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Chapitre 3 : Cadre méthodologique

1. Résultats Reconstitution des itinéraires individuels

1.3.2 Repères temporels du façonnage identitaire de Sof

Le graphique de Sofi (Figure 11) présente les courbes « enseignant » et « étudiant » établies à partir de ses curseurs d’auto-positionnement. Sur la partie haute du graphique sont indiqués les événements importants imposés lors de son année de formation : les visites des tuteurs et de l’inspecteur, et les moments d’évaluation à l’université. Nous y avons également fait figurer les temps d’auto-confrontation. Les éléments placés en dessous du graphe correspondent aux motifs et buts de l’activité de Sofi, retenus par elle-même et par le chercheur comme étant signifiants dans le façonnage de son IP. Précisément, il s’agit du « sens de l’activité » de l’ensemble des éléments repérés au cours des entretiens d’auto- confrontation et analysés dans la première section 1.3.1 ci-dessus.

Le dessin des courbes, caractérisé par une grande irrégularité, appuie les résultats concernant le façonnage de l’IP de Sofi, et notamment le caractère fluctuant de la reconnaissance qu’elle a de son travail. La forme du graphe laisse apparaître de nombreux croisements des courbes « enseignant » et « étudiant » et de courtes périodes de stabilité lors desquelles le curseur enseignant est plus haut que le curseur étudiant. Lors de son stage filé, tout comme lors de ses stages massés (au mois de janvier et au mois de mai), Sofi ne parvient à se percevoir comme une enseignante plusieurs semaines consécutives. Les inversions de courbes s’expliquent tant par les difficultés qu’elle éprouve à endosser la responsabilité de la classe (noter les absents, appeler les parents en retard pour chercher leur enfant…), que par ses relations avec les parents, la directrice ou les élèves, à travers lesquels la PEFI ne perçoit pas la reconnaissance de son travail.

Les motifs recensés dans la partie basse du graphe confirment l’alternance entre l’enseignante en devenir et l’enseignante dans sa classe, caractérisant une grande instabilité du sens de l’activité de Sofi au cours de l’année. Si la PEFI évoque de façon exceptionnelle des motifs renvoyant au mobile « être étudiant », les mobiles « être enseignant » et « devenir enseignant » se retrouvent l’un et l’autre tout au long de l’année. Au cours du mois de septembre, cet entremêlement s’explique notamment par le manque de confiance qui caractérise Sofi ; puis, en octobre il résulte des nombreuses hésitations sur les manières d’établir son autorité ou d’optimiser le temps de travail des élèves, des opérations construites qui ne lui donnent pas toujours satisfaction, et d’échanges avec des collègues, la directrice de l’école, ses propres parents, ses amis (…) qui ne lui renvoient qu’occasionnellement la reconnaissance qu’elle attend.

L’analyse chronologique du façonnage de l’IP de Sofi rend compte de ce développement très progressif marqué de façon récurrente par des événements qui renvoient à une IP en devenir. Au cours du premier trimestre de l’année, Sofi évoque régulièrement son sentiment d’être « perdue ».

ACS du 10.11, UA 1, Jugement : je sais pas ce qui m’attend de plus. Donc c’est un peu… je suis un peu perdue, quand même, je sais pas trop ce qu’on va faire et comment ça va se passer. Je suis enseignante stagiaire.

ACS du 10.11, UA 5, Jugement : on sait pas, on est perdu, on est franchement perdu. Donc on se sent pas du tout enseignant. Enfin pas du tout c’est peut-être un petit peu exagéré.

Malgré la réussite du CERPE, elle ne se perçoit pas encore comme une enseignante à part entière mais comme une « enseignante stagiaire ». Le contexte concret de l’école, la pré- rentrée en particulier, le lieu, la salle des professeurs, sont des domaines qui lui sont étrangers en ce sens qu’elle ne les a jamais appréhendés en tant qu’enseignante. C’est pourquoi elle « n’ose pas intervenir » (ACS du 10.11, UA 1). Le motif qu’elle poursuit (« regarder

comment ça se passe lors de la journée de prérentrée ») ainsi que les opérations mises en

œuvre pendant la réunion spécifique des enseignants de grande section de maternelle (« observe[r] » ceux qu’elle ne considère pas encore comme ses collègues, « les écoute[r]

discuter », ACS du 10.11, UA 1) renvoient ainsi typiquement à une préoccupation liée non à

l’exercice de son métier mais à l’apprentissage de son métier. Elle s’informe sur les apprentissages et les contenus à proposer aux élèves de cinq et six ans. Elle « se renseigne » (ACS du 10.11, UA 30), « demande des techniques » (ACS du 10.11, UA 7) aux collègues de grande section et visite leurs classes. Sans réponse lorsqu’il s’agit de faire face à un élève qui se blesse ou à un parent en retard, elle réalise qu’elle n’a pas anticipé certains cas et qu’ « il

faudrait peut-être qu’[elle se] renseigne » (ACS du 10.11, UA 30). Mais s’adresser aux

collègues met davantage encore en évidence son ignorance des aspects importants de son métier. Dans ces moments, en début d’année, Sofi se perçoit « encore plus étudiante

qu’enseignante ».

Le sentiment de Sofi d’être « perdue » évolue au fil des mois et peut être résumé progressivement par la formule « je me sens démunie » qui se traduit par un manque d’idées, notamment « pour le cycle 1 (…) des chants sympas pour les mobiliser dans un truc… ». « [S]e constituer un répertoire sympa de comptines » devient alors l’une de ses priorités (ACS du 22.01, UA 16). Quand elle change de contexte, ce manque d’idées ressurgit. Par exemple, à l’occasion d’un stage massé dans une autre école et à un autre niveau d’âge (CP, 6-7 ans), Sofi constate que les élèves ne « sont pas beaucoup plus grands qu’en grande section », mais elle considère que « c’était traître au début » et qu’elle a eu du mal à identifier le niveau des élèves, à concevoir des tâches adaptées (ACS du 22.01, UA 16).

Ce glissement du sentiment d’être « perdue », sans aucun repère, à celui d’être « démunie » marque le passage à une situation où la PEFI se développe mais évoque de façon répétée son déficit d’opérations. C’est notamment le cas en ce qui concerne les questions de discipline en classe et pour laquelle, encore au mois de janvier, elle éprouve des difficultés. Sofi formule de multiples jugements d’utilité à valence négative (ACS du 22.01) : elle n’a « peut-être pas

assez réfléchi » aux sanctions et s’est sentie « assez démunie » (UA 9), elle ne « sait pas quoi faire, (…) comment réagir quand il y a du bruit », constate que si la situation avait continué

« ça serait peut-être devenu de la survie » (UA 10), et, ne sachant toujours comment faire, « essaie » et « improvise » (UA 27).

Dans le domaine du contrôle et de la maîtrise de la classe, le déficit d’opérations, repéré à de multiples reprises, entraîne une situation « angoissante ». Par exemple, alors qu’elle s’est assise à son bureau pour manifester son mécontentement, pour regarder les élèves et pour attendre le silence, elle ne sait pas comment reprendre les apprentissages et « prie pour que [les élèves] se ré-agitent pas » (ACS du 22.01, UA 27). Il est difficile, dans ces conditions marquées par un manque d’opérations, de se sentir pleinement enseignante.

Cette période au cours de laquelle Sofi se sent démunie perdure. Lors de l’ACS du 12.03, elle relate ainsi une situation où elle doit faire face aux élèves qui « se sont un petit peu lâchés » (ACS du 12.03, UA 3) : « il y avait une telle ambiance, ils se fauchaient les goûters, au

niveau des affaires aussi, c’était terrible, ils se levaient tout le temps… » (ACS du 12.03, UA

8). Selon la PEFI, les élèves connaissent les règles. Mais quand ils ne les respectent pas, elle ne « savai[t] pas vraiment quoi faire pour les punir » et « échoue », « faillit » dans sa tentative de gestion des conflits (UA 3 et UA 8). L’entretien d’ACS lui permet de constater qu’elle ne formule que « des explications verbales » sans « sanction », ne sachant pas ce qu’elle pouvait leur demander. Mais elle ne sait « comment les appliquer, comment les mettre

en œuvre, quoi faire dans cette classe » (ACS du 12.03, UA 8). Son sentiment d’être démunie

est exacerbé en maternelle « parce qu’ils sont tellement petits, on peut pas faire grand-

chose » (ACS du 12.03, UA 14).

Seule une opération liée aux sanctions et mise en place lui donne partiellement satisfaction. Il s’agit des punitions collectives. Lorsqu’elle teste cette sanction, Sofi obtient « le calme le plus

impressionnant de toutes ces trois semaines [de stage] c’était assez fou » (ACS du 12.03, UA

4). En même temps, les limites du procédé apparaissent à la stagiaire et celle-ci émet un jugement négatif, estimant qu’il n’ « est pas satisfaisant » de sanctionner collectivement, parce que certains élèves « ne le méritaient pas » et n’auraient donc pas du être concernés par cette sanction collective. Ainsi, contrairement au début d’année, où Sofi était « perdue » puis « démunie », elle est désormais capable de trouver des opérations permettant d’atteindre les buts qu’elle se fixe. Ces nouvelles opérations mises en œuvre, concernant aussi la participation des élèves (ACS du 12.03, UA 12 et 22) et la gestion du temps (UA 28), vont à ce moment dans le sens d’un développement de son activité. Mais cette activité n’est que partiellement reconnue par la stagiaire, et contribue ainsi peu au façonnage de son IP.

Malgré ses réserves et ses réticences, Sofi tente à nouveau ce mode de sanction à l’occasion de son second stage massé, au mois de mai, pour améliorer la gestion de sa classe, non sans conséquence sur son activité et sur son IP cette fois-ci.

Extrait de l’ACS du 28.05, UA 12

141 PEFI : des fois la classe, je sentais que tout le monde partait, donc euh… j’en suis pas fière, j’ai fait des punitions collectives, j’avoue (…) De la conjugaison.

144 CH : ça te travaille, ça, le fait d’avoir fait des punitions collectives ? 145 PEFI : [inspire et souffle]

146 CH : tu sembles regretter un peu tu vois ?

147 PEFI : … oui… oui, parce que suite à ça je me suis fait incendier par une maman. (…).

151 PEFI : (…) c’était seulement vraiment quand la classe dans son ensemble était bruyante. C’était quand je voyais que enfin même en interpellant individuellement ça marchait pas. Et je prévenais quand même qu’ils devaient se calmer, sinon il y aurait une punition (…).

153 PEFI : donc une fois en plus il [un élève] a oublié de faire signer son cahier, donc il a eu la punition en cours en classe, et dix fois d’écrire je n’oublie pas de signer mon cahier. (…) Et donc sur la punition [la maman de l’élève] m’écrit, mon fils n’a jamais eu de punition de toute sa scolarité, euh, c’est la troisième en deux semaines, voilà, je voudrais savoir s’il y a un problème avec mon fils, enfin si, si il y a un problème de comportement. Donc je lui ai expliqué pourquoi il avait eu la punition des dix fois pour le cahier.

154 CH : par écrit ?

155 PEFI : oui par écrit, je lui ai expliqué que les deux autres c’étaient des punitions collectives, et là, mon erreur c’est que j’ai écrit (…) mais il n’y a pas de problème de comportement de votre fils, enfin bref, ne vous inquiétez pas. (…) Et donc le lendemain j’ai eu droit à un sacré mot… donc non, non et non, mon fils ne fera pas cette punition, si vous voulez écoeurer les enfants de l’école, eh bien c’est réussi, je m’efforce de faire aimer l’école à mon fils, je ne suis pas contre les punitions justifiées, mais quand elles sont injustifiées, non… enfin bref, voilà. (…).

160 CH : et donc là, ça t’a questionné sur le, la place des punitions collectives, c’est ça ?

161 PEFI : oui, bin oui, d’autant que j’en ai parlé avec des collègues et le directeur, et qu’ils m’ont dit que c’était jamais une bonne solution. Je suis d’accord. Je suis d’accord. (…).

169 PEFI : je leur ai pas parlé le jour même, parce que je savais pas trop, j’ai ramené le cahier de liaison chez moi, j’hésitais à répondre [à la maman], enfin faire un mot, après je me suis dit il vaudrait peut-être mieux que je lui parle et puis bin je me suis dit je vais quand même demander aux collègues, j’ai d’abord demandé à une collègue d’une autre classe avec qui je m’entendais bien, elle m’a dit bin on va, va en parler avec le directeur, et puis bon il m’a dit de ne pas rentrer dans les polémiques comme ça, si on rentre là-dedans après il y aura des mots tout le temps, donc lui a mis vu, et puis il m’a dit tu mets juste vu et voilà.

170 CH : et donc là tu découvres le cahier de l’élève avec le mot de la maman, c’est ça ?

171 PEFI : Oui… oui (rires) Grrrr… ouh ?! 172 CH : ton curseur enseignant, là, il est où ? 173 PEFI : au fond des baskets, hein !

A travers cet épisode, Sofi se sent remise en cause par une maman d’élève dont l’enfant n’a jamais eu de punition mais qui, avec la stagiaire, est sanctionné pour la troisième fois en une semaine. La mère d’élève lui signifie que si elle veut « écoeurer les enfants de l’école et bien

c’est réussi ». La PEFI expérimente la nécessité de justifier les sanctions, tant auprès des

élèves que des parents, afin que celles-ci soient acceptées de tous, condition élémentaire à son efficacité. Sofi interprète cet épisode comme étant l’expression d’un jugement de non- conformité à l’égard de ses manières de faire. Cette interprétation se trouve renforcée par la position de ses collègues et du directeur de l’école qui considèrent que les sanctions collectives ne sont « jamais une bonne solution ». Sur le coup cet événement fait « un petit

choc » (ACS du 28.05, UA 13) à Sofi, ce qui explique son auto-positionnement.

Le manque d’opérations de Sofi l’amène ainsi à se sentir, au fur et à mesure de l’avancement de l’année, tour à tour « perdue » puis « démunie » et « au fond des baskets ». La reconnaissance de son activité passerait par la mise en œuvre d’opérations efficientes. Or dans

le cas des opérations liées à la maîtrise de la classe, ni le directeur, ni les collègues, ni les parents ne jugent positivement les choix de la PEFI.

Au-delà de ce manque de reconnaissance, ce n’est que lors de la dernière ACS (28.05) que Sofi évoque, par moments, le plaisir ressenti à enseigner (UA 17). Au point de penser que « si

la maman de machin [faisant référence à la maman qui lui avait reproché de donner des

sanctions collectives] elle avait été là pendant la séance de géométrie euh, enfin oui dans

l’espace, elle aurait vu comme je dégoûte les gamins de l’école ! » (ACS du 28.05, UA 17).

Un glissement des motifs est perceptible, Sofi ne cherchant plus seulement à apprendre son métier, mais étant également préoccupée par ce qui se passe au sein de sa classe. Elle éprouve toutefois toujours des difficultés à s’affranchir du temps, cherchant à respecter le programme, l’emploi du temps (ACS du 28.05, UA 21) ce qui caractérise une IP encore en train d’être façonnée.

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