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Chapitre 2. Cadre théorique

2. La contribution de l’approche clinique de l’activité à la définition de l’IP 1 Une identité qui se définit au carrefour d’un genre et d’un style

2.2 Du genre au style

Yvon (2001) précise que le genre n’est pas un système d’obligations et de ressources fermé et stabilisé, ni un ensemble de normes ou de modèles ; mais qu’il est vivant et se nourrit continuellement des retouches que lui font subir ses membres à la lumière des situations concrètes. Le genre évolue sous la contrainte et l’action des individus (Ouvrier – Bonnaz, Remermier & Werthe, 2001). On ajoutera toutefois que si le genre n’est jamais définitivement achevé, les manières de faire et de dire qui le constituent sont stabilisées au moins pour un temps au sein d’un milieu professionnel. Un groupe de professionnels reconnaît rapidement l’un des siens.

La plasticité du genre dépend des styles propres à chacun des acteurs, le style étant un re- travail du genre par un acteur qui se libère du cours des activités attendues, sans les nier mais en se développant.

« Le genre social, en organisant la rencontre du sujet avec ses limites, sollicite le style personnel. Du coup, le style individuel devient la transformation des genres par le sujet, en moyens d’agir dans ses activités réelles » (Clot, 1999, p. 43).

Le style correspond au développement et à la libération par rapport à l’activité attendue, à la distance que le sujet interpose entre lui et le genre professionnel auquel il participe, ou encore à une sorte d’affranchissement à l’égard de certaines contraintes génériques (Clot, 1999 ; 2001a). Cette distance est celle que l’action interpose entre le sujet et ses propres instruments. C’est par le développement de sa propre expérience au genre que le sujet peut prendre ses distances par rapport à lui-même. Elle se lit dans toutes les contributions et créations professionnelles par lesquelles des sujets se libèrent des contraintes du métier pour les transformer en ressources personnelles et collectives. Cet effort d’émancipation du sujet est guidé par le souci d’efficacité (Méard & Zimmermann, 2012). Le style libère le professionnel du genre, non pas en niant ce dernier, non pas contre lui, mais grâce à lui, en usant de ses

ressources, de ses variantes, autrement dit, par la voie de son développement, en le poussant à se renouveler (Clot, 1999). Un développement est alors possible.

Le concept de style est non seulement compatible mais aussi en filiation avec le principe d’intériorisation des signes de Vygotski. En effet, l’étape finale du développement, à savoir l’autonomie, décrit un processus identique à celui présenté par Clot : se développer, s’approprier une culture ne signifie pas s’y soumettre mais au contraire s’en affranchir. Le signe, en étant greffé, en devenant celui du sujet, devient autre chose que ce qu’il était lorsqu’il a été adressé. Cela suppose que l’acteur fasse de l’histoire collective un « répondant

de [son] activité personnelle », de sorte qu’elle « se poursuit ou s’arrête » à travers l’activité

du sujet. Cette appropriation singulière du genre se réalise dans le développement d’un style d’activité. « Pouvoir se reconnaître dans ce qu’on fait, souligne Clot, c’est précisément faire

quelque chosede son activité afin de devenir unique en son genre en le renouvelant » (Clot,

2006, p. 167).

Parce que le genre relie entre eux ceux qui participent à une situation - comme des co-acteurs qui connaissent, comprennent et évaluent cette situation de la même façon (Clot, 1999) -, la reconnaissance - comme étant « comme l’autre » - participe du façonnage de l’IP. Le genre est aussi d’abord l’objet d’une assimilation (reformulation du genre par appropriation) par le sujet, puis mis au service de son action comme moyen de la réaliser (deux processus simultanés et non chronologiques) (Clot, 1999). Clot précise d’ailleurs que la non-maîtrise du genre et de ses variantes interdit l’élaboration du style (2008c). Celui-ci implique en effet une « fine appropriation » du genre. Or le style est justement ce qui différencie des autres, ou l’élément clé de l’IP.

Devenir unique tout en étant identique aux autres, voilà ainsi posée la problématique des enseignants débutants sur l’activité desquels porte notre recherche. Tout se passe comme si chaque acteur devait adhérer au genre sous peine de ne pas être reconnu et de s’exclure ainsi du collectif. Or dans l’enseignement, les enseignants débutants se retrouvent fréquemment dans des situations de découverte du genre. Paradoxalement, il leur arrive même de découvrir le genre à travers l’observation de professionnels n’appartenant pas au collectif enseignant (par exemple le maître-nageur, l’agent territorial spécialisé des écoles maternelles (ATSEM)…). Ces situations peuvent temporairement aller à l’encontre de leur développement, lorsque les enseignants débutants font tout pour suivre les recommandations du collectif. La complexité pour eux est pourtant de concilier des discours parfois contradictoires (par exemple lorsque l’avis de l’ATSEM diffère de celui des formateurs de l’IUFM, ou lorsque le maître-nageur a l’habitude de prendre en charge la première séance, ou

encore quand les collègues conseillent de marquer le coup en sanctionnant le premier jour alors que la préoccupation du débutant est de passer pour un enseignant « bienveillant » voire « sympathique »). On peut parler de développement lorsque les sujets parviennent à résoudre les conflits auxquels ils sont confrontés, souvent en opérant des compromis (Saujat, 2004a). Les compromis sont une création stylistique. Mais cette activité doit trouver validation auprès de l’enseignant débutant et auprès d’autrui pour être reconnue et participer au façonnage de l’IP. Ainsi, les échanges avec les collègues, avec le collectif, mais aussi avec des personnes n’appartenant pas au collectif, semblent indispensables pour apprendre le métier mais aussi pour être reconnu.

Cette approche n’est pas incompatible avec les données issues d’une approche sociologique. Par exemple, les concepts de genre et de style ne sont pas sans rappeler les travaux de Tap (1988) sur l’identification (reconnaissance de la similitude avec les autres) et l’identisation (reconnaissance de son unicité). En définissant l’identité comme « un résultat à la fois stable et provisoire (…) des processus de socialisation », Dubar (1996) définit également l’IP comme étant un processus et non un état. Cette dimension historique alimente notre approche du façonnage de l’IP. En effet, dans le cadre d’un modèle développementaliste, l’identité peut être considérée comme un développement historique qui s’accroît à travers la participation d’un sujet à une activité. Aussi, malgré une compatibilité entre ces approches, l’objet de notre recherche n’est pas de voir le point de vue social de l’IP mais de comprendre le développement de l’activité du sujet en situation.

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