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France

Dans le document Espagne : Belgique France (Page 53-56)

CHAPITRE 1 | LE DISCOURS EN FAVEUR DE L’OUVERTURE DU MARIAGE CIVIL

2. Spécificités nationales

2.3. France

Les débats parlementaires sur l’ouverture du mariage ont commencé beaucoup plus tard en France que dans les deux autres pays étudiés, ce qui empêche une étude aussi approfondie des spécificités du discours national. Toutefois, deux traits distinctifs, qui seront approfondis à la fin du chapitre suivant, peuvent être ébauchés. Le premier renvoie à l’omniprésence des questions de filiation dans le débat politique, tandis que le second évoque la rencontre entre le débat sur les droits des minorités sexuelles et celui sur les dangers du communautarisme. Dans les deux cas, ces spécificités s’inscrivent dans la continuité des controverses relatives au pacs et c’est le discours des élus socialistes qui permet le mieux d’en saisir la prégnance. En effet, si les positions de ce parti ont radicalement changé entre ces deux moments, celui-ci s’est à chaque fois clairement positionné sur ces deux axes, qui apparaissent donc comme des éléments structurants du débat français.

2.3.1. la filiation, un débat incontournable

La filiation occupe une position centrale dans les débats sur le couple homosexuel en France, y compris dans l’argumentation de nombreux partisans de l’ouverture du mariage. Alors qu’il s’est principalement agi d’une question juridique en Belgique et en Espagne, pour cette raison surtout traitée dans des termes techni-ques, cet enjeu y a en effet été soulevé et amplement débattu lors de chaque débat relatif aux droits des couples de même sexe. Comme l’a développé Éric Fassin en comparant les débats français à ceux tenus aux États-Unis sur le « mariage gay », il s’agirait du principal obstacle à l’institutionnalisation des couples homosexuels dans ce pays (80). Il renverrait en outre à l’essence même de la définition de la nation française, ce qui expliquerait son importance dans les discours parlementaires (81). Or, si ce constat s’applique aussi à la Belgique et à l’Es-pagne, cette barrière n’a pas été aussi puissante qu’en France et reposait surtout sur des préoccupations relatives au bien-être des enfants. Comme le l’illustre le discours des élus socialistes, il s’agit donc en France d’une question discursivement incontournable.

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(79) Carmen Montón Giménez, in Congreso de los Diputados. Comisión de Justicia, Diario de Sesiones, n° 243, 11 avril 2005, p. 9. (80) Éric Fassin, « Same Sex, Different Politics : ‘Gay Marriage’ Debates in France and the United States »,

Public Culture, vol. 13, n° 2, 2001, p. 230.

(81) Éric Fassin, «Questions sexuelles, questions raciales. Parallèles, tensions et articulations», in Didier Fassin et Éric Fassin (dir.),

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(82) Élisabeth Guigou, in Assemblée nationale, Compte rendu analytique officiel, 3 novembre 1998.

(83) François Hollande et al. [groupe socialiste], « Proposition de loi visant à aménager les conditions d’exercice de la parentalité », Assemblée nationale, Doc. parl., n° 3218, 28 juin 2006.

(84) François Hollande et al. [groupe socialiste], « Proposition de loi visant à ouvrir le mariage aux couples de même sexe », op. cit., p. 6.

(85) [Patrick Bloche], op. cit., p. 4.

Dans ce contexte, lors des débats sur le pacs, les membres du Parti socialiste, alors au pouvoir, ont choisi de répondre aux demandes homosexuelles en dissociant soigneusement les enjeux relevant du couple des questions familiales afin de ne pas ouvrir la porte à une reconnaissance juridique de l’homoparentalité et, surtout, ne pas toucher à la filiation. Cette volonté apparaît par exemple dans cette définition de la famille proposée par Elisabeth Guigou lie clairement filiation et organisation juridique du couple à travers l’institution du mariage. Pour la Garde des Sceaux de l’époque, « une famille, ce n’est pas seulement deux individus qui contractent pour organiser leur vie commune. C’est l’articulation et l’institutionnalisation de la différence des sexes. C’est la construction des rapports entre les générations qui nous précèdent et celles qui vont nous suivre. C’est aussi la promesse et la venue de l’enfant, lequel nous inscrit dans une histoire qui n’a pas commencé avec nous et ne se terminera pas avec nous » (82). En insistant sur cette dissociation, le Parti socialiste a beaucoup parlé de filiation et a de cette manière contribué à propulser cette question à l’avant-scène, renforçant sa centralité discursive.

Ensuite, lorsque le parti socialiste a commencé à demander l’ouverture du mariage civil aux couples de même sexe et une reconnaissance juridique de l’homoparentalité, il n’a pas pour autant évacué les questions relatives à la filiation. Au contraire, cette question a été amplement débattue, y compris dans des propositions de loi relativement courtes, ce qui témoigne, tout en le confirmant, de son statut spécifique dans le paysage discursif français. Dans ce cadre, outre le fait que la « parentalité » ait fait l’objet d’une autre proposition de loi, déposée en même temps que celle « visant à ouvrir le mariage aux couples de même sexe » (83), cette dernière stipule clairement que « les dispositions relatives à la filiation biologique sont maintenues en l’état dans tous les cas, le principe de présomption de paternité étant explicitement réservé aux couples mariés composés d’un homme et d’une femme » (84). Or, si ce principe n’a pas non plus été modifié en Belgique, cette question n’y a jamais été vraiment discutée, tandis qu’en Espagne, elle a été dans un premier temps « oubliée » avant d’être adaptée à l’aide d’un amendement introduit dans la loi sur la transsexualité. La centralité de cet enjeu apparaît également de manière plus implicite à travers les réponses de certains élus du PS aux accusations dont ils font l’objet. Ainsi, face aux critiques selon lesquelles l’ouverture du mariage civil aux homosexuels ébranlera l’organisation de la famille et les fondements de la société en remettant en cause les principes régissant la filiation, Patrick Bloche (PS), président de la Mission d’information sur la famille et les droits des enfants, a par exemple tenu à souligner que les déplacements de cette initiative parlementaire « ont permis de constater que des pays proches culturellement ou géographiquement de la France ont fait preuve d’une grande capacité d’innovation dans leur droit de la famille et d’une grande attention à la lutte contre les discriminations, sans que les fondements de la société s’en trouvent pour autant ébranlés » (85).

2.3.2. la république et le danger communautariste

L’invocation de l’esprit et des valeurs de la République constitue l’autre fil conducteur des débats français sur la reconnaissance légale des couples de même sexe et, à nouveau, le discours des élus socialistes permet d’en attester la centralité. Ces références s’inscrivent plus largement dans les débats sur les dangers du communautarisme, qui rythment la vie politique française depuis les années 1990. Dans ce cadre, le change-ment de position du Parti socialiste au sujet de la reconnaissance légale des unions de même sexe n’a pas entamé la conviction de ce parti selon laquelle ses propositions s’inscrivent toutes les deux dans une vision républicaine de la société. Refusant les accusations selon lesquelles il céderait aux sirènes du communautarisme et détruirait une institution utile à la société en répondant à des demandes trop spécifiques, il présente ainsi l’ouverture du mariage, au même titre que le pacs quelques années auparavant, comme la stricte application des principes républicains. Comme je le développerai dans le chapitre suivant, cette affirmation répond tant à la prégnance de ce modèle de pensée politique et culturel qu’aux attaques dont ces élus ont pu faire l’objet (86).

Au cours des débats sur le pacs, les élus socialistes, parmi lesquels les chevènementistes avant qu’ils ne fondent le Mouvement des Citoyens, ont ainsi insisté sur le caractère républicain de leur démarche. Comme l’explique le député Georges Sarre (MDC), la création de ce nouveau statut répondait au « défi » suivant : « l’idée républicaine est-elle capable de prendre en compte ces problèmes nouveaux et de répondre à ces situations sans sombrer dans le communautarisme, sans rédiger des textes pour telle minorité ou lobby, mais en légiférant pour la société tout entière ? » (87). Cette position a été reprise pour défendre l’ouverture du ma-riage à partir de 2004. Le PS français estime en effet que, là où le pacs incarnait précédemment l’éthos répu-blicain, c’est désormais la défense de l’ouverture du mariage civil qui témoigne d’un « profond attachement à la République et à ses valeurs universelles, car il n’est pas de démarche plus communautariste que celle visant à sanctuariser et à refuser leur accès à d’autres » (88). Cette position se retrouve aussi dans le discours des Verts lorsque ceux-ci se défendent de toute « disposition d’ordre catégoriel » (89). L’attachement aux valeurs républi-caines et le rejet du communautarisme semblent donc constituer d’autres références incontournables du débat français. chapitre 1 | L e disc ours en f a veur de l’ ouv er tur

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(86) Voir chapitre 2.

(87) Georges Sarre, in Assemblée nationale, Compte rendu analytique officiel, 7 novembre 1998.

(88) François Hollande et al. [groupe socialiste], « Proposition de loi visant à ouvrir le mariage aux couples de même sexe» , Assemblée nationale, op. cit., p. 6.

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