que je me suis

adressée à ces personnes.

Mon travail consistant à rechercher la parole a été interprété par certains enquêtés comme une intrusion dans leur intimité, particulièrement chez les non participants.145Lors de nos échanges, certains moments traduisaient leur peur vis-à-vis de l'institution et une suspicion persistante à mon égard. Ils entretenaient vis-à-vis de mon statut de chercheur débutante une très grande méfiance. Ils désiraient dans un premier temps rester à distance et instauraient, dans leur discours autant que dans leur attitude, une barrière entre "eux et moi". (Hoggard, 1970). Certains ont refusé ma demande d’entrevue, par crainte d'une collusion avec le « Réso », malgré mon insistance sur ma position indépendante à l'endroit de cette structure. D’autre part, la lassitude à se raconter a été aussi à l’origine de certains refus. De même, l’absence de bénéfice attendu a expliqué quelques refus et a mis au jour le fatalisme et le sentiment de désillusion ressentis par certains non participants.

Six non participants ont accepté les entretiens. Mais leur consentement n’était que le point de départ d'un long processus me conduisant à la réalisation effective pour la plupart d’entretiens non enregistrés. Il était indispensable que les enquêtés soient en confiance avant d'accepter l'entretien. Les motivations de la mise en récit de soi m’ont renseignée autant que les refus sur cette expérience sociale.

J’ai proposé à ces personnes de prendre leur prénom et leur téléphone afin de les contacter pour convenir d'un rendez-vous. Trois ont refusé de me communiquer leur numéro de téléphone. Il s'est avéré ensuite complexe d’en joindre certaines à cause d'erreurs de numéros, dont on peut s’interroger sur le caractère intentionnel. Il est arrivé que certaines d'entre elles qui en premier lieuavaient accepté le rendez-vous, ne viennent pas le jour venu. Leur absence s'expliquait soit par le fait qu'elles ne désiraient plus ou n'avaient jamais souhaité véritablement me rencontrer ; soit par le fait qu'elles avaient oublié le rendez-vous ou avaient un empêchement dont elles avaient omis de me faire part. Dans tous les cas, je les ai

144Au-delà de ma présence aux ateliers d'écriture le mercredi, je venais durant les weekends mais aussi les

vacances scolaire consommer une boisson afin de me rendre visible et d'être accepter par les usagers de la structure.

145 J’ai fait part de cette méfiance au directeur du « Réso ». Il m’a’ affirmé que ce public précaire et

marginalisé devait souvent se justifier auprès des instances pour bénéficier des minima sociaux, ce qui pouvait entraînait pour certains d’entre eux une lassitude à répondre à des questions. Par ailleurs, le directeur a souligné le regard « exotique » que certains universitaires posaient sur la marginalité de cette partie de la population.

relancées, à la suite de quoi plusieurs d'entre elles ont clairement adopté une stratégie d'évitement et ont refusé l'entretien. A contrario, certains non participants, « pour bien faire », ont simplement cherché à s'ajuster, en livrant une série de réponses brèves et non approfondies. Je n’ai pas pris en considération ces entretiens de très courte durée (environ 10 minutes) dans cette recherche, car ils étaient inexploitables. La réticence à se dévoiler devant une inconnue a probablement motivé quelques refus. De manière générale le sentiment de honte et de dévalorisation éprouvés ont pu conduire à décliner ma proposition, craignant un jugement péjoratif, percevant l'entretien comme « une situation d'examen, ou une sorte de procès où ils seraient mesurés à une norme » (Beaud et Weber (1997 : 205). A l'exemple des enquêtés de milieu populaire de Beaud et Weber qui considéraient l'entretien comme un examen scolaire, les enquêtés du Réso" ont pris mon entretien pour une enquête sociale où ils avaient l’impression de devoir pour la neuvième fois se justifier et rendre des comptes « pour ne pas perdre leurs droits ». Dans cette optique, la relation d'entretien me plaçait dans le rôle d'un examinateur et cela a nécessité en conséquence de déployer une grande énergie pour me donner un autre rôle que « d'examinateur »

Si certains enquêtés non participant étaient tout à fait volontaire pour débuter un entretien, d’autres146 étaient confrontés à un « temps saturé » et ma demande avait du mal à prendre place dans leur emploi du temps. Le manque de disponibilité a constitué un obstacle supplémentaire pour obtenir des entretiens.

J'ai rencontré moins de difficulté pour obtenir des entretiens avec les participants. Ma présence régulière au sein de leurs ateliers d'écriture respectifs m'a évité les écueils rencontrés avec les non participants. Cela dit recueillir des entretiens n'allait pas de soi. Il a fallu aussi composer avec les exigences des uns et des autres. Dans un premier temps, il s'agissait de fixer une heure de rendez-vous à la convenance de l'enquêté. Comme le conseille Janine barbot dans « Mener un entretien de face à face », j'ai évité « de formuler des prescriptions sur le lieu, l'heure et la durée de l'entretien », en vu « de le rendre actif dans l'organisation de l'entretien » et d’établir une relation optimale entre l'enquêté et l'enquêteur 147(Paugam 2010 : 122). Ainsi les dates et les lieux étaient laissés à l'appréciation des interviewés. J'ai préparé au mieux l'enquêté à participer à cette expérience, en lui explicitant la façon dont l'entretien allait se dérouler, ainsi que les objectifs que j'attendais. Je me suis mise d’accord avec la personne interrogée pour que l’entrevue se déroule dans son milieu habituel (à son domicile ou dans la structure du « Réso », ou de l’association « L’Oiseau ») ou dans un lieu neutre (dans un café). Chaque entretien a duré entre une heure et deux heures. J’ai négocié une plage horaire suffisante afin que l’interrelation se déroule en toute quiétude pour l’interviewé et moi-même. Les entretiens avec la plupart des participants du « Réso » se sont principalement déroulés dans les locaux de la structure, soit autour du bar, soit dans les salles à l'étage en fonction des créneaux horaires. Les conditions des entretiens réalisés au sein du « Réso » n'ont pas été toujours satisfaisantes car souvent interrompus par le personnel qui vaquait à ses occupations. Les entretiens effectués avec les participants de « L’Oiseau » se sont souvent tenus hors de

des lieux où se déroulaient les ateliers d’écriture, en l’occurrence au domicile du participant ou dans un café choisi par le participant. Ils ont ainsi été programmés et réalisés avec bien plus de facilité.

Cela m'a amenée à m'interroger sur la symbolique des lieux choisis et sur le sens que les enquêtés ont accordé à l'entretien. Il apparaît clairement que le « Réso » en tant que lieu fait l'objet d'un processus d'appropriation très important par la plupart des enquêtés rattachés à cette structure.

3.4 Le déroulement des entretiens : les récits