• Aucun résultat trouvé

Chapitre 3 : Cadre méthodologique

1. Résultats Reconstitution des itinéraires individuels

1.4.1 Six points saillants qui participent au façonnage de l’IP de Sam

1.4.1.2 Les premières difficultés face aux élèves

Avant la première journée d’enseignement en stage filé, Sam n’a observé qu’une demi- journée la classe dans laquelle elle intervient. Elle n’a pu voir que huit élèves sur les 18 qui composent la classe, en raison d’un système de rentrée échelonné instauré dans l’école. Lors de son observation, « tout allait tout seul » avec la titulaire, qui avait déjà eu les élèves l’année passée. La PEFI considère par conséquent sa première journée en responsabilité comme sa « journée test », lors de laquelle elle doit apprendre à connaître une partie des élèves de la classe qu’elle n’a pas encore vus. Mais en tentant de connaître le niveau des élèves, elle se rend compte de l’écart qui existe entre le travail qu’elle leur propose et les possibilités des élèves. Ce travail n’ « était pas de leur niveau », les élèves « dépassaient

largement le niveau qu’[elle] leur avai[t] proposé » (ACS du 20.10, UA 7).

La maîtrise du double niveau pose ainsi problème à la stagiaire, qui n’ « a pas très bien géré » et qui a l’ « impression qu’ils [n’] avaient rien appris, finalement, de neuf qu’ils avaient déjà

vu auparavant » (ACS du 20.10, UA 7, jugement d’utilité à valence négative).

Les difficultés d’ajustement du niveau des situations aux compétences des élèves perdurent et se renouvellent lors d’une situation de visite formative et évaluative dans sa classe. Ce jour-là (16 novembre 2009), un formateur de l’IUFM observe la séance. La stagiaire différencie le travail. Elle reste avec les élèves de CP (6-7 ans) en arts visuels, alors que les élèves de grande section (5-6 ans) sont laissés en autonomie avec l’ATSEM. Au cours de la séquence

de travail, Sam est gênée par le niveau sonore qui augmente. Elle demande par conséquent aux élèves de grande section de faire moins de bruit. Un élève lui répond « mais maîtresse on

n’y arrive pas ». La stagiaire reste alors pendant quinze secondes, debout, les bras ballants,

sans mouvement, le regard dans le vide, se mordant la lèvre. Extrait de l’ACS du 27.11, UA 29

225 CH : qu’est-ce qu’il se passe à ce moment là [quand l’élève te dit « mais maîtresse on n’y arrive pas »] ?

226 PEFI : en fait je me dis mince. Qu’est-ce que je vais faire (rires). Je me dis ah, il fallait que ça arrive le jour de la visite…

227 CH : t’as tout de suite la visite qui te…

228 PEFI : oui, bin, en fait, je me dis mince, qu’est ce que je vais faire, qu’est-ce que je vais… faire pour qu’ils y arrivent, et après je me dis… évidemment le jour de la visite, fallait que ça tombe. Et euh… après j’ai… et, là, on le voit bien, je suis en train de réfléchir à ce que je vais faire pour… pour qu’ils, qu’ils y arrivent et qu’ils se mettent au travail. Parce que finalement ils faisaient du bruit parce qu’ils y arrivaient pas. Et euh, c’est, au début, je m’en rendais pas compte, vu que je faisais pas attention à eux, et c’est vrai que, à ce moment-là, à la fin de la journée, j’ai dit à mon ATSEM qu’elle aurait pu venir me le dire tout de suite. Parce qu’alors j’aurais arrêté et puis j’aurais fait autre chose avec eux. Mais c’est vrai que là, je vais pas regarder, je pensais qu’ils allaient y arriver parce qu’on avait déjà travaillé ça, je m’étais dit bon, c’est un peu difficile avec tous les morceaux et puis la qualité des images, mais après je me suis dit peut-être que, ça va quand même marcher, et finalement bon bin ça n’a pas marché, et là, quand il me dit « on n’y arrive pas », sur le coup je me… je… enfin je j’ai vraiment l’impression que je me décompose. Que je me dis oh mince, ça va, ça va plus, là. (…) Bin sur le coup je me dis, bon je continue, je fais comme si de rien n’était (rires), c’est c’est un peu bête mais bon… après je me dis ah, bin non, tu te fais visiter, là, faudrait peut-être réagir, et c’est là que je leur dis ah bon je vais venir vous aider.

L’extrait d’ACS rend compte d’un décalage entre ce qu’il s’est passé (les élèves ne parviennent pas à réaliser la tâche) et les attentes initiales. Sam est confrontée au problème de l’ajustement du niveau de difficulté des situations à ses élèves. De plus, elle doit réagir

immédiatement et sous le regard du formateur, pour lui donner à voir ce qu’il attend d’elle en situation de visite. Cette remarque d’un élève ne l’aurait sans doute pas perturbée en temps normal. Mais dans le contexte d’une visite évaluative, elle provoque une hésitation. Sam ne peut refuser l’aide aux élèves, notamment parce qu’elle est elle-même en situation d’évaluation, mais elle ne peut l’apporter parce qu’elle est en déficit d’opération. La stagiaire a besoin de temps pour répondre aux élèves et adapter son enseignement à leur demande, pourtant, « c’est le jour de la visite, donc il faut qu[‘elle] réagisse plus vite » (ACS du 28.05, UA 1). Alors qu’il est du rôle ordinaire du professeur d’aider les élèves en difficulté, surtout si ceux-ci demandent de l’aide, elle ne parvient pas à trouver in situ une réponse efficace et « ne voyai[t] pas du tout ce qu[‘elle] pouvai[t] faire pour les aider » (ACS du 28.05, UA 1). Elle décide alors de poursuivre sa séance : « sur le coup je me dis, bon je continue, je fais

comme si de rien n’était ». Mais elle réalise que la situation lui échappe et se « décompose ».

Le mobile qui fonde son action se déplace : c’est en effet pour montrer au visiteur qu’elle prend en compte cette remarque d’élève, qu’elle garde un instant le silence puis dit aux élèves qu’elle va venir les aider : « Après je me dis ah, bin non, tu te fais visiter, là [mobile], faudrait

peut-être réagir, et c’est là que je leur dis ah bon je vais venir vous aider [opération] ». La

présence du visiteur, qui nécessite de réussir sa leçon, oblige la PEFI à réagir pour faire face à la remarque imprévue de l’élève. Elle doit alors inventer, improviser, trouver de nouvelles façons de faire. Il s’agit là d’une expérience signifiante pour elle : s’il est nécessaire d’agir et d’aller vers les élèves, il faut en plus savoir quoi faire, c’est-à-dire avoir des opérations efficientes.

Au cours de ses expériences, Sam constate que les élèves n’ « écoutent pas » (ACS du 20.10, UA 9), qu’ils « aim[ent] beaucoup parler entre eux » (ACS du 28.05, UA 17), qu’« ils sont

déchaînés » (ACS du 27.11, UA 2), que sa classe devient « exécrable » et que « la captation des élèves c’est devenu vraiment difficile » (ACS du 30.03, UA 1). Elle relève encore qu’ils

ont « vraiment besoin de discuter entre eux » (ACS du 30.03, UA 8), qu’ils « sont vraiment

dans le bavardage et ils se supportent pas l’un l’autre ». Elle juge alors la classe « invivable »

en raison « des conflits permanents » (ACS du 30.03, UA 1) et d’un petit groupe de cinq élèves « terribles [qui] pourrit l’ambiance de la classe » (ACS du 30.03, UA 6). Ces conduites d’élèves non anticipées vont crescendo au fur et à mesure de l’avancement de l’année. La PEFI « perd quand même à chaque fois une heure rien qu’en demandant [aux élèves] de se taire ». L’attitude des élèves, qui « quand tu fais la lecture te font la culbute sur

le tapis » ou « qui font le bordel » lui donne le sentiment qu’elle « les perd tous » (ACS du

deux lundis il faut qu’[elle] appelle le SAMU » (ACS du 30.03, UA 9). En stage massé, elle

doit enseigner à des élèves sur lesquels elle « n’a pas d’autorité » (ACS du 28.05, UA 17). Les tentatives de Sam pour obtenir le silence et retenir l’attention des élèves se révèlent infructueuses. Elle cherche alors à innover, en ramenant par exemple de nouveaux instruments de musique tous les lundis, de nouveaux livres que les élèves ne connaissent pas, en mettant en place des jeux, des concours, ou en utilisant des marionnettes à doigts. Certaines opérations qu’elle met en place sont efficaces, mais la PEFI constate que « ça

marche un lundi, et ensuite c’est fini », « le lundi suivant ça marche plus » (ACS du 30.03,

UA 3). Ses élèves ont besoin de nouveauté pour être attentifs. Elle formule trois jugements d’utilité lorsqu’elle précise les opérations qu’elle met en œuvre lors de son stage filé.

ACS du 30.03, UA 4, Jugement : [les marionnettes à doigts], ça marche relativement bien (…). [Le jeu des devinettes où l’on rajoute à chaque fois des choses], ça marche bien aussi.

ACS du 30.03, UA 5, Jugement : j’ai trouvé ce système là [les marionnettes et les instruments de musique] parce qu’autre chose on a essayé avec la titulaire ça marche pas donc… pour l’instant c’est le seul truc qui marche… ACS du 30.03, UA 14, Jugement : ce qui a bien marché par exemple un de mes élèves qui était vraiment exécrable au début de l’année, c’est de lui promettre quelque chose. Lui dire voilà, si par exemple toute la période, ton carnet de conduite est bon, tu auras le droit à ça (…) effectivement, depuis les vacances, c’est un, c’est un ange. Alors que c’était le pire de la classe.

Elle intervient aussi directement auprès des élèves, les « recadre » et les sanctionne. Ces moyens présentent toutefois une efficacité limitée tant les élèves sont difficiles. La PEFI formule des jugements d’utilité à valence négative à propos de ses manières de faire.

ACS du 30.03, UA 3, Jugement : dans ma classe de stage filé, [le système de gage pour avoir le calme] ça marche pas du tout parce que ça part tout de suite en cacahuète.

ACS du 30.03, UA 6, Jugement : on avait un système de feu rouge qui ne fonctionne pas du tout, on a mis en place un carnet de bonne conduite qui marche pour les élèves qui prennent conscience que la classe c’est vraiment un endroit où il faut travailler, mais pour les plus terribles, ça a aucun effet. ACS du 30.03, UA 6, Jugement : ce genre de chose qui les responsabilise comme les métiers, ça marche pas du tout non plus.

ACS du 30.03, UA 12, Jugement : [enlever aux élèves des choses qu’ils aimaient] c’était pas forcément la chose à faire parce que je me suis rendue compte que finalement c’était pire après.

Concernant sa préoccupation de gestion de la classe, Sam perçoit que son statut d’enseignante « du lundi » lui enlève de la crédibilité. Elle pense que ses élèves considèrent que « de toutes

façons elle est là que le lundi elle a rien à dire » (ACS du 30.03, UA 9). Elle se rend

notamment compte des difficultés à suivre une sanction, en raison de son absence jusqu’au lundi suivant : « on est que là le lundi, et donc pour eux c’est de toutes façons même si elle

m’engueule demain elle sera plus là » (ACS du 30.03, UA 9).

Les multiples opérations construites par la PEFI témoignent de sa volonté de maîtriser le groupe classe. Toutes ne lui donnent pas satisfaction. Pourtant, les motifs qu’elle poursuit et la volonté de trouver de nouvelles opérations, d’innover, lui permettent de reconnaître son travail comme celui d’une enseignante et de se sentir enseignante. Mais Sam pense que cette reconnaissance n’est pas forcément partagée par les élèves, ce qui lui enlève de la crédibilité et ne lui permet pas d’avoir beaucoup de poids dans les sanctions.

Outline

Documents relatifs