• Aucun résultat trouvé

L’apport de la troisième génération de la théorie de l’activité

Chapitre 2. Cadre théorique

1. La théorie historico-culturelle et la théorie de l’activité 1 L’apport de la théorie historico-culturelle selon Vygotsk

1.3 L’apport de la troisième génération de la théorie de l’activité

A la différence de Vygotski et Leontiev, les auteurs de la troisième génération de la théorie de l’activité envisagent explicitement la question identitaire en introduisant le concept « d’agentivité » des acteurs dans les systèmes d’activité (Engeström, 2008). Les travaux d’Engeström font suite à ceux de Powell (1990), lequel dégage trois formes principales d’organisation du travail : a) une organisation hiérarchique, souvent retrouvée dans les grandes corporations ou dans les grandes bureaucraties. Cette organisation présente l’avantage de garantir les standards nécessaires à la production de masse traditionnelle, mais elle est limitée par sa rigidité ; b) une organisation selon le modèle du marché, fréquemment retrouvée dans les grandes entreprises ; cette organisation est flexible mais la compétitivité débridée tend à exclure toute possibilité de collaboration et de réciprocité ; c) une organisation en réseau, qui permet de développer des collaborations au-delà des frontières habituelles et favorise les échanges. Pour Engeström (1999a), dans les sociétés humaines, le sens donné à l’activité devient partagé par une communauté d’actants qui poursuivent le même but. La médiatisation se caractérise par la division du travail et l’instauration de règles qui encadrent les interactions entre les individus faisant partie du système d’activité et partageant le même objet. Pour comprendre les systèmes d’activité mobilisés dans le travail organisé en réseaux distribués, Engeström développe trois concepts principaux : le « boundary crossing » (franchissement de frontière), le « knotworking » (travail en nœuds, dans lequel le centre d’initiative change à tout moment), et la « co-configuration » (reposant sur l’idée d’une collaboration interactive dans laquelle « le client devient d’une certaine manière le partenaire du fabricant », par exemple à travers des prises de décision collectives). Cette orientation complète ainsi le modèle culturaliste en y ajoutant l’infrastructure socio-institutionnelle de l’activité : les règles, la division du travail et la participation à la communauté.

Figure 2 : La structure du système d’activité humaine (Engeström, 1987, p. 78).

Ces concepts permettraient par exemple d’analyser la confusion des responsabilités ressentie par l’enseignant en formation face à des règles peu explicites, ou la façon dont, dans les institutions, l’identité de chacun est bousculée par certaines modalités de division du travail impliquant des tâches réalisées par plusieurs métiers en même temps (le « boundary

crossing », par exemple le travail de l’enseignant, celui de l’ATSEM17, celui de l’auxiliaire de

vie scolaire) ou encore le rôle central des contradictions sur le développement (par exemple, le choix d’une méthode de lecture pour satisfaire des parents en contradiction avec des préconisations institutionnelles) (Engeström, Engeström & Vähääho, 1999).

17

L’ATSEM est un agent présent quotidiennement dans la classe, « chargé de l’assistance au personnel enseignant pour la réception, l’animation et l’hygiène des très jeunes enfants ainsi que de la préparation et la mise en état de propreté des locaux et du matériel » (Décret n° 92-850 du 28 août 1992).

Outils et signes

Sujet Objet

Règles Communauté Division du

travail

Nous avons vu auparavant combien les conflits jouent un rôle central dans le développement (Bertone, Méard, Flavier, Euzet & Durand, 2002). Il en est de même en ce qui concerne les systèmes d’activité. Lorsqu’un système d’activité adopte un nouvel élément venu de l’extérieur (une nouvelle technologie ou un nouvel objet, par exemple), cette adoption créée souvent une contradiction secondaire (par exemple, les règlements en place ou la manière de diviser le travail). Ces contradictions sont à la source de perturbations mais aussi de tentatives d’innovations pour transformer l’activité. C’est par exemple le cas lorsqu’une division du travail très rigide et hiérarchisée freine la mise en place d’innovations pourtant envisageables par l’émergence de nouveaux instruments.

Les travaux d’Owen (2008) visent à contribuer au développement de cette troisième génération de travaux centrés sur la CHAT. L’auteure analyse une situation de travail conjoint et d’interactions entre deux systèmes d’activité, celui des pilotes et celui des contrôleurs aériens. Les deux systèmes d’activité sont connectés, mais les objets du travail ne se recouvrent que lorsque chacun des sujets agissants est impliqué dans l’accomplissement conjoint de la gestion du vol. Owen met ainsi en exergue les tensions entre les pilotes et les contrôleurs. Ces tensions trouvent leur origine dans la manière dont les outils sont utilisés par les uns et les autres, mais aussi dans la confusion des règles, dans la division du travail liée notamment aux rôles tenus par les acteurs, ainsi que dans le franchissement de frontières (en l’occurrence l’influence des exigences au sein de chacun des systèmes d’activité respectifs). Particulièrement, l’auteure montre de quelle manière un changement apporté aux éléments d’un système d’activité génère des tensions et des contradictions, et par là des opportunités de développement dans les interactions quotidiennes entre les contrôleurs et les pilotes de ligne. Ces résultats, et plus globalement les avancées marquées par les travaux d’Engeström, nous semblent porteurs de nouvelles pistes à explorer dans le milieu scolaire. Plusieurs auteurs se sont ainsi attachés à associer l’identité de l’individu à ce qu’il fait, à ses actions. En ce sens, l’identité a une dimension culturelle, notamment parce que les actions concrètes mises en pratique sont articulées entre la société et le Soi, et ne sont donc pas seulement dirigées vers soi mais aussi vers les autres (Holland, Lachicotte, Skinner & Cain, 1998 ; Roth, 2007). Selon Wertsch (1991), les identités s’accroissent à travers la participation continue dans les situations définies par l’organisation sociale. A tout moment de sa participation à une activité, le sujet reflète l’ensemble des relations sociétales qui façonnent l’identité du sujet. Ainsi, malgré la singularité de la vie personnelle, l’identité n’est pas un processus solitaire mais constitue la réalisation d’une possibilité culturelle (Daniels, 2007), à la fois dans l’action concrète mais éphémère et dans celle inscrite dans la durée (Roth & Barton, 2004). La

contribution de Roth (2007) est essentielle sur ce point ; en effet, l’auteur fait le lien entre la nature éthique et morale de l’identité et l’activité pratique concrète. La reconnaissance par d’autres personnes que le groupe de travail est liée à l’adéquation aux valeurs morales et éthiques de la société. Il s’inscrit pour ce faire dans la théorie historico-culturelle (y compris celle de la troisième génération) sans incorporer d’idées incompatibles avec cette approche, et démontre les déterminations éthiques et morales de l’action individuelle. Bien que souvent traités indistinctement, Roth réserve le terme « éthique » comme désignant l’objectif d’une vie accomplie, et le terme « morale » à l’articulation de cet objectif dans des normes caractérisées à la fois par une forme d’universalité et par un effet de contrainte. Cette distinction permet d’intégrer le cadre de la CHAT dans la problématique identitaire, vis-à-vis de laquelle la relation entre le but éthique et la morale correspond à la relation entre le sens et la signification. Les buts éthiques sont situés entre l’activité et les actions. Ils sont tenus par des problèmes qui concernent la société et sont orientés par un but collectif lié à la maintenance de l’activité humaine. Les buts éthiques sont une partie intégrale et irréductible des motifs. Ils ne peuvent pas être considérés comme indépendants de l’activité en cours dans cette approche, mais ils sont liés à la fois aux motifs et aux opérations. Les dimensions éthico- morales et l’identité par conséquent deviennent articulées à travers la participation concrète dans l’activité collective continue.

Pour sa part, Daniels (2007) analyse le façonnage de l’IP à travers le discours en se référant également à la troisième génération de la CHAT. Il reprend l’idée selon laquelle la division du travail dans une activité crée des positions sociales entre les participants, lesquelles participent d’une relation à la répartition du pouvoir et des principes de contrôle. Ces positions sociales figurent des pratiques de communication qui donnent lieu au façonnage de l’IP. En effet, Daniels montre que les dialogues entre les participants reflètent l’action sociale et collective historiquement constituée de la construction du sens dans la communauté.

Dès lors que nous considérons l’IP comme une forme d’activité dans un environnement défini, l’approche historico-culturelle donne un nouvel éclairage au façonnage de l’IP et permet d’appréhender son développement comme étant dynamique et situé, et plus seulement comme un phénomène « psychique » (Ciavaldini-Cartaut, 2009). C’est en ce sens qu’apparaît le lien entre le développement de l’activité professionnelle, la socialisation au sein de collectifs de travail, et le façonnage de l’IP.

Comprise comme un développement de l’activité, l’IP apparaît comme un processus de transformation des actions, des motifs et des opérations. Dans ce modèle où les conflits intrapsychiques jouent un rôle essentiel, les déplacements successifs des motifs du sujet et

l’accroissement des opérations mises en œuvre représentent les deux phases du développement. Cette approche permet de concevoir la construction identitaire des enseignants selon ce « processus bi-phasé » (Clot, 1999 ; 2008c ; Méard & Bruno, 2009) de développement « par les motifs » et « par les opérations ». Le développement de l’activité permet ainsi d’appréhender le développement de l’IP comme un processus dynamique, situé au sein de systèmes d’activités nécessitant de prendre en compte le « boundary crossing », le « knotworking » et la « co-configuration » (Engeström, 1999a).

2. La contribution de l’approche clinique de l’activité à la définition de l’IP

Outline

Documents relatifs