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La construction des configurations

3.1 Une méthode d’investigation diversifiée et « bricolée »

3.1.3 La construction des configurations

Soucieuse de faire parler mes données, je me suis orientée dans un premier temps vers l’analyse structurale que citent Demazière et Dubar dans leur ouvrage « Analyser les entretiens biographiques, l’exemple des récits d’insertion » (2004). J’ai procédé à l’analyse des entretiens sur plusieurs niveaux.

J’ai d’abord recherché les séquences types des divers entretiens recueillis. Dans ce cadre, il s’est agi d’ordonner et de regrouper les séquences des parcours de vie des enquêtés dans l’ordre chronologique, de l’école jusqu’à la situation d’entretien et ce, en regroupant toutes les unités concernées pouvant constituer une séquence-type.

Ensuite, j’ai recherché les actants du récit des interviewés. Cette opération a consisté à une identification des personnages ou des évènements qui ont eu un impact sur le parcours des personnes dans leur rapport à l’écrit. Que ce rôle ait été considéré comme positif ou négatif, majeur ou résiduel, il s’est agi de comprendre leur influence sur le rapport à l’écrit des individus interrogés.

Enfin, j’ai recherché les classes d’arguments qui ont structuré les récits d’expériences des enquêtés. Ces classes d’arguments représentaient une étape logique dans leur raisonnement. J’ai décrit les données et je les ai ensuite regroupés en sous-catégorie. J’ai analysé les relations entre les variables et comparer les résultats pour construire mes configurations. J’ai traité de manière méthodique les informations issues des témoignages qui présentaient un certain degré de complexité. Le traitement des informations s’est fait suivant l’analyse thématique, afin de faire ressortir les propos significatifs issus de ces récits d’expériences, en tentant principalement de mettre en évidence les représentations sociales et les récits des locuteurs à partir de l’analyse de certains éléments constitutifs des discours.

En somme, une première analyse transversale des entretiens a permis d’interpréter les différences de discours entre les enquêtés en fonction des variables choisies, renforcée par une seconde lecture longitudinale mettant en relief chez chaque enquêté la compréhension du sens donné à la configuration à partir de la combinaison simultanée entre les variables suivantes : leur origine sociale, leur niveau scolaire, leur profession actuelle, leur rapport à l’écrit présent et passé, les raisons d’engagement ou non dans un atelier d’écriture.

L’origine sociale des enquêtés et celle de leurs parents ont été appréhendées à partir de la profession exercée en fonction des catégories socio-professionnelles de l’INSEE, en sachant que ce mode de classement est un indicateur très grossier de la position sociale. Je n’avais que cet indicateur administratif à disposition pour approcher l’origine sociale de l’enquêté et appréhender son mode de socialisation familiale. Quant au niveau scolaire, j’ai recueilli un maximum d’informations sur ce champ. L’exploration de tous les types de formations qui ont marqué les trajectoires des enquêtés et les commentaires qui ont accompagné leur évocation m’ont aidé à décrire leur rapport à la formation et, en soubassement, leur rapport à l’écrit. Il s’est agi ici d’établir une sorte de premier bilan en ce qui concernait le rapport à la formation,

le parcours scolaire et universitaire des enquêtés et d’esquisser le profil formatif. Cela m’a fourni des indices intéressants, me révélant leur vécu en matière de formation générale, académique et archétypique.

Sur le thème des usages d’écrits des enquêtés, les écrits ont occupé une place de premier plan dans ma recherche. Ils ont constitué le deuxième grand thème de l’analyse de contenu. En s’exprimant sur ce sujet, mes interlocuteurs ont situé leur rapport à l’écrit. Les écrits ont couvert des champs d’application d’une grande variété.

De façon générale, j’ai essayé de mener une enquête approfondie. Lors de l’analyse du matériau, j’ai effectué un travail à plusieurs niveaux de réflexion mis en parallèles. Mon investigation s’est doublée en permanence d’une analyse de production du discours. Je me suis efforcée de situer la personne qui parlait et de comprendre pourquoi elle prononçait telle ou telle phrase. Le discours sur la pratique de l'écrit qu’énonçaient les enquêtés ne renseignait pas forcément sur leurs propres pratiques. Il m’a fallu aller au-delà de la compréhension première de l'énonciation, tenter de reconstruire une explication sociologique de la singularité mises en mots. J’ai extrait des mots clés en tenant compte de l’interaction verbale et non verbale des entretiens réalisés. Je me suis donc attachée à la matérialité de la mise en mots du sens, c’est-à-dire au choix des mots qui ne sont pas neutres.

Mon analyse de contenu, à partir d’une lecture méthodique, a visé à une réorganisation des propos. Les énoncés fragmentaires ont été rassemblés, inclus dans des unités de taille supérieure. La structuration des thèmes et sous-thèmes avec, dans ces derniers, les énoncés les décrivant. À ce stade, je m’intéressais à tous les actes d’énonciation, c’est à-dire à tout ce qui renvoyait dans le discours à des opinions, des jugements, des stéréotypes, des appréciations concernant l’écrit. Une tâche difficile, car l’essentiel se dissimule fréquemment dans les détours et les biais de la conversation. J’ai attaché de l'importance aux enchaînements du discours énoncé par l'enquêté, aux enchaînements des propositions apparemment sans rapport immédiat les unes avec les autres qui pouvait révéler une préoccupation nodale récurrente et dont j’ai cherché à construire la logique. Je voulais repérer des informations qui permettaient la verbalisation de l’action et ainsi rendre compte de la subjectivité. C’est ce que Vermersch (2010) appelle « la position de parole ».

Grâce à ces analyses, j’ai pu exploiter les richesses des entretiens en extrayant les autres données présentes et plus particulièrement celles relatives à leur rapport à l’écrit. À chaque instant, le dépouillement du matériau m’a apporté de nouveaux éléments de cadrage, en nombre et en précision.

Suite à ces analyses, j’ai vu apparaître les profils, les genres, les logiques à l’œuvre. L'intention dans ce travail était d'objectiver le discours produit par une analyse contextualisée141et comparée. Pour mettre en exergue les logiques à l’œuvre chez l’enquêté dans son processus d’engagement ou de non engagement dans un atelier d’écriture, je me suis inspirée de la démarche du sociologue François Dubet et de ses trois logiques d’action.

141 J'entends par analyse contextualisée, une analyse qui a pris en compte le contexte général de production

d'énonciation, en ce que ce contexte est traversé d'enjeux qui orientent nécessairement le discours en train de se construire.

Effectivement, j’ai confronté mes résultats avec son modèle de l’expérience sociale (Dubet, 1994), articulant la logique de l’intégration, la logique de la stratégie et celle de la subjectivation. Je passais au crible de cette triangulation l’expérience sociale des ateliers d’écriture en fonction de l’engagement ou du non engagement des enquêtés. Cela m’a permis d’avoir une compréhension plus subtile du processus formatif à l’œuvre de leur rapport à l’écrit. Le choix de cette approche a donné lieu à quatre configurations : les "contourneurs", les "conformistes", les "créatifs" et les "rêveurs."

La construction de ces quatre configurations a été possible grâce un travail de comparaison, dans lequel j’ai tenté de décrire les traits communs définissant la condition de ceux qui partageaient une même expérience : « l'engagement ou le non engagement dans un atelier d'écriture » tout en présentant la pluralité des manières de vivre une même situation sociale En effet, chacune de ces configurations a été écrite et analysée en fonction des autres dans une perspective comparative. A partir de l’unité de sens, inhérente à chacune, j’ai cherché à comprendre quelle signification chaque enquêté donnait de l’écrit, tout en prenant en compte les différentes variables qui le caractérisaient en tant qu’être social écrivant (sexe, origine sociale, diplômes obtenus, leur rapport à l’écrit passé et présent…).

Cette démarche a facilité la mise en évidence des similitudes et les divergences dans les vécus des expériences sociales, sans pour autant énoncer de « jugement ». Ce concept de configuration a permis de prendre en compte les relations singulières entre les êtres sociaux, mais sans pour autant m’enfermer dans des particularismes monographiques, ni penser que tout est relatif. Le recours à la méthode de la configuration comme outil scientifique a donc ainsi rendu intelligible la complexité de la réalité sociale en produisant, par un travail de comparaison, une interprétation schématique de la réalité sociale. Car il est impossible comme le souligne Paugam dans la disqualification sociale, en se référant à Weber :

D'épuiser la réalité sociale, il est clair que ces différents configurations ne sont que des modèles ou des tendances qui permettent de comprendre par rationalisation utopique, la diversité des expériences vécues. (Paugam 1991).

Ces configurations construites ont, restitué les relations que les enquêtés avaient avec les ateliers d’écriture et, elles sont venues éclairer leur rapport à l’écrit. De fait, la démarche comparative dans ce travail a eu le souci de construire, au sein des configurations présentes, des logiques non pas singulières, mais sociales de pratiques d'écriture, vécues comme uniques. Ces pratiques d’écritures ne prennent un sens social que lorsqu’elles sont confrontées à d’autres.