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Influence des débats relatifs au pacs sur la revendication du mariage

Dans le document Espagne : Belgique France (Page 103-107)

CHAPITRE 2 | TROIS HISTOIRES NATIONALES

3.3. L’impact des débats sur le pacs : le mariage devient une revendication

3.3.2. Influence des débats relatifs au pacs sur la revendication du mariage

Les défenseurs du pacs au parlement et au gouvernement ont tout fait pour différencier le pacs du mariage et de la famille et éviter d’en faire un « sous-mariage » ou un « quasi-mariage ». Comme l’écrivent Daniel Borrillo et Pierre Lascoumes, « l’adoption du Pacs n’a été possible qu’au prix de deux cantonnements : d’une part, le refus d’une articulation avec le droit de la famille, ce qui explique l’absence de tout débat et de toute proposition concernant la reconnaissance du concubinage ; d’autre part, le maintien du Pacs dans un rang second par rapport à l’institution du mariage » (257).

Le raisonnement était simple : la famille repose sur la filiation, que doit protéger le mariage. Pour cette raison, le mariage ne peut être ouvert aux couples de même sexe (258). Adeline Hazan confirma cette stratégie discursive en affirmant que : « Ce qui a guidé le gouvernement, c’est la volonté que le pacs ne ressemble pas au mariage. C’était un peu trop présent dans les débats : à chaque fois que quelque chose pouvait ressembler au mariage, on l’écartait de peur qu’on puisse dire : c’est un mariage-bis, on ouvre la porte au mariage des homosexuels » (259). Pierre-Éric Spitz, un ancien conseiller d’Elisabeth Guigou, poursuit : « L’ensemble du contenu en a découlé. D’où le refus de la signature à la mairie, d’où un abattement minoré pour les successions et les donations par rapport aux mariés, d’où le refus des droits successoraux au conjoint survivant, d’où un délai pour l’imposition commune : au bout du compte, on a fabriqué un texte avec des droits très importants mais systématiquement démarqués de ceux du mariage » (260). Cette volonté devint particulièrement visible lors du dépôt du « pacs II », à tel point qu’Irène Théry, qui combattait pourtant le pacs, conclut que « ceux qui dénoncent le P.A.C.S. II comme un « mariage homosexuel » ou comme un « mariage bis », sans jamais se rapporter à la lettre du texte, agitent plus de fantasmes de mise en péril de la civilisation qu’ils ne donnent d’arguments » (261).

Cependant, malgré ces précautions, les volontés de distinguer le pacs du mariage ne purent éviter, à l’image des débats belges et espagnols, de constituer ce dernier en point de référence et de lui donner ainsi une visibilité importante. Comme l’a reconnu Jean-Pierre Michel, « il est vrai qu’on raisonne par rapport au mariage, y compris lorsqu’on retravaille le texte de propositions. Nous réfléchissons toujours par rapport aux droits qui sont ouverts aux couples mariés, parce que le mariage reste l’institution de référence du code civil » (262). De plus, les nombreuses questions non réglées dans le cadre du pacs, comme tous les droits relatifs aux enfants, invitaient à chercher un autre statut dans la mesure où elles mettaient en lumière que le pacs ne pouvait pas mettre fin à toutes les discriminations. Surtout, comme le développa Éric Fassin en s’inspirant des analyses de Geneviève Fraisse sur les femmes dans la démocratie, le pacs ouvrit une boîte de Pandore qui ne pouvait que conduire un jour à la revendication du droit au mariage. Pour cet auteur, « les homosexuels sont aujourd’hui exclus du couple. Mais pour peu qu’ils y entrent, l’inégalité qui demeure devient manifeste,

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(257) Daniel Borrillo et Pierre Lascoumes, op. cit., p. 83.

(258) Catherine Tasca, « Le pacte civil de solidarité : une reconnaissance responsable de la diversité des unions » (entretien),

Le Banquet, n° 12 - 13, 1998, p. 2.

(259) Adeline Hazan, « Intervention », in Gérard Bach-Ignasse, op. cit., p. 149. (260) Pierre-Éric Spitz, « Intervention », in Gérard Bach-Ignasse, op. cit., p. 167. (261) Irène Théry, « Mise au point un mois plus tard », Le Banquet, op. cit., p. 15.

plus criante que ne l’était leur seule absence. Le progrès des droits donne ainsi à voir une discrimination jusqu’alors invisible » (263).

Enfin, l’intensité des diverses oppositions au pacs eurent un effet mobilisateur et contribuèrent à radicaliser une partie du mouvement social (264). En effet, si une demande timide et raisonnable comme le pacs déclenchait de telles oppositions, certaines associations se demandèrent pourquoi ne pas passer directe-ment à une revendication jugée plus « subversive » telle que le mariage. Comme l’affirme Philippe Mangeot, président d’Act Up-Paris de 1997 à 1999, « inutile d’inventer un contrat alternatif pour éviter d’effrayer le bourgeois et maintenir le mariage dans ses prérogatives : le bourgeois est déjà effrayé et ne voit que du mariage » (265). De plus, en annonçant que l’étape suivante serait le mariage des homosexuels et la reconnais-sance en droit de l’homoparentalité, les détracteurs du pacs devancèrent d’une certaine manière plusieurs associations. Là où beaucoup n’avait pas encore posé, du moins publiquement, cette revendication, « la mobilisation conservatrice contre l’ancêtre du P.A.C.S. contribu[a] ainsi, en réaction, à la prise de conscience des milieux associatifs : le couple, le mariage, la famille, c’étaient moins des normes qui s’imposaient aux ho-mosexuels, on le voyait mieux désormais, que des droits qu’on continuait à leur refuser » (266). Philippe Mangeot conclut : « Rendons grâce à nos ennemis. Sans eux, nous n’aurions peut-être jamais articulé aussi fortement cette revendication simple qui est désormais la nôtre : nous voulons avoir le droit de nous marier. Car c’est d’abord contre nos ennemis que nous avons construit cette revendication du mariage, contre ceux qui nous niaient par avance le droit, en vérité avant même que nous ne l’ayons sérieusement demandé » (267).

Deux types d’oppositions contribuèrent à l’évolution des positions associatives. D’une part, la mobi-lisation de plusieurs secteurs de la droite traditionaliste et catholique à partir de l’automne 1997 (268), emmenée par Christine Boutin, députée UDF. Ainsi, de nombreux maires réunis dans le collectif des maires de France pour le mariage républicain se mobilisèrent en avril 1998 autour d’une pétition de défense du mariage et firent savoir qu’ils ne célébreraient pas le pacs en mairie. En outre, plusieurs manifestations, soutenues par la droite et plusieurs églises dont l’Eglise catholique, furent organisées dans toute la France à partir d’octobre de la même année (269). Parmi celles-ci, la plus violente, qui réunit environ 100 000 personnes, fut organisée à Paris le 31 janvier 1999 par le collectif « Génération antipacs », dont Christine Boutin (UDF) était la marraine. La violence de certains propos fut telle qu’Act Up - Paris menaça d’outer un député de droite y ayant participé

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(263) Éric Fassin, « P.A.C.S. socialista : la gauche et le « juste milieu » », Le Banquet, op. cit., p. 8.

(264) Pour une étude de l’homophobie au cours des débats sur le pacs et un recueil des insultes proférées durant les débats, Daniel Borrillo et Pierre Lascoumes, op. cit.

(265) Philippe Mangeot, « Mariez-vous avec nous. », Action, n° 53, avril 1998, p. 3. (266) Ibid., p. 3.

(267) Action, n° 53, avril 1998, p. 4.

(268) Christine Boutin, « Les socialistes contre la famille », Le Figaro, 29 septembre 1997 et Id., Le « mariage » des homosexuels ? C.U.C.S., P.I.C., P.A.C.S. et autres projets législatifs, Paris : Critérion, 1998.

(269) Le 15 septembre 1998, la Fédération protestante de France (FPF) publia un communiqué dans lequel elle émit des réserves quant à la proposition de pacs. Le lendemain, le conseil permanent des évêques de France fit une déclaration sur le pacs, dans laquelle il qualifia ce projet d’« inutile et dangereux ». En septembre de la même année, un numéro entier de Documents épiscopat (n°14), le bulletin du secrétariat de la conférence des évêques de France fut consacré à la position des évêques sur le pacs, comprenant notamment un article de Tony Anatrella, qui fut un des principaux conseillers de l’Eglise de France en la matière. Sur ses positions, lire notamment Tony Anatrella, « Une précipitation anxieuse », Le Monde, 10 octobre 1999.

(sans doute Renaud Donnedieu de Vabres). Toutefois, les réactions très négatives provoquées par cette annonce poussèrent l’association à changer d’avis. Par contre, l’importance de cette mobilisation réhabilita le pacs aux yeux de plusieurs activistes, qui se mirent alors à le considérer comme une mesure nécessaire, mais non suffisante, en ce qui concerne la reconnaissance légale des couples de même sexe. Il devint en outre très clair que la lutte pour le pacs et le droit au mariage participait au combat contre l’homophobie. Enfin, l’usage de référence (quasi)religieuses pour s’opposer au pacs convertit encore plus clairement la défense de ce dernier en plaidoyer pour la laïcité (270).

D’autre part, l’opposition au pacs d’intellectuels réputés de gauche, tels qu’Irène Théry, Guy Coq, Françoise Héritier ou Sylviane Agacinski, eut un impact peut-être plus décisif, avant tout parce que cette opposition était plus inattendue. Dès 1996, la sociologue Irène Théry émit ainsi plusieurs objections à l’égard de la reconnaissance légale des couples de même sexe. Elle défendit initialement une extension du concubinage aux homosexuels et l’élaboration d’un statut légal spécifique pour les homosexuels inspiré des pays scandina-ves (271). Elle abandonna toutefois cette seconde proposition en raison du tollé provoqué. En 1997, le philo-sophe Guy Coq publia également une carte blanche contre le pacs remarquée dans

Libération, un journal pourtant considéré comme un bastion de la gauche (272). En 1999, un groupe d’intel-lectuels de gauche opposés au pacs envoyèrent un manifeste intitulé « Ne laissons pas la critique du pacs à la droite » au journal Le Monde(273). Le débat s’intensifia au cours des années 1998 et 1999. Il s’agissait de montrer que la reconnaissance du lien homosexuel et, plus encore, des familles homoparentale, menaçait l’« ordre symbolique » de la société en niant le caractère fondamental de la différence des sexes. À ces critiques s’ajoutait une dénonciation de la ghettoïsation et de l’américanisation de la société française (274). Dans ce cadre, l’anthropologie et la psychanalyse furent les deux disciplines les plus souvent mobilisées, y compris par des intellectuels proches de l’Église catholique.

Cette mobilisation de la science pour asseoir des positions politiques, bien décrite par Éric Fassin (275), entraîna l’émergence d’une parole en retour de la part d’un certain nombre d’intellectuels. Aux côtés de Daniel Borrillo ou Pierre Lascoumes, engagés de longue date dans Aides et militants historiques de la reconnaissance légale des couples de même sexe, d’autres intellectuels s’investirent en faveur des droits LGBT (276), tels qu’Éric Fassin, Marcella Iacub, Didier Éribon, Sabine Prokhoris ou, de manière moins directe, Pierre Bourdieu et

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(270) Enda McCaffrey, « The Sexual and the Theological of Gay Marriage in France : A Dialectic between Autonomy and Universalism », Theology & Sexuality, vol. 12, n° 3, 2006, p. 263 – 284.

(271) Irène Théry, « Différence des sexes et des générations. L’institution familiale en déshérence », Esprit, n° 12, décembre 1996, p. 65 – 90 ; Id., « Famille : une crise de l’institution », Note de la Fondation Saint-Simon, septembre 1996 ; Id., « Le contrat d’union sociale en question », Esprit, n° 10, octobre 1997, p. 159 – 187 .

(272) Guy Coq, « Le contresens du contrat d’union sociale », Libération, 1er juillet 1997. Voir aussi Guy Coq, « PACS, attention à gauche ! « , Le Monde, 16 octobre 1999.

(273) Caroline Eliacheff, Antoine Garapon, Nathalie Heinich, Françoise Héritier, A. Nouri, Paul Veyne, H. Wismann, « Ne laissons pas la critique du pacs à la droite », Le Monde, 27 janvier 1999.

(274) Pour une analyse approfondie de ces discours, Bruno Perreau, « Faut-il brûler Legendre ? La fable du péril symbolique et de la police familiale », Vacarme, n° 25, 2003.

(275) Éric Fassin, « Usages de la science et science des usages : à propos des familles homoparentales »,, op. cit.

(276) Voir la réponse de Christine Delphy à ces accuastions, dans laquelle elle défend le droit et la nécessité pour les membres de groupes discriminés de se réunir. Christine Delphy, « L’humanitarisme républicain contre les mouvements homo », Politique, n° 5, 1997, p. 19 – 22.

Jacques Derrida (277). Le parcours d’Éric Fassin illustre parfaitement ce type de trajectoire. Américaniste et lui-même hétérosexuel, il n’avait a priori aucune raison d’entrer dans cette polémique (278). Il était toutefois profondément mal à l’aise par rapport à certains des arguments tenus et, alors proche de la revue Esprit, il proposa un dossier spécial en 1996, appréhendant les enjeux contemporains de l’homosexualité à travers le miroir franco-américain, afin de le remettre en perspective alors que les États-Unis étaient sans cesse dénoncés dans les débats. Accepté, ce dossier ne vit toutefois jamais le jour, à l’inverse de celui sur le CUS dirigé par Irène Théry, publié en octobre 1997. S’estimant trompé, Éric Fassin publia alors le texte « Homosexualité, mariage et filiation » dans Le Monde (279), qui fit date et marqua le début de son engagement. En réaction à la mobilisation de la science contre le pacs, un nombre impressionnant de conférences, colloques et publications virent le jour. Parmi celles-ci, il faut notamment mentionner, en juin 1997, le colloque de Didier Éribon sur les études gayes et lesbiennes (280) et celui de Daniel Borrillo sur homosexualités et droit (281), les différentes conférences internationales de l’APGL, le colloque sur l’homophobie organisé par Pierre Lascoumes et Daniel Borrillo en collaboration avec Aides (282) ou celui intitulé « Au-delà du pacs », qui déboucha sur le livre du même nom (283).

Les réponses de ces intellectuels en faveur de la reconnaissance légale des couples de même sexe contribuèrent à forger un discours et à renforcer, très vite, les arguments en faveur du mariage. De plus, par leur proximité avec plusieurs associations, ces intellectuels alimentèrent le discours de celles-ci. Ainsi, Éric Fassin devint très proche d’Act-Up – Paris, un mouvement que Didier Éribon considère comme la véritable héritière des conceptions de Foucault sur les mouvements sociaux. Le cas de l’APGL est en outre particuliè-rement intéressant, dans la mesure où c’est l’association elle-même qui, à partir de 1997, sollicita l’avis d’un certains nombre de chercheurs et contribua à la construction d’une discours scientifique sur ses membres.

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(277) Ces deux intellectuels soutinrent très tôt le combat pour les droits des couples homosexuels, notamment en signant un manifeste préparé par Didier Éribon sur une idée de Pierre Bourdieu, publié dans Le Monde le 1er mars 1996. Pierre Bourdieu, Jacques Derrida, Didier Éribon, Michelle Perrot, Paul Veyne et Pierre Vidal-Naquet, « Pour une

reconnaissance légale du couple homosexuel », Le Monde, 1er mars 1996. Didier Éribon, Papiers d’identité. Interventions sur la question gay, Paris : Fayard, 2000, p. 20 – 21. Un autre appel, dans le Nouvel Observateur, suivit ce texte, signé par deux cent trente-quatre intellectuels et artistes (dont Pierre Bourdieu, Jacques Derrida, Didier Éribon, Paul Veyne,

Pierre Vidal-Naquet). Le Nouvel Observateur, 9 mai 1996. Parmi d’autres interventions dans le débat : Evelyne Pisier, « Pacs et parité : du même à l’autre », Le Monde, 20 octobre 1998.

(278) Entretien avec Éric Fassin, op. cit. et Philippe Mangeot et Victoire Patouillard, « Notre oncle d’Amérique : Entretien avec Éric Fassin », Vacarme, n° 12, 2000.

(279) Éric Fassin, « Homosexualité, mariage et filiation », Le Monde, 5 novembre 1997. (280) Didier Éribon, Les études gayes et lesbiennes, Paris : Editions du Centre Pompidou, 1998. (281) Daniel Borrillo, Homosexualités et droit, op. cit.

(282) Daniel Borrillo et Pierre Lascoumes (dir.), L’homophobie : comment la définir, comment la combattre, Paris : ProChoix Editions, 1999.

(283) Ce colloque fut organisé le 10 octobre 1998 à l’Ecole normale supérieure, où enseigne Éric Fassin. Il déboucha sur une carte blanche et un livre. Daniel Borrillo, Eric Fassin et Marcella Iacub, « Au-delà du PACS : pour l’égalité des sexualités »,

Le Monde, 16 février 1999. Daniel Borrillo et Éric Fassin, Au-delà du PACS :L’expertise familiale à l’épreuve de l’homosexualité,

Cette association organisa un premier colloque en juin 1997, à l’issue duquel, un groupe de travail, dont l’identité des membres fut gardée secrète pendant deux ans, fut mis en pied (284). Ses travaux furent présentés lors de la conférence de 1999, elle-même suivie d’une troisième en 2005 (285).

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