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Belgique

Dans le document Espagne : Belgique France (Page 46-49)

CHAPITRE 1 | LE DISCOURS EN FAVEUR DE L’OUVERTURE DU MARIAGE CIVIL

2. Spécificités nationales

2.1. Belgique

Le cas belge présente deux variantes intéressantes du discours en faveur de l’ouverture du mariage, démocrate-chrétienne et « néolibérale », qui le colorent de manière différente et ne se retrouvent à peu près pas dans les deux autres pays étudiés. D’une part, les démocrates-chrétiens flamands, qui ont appuyé cette revendication à partir de novembre 2001 et l’ont majoritairement soutenue au Parlement, ont articulé une position plus « conservatrice » qui ne contredit pas leurs arguments antérieurs mais les transforme de manière subtile. D’autre part, les libéraux flamands, qui ont été parmi les premiers à défendre l’ouverture du mariage aux couples de même sexe, proposent une posture qui ne se contente pas, à l’inverse du discours majoritaire, d’accents teintés de libéralisme culturel, mais procède d’une vision que l’on pourrait qualifier d’« ultralibérale » en ce que qu’elle accentue les traits les plus libéraux de ce discours.

2.1.1. les démocrates-chrétiens flamands

L’argumentation tenue par les élus du CD&V pour justifier leur soutien à l’ouverture du mariage se distingue des autres discours en faveur de cette mesure par ses accents plus « conservateurs ». Il s’agit en effet de promouvoir la durabilité des relations, devenue la fonction première du mariage et dont les gays et les lesbiennes sont subitement considérés comme capables. Ce discours ne remet donc en cause ni le mariage, dont il faut étendre à tous les bienfaits, ni son monopole juridique et social, ce parti refusant d’améliorer les autres formes de reconnaissance juridique des formes de vie commune. Par ailleurs, la reconnaissance des droits relatifs à la filiation et l’adoption était initialement refusée, ce qui confirme implicitement la dissociation entre mariage et procréation, du moins pour les gays et les lesbiennes (47).

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(45) Jean-Jacques Viseur, in Chambre des Représentants, Ann. parl., séance plénière du 18 mars 1998, p. 8224. (46) Josep Antoni Duran i Lleida, in Congreso de los Diputados, Diario de Sesiones, n° 78, 17 mars 2005, p. 3773.

(47) Quelques années plus tard, ce parti a toutefois été sur le point de soutenir l’ouverture de l’adoption aux couples de même sexe avant de revenir sur cette position suite aux pressions de son aile conservatrice. Cathy Herbrand, « L’adoption par les couples de même sexe », Courrier hebdomadaire du CRISP, n° 1911 – 1912, 2006.

À l’inverse des discours présentés précédemment, cette position ne part pas du constat explicite d’une évolution du mariage et de l’existence d’une discrimination à l’égard des couples de même sexe. Cette analyse a d’ailleurs été explicitement rejetée par un des sénateurs de ce parti, Hugo Vandenberghe (48), qui souligne que, sur base de la jurisprudence internationale, une différence objective existe entre les couples de même sexe et de sexe différent. Celle-ci est fondée sur l’impossibilité de procréer et autorise le refus du mariage aux premiers, ce qui confirme l’association entre mariage et reproduction. Cette situation n’est toutefois pas considérée comme un obstacle à l’ouverture du mariage qui, loin de découler presque automa-tiquement de l’application de la théorie juridique de l’égalité, repose sur les choix politiques que peut poser le législateur.

Dans ce contexte, les élus CD&V placent leur argumentation dans le cadre plus large d’une défense de la centralité du mariage, présenté comme la meilleure forme de reconnaissance de la vie commune (49). C’est fondamentalement au nom de ce qu’ils considèrent comme les vertus de cette institution qu’ils veulent l’ouvrir aux couples de même sexe. A ce titre, leur position s’inscrit en continuité directe avec celle adoptée lors des débats sur le contrat de cohabitation légale, durant lesquels ce parti défendait l’idée selon laquelle le mariage constitue « le meilleur choix pour organiser la vie en commun » (50). Pour cette raison, le partenariat enregistré leur apparaissait d’ailleurs, à ce moment-là, comme une variante homosexuelle du mariage civil (51). En d’autres mots, comme l’a soutenu le député Sylvain Verherstraeten, la position de ce parti est donc la suivante : « En tant que démocrates-chrétiens, nous ferons tout comme parti, par temps favorables et difficiles, pour continuer à soutenir le mariage. Nous continuerons également à défendre le mariage, que nous avons toujours défendu, dans le futur. Dorénavant, cela vaudra aussi pour le mariage de couples de même sexe » (52).

Toutefois, même si les élus CD&V ne semblent pas l’assumer, une différence majeure par rapport à la définition du mariage proposée antérieurement caractérise leurs propos. En effet, si celle-ci était alors officiellement fondée sur l’engagement des partenaires, le lien implicitement posé avec la procréation imposait d’en exclure les couples de même sexe et supposait, malgré ce discours officiel, que le CVP en faisait un des éléments fondateurs de l’institution maritale. Or, ce lien semble avoir été écarté puisque ce parti considère désormais que le mariage civil peut également s’appliquer aux couples de même sexe et que ces unions sont considérées comme aussi nobles que celles entre deux personnes de sexe différent (53). Par conséquent, même si ce parti refuse de le reconnaître discursivement, il dissocie - au moins partiellement - mariage et procréation dans ses actes et certaines prises de position.

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(48) Hugo Vandenberghe, in Meryem Kaçar, op. cit., p. 62.

(49) Sylvain Verherstraeten, « Proposition de loi organisant le partenariat enregistré : Amendements », Chambre des Représentants,

Doc. Parl. DOC 50 0712/002 (2001 – 2002), p. 4.

(50) Luc Willems, in Chambre des Représentants, Ann. parl., séance plénière du 18 mars 1998, p. 8235.

(51) David Paternotte, « Quinze ans de débats sur la reconnaissance légale des couples de même sexe », Courrier hebdomadaire du CRISP, n° 1860 – 1861, 2004, p. 71 – 73.

(52) Sylvain Verherstraeten, in Chambre des Représentants, Compte-rendu intégral, séance plénière du 30 janvier 2003, n° PLEN 318, p. 37.

L’évolution de la position du CD&V repose aussi sur de nouvelles représentations au sujet des couples de même sexe. En effet, le vécu de leur relation est désormais perçu comme essentiellement comparable à celui des couples de sexe différent et c’est pour cette raison que le CD&V souhaite leur étendre le droit au mariage. Comme l’indique la sénatrice Erika Thys (54), l’évolution sociale semble avoir montré aux élus de ce parti que les couples de même sexe peuvent, tout autant que les couples de sexe différent, vivre ensemble durablement. Comme la durabilité est entre-temps devenue le principal fondement du mariage, il n’existe plus aucune raison de ne pas l’ouvrir aux couples de même sexe.

Enfin, en ce qui concerne les rapports entre Droit et société, ce discours ne diffère pas de l’argumen-tation majoritairement défendue. L’idée que le Droit est une manière vivante et que le législateur doit être à l’écoute des demandes de la société constitue même un élément fondamental pour les élus sociaux-chrétiens flamands, qui en font une des caractéristiques essentielles de leur engagement. Comme le souligne à nouveau Erika Thijs, « nous sommes et nous restons un parti populaire. (…) Nous continuerons à prendre le pouls de notre société et à en suivre l’évolution » (55).

2.1.2. une défense « ultralibérale » du droit au mariage

Un autre discours, défendu pendant un temps par les libéraux flamands, mérite quelques développe-ments. Adopté à la fin des années 1990, il articule une posture ultralibérale qui rappelle le discours dominant en faveur de l’ouverture du mariage, teinté de libéralisme culturel, tout en accentuant les traits les plus carac-téristiques de ce courant de pensée (liberté contractuelle, défense du libre choix, égalité formelle, responsabilité individuelle, etc.).

À l’image du discours majoritaire, cette position résulte de la stricte application de deux principes auxquels les élus de ce parti se disent particulièrement attachés : « l’égalité éthique et juridique entre les couples hétérosexuels et homosexuels » et « la neutralité de principe du législateur » (56). Tout en rappelant les articles 10 et 11 de la Constitution, ils estiment ainsi que les droits accessibles aux couples hétérosexuels doivent être ouverts aux couples homosexuels car il n’existe « aucune raison impérative et objective (57) » empêchant l’ouver-ture du mariage. Pour cette raison, les autres formes de reconnaissance légale sont qualifiées de « mini, petit ou quasi mariage[s] » et dénoncées comme des constructions juridique « superflue[s] » et « méprisante[s] » vis-à-vis des homosexuels (58). Elles seraient intrinsèquement inégalitaires et violeraient le principe de neutralité du législateur, qui prescrit que ce dernier « ne peut directement ou indirectement laisser paraître une préférence pour l’une ou l’autre forme de relation » (59).

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(54) Erika Thijs, in Sénat, Ann. parl., séance plénière du 28 novembre 2002, n° 2-246, p. 16 (55) Ibid., p. 17.

(56) Ignace Van Belle et Patrick Dewael, in Dany Vandenbossche et Frans Lozie, « Proposition de loi concernant le contrat de vie commune: Rapport », Chambre des représentants, Doc. parl. n° 170/8 (1997 – 1998), p. 12 - 13 et p. 65, ainsi que Ignace Van Belle, in Chambre des Représentants, Ann. parl., séance plénière du 18 mars 1998, p. 8216 - 8220.

(57) Ignace Van Belle, op. cit., p. 8216. (58) Ibid., p. 8217.

Dans ce schéma de pensée, si le mariage est toujours considéré comme « la pierre angulaire la plus importante de notre société » (60), il est défini, comme dans le discours majoritaire, par « l’expression de la volonté de cohabiter et la solidarité entre deux personnes, quelque soit leur sexe et leur orientation sexuelle ». Il est donc à nouveau dissocié de la procréation, ce qui fait disparaître la « différence objective » justifiant le refus de son ouverture aux unions de même sexe, et sa nature contractuelle est clairement affirmée. Ce parti appelle toutefois à sa profonde rénovation, que ce soit au niveau des pensions alimentaires ou de la notion de faute pour les procédures de divorce.

Une des spécificités de ce discours réside dans la manière d’articuler cette demande précoce d’ouverture du mariage civil aux unions de même sexe aux autres formes possibles de reconnaissance légale de la vie com-mune. En effet, si ce parti souhaite permettre à tout le monde d’accéder au mariage civil sans pour autant y obliger quiconque, il refuse d’enrichir les autres formes juridiques d’encadrement de la vie commune. Cette position découle d’une lecture particulière du principe de liberté individuelle selon laquelle, si ceux qui le veulent doivent pouvoir accéder au mariage, il faut en même temps garantir le choix de ceux qui refusent un encadrement légal de leur union. Dans ce cadre, tout en rappelant que la doctrine libérale impose de lutter contre tous les monopoles, y compris dans ce dossier (61), ce parti revendique une « liberté contractuelle totale » pour ceux qui ne veulent pas une « reconnaissance formelle et/ou une confirmation officielle » de leur rela-tion (62). Il en résulte une valorisation du principe de responsabilité pour les choix auxquels les individus ont librement souscrits. En d’autres mots, cette économie très libérale des relations de couple exige que tous les individus, y compris les homosexuels, puissent choisir d’officialiser leur union, ce qui implique de revendiquer l’ouverture du mariage. À partir de là, chacun peut contracter un mariage libéré de ses aspects liberticides ou préférer se passer de l’État dans la manière de régler ses relations affectives, s’en remettant alors à la liberté des contrats. Comme il s’agit dans les deux cas d’un choix conscient réalisé en égalité de situations, leurs auteurs doivent toutefois en assumer la responsabilité, y compris en ce qui concerne ses conséquences éven-tuellement dramatiques (63).

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