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Chapitre 3 : Cadre méthodologique

1. Résultats Reconstitution des itinéraires individuels

1.1.1 Cinq points saillants qui participent au façonnage de l’IP d’Eve

1.1.1.4 La nécessité de maîtriser le groupe classe

En classe, Eve est soumise à deux types de contraintes difficilement compatibles. Elle doit contrôler et occuper l’ensemble des élèves, mais aussi être responsable de chaque élève individuellement. Au cours d’un mois de décembre chargé, Eve évoque sa « survie » et montre combien elle est « épuisée » lorsqu’elle termine sa journée.

Extrait de l’ACS du 16.12, UA 14

C’est le mois de décembre, y’a plein de choses, c’est bientôt Noël, donc les gamins sont un peu plus… un peu plus énergiques, je l’ai vu hier, puisque j’étais dans l’école, hier, y’avait la fête de Noël (…). Mais ouais, ils étaient… hier, c’était de la survie, ouais. Pour eux comme pour moi (…). Je suis en train de réfléchir si je suis toujours aussi épuisée le soir… ouais, quand même… quand même.

Eve doit faire face à des élèves plus difficiles, individuellement : « je crois qu’il y avait deux

ou trois semaines où il était assez difficile, j’ai failli l’étrangler, d’ailleurs » (ACS du 16.12,

UA 5). Le fonctionnement de son activité témoigne des tentatives de réponses qu’elle met en œuvre. Par exemples :

ACS du 16.12, UA 4, Raisonnement : [pour] gérer des enfants individuellement ou en groupe, [faire en sorte de] mettre en place des stratégies, [en] testant la responsabilité de l’élève, [en] lui demandant d’ouvrir et de fermer les portes quand les enfants sortaient et de vérifier que le rang soit bien en place.

ACS du 16.12, UA 6, Raisonnement : [pour] calmer un élève, [faire en sorte de] l’asseoir sur une petite chaise contre le mur [en] étant ferme et [en] ne lâchant pas le morceau.

ACS du 16.12, UA 7, Raisonnement : [pour] retrouver le calme, [faire en sorte d’] avoir une petite comptine.

ACS du 03.03, UA 8, Raisonnement : [pour] se faire comprendre et pour que les élèves arrêtent d’embêter les autres, [faire en sorte de] s’adresser à des enfants de trois ans [en] essayant d’être sèche et ferme quand il faut l’être, [en] changeant le ton, [en] changeant les paroles en fonction de l’attitude des élèves et [en] employant un ton et un regard un peu plus dissuasifs plutôt que d’élever la voix.

Eve essaie de mettre en place des « stratégies », des « ruses », des « astuces » ou une « organisation » pour « gérer le groupe ou l’enfant individuel » (ACS du 16.12, UA 4). Mais elle exprime un jugement partagé sur l’utilité des réponses qu’elle met en place. Elle se rend compte que certaines opérations n’ont pas l’effet escompté. C’est par exemple le cas d’une chanson accompagnant le déplacement des élèves en maternelle, ou de plusieurs opérations qu’elle met en place pour reprendre les élèves.

Extrait de l’ACS du 16.12, UA 9

Se ranger aussi devant la porte avant de sortir, donc là, j’avais essayé de chanter une chanson, mais bon, c’était une chanson sur un papillon, donc ils faisaient tous les papillons, donc ça marchait pas.

Extrait de l’ACS du 16.12, UA 4

J’ai déjà testé plusieurs choses, plus ou moins efficaces, donc bon. Je me suis vite rendu compte que la chose la plus inefficace c’est les rappels à l’ordre constants, enfin, le fait de le mettre en garde, de le menacer, ça marche pas du tout, en tout cas, pas avec lui, en tout cas, euh, la mise à l’écart du groupe, ça marche pas non plus, que ce soit dans la salle ou à l’extérieur, enfin quand je dis à l’extérieur, c’était pas tout seul dans le couloir, je l’ai envoyé une

fois en salle de sieste, avec les petits, mais bon il faisait le bruit du criquet là bas, donc ça réveillait les enfants, j’ai essayé de le mettre dans le bureau de la directrice, ça a pas marché non plus, donc je me suis dit bon. La répression, ça marche pas, donc on va essayer autre chose.

L’analyse des épisodes montre qu’Eve ne manque pas d’idées. Certaines des opérations testées lui donnent satisfaction. Elle éprouve toutefois des difficultés à trouver les bonnes opérations au bon moment ou à les renouveler « parce que ça commence à être redondant » (ACS du 16.12, UA 7). Elle est par exemple « assez étonnée, du fait que ça marche pas,

parce que la semaine d’avant ça avait fonctionné » (ACS du 16.12, UA 5, Jugement), ou note

que « regarde[r les élèves] d’une certaine manière », « change[r] de ton » ou encore ne pas avoir besoin de parler pour rappeler à l’ordre des élèves « marche parfois » (ACS du 03.03, UA 9).

Le contexte spécifique d’une séance d’EPS du début d’année illustre ses difficultés à contrôler le groupe. Sept jugements d’utilité à valence négative en rendent compte :

ACS du 29.09 :

- j’ai déjà réfléchi, pour l’instant, j’ai pas encore trouvé de manière satisfaisante [pour regrouper les élèves] (UA 36).

- là, j’ai encore du mal à gérer euh, ceux qui partent en courant, ou qui sautent sur les tapis. En plus, ils sont nombreux, alors le temps que je donne le cerceau à chacun, faut que je trouve un autre truc… bon tu vois ça marche pas du tout, je dis « à ceux qui se taisent », mais ils en ont rien à foutre… (UA 36).

- je suis peut-être pas encore assez ferme là-dessus (UA 36).

- j’ai déjà essayé, de dire euh… bon, on commencera quand il y aura le silence (…). Mais j’aurais dû me chronométrer, je pense que je suis restée au moins cinq minutes comme ça, je me suis dit bon ça ne marche pas non plus, je me suis dit qu’est-ce que je fais (UA 36).

- j’ai pas encore trouvé, le truc (UA 36).

- il faut vraiment que je fasse la part des choses entre le moment où moi j’explique et où on écoute, et après où on peut euh… on peut se défouler (UA 36).

- j’ai dit « faites ce que vous voulez avec les cerceaux »… alors bin oui, forcément, dès que je le balance, qu’on joue au frisbee avec, on a failli avoir une décapitation, enfin c’était… c’est terrible (UA 37).

La PEFI est soumise à la contrainte d’une grande salle qui résonne et à des comportements perturbateurs des élèves. « Y’a des bagarres, y’en a qui sautent sur les trucs en mousse » ; « en salle de motricité, ils ont tendance à s’égarer » (ACS du 29.09, UA 36). Précisément, elle ne sait comment regrouper les élèves. Elle tente de les aligner, assis dos au mur, mais considère que « c’est pas le moyen le plus efficace, parce que déjà y’a pas assez de place

contre le mur pour tout le monde » (ACS du 29.09, UA 36). Elle est « tiraillée » entre

attendre pour expliquer ses consignes à tous les élèves ou commencer alors que certains ne sont pas regroupés (ACS du 29.09, UA 39). Dans le cas de l’EPS, Eve manque d’opérations lui permettant de contrôler le groupe. Elle « fait un rappel des règles en rentrant dans la salle

de motricité » (ACS du 29.09, UA 40), dont elle est satisfaite, mais qui s’avère encore

insuffisant à faire comprendre à tous les élèves comment se comporter. Les difficultés à contrôler la classe ne sont pas sans conséquence sur la perception que la stagiaire a d’elle « par rapport à son statut d’enseignante » : pour Eve, « la gestion de la classe prend le

dessus par rapport à [s]on statut d’enseignante » (ACS du 03.03, UA 28). Elle considère

ainsi qu’avant même la mise en place des activités ou des séances, il lui faut « savoir tenir la

classe » (ACS du 03.03, UA 28).

Eve est aussi préoccupée de façon récurrente par des élèves qui pourraient quitter la salle de classe et se dit « soulagée qu’il y ait le même nombre d’élèves à la fin de la matinée qu’au

début » (ACS du 29.09, UA 46).

Extrait de l’ACS du 29.09, UA 9

92 PEFI : (…) tu vois, là, ils sont quand même en autonomie, euh… ouais, j’me rends compte qu’il y en a très bien un qui peut se tirer, (…), faire une fugue, …

93 CH : ça fait deux fois que tu parles de fugue, là, t’as eu une expérience … malheureuse en début d’année ?

94 PEFI : (rires) euh… non, la première qui s’est tirée c’est euh… A., en fait, la semaine dernière… mais y’a eu des tentatives. Heureusement que les poignées sont hautes et les portes lourdes, parce que sinon y’en a qui se seraient tirés, euh… pareil à la récré, y’en a qui voulaient partir, euh… bin

maman, hein, ils voulaient chercher maman… mais non, personne n’est parti pour l’instant, bin sauf A., qui est partie avec les p’tits loups, enfin les, les enfants de la crèche quand la dame est venue les chercher…

95 CH : et alors, comment tu réagis, toi, maintenant, en sachant qu’il y a des élèves qui, peut-être, cherchent à quitter la salle de classe ?

98 PEFI : (…) j’essaie vraiment d’être attentive le plus possible, maintenant… comme dit, quand y’en a 29, on peut pas avoir un oeil sur les 29 tout le temps, sauf quand je suis devant, là, devant la porte. Et comme dit, s’il y a quelqu’un qui pleure au fond de la salle, je vais pas lui dire à distance t’inquiète pas maman va revenir te chercher, euh… justement, c’est ce qu’on disait, on avait une réunion avec l’inspecteur de circo, et il disait que il faut absolument qu’on ait tout le temps l’œil sur tous les enfants. Alors bon je voulais pas me faire remarquer, mais euh… je me suis dit mais comment tu fais, enfin, mais techniquement c’est pas possible, on n’a pas une vision périphérique… et après même la titulaire, je lui ai demandé quand les enfants veulent absolument aller aux toilettes, pendant qu’on est en train de faire des ateliers, qu’est ce qu’on fait, et l’ATSEM n’est pas là. Elle m’a dit bin si c’est les moyens tu les laisses aller par deux, et si c’est un petit tu demandes aux moyens de les accompagner. Alors j’ai dit mais seul ? Elle fait oui, tu choisis un moyen en qui avoir confiance, donc là, moi je sais pas ce qu’ils font aux toilettes, y’en a très bien un qui peut glisser sur une flaque d’eau, se cogner la tête, bin dans ce cas qui est responsable, moi, mais si j’accompagne les enfants il y a les 27 autres qui sont seuls… donc euh… de ce côté-là on essaye de limiter la casse autant que possible.

104 PEFI : (…) avant y’avait l’AVS22, donc j’avais pas encore intégré le fait qu’il fallait que je garde un œil sur A. aussi, puisqu’avant c’était l’AVS donc euh… y’a tellement de choses à gérer en même temps, que… te dire euh… bon A. il faut la gérer aussi, parce qu’elle elle a besoin d’un œil sur elle en permanence, donc euh… j’ai deux yeux, je sais, mais bon… je peux pas garder l’œil gauche sur A. et l’œil droit sur le reste de la classe… et là euh, elle s’est vraiment faufilée, c’est un moment d’inattention, et euh… je pense que ça ça arrive, ça arrive…

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L’auxiliaire de vie scolaire (AVS) est une personne s’occupant de l’accompagnement, de la socialisation, de la sécurité et de l’aide à la scolarisation d’un enfant en situation de handicap dans la classe d’Eve.

L’analyse de l’activité d’Eve permet de rendre compte du caractère de compromis qu’elle revêt entre ses préoccupations (éviter que les élèves fuguent), la prescription de contrôler la classe énoncée par l’inspecteur, et des contraintes concurrentielles (l’avis de la directrice, les élèves…). La PEFI, qui concède qu’« on nous a tellement mis la pression là-dessus » (ACS du 29.09, UA 46), est « toujours tiraillée entre le dilemme, enfin être, ne pas être un tyran et

ne pas être trop, trop laxiste » (ACS du 03.03, UA 9). Elle considère qu’elle ne peut pas

« avoir un œil sur les 29 élèves en même temps » et qu’il n’est « techniquement » pas possible de voir tous les élèves, parce qu’elle n’a pas une « vision périphérique ». Elle aurait plutôt tendance à suivre les conseils de la titulaire, qui laisse par exemple aller par deux les élèves aux toilettes. En cela, elle est prête à passer outre la prescription émise par l’inspecteur. En temps que responsable de la classe, elle essaie alors de « limiter la casse autant que possible

avec les élèves qui cherchent à quitter la salle de classe » en renforçant son attention.

La situation est comparable à celle du travail en ateliers, où Eve rencontre la même difficulté à « être partout à la fois », alors que certains groupes devraient être en autonomie.

Extrait de l’ACS du 29.09, UA 17

186 PEFI : (…) il faut que je leur explique, aussi, accessoirement, parce que là, le problème, avec cet atelier, bon ils se tirent, j’ai envie de dire, parce qu’il y a pas de consigne. Mais l’atelier que moi je dirige normalement, c’est celui qui est ici, c’est celui avec les petits, c’est l’atelier de maths. Donc je suis censée rester avec eux (…). Là il faut que je leur montre, et que je les recadre au cas où, et pendant ce temps là il y a G. qui colle sa vache sur la feuille de la voisine, tu vois donc… où être… ?

187 CH : donc il faut être partout à la fois…

188 PEFI : voilà, bin c’est ça le problème. Mais bon.

L’activité d’Eve est ainsi typiquement organisée vers une préoccupation de maîtrise de la classe et de responsabilité (avoir autant d’élèves en fin de journée qu’au début). Elle parvient à réaliser des opérations pour y faire face, mais elle n’est pas toujours satisfaite de leur effet. L’analyse de ces données permet de comprendre quelle est l’activité reconnue par la PEFI en ce qui concerne la gestion de la classe. Responsabiliser les élèves, être ferme et ne pas lâcher en sanctionnant, utiliser des comptines et des activités de rupture, avoir un ton dissuasif plutôt qu’élever la voix et choisir ses mots, rappeler à l’ordre, menacer, ou encore envoyer chez le directeur, font partie de cette activité reconnue par Eve pour maîtriser la classe et exercer sa

responsabilité. L’enseignante stagiaire a le souci de renouveler les opérations pour éviter la diminution de leur impact respectif. Les résultats montrent aussi pourquoi, par moments, confrontée à des situations où plusieurs choix sont en concurrence, elle réalise des actions différentes de ce qui lui est demandé (inspecteur) ou conseillé (directrice).

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