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Chapitre 3 : Cadre méthodologique

1. Résultats Reconstitution des itinéraires individuels

1.2.2 Repères temporels du façonnage identitaire de Tom

Le graphique de Tom (Figure 10) présente les courbes « enseignant » et « étudiant » établies à partir de ses curseurs d’auto-positionnement. Sur la partie haute du graphique sont indiqués les événements importants imposés lors de son année de formation : les visites des tuteurs et de l’inspecteur, et les moments d’évaluation à l’université. Nous y avons également fait figurer les temps d’auto-confrontation. Les éléments placés en dessous du graphe correspondent aux motifs et buts de l’activité de Tom, retenus par lui-même et par le

chercheur comme étant signifiants dans le façonnage de son IP. Précisément, il s’agit du « sens de l’activité » de l’ensemble des éléments repérés au cours des entretiens d’auto- confrontation et analysés dans la première section 1.2.1 ci-dessus.

Le dessin des courbes vient corroborer les résultats concernant le façonnage de l’IP de Tom présentés ci-dessus. Trois formes saillantes émergent de celui-ci. Un entremêlement des deux trajectoires, qui sur le plan chronologique se situe essentiellement en début d’année, au moment où Tom est placé en stage filé et alterne ainsi des temps d’enseignement en classe, au cours desquels le PEFI se sent davantage enseignant, avec des cours en centre universitaire, qui le renvoient à son statut d’étudiant. La deuxième forme se caractérise par une séparation nette des deux courbes. Cela coïncide avec les moments de placement en stage massé en pleine responsabilité d’une classe (janvier 2010 puis fin avril – début mai 2010). Ces moments sont marqués par des curseurs « enseignant » placés plus haut que les curseurs « étudiant ». Enfin, des pics brutaux, voire des inversions de courbes, sont perceptibles typiquement lors des temps d’évaluation (visite de l’inspecteur, soutenance de mémoire, préparation de l’oral de connaissances…).

Les motifs recensés dans la partie basse du graphe donnent à voir une grande instabilité du sens de l’activité de Tom. En effet, les motifs renvoyant aux mobiles « être étudiant », « devenir enseignant » et « être enseignant » s’entremêlent constamment, tout au long de l’année, au gré des événements. Pour autant, cette évolution dépasse le seul caractère fortuit. Ainsi, l’apparition de mobiles « être étudiant » est repérable à chaque fois que Tom évoque des situations d’évaluation à l’IUFM ou en classe comme la visite d’inspection. Ce contexte d’évaluation, et particulièrement le mémoire professionnel et l’oral de connaissances, tous deux perçus par le PEFI comme étant sans lien direct avec ses expériences professionnelles en établissement scolaire, ne constitueraient pas l’activité « normale » d’un enseignant. Il ne permet pas à Tom de se reconnaître comme étant un enseignant lorsqu’il prépare ces évaluations. A l’inverse, les mobiles « être enseignant » et « devenir enseignant » se retrouvent l’un et l’autre tout au long de l’année. A chaque début de stage, autrement dit à chaque fois que le contexte change, la question du personnage réapparaît, à travers la préoccupation de Tom de contrôler la classe et de calmer les élèves tout en restant bienveillant. Ces mobiles sont également souvent caractérisés par des hésitations, des tiraillements du PEFI qui ne sait jusqu’où tenir compte des conseils qui lui sont donnés, que ce soit par les collègues, le directeur ou les ATSEM, en particulier pour tenir la classe, mais aussi pour ajuster le niveau de difficulté des situations aux élèves ou les aider aux ateliers.

Si l’on analyse chronologiquement le développement de l’activité de Tom au cours de son année de formation, on repère que le façonnage de son IP est particulièrement complexe et ne suit en rien une trajectoire linéaire. Le début d’année est caractérisé par des tâtonnements

initiaux qui se traduisent par la recherche de solutions et, en amont, une sorte d’exploration de ce qu’est être enseignant (dans le cas de Tom, apprendre à « gérer la classe », ajuster son travail à celui de la titulaire, prendre des informations sur les règles à mettre en place, sur la durée des ateliers, se faire reconnaître comme enseignant par les parents… – ACS du 20.10). En l’absence de solutions, Tom persiste dans ses idées. Par exemple, ne sachant comment organiser seul les ateliers, il se satisfait de pouvoir confondre les rôles de l’ATSEM, de l’emploi de vie scolaire (EVS25) et le sien propre malgré les interventions répétées et de plus en plus précises du chercheur visant à clarifier la situation.

Extrait de l’ACS du 20.10, UA 46 293 CH : Donc N., c’est l’EVS. 294 PEFI : Oui

295 CH : C’est pas une ATSEM, hein? 296 PEFI : Non.

297 CH : Comment tu, quels sont les échanges que tu as avec cette EVS?

298 PEFI : Donc euh, on, on parle souvent de, de R., et euh, en fait l’après-midi, hein, c’est, c’est ce que je t’expliquais, comme M., mon ATSEM s’occupe de la sieste avec les petits, et bien comme N. est là en ce moment, et bien l’après midi, en gros, elle endosse le rôle de, de l’ATSEM l’après midi pour les ateliers que, que je fais en roulement. Donc là, à ce moment là…

299 CH : N. endosse le rôle de l’ATSEM?

290 PEFI : Bin euh, c’est, c’est à peu près ça, oui, puisque, euh… bin elle, elle est là de toute manière avec euh…, elle est, elle est présente dans l’école, (…) d’emblée, au début, elle m’avait même, elle m’avait proposé son aide, et euh… je ne vois pas pourquoi refuser, hein, après tout, s’il y a quelqu’un euh, qui est là, qui est aussi dans le métier de l’enfance de toutes manières, euh, je veux dire euh, voilà, elle est pas plombière, elle travaille avec les enfants, euh euh, donc…

291 CH : Comment tu conçois son rôle à elle… est-ce que tu t’es renseigné un peu sur le rôle des EVS ?

292 PEFI : Pas trop. 293 CH : Pas trop, oui.

294 PEFI : Euh, je, comme je le disais, je me demande un peu euh, et puis Ch. [la titulaire] aussi, comment on va faire quand, quand elle ne sera plus là avec R..

25

L’EVS est une personne employée dans l’école dans laquelle Tom effectue son stage dont la fonction, dans ce contexte précis, consiste à aider R., une élève handicapée.

295 CH : Donc toi tu rentres ça dans une grande catégorie des métiers de l’enfance, c’est ça?

296 PEFI : Bin quelque part, euh, elle travaille avec euh, avec des enfants qui sont en maternelle, alors c’est sûr qu’elle aide quand même une petite qui semble… il a un handicap, alors cet handicap, je le répète, n’est pas encore reconnu, et accepté par les parents, mais euh… à la base, oui, c’est pas, c’est pas le même métier, elle est pas ATSEM, mais l’après midi il faut bien reconnaître que… c’est comme si elle l’était. 297 CH : Hm hm. Et toi, ton métier, il rentre aussi dans ces métiers de l’enfance? 298 PEFI : Bin, je pense oui, puisqu’on est quand même au contact des enfants, on est là pour qu’ils apprennent quelque chose, et donc euh…

299 CH : Mais en lien avec ce que tu disais à l’instant, tu disais l’ATSEM euh, tu disais tout conseil est bon à prendre,

300 PEFI : Oui

Tom assimile les métiers d’EVS et d’ATSEM à une grande catégorie des « métiers de

l’enfance ». Même si l’EVS n’est pas l’ATSEM, selon Tom, « c’est comme si elle l’était ». Il

n’hésite donc pas à lui confier des tâches qui relèveraient davantage de l’ATSEM. Les difficultés du PEFI à faire évoluer son activité en différenciant les rôles sont d’autant plus marquées que son formateur référent lui a déjà reproché, dès le début de l’année, cette confusion et a souligné l’importance de clairement définir les rôles, « parce que les enfants ne

savent peut-être plus la différence entre ce que fait 2. [l’EVS] dans la classe et ce que fait M.

[l’ATSEM] » (ACS du 20.10, UA 50). Même si, selon Tom, les conseils de sa tutrice, avec laquelle il « avait déjà évoqué le côté gestion de la classe », constituent « un déclic » (ACS du 20.10, UA 7), il cherche toujours à « profiter des deux personnes » pour l’organisation des ateliers.

L’apport de la vidéo a été essentiel pour aider Tom à dépasser ses difficultés initiales en voyant les situations de classe et envisager ainsi la recherche avec un enjeu transformatif et développemental. Précisément, à de maintes reprises au cours de la première ACS, comme lors des suivantes, Tom relève des éléments qu’il n’avait pas perçus lors de ses enseignements, préoccupé qu’il était par les élèves. Lors de l’ACS du 20.10, nous avons par exemple pu faire observer le cas de deux ATSEM qui discutent à voix haute dans la classe en remettant en question le travail du stagiaire, celui d’un élève qui ne respecte pas la sanction donnée par l’enseignant en motricité, celui de conflits entre les élèves ou encore de consignes

qui ne sont pas respectées. Autant d’éléments qui étaient passés inaperçus au cours de la séance elle-même et qui pourtant interpellent Tom lorsqu’il les voit.

Le développement de l’activité de Tom se traduit par une meilleure organisation de la classe et une capacité accrue d’anticipation des réactions des élèves au moment de la préparation des séances. Par exemple, après avoir été confronté, en début d’année, au problème d’une salle de motricité aménagée différemment de ce qui était prévu, ou à une récréation annulée en raison du mauvais temps, il vérifie à l’avance la présence du matériel nécessaire aux activités suivantes, ou encore regarde la météo pour savoir si les élèves pourront sortir en récréation ou s’il faut prévoir une activité de substitution (ACS du 15.12, UA 13, 45, 47, 51). Au mois de décembre, au cours de la deuxième ACS, Tom formule également des jugements d’utilité à valence positive qui témoignent du développement de son activité et de sa reconnaissance de l’efficience de nouvelles opérations mises en place :

Extrait de l’ACS du 15.12, UA 23

J’ai un petit peu progressé dans la, la maîtrise du grand groupe en maternelle, au niveau du calme (…). Une ou deux fois, j’ai vraiment levé le ton, et j’ai dit maintenant c’est plus possible, on ne s’entend plus parler. Voilà, j’ai essayé déjà à ce niveau là.

Extrait de l’ACS du 15.12, UA 26

Je suis assez exigeant sur la manière dont ils sont assis, (…). Dès que je vois que c’est trop serré, je dis hop, tu t’assois parterre, et puis, et puis voilà, hein. Alors que je faisais pas ça spontanément avant. Et de temps en temps, quand je vois que ça va pas, je les change de place. C’est des petits réflexes que j’avais pas au début.

Malgré cela, Tom continue de manquer d’opérations. Il profite des stages qui lui sont proposés pour se constituer un répertoire d’idées et d’activités, une « trousse de secours » (ACS du 26.03, UA 24) qu’il pourra ressortir ultérieurement s’il retrouve le même niveau de classe. Pour ce faire, il photocopie notamment des documents élaborés par d’autres enseignants et laissés à disposition de tous en salle des enseignants, afin de se « rassurer » et de combler en partie son manque d’idées.

L’apport de la vidéo ne s’est pas limité au seul début d’année, sa difficulté à voir l’ensemble de la classe perdurant. Au cours de son second stage massé, en classe de cycle trois (8 -10 ans), le stagiaire est confronté au problème d’élèves qui lancent des boulettes de papiers dès

qu’il leur tourne le dos pour écrire au tableau. Le jeu « du chat et de la souris » que joue un élève à l’insu de Tom, illustre cette difficulté.

Extrait de l’ACS du 12.05, UA 7

64 PEFI : les papiers qu’ils se lancent, ça, c’est le prochain combat! 65 CH : alors justement, les papiers qu’ils se lancent, tu les vois?

66 PEFI : pas toujours… (rires) des fois. Mais c’est un vrai sport d’écrire au tableau et de repérer ceux qui les lancent en même temps. Et évidemment, quand on les, leur demande, c’est jamais eux, forcément. C’est presque drôle, intérieurement, parce qu’ils sont malins quand même, ils sont forts, ils sont très forts. (Vidéo) (…) Sauf que ce qu’il ne sait pas c’est que à l’heure qu’il est je suis en train de le voir, ça. Ah, le coquin. Hop là, ouai ouai, hm hm, hein il faudrait des yeux dans le dos (…)

76 PEFI : ouai c’est vraiment un jeu le jeu du chat et de la souris, hein. (vidéo) hop là ! (…)

78 PEFI : ah, ils le font, ils le font avec la règle, ça j’avais pas compris. Ah ouai, on en apprend des choses. (…)

86 PEFI : le problème c’est aussi que si j’ai le dos tourné et que je n’ai pas la preuve, la preuve du lancer, je peux pas dire avec certitude que c’est A. [un élève] qui l’a lancé ou quelqu’un d’autre, et il est pas le seul, il y a A., H. [un autre élève], enfin je sais, je sais grosso modo qui c’est, hein, parce que je les ai tous choppés du regard au moins une fois ou deux, mais euh… si je ne le vois pas en vrai directement, c’est difficile aussi de dire, … parce que je sais très bien que même si je, si je ne l’ai pas vu, ils vont dire ah bin oui c’est pas moi, et même si je le vois, ils vont dire c’est pas moi. Enfin … en tout cas euh, peut-être A. et H.. Donc c’est, ça c’est un problème que j’avais pas du tout en CP [6-7 ans], hein, ouaip (…)

90 PEFI : c’est énervant, hein, rrr, c’est agaçant… quelque part, en le voyant comme ça de l’extérieur, c’est presque drôle, parce que… voilà… mais quand on est en classe, ça peut pas être tout le temps comme ça, sinon c’est pas possible, c’est pas possible… qu’est-ce qu’il a appris de la séance... rien !

Ce n’est qu’en visionnant l’enregistrement audiovisuel de sa séance que Tom découvre l’organisation des élèves qui s’envoient des projectiles avec leur règle dès que le stagiaire les

quitte du regard. Une position « extérieure » rendue possible par la vidéo lui donne accès à ce qu’il ne voit pas d’habitude et lui permet d’avoir « des yeux dans le dos ». La vidéo lui « apprend des choses » qu’il n’avait « pas comprises » sur la façon dont procèdent les élèves pour envoyer des boulettes de papier. Au-delà du travail lui-même, ce qui pose problème au stagiaire est de voir toute la classe, parce qu’il écrit au tableau et tourne par conséquent le dos aux élèves : « si j’écris au tableau bin je leur tourne le dos, et donc oui, le problème vient un

peu de là » (ACS du 12.05, UA 12). En raison de l’ « empêchement » généré par l’écriture au

tableau il envisage de nouvelles opérations. Par exemple, écrire au tableau en étant face aux élèves, et par conséquent dos au tableau, ce qui lui permettrait de « voir le plus possible » toute la classe et de montrer plus de présence auprès des élèves, puisque « des fois peut-être

que la simple présence de l’enseignant suffit à calmer les ardeurs » (ACS du 12.05, UA 8).

Mais il « n’arrive pas tellement à écrire dans l’autre sens » (ACS du 12.05, UA 12) et n’est pas satisfait du résultat parce que « c’est moche, quoi, ça ne donne rien » (ACS du 12.05, UA 8). Une autre opération envisagée consiste à sanctionner toute la classe, mais Tom estime qu’il n’est pas juste de punir collectivement puisque certains élèves ne lancent pas de boulettes de papier. Ainsi, l’apport vidéo est une ressource indéniable dans le développement de l’activité du PEFI, lui permettant d’avoir accès à ce qui resterait masqué en l’absence de vidéo. Mais la vidéo ne fournit pas systématiquement les opérations permettant à Tom de remédier à ses difficultés.

Des jugements positifs rendent compte de l’acquisition de routines que le stagiaire n’avait pas en début d’année, notamment écrire le travail au tableau et de sa capacité à mettre les élèves au travail (ACS du 12.05, UA 13 et 25).

En fin d’année, Tom énonce des motifs qu’il n’avait pas encore abordés auparavant, notamment pour pouvoir anticiper et mieux organiser son enseignement. Par exemple, il insiste à plusieurs reprises sur la nécessité de commencer par « d’abord connaître un peu les

élèves » (ACS du 12.05, UA 2), ce qui lui permet « après de différencier » (ACS du 17.06,

motif de l’UA 15). Cette connaissance des élèves l’amène à reconnaître son activité en formulant un jugement d’utilité à valence positive.

Extrait de l’ACS du 17.06, UA 11

Par rapport au stage filé, maintenant, là, c’est vrai que ça roule beaucoup mieux, parce que il y a des habitudes qui sont créées, les enfants me connaissent, (…), et c’est vrai que maintenant, je dis quelque chose et, bon, tu te déplaces, tu fais trop de bruit, tu vas là. Il le fait tout de suite. Avant, pfff, pas évident.

De nouveaux jugements à valence positive témoignent de la reconnaissance par le PEFI des progrès de ses élèves (ACS du 17.06, UA 4 et 17). Les motifs d’enseignant qu’il envisage en fin d’année, dont la poursuite se confirme par le positionnement des curseurs sur l’échelle d’auto-positionnement, sont toutefois brutalement interrompus lors des moments d’évaluation et d’inspection, le curseur étudiant étant subitement plus élevé que le curseur enseignant.

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