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Chapitre 3 : Cadre méthodologique

1. Résultats Reconstitution des itinéraires individuels

1.1.1 Cinq points saillants qui participent au façonnage de l’IP d’Eve

1.1.1.3 La vision restrictive du métier d’enseignant

En stage filé, la stagiaire est affectée en classe de petite et moyenne section de maternelle (3 – 5 ans). Fréquemment, les enseignants en maternelle recourent à une organisation de la classe en îlots ou en ateliers. Les élèves y sont répartis par petits groupes et y effectuent un travail spécifique. Eve reprend cette organisation. Mais elle est confrontée, de façon récurrente, à trois problèmes liés à la passation de consignes propres à la situation dans laquelle chaque groupe d’élèves est respectivement engagé : elle ne sait pas si elle doit les passer à toute la classe ou en groupes restreints, elle est préoccupée par le temps tout en restant soucieuse de la bonne compréhension par les élèves du travail à effectuer, et ne sait exactement ce dont sont capables les élèves parce qu’elle découvre ce niveau.

Concrètement, elle oppose deux manières de procéder : expliquer tous les ateliers à l’ensemble des élèves, au risque d’y passer beaucoup de temps, ou délivrer les consignes au fur et à mesure à chaque groupe d’élèves au risque de faire attendre les derniers. Ce dilemme rend la PEFI « tout le temps tiraillée entre les deux, [elle] ne sai[t] pas ce qui est le mieux au

final » (ACS du 03.03, UA 16). Elle n’est pas satisfaite de sa manière de procéder, qui

consiste à expliquer les ateliers à tous les élèves en même temps, considérant qu’elle serait entièrement satisfaite si elle arrivait à passer l’ensemble des consignes à tous les groupes « et

qu’après ils arrivent à exécuter leur consigne correctement » (ACS du 03.03, UA 16,

jugement à valence négative). Mais en adoptant cette manière de procéder, elle serait confrontée à de multiples contraintes : elle devrait « repasser auprès des groupes afin de

vérifier la bonne compréhension des consignes et de ré-expliquer » (ACS du 03.03, UA 16),

n’aurait « pas le temps de faire reformuler pour voir où ils en sont », les élèves auraient « quatre informations différentes », il y aurait « un laps de temps entre le moment où elle

explique et le moment où les élèves s’installent », et « les élèves pourraient avoir oublié une partie du travail à réaliser » (ACS du 03.03, UA 17).

Une manière intermédiaire de procéder consiste à installer les ateliers qui sont vite expliqués, et à autoriser les élèves concernés par ces ateliers à aller y travailler avant d’avoir fini de passer l’ensemble des consignes. En procédant ainsi, Eve cherche à se « débarrasser le plus

rapidement possible des gamins » (ACS du 03.03, UA 14), c’est-à-dire à permettre aux élèves

de certains ateliers de débuter le travail avant la fin des consignes. A travers ce fonctionnement, elle poursuit quatre motifs (ACS du 03.03, UA 16) : réduire le temps global de passation des consignes (donc éviter que les élèves ne se souviennent plus de leur consigne) ; expliquer calmement (en petit groupe) ; prendre davantage de temps avec les ateliers dont les consignes sont plus conséquentes ; éviter aux élèves d’écouter des consignes qui ne les concernent pas. Pourtant, la PEFI n’est pas non plus satisfaite par cette mise en œuvre. Elle sait en effet l’importance de la répétition des consignes. Elle considère sa manière de faire comme n’étant « pas forcément pertinent[e] » (ACS du 03.03, UA 14), puisque ce mode de fonctionnement ne permet pas à tous les élèves d’entendre l’ensemble des consignes, et qu’elle sera contrainte de passer à nouveau ses consignes à l’identique la semaine suivante. Or pour les élèves, entendre plusieurs fois la même consigne leur permet de mieux l’assimiler.

A l’autre extrême de la transmission des consignes, Eve explique les ateliers une fois que les élèves sont installés.

ACS du 03.03, UA 18, Raisonnement : [pour] qu’il reste plus que dix minutes pour l’activité et [pour] mettre les élèves en activité, [faire en sorte de] prendre moins de temps à expliquer les ateliers, [en] installant les élèves tout de suite et [en] n’expliquant qu’une fois aux élèves, mais une fois qu’ils sont installés.

ACS du 03.03, UA 19, Raisonnement : [pour] expliquer la consigne aux ateliers qui devaient être un peu moins dirigés, [faire en sorte de] profiter du temps d’appropriation du matériel [en] installant les élèves de l’atelier dirigé en premier, [en] leur disant qu’ils peuvent jouer avec les bouchons et les pinces, [en] allant après à l’atelier spirales, [en] mettant les élèves en activité alors que j’avais pas encore passé la consigne et [en] revenant après au premier atelier.

Cette manière de procéder permet aux élèves d’être rapidement en activité et de manipuler le matériel à disposition pendant que la stagiaire passe expliquer les ateliers aux différentes tables. Avec l’aide de la titulaire, elle parvient à trouver l’ordre d’explication des ateliers : « en discutant avec [la titulaire], justement je me demandais comment placer les ateliers et

dans quel ordre. Alors elle a dit les plus autonomes d’abord » (ACS du 29 09, UA 19). Ainsi,

afin de ne pas laisser les petites sections sans consigne, elle explique « d’abord aux moyens ». Cette manière de procéder lui permet de penser « que là [elle a] trouvé le bon truc » (ACS du 03.03, UA 18, jugement d’utilité à valence positive).

Eve perçoit que « les élèves ont du mal à comprendre ce qui est dit : c’était vraiment difficile,

de leur faire comprendre que c’était à côté et pas dessus » (ACS du 29.09, UA 23). Sa

préoccupation de se faire comprendre des élèves lors de la passation des consignes est à l’origine d’un nouveau tiraillement : pour se faire comprendre, il faudrait prendre le temps d’expliquer clairement la tâche et la faire reformuler. Or Eve éprouve le sentiment de manquer de temps et souhaite diminuer la durée de ses explications au profit du temps de pratique de ses élèves. Elle exprime trois jugements d’utilité à valence négative.

ACS du 16.12, UA 17, Jugement : j’ai passé trop de temps à expliquer, et pas assez de temps à manipuler, et après, une fois qu’ils manipulaient, ils le faisaient pas comme j’avais prévu de le faire.

ACS du 29.09, UA 17, Jugement : il faudrait que je puisse rester cinq minutes avec, au moins deux-trois minutes, pour donner des consignes euh… et ça, il faut que j’arrive à gérer encore, parce que c’est clair, faire de la pâte à modeler pendant une demi-heure…

ACS du 03.03, UA 13, Jugement : tout le monde n’a pas compris, donc après j’ai relancé, mais bon, j’ai relancé un peu tard mais en même temps je vois pas quand j’aurais pu les relancer, parce que là, j’ai à peu près réussi à avoir le calme avec les petits.

La gestion du temps passe aussi par choisir d’attendre ou de commencer la situation alors que tous les élèves ne sont pas présents lors du regroupement. Ce choix se pose par exemple lorsque la stagiaire se trouve à un atelier que vient de quitter une élève, ou lorsque deux élèves sont couchés sous un banc alors que les autres sont déjà regroupés. Dans ces situations, la PEFI « devrai[t] attendre (…) pour expliquer » (ACS du 29.09, UA 22). Or elle est excédée par le comportement d’une élève qui la « saoule, tout le temps, elle part, elle se promène tout

le temps » (ACS du 29.09, UA 22). Elle s’attend à devoir de toute façon ré-expliquer, et

décide alors de commencer ses explications. Elle « lâche le morceau, sinon le temps passe » et n’a pas le temps de transmettre ses consignes (ACS du 03.03, UA 40). Cette opération ne la satisfait pas : « j’ai gagné quoi, j’ai gagné trois secondes, j’aurais pu attendre qu’elle

Eve éprouve des difficultés à anticiper la durée des situations en raison du jeune âge des élèves qui découvrent les apprentissages premiers liés à l’organisation de la classe et à la vie en collectivité.

Extrait de l’ACS du 29.09, UA 28

252 PEFI : (…) là effectivement, elle a travaillé trop vite… oups… bin il faut que je prévoie des trucs plus élaborés…

253 CH : mais c’est elle qui a travaillé trop vite, ou c’est toi qui avais pas prévu assez…

254 PEFI : bin comme je sais pas, ça, c’est une des difficultés, c’est de savoir qu’est ce qu’ils sont capables de faire en un certain laps de temps. 255 CH : oui, tu as du mal à prévoir le temps…

256 PEFI : par exemple là, j’ai prévu pas du tout assez, alors que quand on va en salle de motricité, je prévois toujours trop, j’arrive pas à faire euh, bon si la moitié ouais mais pas les deux tiers on va dire de, de ce que j’ai prévu (…)

260 PEFI : (…) dans la fiche de prep, je mets toujours le timing, mais comme j’ai dit, pour l’instant c’est difficile à évaluer, ouais surtout en motricité, parce que y’a plein de choses, enfin des enfants qui s’égarent, des choses que je dois répéter, là je perds un temps fou, là j’ai de nouveau pas tenu mon timing cette semaine, mais … ouais, ça, c’est une des choses assez difficiles.

Mettre en place les ateliers et organiser les élèves en groupes pose problème à la PEFI : « Le premier jour, c’était, je crois que j’ai du prendre 20 minutes pour placer les ateliers,

c’était la cata. Ils savent pas dans quel groupe ils sont, moi non plus (…) ça prend du temps » (ACS du 29.09, UA 13). A l’inverse, elle peut aussi prendre plus de temps que

prévu pour passer ses consignes, et se retrouve alors prise par le temps : « J’avais prévu que

tout le monde aille plus vite, mais bon comme dit j’ai déjà pris plus de temps que la semaine dernière pour lancer les consignes… » (ACS du 03.03, UA 52).

Précisément, le manque de connaissance des élèves ne lui permet pas de prévoir la durée des situations. Eve constate par exemple que la situation « a quand même pris plus de temps que

ce qu[‘elle] avai[t] prévu » (ACS du 29.09, UA 28) et se trouve « encore en train de courir et de gérer l’urgence, on va dire » (ACS du 03.03, UA 45). Au fil des semaines, les élèves

mise en place des ateliers prend alors moins de temps, les élèves finissant la situation quinze minutes plus tôt que prévu.

Extrait de l’ACS du 03.03, UA 52

232 PEFI : là ça fait un quart d’heure où ils ont rien à faire. 233 CH : t’avais un quart d’heure d’avance ?

234 PEFI : ouais, un quart d’heure. Bin c’est le quart d’heure qu’on prenait avant pour installer les ateliers.

L’analyse des difficultés récurrentes de la PEFI rend compte de ce qu’est selon elle l’activité d’un enseignant. Etre enseignant passe par la connaissance précise du niveau des élèves, pour formuler et passer correctement ses consignes et ainsi être capable d’anticiper le temps des situations. Or les nombreux épisodes témoignant de conflits intrapsychiques, ainsi que les jugements d’utilité à valence négative formulés par Eve témoignent de l’écart qui existe entre son activité actuelle et l’activité reconnue et en même temps, selon toute vraisemblance, de l’évolution du façonnage de son IP.

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