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Chapitre 3 : Cadre méthodologique

1. Résultats Reconstitution des itinéraires individuels

1.3.1 Cinq points saillants qui participent du façonnage de l’IP de Sof

1.3.1.5 La reconnaissance fluctuante de son travail

Quantitativement, l’analyse des données du cas de Sofi révèle qu’elle a formulé 117 jugements « négatifs » et 42 jugements « positifs ». Au-delà de ces chiffres, qui ne renseignent que de façon très superficielle les analyses effectuées sur l’ensemble de l’année, il nous semble important de montrer précisément comment évolue la reconnaissance du développement professionnel de la stagiaire par elle-même et par autrui. Sans chercher à

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relever l’ensemble des jugements d’utilité et de conformité à valence négative, il nous faut toutefois souligner combien l’apparition de jugements négatifs, témoignant du manque de reconnaissance de son travail par Sofi, est un élément saillant des données d’ACS. Ces jugements témoignent des difficultés récurrentes rencontrées par la PEFI, notamment concernant la gestion de sa classe et les sanctions. Mais les jugements de Sofi témoignent également de son manque d’assurance. Cela est caractéristique du début d’année de la stagiaire. Sofi n’est « pas sûre d[‘elle] » (ACS du 10.11, UA 9), « pas sûre que c’était bon » (ACS du 10.11, UA 18), « pas sûre de ce qu’[elle] fait » et a « un doute, une hésitation » sur la qualité de ses documents (ACS du 10.11, UA 21). Pour tenir la classe, « c’est la cata » (ACS du 10.11, UA 11). La stagiaire se trouve « nulle sur tous les tableaux » (ACS du 10.11, UA 13).

Les jugements portent également sur son travail dans des domaines d’enseignement précis. Par exemple en EPS, où « c’est plus dur qu’en classe, même en maternelle en motricité » (ACS du 22.01, UA 35), la stagiaire est confrontée à de nouvelles difficultés. Dès son stage de maternelle, elle note qu’ « en salle de motricité, c’est dur » ; « c’est dur au niveau du

temps, ça passe tellement vite, et la remise au calme, elle passe souvent à la trappe, et c’est dommage » (ACS du 10.11, UA 12). En stage massé, lorsqu’elle est confrontée à sa séance

d’EPS, elle ne trouve pas ses manières de faire utiles. Cela est particulièrement vrai lorsqu’elle revient sur ses consignes : « c’est long, c’est super long [de passer les consignes] » (ACS du 22.01, UA 33). Elle constate qu’au bout de 30 minutes de séance, « les élèves n’ont

pas fait grand-chose » (ACS du 22.01, UA 35 et UA 36). Le temps de pratique global est

« court » (ACS du 22.01, UA 37). Elle hésite entre passer ses consignes avant de les faire jouer, ou les faire jouer rapidement avant de donner ses consignes. Ne parvenant à mettre en place d’opérations satisfaisantes, elle « est dépitée » (ACS du 22.01, UA 36) et considère qu’elle ne sait « pas faire grande chose en EPS (…) au niveau de la conception de la séance,

l’organisation » (ACS du 22.01, UA 38). L’EPS à l’école « est un cauchemar » pour elle

(ACS du 22.01, UA 35).

Il arrive tout de même que Sofi émette, ponctuellement, des jugements de conformité. Dans ce cas, ils portent souvent sur une activité d’enseignant débutant. Autrement dit, Sofi sait qu’elle débute et se reconnaît en tant qu’enseignante débutante. Elle reconnaît donc son travail et parvient à se percevoir comme étant « conforme » aux enseignants.

ACS du 10.11, UA 11, Jugement : le premier lundi, ça s’était bien passé. Enfin, pour une première prise en charge seule d’une classe,

j’étais satisfaite. J’étais largement consciente qu’il y avait plein de trucs loin d’être parfaits, c’est normal.

ACS du 10.11, UA 14, Jugement : au début, c’est normal de prendre beaucoup de temps (…) comme justement on débute.

Dans ces cas, Sofi accepte son travail, en reconnaît la qualité parce qu’elle est débutante. Elle considère son travail en tenant compte qu’il s’agit de « sa première prise en charge seule

d’une classe ».

Dans ce mouvement où la PEFI a du mal à se reconnaître enseignante et manifeste de nombreux jugements d’inutilité et d’insatisfaction, des avis extérieurs pourraient lui permettre de retrouver confiance en reconnaissant le travail effectué. Pourtant, dans le cas de Sofi, il n’en est rien. En témoigne cette remarque qu’elle évoque lors de l’ACS du 22.01, à propos de ses propres parents, qui lui reprochent de trop travailler.

Extrait de l’ACS du 22.01, UA 14

C’est limite des reproches… mes parents… je suis pas de Strasbourg, et des fois je rentre pas le week-end (…) je leur dis ah, bin il faut que je prépare, je rentrerai pas longtemps pour Noël, et euh… « oh, mais c’est toujours la même chose », bon voilà, et… là, c’est des reproches.

En outre, un enseignant maître formateur vient voir Sofi dans sa classe. La PEFI pourrait en attendre un signe de reconnaissance. Elle sait qu’elle a beaucoup travaillé, qu’elle consacre parfois ses week-ends à son travail, et souhaiterait qu’il reconnaisse ce travail. Or le bilan qu’elle perçoit du visiteur n’est pas celui attendu. Pour le visiteur en effet, « le travail à

fournir, c’est, c’est normal (…) je pense qu’elle [la visiteuse] sait très bien le travail qu’on nous demande de fournir, mais, là, c’est normal. C’est pas énorme, là, c’est normal » (ACS

du 22.01, UA 14).

Les échanges menés avec sa sœur et avec une amie en début d’année renvoient une fois encore à la stagiaire des jugements à valence négative. Au cours d’une discussion, la sœur de Sofi découvre les responsabilités qu’elle doit endosser. Elle est « surprise d’apprendre

qu’[elle était] seule en classe, le lundi, qu’[elle] avai[t] la classe en charge toute seule » (ACS

du 10.11, UA 29). Cette remarque amène Sofi à se sentir considérée comme une étudiante. Elle est « froissée », « vexée » parce qu’elle pensait lui avoir expliqué clairement ce qu’elle faisait et ne perçoit aucun signe de reconnaissance d’elle en tant qu’enseignante auprès de sa sœur.

Une situation analogue se produit lorsque la PEFI est chez une amie. Alors qu’elle évoque avec elle sa formation et ses lundis en classe, son amie lui demande : « et la vraie maîtresse,

elle est où pendant ce temps ? » (ACS du 10.11, UA 31). A nouveau, Sofi est obligée de

rectifier et d’expliquer qu’elle est « aussi la vraie maîtresse ». Cette amie, tout comme sa sœur, découvre son activité et ses responsabilités. La PEFI a l’impression d’être considérée « comme une étudiante ».

Le point commun aux jugements perçus par Sofi est le manque de reconnaissance de son travail. Dans le cas du visiteur, il est normal de travailler beaucoup. Pour ses parents, Sofi en fait trop. Enfin, sa sœur et son amie découvrent qu’elle peut rester seule en responsabilité avec une classe et s’en étonnent.

La PEFI relève toutefois, épisodiquement, une manifestation de reconnaissance. Elle pointe par exemple que lors de la journée de rentrée, une maman d’élève s’adresse à elle comme si elle était la titulaire. Sofi ne perçoit pas de différence, dans le discours de cette maman, entre elle et la titulaire : « elle m’a vraiment raconté, enfin elle m’a dit tout ce qu’elle aurait pu

dire à [la titulaire], et donc euh… oui, elle n’a pas fait de différence entre les deux

[enseignantes] » (ACS du 10.11, UA 9).

Elle relève également un jugement de reconnaissance de la part de l’inspectrice le jour de l’évaluation (ACS du 12.03). Sofi est « paniquée » dès son arrivée à l’école le matin. Elle sait que la visite de l’inspectrice est déterminante pour sa validation. Or lors de l’entretien, Sofi perçoit que sa visite se déroule comme toute visite d’évaluation d’un enseignant et apprécie ce déroulement.

Extrait de l’ACS du 12.03, UA 21

Par rapport à l’entretien, où là j’ai vraiment eu l’impression d’être traitée comme, comme un pair, une paire, et voilà, elle a analysé ce que j’ai fait, critiqué, et puis donné des pistes sur ce que j’aurais pu faire. Je trouvais… enfin… je pense que ça se serait passé comme ça avec n’importe quel enseignant, enfin avec un enseignant titulaire, et j’ai, j’ai bien aimé euh, comment ça s’est passé.

Ces différents échanges menés avec autrui témoignent de la difficulté pour Sofi à façonner son IP. Outre la reconnaissance par elle-même de son travail, souvent jugé négativement au demeurant, des personnes extérieures influent sur le façonnage de son IP.

Les jugements de conformité perçus par la stagiaire de la part des élèves, de l’équipe et de la visiteuse, l’amènent toutefois à évoquer le plaisir ressenti à enseigner.

Extrait de l’ACS du 28.05, UA 17

Oui, ça se passait bien, il y avait une bonne ambiance, bin d’ailleurs j’y suis allée aujourd’hui, j’ai croisé quelques élèves, donc ça te fait plaisir (…). Les enfants qui disaient ah, maîtresse c’était trop bien, on a appris plein de choses, ça fait plaisir, c’est vrai. Ca fait plaisir.

Sofi se « sentai[t] vraiment bien intégrée dans l’équipe et considérée comme enseignante à

part entière » (ACS du 28.05, UA 1).

La reconnaissance fluctuante de son activité par la stagiaire elle-même, tantôt satisfaite de son travail, tantôt insatisfaite, ainsi que la perception de la reconnaissance (et par moments du manque de reconnaissance) de son travail par autrui, notamment par des visiteurs ou des membres qui n’appartiennent pas au collectif de travail, expliquent les difficultés de la stagiaire à façonner son IP. En fin d’année, la reconnaissance par le collectif représente une étape décisive du façonnage de son IP.

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