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Aides ou l’apparition de l’idée d’ouvrir le mariage

Dans le document Espagne : Belgique France (Page 97-100)

CHAPITRE 2 | TROIS HISTOIRES NATIONALES

3.2. L’apparition d’une revendication

3.2.2. Aides ou l’apparition de l’idée d’ouvrir le mariage

En février 1995, Aides (228), la principale association de lutte contre le sida, décida de s’engager dans le dossier de la reconnaissance légale des couples de même sexe. Afin d’étudier le projet de CUC ainsi que les situations juridiques des différents pays européens, un groupe de travail (229) fut créé sein du groupe juridique du comité Aides Paris-Île-de-France par Pierre Lascoumes et Yann Pedler, qui le dirigea pendant plusieurs années. Cette décision faisait suite à l’enterrement, selon cette organisation, de la proposition de loi sur le CUC, à la démobilisation autour de ce projet et à plusieurs critiques quant à sa philosophie et son contenu. D’une part, Aides souhaitait dénoncer une conception du partenariat qui ne faisait pas de la reconnaissance du couple un objectif central en le mettant sur le même pied que d’autres types de duos (familiaux, amicaux, etc.). D’autre part, les conditions de rupture étaient considérées insatisfaisantes. L’APGL critiquait aussi certaines dispositions sur l’exercice de l’autorité parentale et le refus de l’adoption, tandis que l’ARDHIS, l’Association pour la Reconnaissance des Droits des Homosexuels à l’Immigration et au Séjour, exigeait l’inclusion de l’octroi du titre de séjour pour le partenaire de nationalité étrangère.

Cet intérêt pour le statut légal des couples de même sexe s’inscrivait de manière plus générale parmi les moyens de lutte et de prévention du sida promus par l’association. La stabilité des couples et une recon-naissance juridique accrue étaient en effet considérées comme essentielles dans le cadre d’une politique de prévention, notamment suite à leur influence sur l’estime de soi. En outre, il s’agissait de répondre de manière à la fois rapide et concrète aux problèmes matériels engendrés par l’absence de statut légal pour les couples de même sexe touchés par l’épidémie de sida. Comme l’argumenta Daniel Borrillo, juriste bénévole au sein de l’association, en mai 1996, « le degré de citoyenneté et la reconnaissance de droits sont étroitement liés à la réussite sanitaire. L’acceptation de l’union des homosexuel(le)s constitue aujourd’hui un élément de plus dans la lutte contre le SIDA, il est de notre devoir de volontaires de saisir cette possibilité et d’agir en conséquence » (230). chapitre 2 | T rois histoir es na tionales

(227) Deux autres associations contribuèrent aussi à transformer l’ouverture du mariage en véritable revendication, participant plus tard à la coalition d’acteurs en sa faveur. L’Association des Parents Gays et Lesbiens (APGL), qui défend les droits des parents et futurs parents LGBT depuis 1986, réclama très tôt le droit au mariage. Ce dernier offrait de nombreuses sécurités vis-à-vis des enfants dont les propositions de statut pour le couple étaient souvent dépourvues. Janine Mossuz-Lavau, op. cit., p. 387. Le Centre Gai et Lesbien (CGL) de Paris prit également très tôt position dans ce dossier et un groupe Droits des Lesbiennes et des Gais fut créé en 1996 en son sein. Ce groupe était chargé d’identifier les problèmes rencontrés par les usagers du centre pour leur apporter des solutions juridiques, politiques et sociales et défendre publiquement ces revendications. C’est là qu’apparurent en 1997 les demandes d’ouverture du mariage et de refonte législative du concubinage, réclamées au nom de « l’égalité juridique pour les homosexuels » dans une plateforme transmise à tous les parlementaires. Centre Gai et Lesbien,

Rapport d’activité 1997, Paris, 1997, p. 13. et 3 Keller, n° 34, janvier 1998, p. 5.

(228) Aides a été fondée en 1984 par Daniel Defert, compagnon de Michel Foucault, suite au décès de ce dernier des suites du sida. Voir notamment Frédéric Martel, Le rose et le noir, op. cit., p. 370 – 421 (« chapitre 11 : Aides, histoire d’un mouvement social ») ; Olivier Maguet et Christine Caldéron, Aides : Une réponse communautaire à l’épidémie de sida, Paris : Aides, 2007.

(229) Ce groupe comprenait au départ Dominique Delayance, François-Olivier Dommergues, Bernard Duplat, Frédéric Gabet, Benoît Nilles, Patrice Monin-Hersant, Yann Pedler. Il fut notamment rejoint par Daniel Borrillo et Marianne Schulz. (230) Daniel Borrillo, « Les couples homosexuels et la lutte contre le SIDA », Le BV, mai 1996, p. 19.

A l’issue des travaux de ce groupe de travail, en juin 1995, Aides proposa le contrat de vie sociale. Concurrent direct du CUC, il offrait quelques droits supplémentaires (droits de séjour du partenaire étranger, etc.) et était réservé aux couples, excluant les fratries du champ d’application. Enregistré par un officier d’état civil, il réglementait de manière plus stricte les modalités de rupture et prévoyait l’intervention d’un juge en cas de désaccord. Rien, toutefois, ne concernait les enfants. L’annonce de ce projet engendra des tensions avec le Collectif pour le CUC, mais un accord fut trouvé durant l’été 1995 et le Contrat d’Union sociale (CUS) fut présenté au Centre Gai et Lesbien le 30 septembre 1995. Ce texte fusionnait le CUC et le CVS. Il était réservé aux couples, enregistré par un officier d’état civil et prévoyait un délai de douze mois pour la rupture, ainsi que l’intervention du juge en cas de désaccord sur celle-ci. Toutefois, cette association entre les partisans du CUC et du CUCS fut de brève durée.

Dans le discours d’Aides, la question de la reconnaissance légale des couples de même sexe était donc intrinsèquement liée à celle de l’épidémie du sida, par laquelle l’association avait justifié son intervention dans ce dossier. Par ailleurs, à l’époque, la volonté affichée de l’association était, tout comme le CUC, de proposer un statut juridique nouveau qui prenne en compte la remise en cause du mariage comme modèle unique de vie en couple. L’avant-projet relatif au CVS de septembre 1995 indiquait ainsi qu’« il importe de rappeler que la justification du CUC, ou d’un autre texte tel que le C.V.S., résulte du fait que l’institution du mariage retenue par le code civil comme seul cadre légal du couple et de la famille, ne correspond plus aux réalités sociales actuelles. (…) La réalité du couple est aujourd’hui polymorphe, et l’état du droit ne correspond plus aux modes de vie d’un nombre croissant de personnes » (231).

Ce discours sur le sida cohabitait avec une logique de revendication de l’égalité des droits qui prit très vite de l’importance et qui, selon Daniel Borrillo et Pierre Lascoumes (232), conduisit à la demande d’ouverture du mariage au cours de l’année 1996. Une note de Yann Pedler à Arnaud Marty-Lavauzelle illustre cette double logique, pragmatique et radicale, qui caractérisait alors les positions de l’association. Dans ce texte, daté du 24 mai 1996, portant sur un entretien au cabinet du Ministre de la Justice Jacques Toubon, Yann Pedler écrit : « Si effectivement le Gouvernement proposait une loi officialisant le concubinage, et bien entendu, qui prévoirait, suivant notre exigence, que celui-ci serait applicable à tous citoyens, quel que soit leur sexe, nous résoudrions une partie importante des difficultés auxquelles se heurtent aujourd’hui les couples non mariés de même sexe. Ce ne serait, bien évidemment qu’une première étape pour mettre fin à des discriminations sachant que l’étape ultime, qu’il est difficile aujourd’hui d’aborder sérieusement, serait celle du mariage pour ceux qui le souhaitent » (233).

La formalisation de la revendication du mariage

Ces revendications furent formalisées en avril 1997 dans un rapport de la Fédération nationale d’Aides rédigé par Daniel Borrillo et Marianne Schulz avec la collaboration de Michel Canonge, François Courtray, Danièle Lochak, Marc Morel, Yann Pedler, Hervé Pillot et Georges Vivien. Intitulé Vers la reconnaissance des couples de même sexe, ce document défendait une triple revendication : l’accès des homosexuels au statut de concubinage, des modifications au projet de CUS et, surtout, le droit au mariage civil. Si les enjeux de la prévention et de la lutte contre le sida étaient toujours présents, le combat contre les discriminations à l’égard

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(231) Aides. Fédération nationale, Avant projet pour un Contrat de Vie Sociale, Paris, septembre 1995, p. 2.

(232) Daniel Borrillo et Pierre Lascoumes, Amours égales ? Le Pacs, les homosexuels et la gauche, Paris : La Découverte, 2002, p. 69. (233) Yann Pedler, Compte rendu de la réunion au cabinet du Ministre de la Justice le 23 mai 1996 à 10h, Paris, 24 mai 1996.

des homosexuel-le-s et pour l’égalité des droits reçut une place accrue et la reconnaissance du couple était présentée comme l’étape suivante de ce combat, le reliant de manière étroite à la lutte contre l’homophobie. Ce document indiquait ainsi : « Dans la lutte pour l’égalité des droits, la prise en compte de l’individu est certes une étape fondamentale, mais elle ne peut se limiter à cela. (…) En tant que situations octroyant des droits et des obligations, le mariage et le concubinage doivent être élargis à l’ensemble des personnes majeures et capables, et ceci indépendamment de leur orientation sexuelle ». Un peu plus loin : « L’hostilité aux homo-sexuels (déguisée d’appels à la tradition juridique, à la nature historiquement sacramentale ou à la finalité reproductive du mariage, à l’ordre public, etc.) demeure le seul obstacle à la reconnaissance et à l’égalité des droits » (234). En se fondant sur la résolution du Parlement européen de 1994, il présentait en outre l’accès au mariage comme un droit fondamental dont la « négation implique une atteinte aux principes d’égalité et de non discrimination » (235).

Cette argumentation considérait le droit au mariage comme le sommet de la lutte pour l’égalité, « la dernière étape », « la parfaite égalité entre couples » (236). Considéré comme un contrat laïc hérité de la Révolution française, il était exclusivement défini par la relation entre les partenaires. Ainsi, « se marier et fonder une famille constituent non seulement une prérogative individuelle mais aussi une liberté fondamentale. Le mariage insti-tutionnalise l’union de deux personnes ayant comme but la solidarité réciproque, sur la base de l’affection mutuelle. » (237). De plus, l’argument selon lequel l’ouverture du mariage constituerait un embourgeoisement du mouvement LGBT était considéré sans fondement. Au contraire, en s’appuyant sur l’importance de garantir la liberté de choix, ce document clamait que « les principes de liberté et d’égalité commandent que le choix soit possible ; libre à ceux qui refusent le mariage de rester en dehors, de ne pas s’y plier ! Et si le mariage n’est qu’une institution bourgeoise, les homosexuels devraient-ils renoncer à la propriété privée, symbole aussi de nos sociétés bourgeoises ! » (238).

Ces recommandations ne firent toutefois pas l’unanimité des membres d’Aides, à commencer par Daniel Defert, le fondateur de l’association (239). Daniel Borrillo et Jean Le Bitoux se rappellent ainsi d’un repas avec Daniel Defert et Pierre Lascoumes durant lequel Jean Le Bitoux et Daniel Defert s’opposèrent à l’objectif d’ouverture du mariage au nom de l’héritage de Michel Foucault (240) Toutefois, cette triple revendication devint celle de toute la Fédération d’Aides et les présidents Arnaud Marty-Lavauzelle puis Christian Saout la portèrent dans l’espace public. Aides se transforma ainsi, notamment grâce à ses ressources humaines, médiatiques et financières ainsi qu’à son implantation sur l’ensemble du territoire français, en un des acteurs clés du combat pour le mariage.

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(234) Daniel Borrillo et Marianne Schulz, Vers la reconnaissance des couples de même sexe : Analyses et propositions de AIDES, Paris : Aides fédération nationale, avril 1997, p. 4.

(235) Ibid., p. 5. (236) Ibid., p. 9. (237) Ibid., p. 15. (238) Ibid., p. 16.

(239) Par ailleurs, la sociologue Irène Théry, qui refusait tant les ancêtres du pacs que l’ouverture du mariage, sollicita à plusieurs reprises l’appui d’Aides, qui refusa de le lui accorder. Elle collabora toutefois avec Marianne Schulz lorsque celle-ci perdit son travail de juriste dans l’association. Entretien avec Daniel Borrillo, Paris, 5 octobre 2007.

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