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Tels Quels et le début des revendications sur le couple

Dans le document Espagne : Belgique France (Page 59-62)

CHAPITRE 2 | TROIS HISTOIRES NATIONALES

1.2. Émergence d’une revendication

1.2.1. Tels Quels et le début des revendications sur le couple

La réflexion s’amorça à la fin de l’année 1991 au sein de l’association Tels Quels, principale compo-sante du mouvement LGBT francophone de l’époque. Une enquête sur les positions des différents partis politiques avait révélé que le PS, ECOLO, le FDF, le SP, AGALEV et le PVV étaient acquis à l’idée d’une forme de reconnaissance légale du couple et que le PRL se tâtait. Surtout, l’émergence de cette question sur la scène publique et politique française au cours de l’automne 1991, avec la fondation du Collectif pour le

chapitre 2 | T rois histoir es na tionales (14) Homohuwelijk, [Anvers]: 1990.

(15) Roze Zaterdag, Eisenplatform. Mag het iets meer zijn ? Lesbienne- en homorechten : mensenrechten, [Gand], 1992.

(16) Mieke Vogels a plus tard codéposé la proposition de loi sur le CVC et, devenue ministre régionale en 1999, elle a développé la politique d’égalité des chances à l’égard des personnes LGBT.

CUC par Jan-Paul Pouliquen, incita l’association belge francophone à se positionner. Ce fut d’ailleurs à l’issue de l’émission Controverse (RTL-TVI) du 3 mai 1992, consacrée au CUC français (18) que deux de ses respon-sables, Alain Bossuyt et Luc Legrand, contactèrent quelques parlementaires (Henri Simons (ECOLO), Yvan Mayeur (PS), Olivier Maingain (FDF), Marie-Laure Stengers (PRL) et Denis Grimbergs (PSC)) pour connaître leur avis. Suite à l’accord des trois premiers de travailler sur une proposition de loi et de la signer avec Tels Quels, ils chargèrent l’avocat de l’association, Jacques Hamaide, de rédiger une proposition. Ce dernier se mit à la tâche avec Michel Pasteel, un jeune membre de son cabinet, et un premier texte, le « contrat de vie commune » (CVC), fut présenté en octobre 1993 au cours d’un colloque organisé par Tels Quels à l’ULB. Ne comprenant ni obligation de fidélité, de cohabitation ou de relations sexuelles, ni de dispositions relatives aux enfants, ce contrat se référait à l’institution du mariage pour de nombreux autres articles (droit successoral et patrimonial, sécurité sociale, question du partenaire étranger). Il pouvait être conclu par simple déclaration à l’État-civil après un inventaire, certifié par notaire, des biens de chaque cocontractant et se terminait sur simple demande d’un des partenaires, par un document signé et une déclaration à l’État-civil. Les partenaires pouvaient recourir au juge de paix pour faire appliquer les droits et devoirs. Ce texte fut déposé le 2 mars 1994 à la Chambre des Représentants par quatre députés, Olivier Maingain (FDF), Yvan Mayeur (PS), Henri Simons (Écolo) et Mieke Vogels (AGALEV) (19).

Les arguments avancés pour justifier le contrat de vie commune confirmaient le consensus des années précédentes. Ils s’inscrivaient dans l’urgence d’une réponse au sida et prônaient une logique d’égalité de traitement et de refus des discriminations. Les conséquences liées à l’absence de reconnaissance juridique des relations homosexuelles étaient décrites comme des discriminations résultant d’un traitement inégal des unions homosexuelles par rapport aux relations hétérosexuelles. Toutefois, ces postulats d’égalité de traitement et de non-discrimination n’impliquaient pas encore l’ouverture du mariage civil aux couples de même sexe, mais justifiaient l’élaboration d’un contrat alternatif à celui-ci. Ce dernier, à l’image du CUC français, devait répondre à la fois aux problèmes des couples de même sexe et des concubins, c’est-à-dire des couples qui ne pouvaient pas et/ou ne voulaient pas se marier.

Cette position s’expliquait avant tout par une approche pragmatique en vertu de laquelle, par réalisme politique, les associations préféraient contourner la levée de boucliers qu’aurait sans doute provoquée une demande d’ouverture du mariage (20). L’urgence du sida, qui décimait à l’époque la population homosexuelle masculine, renforçait le sentiment qu’il fallait agir rapidement. Toutefois, elle procédait également d’une démarche plus substantielle qui rejetait l’institution du mariage car perçue comme intrinsèquement oppres-sante et discriminatoire, promouvait son dépassement comme unique forme de reconnaissance de la vie commune et valorisait la liberté relationnelle et sexuelle acquise par les homosexuels au cours des deux dernières décennies (21). Cette position découlait enfin d’une défense du droit à la vie privée qui arrêtait l’action

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(18) Entretien Alain Bossuyt et Luc Legrand, Bruxelles, 9 septembre 2003. Participaient également à ce débat : Jan-Paul Pouliquen (Collectif pour le CUC – France), Henri Simons (ECOLO), Patrick Senaeve (KUL), Marie-Thérèse Meulders-Kindt (UCL), le Père Tommy Scholtès et Luc Legrand (Tels Quels).

(19) Yvan Mayeur, Henri Simons, Olivier Maingain, Mieke Vogels, « Proposition de loi concernant le contrat de vie commune », Chambre des Représentants, Doc. parl. n° 1340/1 (1993-1994).

(20) Chille Deman, « Revendications. Quel partenariat ? », Tels Quels, n° 96, juin 1991, p. 5 - 7. (21) Luc Legrand, op. cit., p. 3.

de l’État au seuil de la chambre à coucher (22), ainsi que d’une attitude laïque militante qui considérait que le mariage civil était encore trop proche de son ancêtre religieux (23).

La revendication du CVC ou d’un contrat similaire s’inscrivait donc souvent dans une vision négative du mariage et reposait sur l’idée que les homosexuels doivent être des agents d’innovation sociale (24). De cette manière, elle subordonnait l’exigence d’égalité des droits à un projet social plus vaste qui en limitait l’appli-cation (25). Comme le développent notamment Luc Legrand et Alain Bossuyt (26), le mariage était présenté de manière atemporelle comme une alliance patrimoniale entre deux familles visant avant tout à régler un certain nombre de questions économiques et successorales, voire la descendance dans un système patrilinéaire (27). De fait, l’amour y fut longtemps étranger alors qu’il caractérisait le vécu des couples homosexuels qui, interdits de mariage et privés de reconnaissance sociale, n’avaient jamais rien connu d’autre et ne pouvaient, pour cette raison, entrer dans l’institution matrimoniale. Ce raisonnement explique notamment pourquoi le CVC était avant tout défini comme l’union de deux individus et excluait tout effet entre leurs familles. En outre, le mariage était souvent considéré comme une institution intrinsèquement oppressive et comme un symbole de la discrimination des homosexuel-le-s, voire comme un pilier du patriarcat. Cette nature pro-fondément inégalitaire était jugée incompatible avec le projet émancipateur du mouvement homosexuel. L’immuabilité supposée d’une institution matrimoniale réifiée imposait la recherche d’une nouvelle forme de reconnaissance légale du couple.

De timides ouvertures sur la question du mariage

Au cours de cette période, certains activistes posèrent toutefois l’ouverture du mariage civil comme l’horizon ultime des revendications. Dans ce cadre, la proposition de contrat de vie commune procédait uniquement de calculs politiques et stratégiques. Il s’agissait de demander ce que l’on pouvait raisonnablement espérer obtenir. Deux grandes différences distinguaient cette position de la vision précédente. D’une part, le projet d’égalité des droits était dissocié de tout autre projet de société et vu comme progressiste en lui-même. Ainsi, dans un article de 1996 (28), Jean-Paul Bouchoms, alors président de Tels Quels, présenta le combat homosexuel comme celui d’une « composante sociale qui, contrairement à ce qui se dit trop souvent, cherche moins la reconnaissance d’un droit à la différence que la reconnaissance du droit à ne plus être traitée diffé-remment » (29). Par conséquent, ses objectifs devaient moins chercher à changer la société ou à créer des insti-tutions spécifiques qu’à garantir « le droit pour chaque homme et chaque femme de vivre sa sexualité en conformité avec son désir, dans le respect des règles légales touchant à l’âge et au consentement des partenai-res », ce qui impliquait, en « corollaire : l’égalité juridique de tous les couples » (30). D’autre part, le regard porté sur le mariage n’était pas aussi négatif que dans les argumentations précédentes. En effet, il ne s’agissait plus

chapitre 2 | T rois histoir es na tionales (22) Ibid.

(23) Notamment Alain Bossuyt, « Ça bouge », Tels Quels, n° 144, avril 1996, p. 9. (24) Notamment Chille Deman, op. cit., p. 5

(25) David Paternotte, « Beyond the laws… », op. cit.

(26) Alain Bossuyt, « Pourquoi pas le mariage ? », Tels Quels, n° 119, novembre 1993, p. 8. (27) Alain Bossuyt, « Ça bouge ! », op. cit., p. 8 - 9.

(28) Jean-Paul Bouchoms, « Elio Di Rupo blanchi. Les homosexuels condamnés à la différence », Tels Quels, n° 154, avril 1997, p. 10. (29) Jean-Paul Bouchoms, « Éditorial », Tels Quels, n° 135, mai 1995, p. 3.

uniquement de promouvoir l’individu, son autonomie et ses droits face au poids de l’institution matrimoniale en valorisant la liberté relationnelle et sexuelle au sein du CVC, mais de permettre aux homosexuels de s’émanciper des représentations sociales dans lesquelles ils avaient été confinés par la société et, donc, de la position injustement différenciée prescrite par celle-ci. « La vraie question » n’était plus pourquoi le mariage constituait une institution inégalitaire, mais : « En quoi les homosexuels sont-ils différents si ce n’est qu’ils n’ont aucun droit ? » (31).

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