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Une redéfinition du mariage

Dans le document Espagne : Belgique France (Page 41-44)

CHAPITRE 1 | LE DISCOURS EN FAVEUR DE L’OUVERTURE DU MARIAGE CIVIL

1. Défendre l’ouverture du mariage aux couples de même sexe :

1.2. Une redéfinition du mariage

Le deuxième axe d’argumentation principal en faveur de l’ouverture du mariage renvoie à la définition de l’institution matrimoniale et à la manière d’y inclure les unions de même sexe. En insistant sur le caractère historique du mariage civil et les évolutions juridiques et sociologiques importantes de celui-ci au cours des dernières décennies, ce discours dissocie le mariage civil de la procréation et le fonde sur la relation entre les partenaires, ce qui désamorce les objections relatives à l’existence d’une « différence objective » entre unions de même sexe et de sexe différent. Ce faisant, il confirme aussi la place récente de l’amour au sein du mariage, privilégie sa dimension contractuelle voire, dans certains cas, son caractère laïque. Tout en refusant souvent que le mariage soit le seul cadre légal pour la vie commune, il réhabilite celui-ci en considérant qu’il n’est pas dépassé et qu’il peut correspondre aux désirs d’un certain nombre de citoyens, ce qui rompt avec les revendi-cations d’un statut légal alternatif au mariage, qui partaient la plupart du temps du postulat que le mariage constituait un symbole du passé (19).

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(16) Leire Pajín, in Congreso de los Diputados, Diario de sesiones, n° 106, 25 septembre 2001, p. 5117 – 5118. (17) Karine Lalieux, in Chambre des Représentants, Compte-rendu intégral, séance plénière du 30 janvier 2003,

n° PLEN 318, p. 38.

(18) Juan Fernando Lopéz Aguilar in Congreso de los Diputados, Diario de sesiones, n° 78, 17 mars 2005, p. 3769. (19) Olivier Maingain, in Chambre des Représentants, Compte-rendu intégral, séance plénière du 30 janvier 2003,

Dissociation entre mariage et procréation

L’ensemble de ces argumentations partent du constat d’une profonde évolution juridique et sociale du mariage. Tout d’abord, le mariage a connu de profondes transformations juridiques au cours des dernières décennies, perdant progressivement son caractère inégalitaire. Surtout, comme l’attesteraient les nombreux couples mariés sans enfants et les enfants nés hors mariage, il serait désormais détaché de tout lien à la procréation et par conséquent exclusivement fondé sur la relation vécue par les futurs conjoints. Le député Geert Versnick (VLD) écrit ainsi, dans la première proposition de loi belge en faveur de l’ouverture du ma-riage, que « la procréation n’est plus associée au mariage et n’est plus considérée comme la finalité principale de cette union. Il y a, d’une part, des couples mariés qui vivent ensemble durablement et qui choisissent dé-libérément de ne pas avoir d’enfants et, d’autre part, des couples qui vivent ensemble durablement et qui ont des enfants sans contracter mariage » (20). Le député espagnol Francisco Rodríguez Sánchez (BNG) ne dit pas autre chose quand il déclare : « Vous savez bien qu’il est aujourd’hui clair dans l’évolution de l’humanité que la procréation existe en marge de la relation sexuelle et que, pour cette raison, il peut y avoir une affiliation institutionnelle distincte de la filiation de caractère biologique. (…) Ce qui est fondamental, c’est la forme de vie commune à travers laquelle s’organisent les couples, (…) la relation affective et les intérêts de tout type, y compris économiques et de soutien mutuel, qui poussent les personnes à établir un modèle de vie commune que constitue le mariage » (21).

De cette manière, la dissociation entre mariage et procréation fait naître une nouvelle définition de l’institution matrimoniale, que le gouvernement belge a officialisée dans cette formule inscrite dans l’exposé des motifs du projet de loi ouvrant le mariage civil : « Dans notre société contemporaine, le mariage est vécu et ressenti comme une relation (formelle) entre deux personnes ayant comme but principal la création d’une communauté de vie durable. [Il] offre aux deux partenaires la possibilité d’affirmer au grand jour leur relation et les sentiments qu’ils ont l’un pour l’autre » (22). Le gouvernement espagnol a fait de même en présentant le mariage civil comme « une institution juridique d’importance sociale qui permet à un couple de réaliser sa vie commune » (23). Dans ce pays, le débat a été étendu aux termes utilisés, s’invitant au cœur de la politique du langage. Au cours d’affrontements ponctués d’interventions de la Real Academia Española, les opposants à l’ouverture du mariage ont non seulement contesté le nouveau contenu juridique donné à celui-ci, mais ont de plus utilisé le dictionnaire pour justifier que le terme « mariage » ne pouvait, pour des questions linguistique, s’appliquer aux unions de même sexe. Cet argument a été rejeté par les partisans de cette mesure, qui ont eu recours à des arguments invoquant tant la plasticité de la langue que l’historicité du mariage. Ceux-ci ont ainsi défendu qu’« (…) aucune étymologie ne peut enfermer de manière inaltérable un concept

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(20) Geert Versnick, « Proposition de loi modifiant les articles 144, 162 et 163 du Code civil », Chambre des Représentants, Doc. parl. n° 2208/1 (1998-1999) : Geert Versnick, « Proposition de loi modifiant les articles 144, 162 et 163 du Code civil», Chambre des Représentants, Doc. parl. 50 0692/001 (1999-2000) ; Peter Vanvelthoven, « Proposition de loi complétant l’article 144 du Code civil en ce qui concerne le mariage de personnes de même sexe », Chambre des Représentants, Doc. parl. 50 1011/001 (2000-2001), p. 3.

(21) Francisco Rodríguez Sánchez, in Congreso de los Diputados, Diario de Sesiones, n° 229, 20 février 2003, p. 11630 – 11631. (22) « Projet de loi ouvrant le mariage à des personnes de même sexe et modifiant certaines dispositions du Code civil »,

op. cit., p. 4.

(23) « Proyecto de ley 121/000018 Por la que se modifica el Código Civil en materia de derecho a contraer matrimonio », Boletín Oficial de las Cortes Generales : Congreso de los diputados, 21 janvier 2005, p. 1.

qui est disponible pour le législateur, le concept qui définit une relation juridique avec des droits et des devoirs, avec des sujets, avec des contenus et des effets » (24).

Les nouveaux atours du mariage civil

Ces transformations de la définition du mariage civil ont un impact sur la manière de déterminer les caractéristiques de celui-ci. Pour commencer, les discours en faveur de son ouverture insistent sur l’historicité de l’institution matrimoniale, c’est-à-dire sur sa transformabilité (25). Si celle-ci n’existe plus de toute éternité et ne possède pas un contenu ahistorique, rien n’empêche d’élargir les catégories sociales qui peuvent en bénéficier ou d’en modifier certains éléments juridiques. Cette position apparaît dans ces propos de la députée espagnole Carmen Montón (PSOE), selon lesquels « le mariage est une institution humaine, le mariage est culturel et n’appartient au commandement d’aucune loi naturelle ni divine. Pour cette raison, il sera ce que la société décide démocratiquement et légitimement à chaque période, en fonction de la réalité et de ses nécessités » (26).

Ce raisonnement implique de considérer que, en tant que « produit de l’histoire de notre société, [le mariage] a beaucoup évolué » (27). Surtout, comme « (…) l’histoire n’est pas inamovible », si « le droit comparé indique certes qu’aujourd’hui, la norme légale dans ce contexte historique plus étendu est celle du mariage hétérosexuel, (…) ce n’est pas un argument pour ne pas modifier ni changer la loi » (28). De cette manière, cette argumentation contribue à dénaturaliser le mariage civil. En insistant sur sa nature historique, elle contribue à dévoiler la contingence de son association à la reproduction et la complémentarité des sexes. Elle sépare le domaine du droit de celui de la « nature » et confirme, selon les partisans de son ouverture, que « la différence sexuelle, la différence physiologique et la différence biologique ne peuvent jamais constituer le fondement de la loi civile » (29). Enfin, si le mariage ne constitue plus la prison patriarcale qu’il fut pendant longtemps, la revendication de son ouverture peut se transformer en symbole d’une politique progressiste.

Trois caractéristiques ressortent des arguments avancés. La dimension contractuelle du mariage est premièrement renforcée, s’opposant à la nature d’institution que celui-ci a longtemps revêtie. En effet, la nouvelle définition donnée au mariage implique le rejet de ses fonctions collectives, la reproduction de la communauté et la soumission à un certain nombre de règles imposées par cette dernière, au profit de l’idée selon laquelle il s’agit d’un instrument juridique au service de la volonté des individus.

Deuxièmement, le caractère laïque du mariage est réaffirmé, d’autant plus quand les opposants à cette mesure ont utilisé des arguments d’ordre religieux, ce qui a été surtout le cas en Espagne et en France. Izquierda Unida, coalition héritière du Parti communiste espagnol, a ainsi critiqué l’emprise politique de l’Église et

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(24) Juan Fernando Lopéz Aguilar, in Congreso, Diario de Sesiones, n° 78, 17 mars 2005, p. 3771.

(25) Philippe Mahoux, in Meryem Kaçar, « Proposition de loi ouvrant le mariage à des personnes de même sexe et modifiant certaines dispositions du Code civil : Rapport », Sénat, Doc. parl., n° 2-1173/3 (2002-2003), p. 27 - 28.

(26) Carmen Montón Giménez , in Congreso de los Diputados, Diario de Sesiones, n° 103, 30 juin 2005, p. 5226. (27) François Hollande et al. [groupe socialiste], « Proposition de loi visant à ouvrir le mariage aux couples de même sexe »,

Assemblée nationale, Doc. parl., n° 3219, 28 juin 2006, p. 3.

(28) Francisco Rodríguez Sánchez, in Congreso de los Diputados, Diario de Sesiones, n° 103, 30 juin 2005, p. 5219. (29) Ibid., p. 5219.

défendu un « État laïque, un État démocratique, social et de droit » (30). En 2003, la députée Marisa Castro insiste sur le fait que « le mariage (…) a une signification qui s’éloigne énormément de la rigidité sacramentelle avec laquelle d’autres groupes abordent cette question » (31). De la même manière, le député galicien Francisco Rodríguez Sánchez (BNG) souligne qu’il ne parle pas de « lois divines » mais de « lois humaines et, pour cette raison, de responsabilités entre nous et avec nous-mêmes, des personnes adultes, des hommes et des femmes libres » (32). En France, les Verts, tout en insistant sur le caractère laïque de la dissociation entre mariage et procréation, opposent également mariages civil et religieux en indiquant que « si, dans la perspective du droit canon, la procréation est essentielle au mariage, il n’en va pas de même dans le mariage civil, le seul ayant valeur légale, qui prévoit certes la répartition des charges relatives aux enfants, mais ne fait pas de l’absence de procréation une cause de nullité du mariage » (33).

Troisièmement, en fondant le mariage civil sur la relation entre les partenaires, ce raisonnement transforme l’amour en un de ses fondements. L’enjeu qui se pose en proposant de redéfinir le mariage civil est alors présenté dans les termes suivants: « Réserver le mariage à un couple qui peut procréer justifie-t-il l’interdiction de reconnaître un amour pour ce qu’il est ? » (34). En réponse à cette question, les partisans de l’ouverture du mariage défendent « l’idée que s’aimer ne puisse jamais constituer un motif de discrimina-tion » (35). Ils refusent que, « parce qu’ils sont homosexuels, deux hommes ou deux femmes qui se sont aimés et ont construit leur vie ensemble ne peuvent pas se transmettre leurs biens comme peuvent le faire des époux, et doivent continuer à être considérés comme des tiers sans lien de famille » (36). Cette position définit donc le mariage comme une « institution civile simplement basée dans l’amour entre deux personnes qui s’aiment, qu’elles soient hétérosexuelles ou homosexuelles » (37).

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