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Les années 2000 : le mariage devient la priorité

Dans le document Espagne : Belgique France (Page 86-90)

CHAPITRE 2 | TROIS HISTOIRES NATIONALES

2.3. Les années 2000 : le mariage devient la priorité

Lors des élections générales de 2000, la Federación Estatal de Lesbianas, Gays demanda aux partis politiques de reconnaître « le droit au mariage civil entre personnes du même sexe, avec tous les droits que cela implique (droit à l’adoption, droits fiscaux, droit à la nationalisation du partenaire étranger) » (168). L’ouverture du mariage était donc devenue la priorité de la plupart des associations LGBT et, si l’on discutait encore des lois d’union de fait au niveau autonomique (la majorité des lois d’union de fait ont été adoptées après 2000), il s’agissait plus d’un choix stratégique que d’un reflet des objectifs réels de ces associations (169).

Ce discours était porté par de nouveaux acteurs, qui confirmèrent la place de Madrid comme la capitale LGBT espagnole. La FELG, basée à Madrid, incarnait désormais la voix politique du mouvement LGBT, du moins au niveau de l’État, et coordonna à ce titre le combat pour l’ouverture du mariage, qui constituait une de ses priorités. Au sein de cette organisation, quelques activistes issus de COGAM, et du

Col.lectiu Lambda de Valence, s’illustrèrent sur cette question (170) : Pedro Zerolo, Beatriz Gimeno, Boti García, Miquel Angél Fernández et Toni Poveda ainsi que, dans une moindre mesure, le président de l’association basque Gehitu Iñigo Lamarca. Ces activistes personnifièrent la lutte pour le mariage et devinrent les principaux visages du mouvement LGBT espagnol (en plus de Jordi Petit, toujours présent). Ils déposèrent ainsi des de-mandes officielles aux Registres civils de Madrid et Valence en octobre 2003 et se marièrent tous plus tard au cours de cérémonies médiatisées.

Ces activistes jouèrent un rôle essentiel dans le traitement politique de la question et les orientations des argumentations tenues ultérieurement. L’exposé de Pedro Zerolo lors de la présentation d’un projet de réforme du Code civil afin de permettre l’ouverture du mariage aux couples de même sexe au cours du VIIème

Congrès général des avocats espagnols permet d’en saisir les jalons (171). Ce document, issu des réflexions développées au sein de COGAM et de la FELG, servit en effet de base aux négociations avec les acteurs politiques et sociaux, ainsi qu’aux propositions de loi déposées à partir de 2001. Il s’articulait autour de trois principes, sans cesse revendiqués par la fédération LGBT espagnole au cours des années suivantes : « Le respect de la dignité humaine : les homosexuels sont titulaires de droits et devoirs, le respect de la liberté individuelle : les homosexuels ont le droit de décider librement comment organiser leur manière de vivre, le respect du principe d’égalité : permettre le mariage hétérosexuel et interdire le mariage homosexuel, c’est sanctionner ou réprouver expressément l’homosexualité » (172).

chapitre 2 | T rois histoir es na tionales (168) Entiendes n° 64, avril 2000.

(169) Plusieurs auteurs mentionnent l’association (170) Entretien avec Béatriz Gimeno, op. cit.

(171) Cité in Pedro Zerolo, « El derecho al matrimonio », in CGL, Forùm europeu sobre el dret al matrimoni i l’adopció, Barcelona, 2002, < http://www.cogailes.org/modules.php?op=modload&name=Downloads&file=index&req=viewsdownload&sid=3 > (consulté le 17 septembre 2008).

En continuité avec le discours amorcé durant la seconde moitié des années 1990, l’ouverture du mariage était donc toujours présentée comme une question d’égalité des droits. Toutefois, ce discours fut étoffé durant cette période et les arguments tant complétés qu’approfondis. Les références au sida disparurent à peu près complètement (173) et la question des familles homoparentales fut approfondie (174). Quatre remarques supplémentaires peuvent être formulées. Premièrement, l’ouverture du mariage civil fut présentée comme le sommet de l’égalité des droits, venant parachever le chemin légal parcouru par les gays et les lesbiennes vers l’égalité depuis la dictature tout en constituant le levier qui permettra d’étendre l’égalité dans d’autres domaines. Dans les documents du IIe congrès de la FELGT de décembre 2002, les responsables de la fédération espa-gnole déclarent ainsi que « le mariage signifie, ni plus ni moins, que l’égalité légale complète, sans laquelle il n’est pas possible de penser un horizon de non-discrimination. (…) Le droit au mariage ne signifiera pas la fin de notre lutte, sinon un autre début, de la même manière que l’obtention du droit de vote par les femmes ne signifia d’aucune manière leur égalité en droit » (175). Deuxièmement, cette revendication était souvent inscrite dans le cadre plus vaste de la citoyenneté et des droits humains, comme l’illustrent ces propos du se-crétaire général de la CGL de l’époque: « Il faut exiger le droit au mariage avec les modifications législatives qu’il implique, sans céder à des propositions secondaires ou de substitution qui prétendent nous situer en égalité de droits, moyennant la création d’autres figures parallèles, qui ne font rien de plus que continuer à nous considérer comme des citoyens de seconde classe » (176). Troisièmement, l’ouverture du mariage devait contribuer à lutter contre l’homophobie et assurer une meilleure place à l’homosexualité dans la société. Le rapport d’organisation et de dynamisation présenté lors du quatrième congrès du Col.lectiu Lambda de Valence en 2001 souligne à ce titre que « la reconnaissance des couples matrimoniaux de gays et de lesbiennes par l’État est importante quant à la normalisation sociale, étant donné que pour la majorité de la population une décision en ce sens de la part de l’État impliquerait un soutien pour ceux qui respectent notre différence et une claire désapprobation pour ceux qui défendent notre discrimination juridique et sociale. (…) Cela suppose de bouleverser l’ordre traditionnel et de démonter les axiomes moraux intégristes (et qui ont malheureusement encore beaucoup de poids) qui répriment notre affectivité et notre droit à être différents » (177). À ce titre, l’ouverture du mariage civil était présentée comme une revendication transformatrice qui devait aussi modifier les fondements du mariage. Quatrièmement, Pedro Zerolo insista beaucoup sur l’apport de cette revendication à la construction d’une société plurielle baptisée, en clin d’œil au mouvement LGBT, la « société arc-en-ciel »

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(173) La CGL catalane resta beaucoup plus active en ce qui concerne la prévention du VIH/sida et continua à faire le lien entre droits des couples et politique de lutte contre le sida. Par ailleurs, c’est un séropositif et ancien président de Gais Positius, l’association catalane des séropositifs gays, Antonio Guirado, qui devint le secrétaire général de cette association en 2006. (174) COGAM estimait même, comme l’indiqua Boti García Rodrigo dans son intervention au Forùm europeu sobre el dret al

matrimoni i l’adopció en 2002, que « le travail théorique et idéologique à propos du mariage est déjà fait et que, maintenant, nous devons nous affronter à un des derniers tabous qui subsistent sur l’homosexualité. Tout que relie l’homosexualité à l’enfance est tabou, y compris la possibilité d’être pères/mères ». Boti García Rodrigo, « Estratègies de COGAM davant el matrimoni i l’adopció », in CGL, Forùm europeu sobre el dret al matrimoni i l’adopció, op. cit. Voir aussi Belén Molinuevo ; Beatriz Gimeno et Jesús Generelo, Familias de hecho : Informe sobre la realidad social de las familias formadas por lesbianas, gays y sus hijo/as, Madrid : Comisión de Educación de COGAM, 2000.

(175) FELGT, « Ponencia política », in Segundo congreso de la FELG « libertad, igualdad, fraternidad, diversidad », Madrid, 6, 7 et 8 décembre 2002, p. 12.

(176) Marc Corral i Garcia, « Estratègies a seguir en la reivindicació europea », in CGL, Forùm europeu sobre el dret al matrimoni i l’adopció, op. cit.

et définie comme « plurielle, hétérogène, diverse, métissée, enrichissante : une société dans laquelle nous devons nécessairement toutes et tous pouvoir entrer » (178).

Ces activistes déployèrent une véritable stratégie en faveur de la revendication au mariage. Lors de son IIème congrès en 2002, la FELGT présenta une liste d’« outils politiques concrets » qui constitua une véri-table feuille de route pour le mouvement LGBT. Ceux-ci impliquaient notamment « de renforcer le mouvement associatif autour de la FELGT et constituer des réseaux dans l’espace GLBT, (…) de consolider et augmenter notre présence dans l’espace médiatique à travers des relations avec les journalistes, (…) d’établir des relations interactives avec les agents promoteurs du changement social et avec les associations de défense des droits humains, avec l’objectif d’insérer notre discours dans les mouvements de changement social et les engager dans la défense de nos droits, (…) de renforcer la présence dans les espaces institutionnels et de renforcer le dialogue avec les partis politiques et les syndicats, de tenter de promouvoir la présence d’activistes du mouvement GLBT sur les listes électorales, de travailler dans le but de convaincre les partis politiques qu’il ne suffit pas d’avoir des gays et des lesbiennes, mais que ceux-ci doivent faire partie du mouvement (…), de nous constituer en lobby politique devant les différentes instances politiques, constituant des réseaux d’appui et d’information, (…) de renforcer l’espace idéologique et de pensée, (…) de donner l’importance maximale à la formation idéologique et politique de nos activistes (…), de resserrer les relations avec les intellectuels GLBT » (179).

Ce travail porta ses fruits, dans la mesure où la FELGT obtint une visibilité sans précédent et devint un acteur important de la société civile espagnole. Les deux principaux syndicats, l’Unión General de Traba-jadores (UGT) et Comisiones Obreras (CCOO) se convertirent en des partenaires réguliers de la FELGT et leurs secrétaires généraux participent à la Gay Pride de Madrid depuis 2002. La fédération renforça également ses liens avec d’autres organisations de la société civile. Elle devint membre de l’Unión Nacional de Asociacions Familiares (UNAF), aux travaux desquelles elle participa à plusieurs reprises, et s’imposa parmi les associations de gauche et laïques (180). Enfin, les manifestations convoquées à l’occasion du Día del Orgullo connurent un succès chaque année plus important et dépassèrent de loin beaucoup d’autres mobilisations convoquées durant la même période. Plus de deux cent mille personnes défilèrent ainsi à Madrid le 28 juin 2001. En 2002, le nombre de participants s’échelonnait entre 200 et 500 000 personnes et atteignit plus d’un million en 2003.

Toutes les associations ne partageaient toutefois ni la priorité donnée au mariage ni la stratégie pour-suivie. Si la fédération andalouse Colegas n’a pas été très active au niveau politique et que la CGL catalane est, personnellement et idéologiquement, très proche de la FELGTB, la Fundación Triangulo, née d’une dissidence de COGAM, et, dans une moindre mesure, le Casal Lambda de Barcelone, privilégièrent une autre approche. Plutôt qu’une opposition sur le contenu des revendications (181), les divergences portaient sur le calendrier à suivre. En effet, ces groupes estimaient qu’il fallait, à l’image des autres pays européens,

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(178) Pedro Zerolo, « El derecho al matrimonio », op. cit.

(179) FELGT, « Ponencia política », op. cit., p. 17 et 18.

(180) Beatriz Gimeno, « Los derechos de gays, lesbianas, transexuales y bisexuales después de la era Aznar », Iniciativa socialista,

n° 71, 2003 – 2004 ; Id., « La Iglesia y la ciudadanía », Iniciativa socialista, n° 73, 2004.

(181) L’opposition à la demande du mariage a été menée par d’autres groupes, très minoritaires, tels que le Front d’Alliberament Gai de Catalunya (FAGC).

blement obtenir une loi d’union de fait au niveau central et ne demander le mariage que dans un second temps. Ils continuaient de plus à insister sur les nécessités de faire preuve de réalisme politique et d’accompa-gner l’évolution des mentalités. Cette position se situait dans la continuité de celle défendue par les fondateurs de la Fundación Triangulo dans une tribune publiée dans El País en 1997, dans laquelle ils indiquaient que, s’ils ne rejetaient pas l’objectif du mariage, ils défendaient la stratégie de poursuivre ce qui apparaissait comme politiquement et socialement acceptable, rappelant qu’« au lieu d’exiger le maximum en une seule fois, [ils passèrent] à négocier ce qui était possible. Et ainsi naquit la campagne pour une loi d’union de fait : raison-nable, acceptable par la société et par les différents partis politiques qui avaient le mandat de [les] représenter » (182).

2.3.2. au niveau politique

Au niveau politique, les choses s’accélérèrent également. Si, en 2000, il était toujours question de lois d’unions de fait et que le PSOE, IU, IC-V et CiU déposèrent des propositions de loi en en ce sens au début de la législature (183), des propositions de loi demandant l’ouverture du mariage civil furent progressivement déposées à partir de 2001 et redéposées après leur rejet en séance plénière les 25 septembre 2001 et 20 février 2003 (184). En effet, si les quatre années durant lesquelles le PP gouverna seul à Madrid empêchèrent toute avancée législative, elles rendirent les autres partis plus perméables aux revendications des associations LGBT. En 2000, IU et IC-V étaient les seuls partis qui se déclaraient favorables à l’ouverture du mariage, même s’ils défendaient aussi

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(182) Miguel Ángel Sánchez Rodríguez et Pedro Antonio Pérez Fernández, « Somos familia », El País, 16 octobre 1997. Entretien avec Miguel ángel Sánchez, op. cit.

(183) Grupo Parlamentario Federal de Izquierda Unida, « Proposición de Ley 122/000028 Medidas para la igualdad jurídica de las parejas de hecho : Presentada por el Grupo Parlamentario Federal de Izquierda Unida », Boletín Oficial de las Cortes Generales : Congreso de los diputados, 8 mai 2000 ; Grupo Socialista del Congreso, « Proposición de Ley 122/000023 Por la que se reconocen determinados efectos jurídicos a las uniones de hecho : Presentada por el Grupo Socialista del Congreso », Boletín Oficial de las Cortes Generales : Congreso de los diputados, 12 avril 2000 ; Grupo Parlamentario Catalán (Convergència i Unió), « Proposición de Ley sobre uniones estables de pareja. (122/000034) », Boletín Oficial de las Cortes Generales : Congreso de los diputados, 3 mai 2000 ; Grupo Parlamentario Mixto, « Proposición de Ley 122/000048 Igualdad jurídica para las parejas de hecho : Presentada por el Grupo Parlamentario Mixto », Boletín Oficial de las Cortes Generales : Congreso de los diputados, 29 mai 2000.

(184) Grupo Parlamentario Federal de Izquierda Unida, « Proposición de Ley de modificación del Código Civil en materia de matrimonio. (122/000117) », Boletín Oficial de las Cortes Generales : Congreso de los diputados, 14 avril 2001 ; Grupo Socialista del Congreso, « Proposición de Ley de modificación del Código Civil en materia de matrimonio. (122/000119) »,

Boletín Oficial de las Cortes Generales : Congreso de los diputados, 24 avril 2001 ; Grupo Parlamentario Mixto, « Proposición de Ley relativa a la celebración del matrimonio entre personas del mismo sexo. (122/000121) », Boletín Oficial de las Cortes Generales : Congreso de los diputados, 24 avril 2001 ; Grupo Parlamentario Mixto, « Proposición de Ley 122/000122 Modificación del Código Civil en materia de matrimonio », Boletín Oficial de las Cortes Generales : Congreso de los diputados, 27 avril 2001 ; Grupo Parlamentario Mixto, « Proposición de Ley de modificación del Código Civil en materia de

matrimonio. (122/000137) », Boletín Oficial de las Cortes Generales : Congreso de los diputados, 19 juin 2001 ; Grupo Parlamentario Mixto, « Proposición de Ley de modificación del Código Civil para reconocer la celebración de matrimonio entre personas del mismo sexo. (122/000241) », Boletín Oficial de las Cortes Generales : Congreso de los diputados, 10 septembre 2002 ; Grupo Parlamentario Federal de Izquierda Unida, « Proposición de Ley de modificación del Código Civil en materia de matrimonio. (122/000251) », Boletín Oficial de las Cortes Generales : Congreso de los diputados, 11 novembre 2002. ; Grupo Socialista del Congreso, « Proposición de Ley de modificación del Código Civil en materia de matrimonio. (122/000254) », Boletín Oficial de las Cortes Generales : Congreso de los diputados, 11 novembre 2002 ; Grupo Parlamentario Mixto, « Proposición de Ley de modificación del Código Civil en materia de matrimonio. (122/000258) », Boletín Oficial de las Cortes Generales : Congreso de los diputados, 26 novembre 2002. ; Grupo Parlamentario Mixto, « Proposición de Ley 122/000259 Modificación del Código Civil en materia de matrimonio : Presentada por el Grupo Parlamentario Mixto »,

tion d’une loi d’union de fait (185). Or, à partir de 2001, grâce au lobbying de la FELG et, pour la Catalogne, de la CGL, le PSOE, la Chunta Aragonesista (CHA), le Bloque Nacionalista Galego (BNG), Esquerra Republicana de Catalunya (ERC), une partie de CiU et du PNV se rallièrent à cette revendication.

Certaines communautés autonomes essayèrent également de porter la question au Parlement espagnol en jouant l’article 87 de la Constitution espagnole permettant à leurs assemblées législatives de déposer des propositions de loi au Congrès espagnol. En juin 2001, Miquel Iceta i Llorens, qui fut le premier homme politique espagnol à sortir du placard en 1999, proposa au Parlement catalan (186) d’approuver une résolution en vue de présenter au bureau du Congrès des Députés une proposition de loi modifiant le Code civil en matière de mariage. Cette initiative n’aboutit pas.

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