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Dynamiques discursives : cadres et univers du discours politique

Dans le document Espagne : Belgique France (Page 131-139)

CHAPITRE 2 | TROIS HISTOIRES NATIONALES

4. Comparaison

4.4. Dynamiques discursives : cadres et univers du discours politique

Au cours des deux dernières décennies, un autre courant de la sociologie des mouvements sociaux s’est penché sur les modalités de construction des discours tenus par les mouvements sociaux, ainsi que sur leur impact au niveau du changement social (392). Il a été dominé par l’approche basée sur les concepts de cadre (frame) et de cadrage (framing) (393), selon laquelle, en s’inspirant d’Erving Goffman, un cadre constitue « un schéma interprétatif qui signifie et condense le monde extérieur en ponctuant et en codifiant de manière sélective des objets, des situations, des événements, des expériences et des séquences d’action dans son envi-ronnement présent ou passé » (394). Dans cette perspective, le cadrage désigne « l’activité cognitive d’emprunt d’idées à des discours et les négociations sociales que supposent l’écriture, la présentation orale et la composition de communications qui relient des événements, des idées et des actions l’un à l’autre » (395). Il s’agit par conséquent d’« un phénomène actif et processuel qui implique de l’action et de la protestation au niveau de la construction de la réalité. C’est un processus actif dans la mesure où quelque chose est fait, et processuel, car il s’agit d’un processus dynamique, en évolution. Le cadrage suppose de l’action en ce que c’est le travail des organisations du mouvement social ou des activistes qui est en évolution. Et il y a protestation dans la mesure où le cadrage implique la génération de cadres interprétatifs qui, non seulement diffèrent de ceux qui existent, mais peuvent aussi les mettre en cause » (396). Comme l’écrit Doug McAdam, « par cadrage, Snow et Benford désignent les efforts conscients et stratégiques des groupes du mouvement pour façonner des représentations sensées d’eux-mêmes et des sujets en débat afin de motiver et légitimer leurs efforts » (397).

La plupart des travaux empiriques qui s’inscrivent dans cette perspective insistent sur la nature stra-tégique de ces opérations de construction du discours (398) et considèrent les acteurs des mouvements sociaux comme « des agents signifiants activement engagés dans la production et le maintien de signification pour les électeurs, les opposants et les spectateurs ou les observateurs » (399). Dans ce but, ils utilisent des notions telles qu’alignement de cadre (frame alignement) (400), résonance de cadre (frame resonance) ou cadre maître (master

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(392) Certains auteurs se sont part ailleurs efforcés de croiser cette approche avec celle fondée sur les structures d’opportunités politiques. William A. Gamson et David S. Meyer, op. cit., p. 275 - 290.

(393) Pour un aperçu, Sidney Tarrow, Power in Movement, op. cit., p. 106 – 122 (chapitre 7 « Framing Contention »).

(394) David A. Snow et Robert D. Benford, « Master Frames and Cycles of Protest », in Aldon Morris et Carol Mc Clurg Mueller (éds), Frontiers in Social Movements Theory, Yale : Yale University Press, 1992, p. 137.

(395) Myra Marx Ferree et David A. Merrill, « Hot Movements, Cold Cognition : Thinking about Social Movements in Gendered Frames », Contemporary Sociology, vol. 29, n° 3, 2000, p. 456.

(396) Robert D. Benford et David A. Snow, « Framing Processes and Social Movements : An Overview and Assessment »,

Annual Review of Sociology, vol. 26, 2000, p. 614.

(397) Doug Mc Adam, « The framing function of movement tactics : stategic dramaturgy in the American civil rights movement », in Doug McAdam, John McCarthy et Mayer N. Zald, op. cit., p. 339.

(398) Ibid.

(399) Robert D. Benford et David A. Snow, op. cit., p. 613.

(400) David A. Snow, E. Burke Rochford, Steven K. Worden, Robert D. Benford, « Frame Alignment Processes, Micromobilization, and Movement Participation », American Sociological Review, vol. 51, n° 4, 1986, p. 464 – 481.

frame), qui traduisent les modalités et les étapes du travail discursif des mouvements sociaux, ainsi que leur ajustement au contexte discursif et représentationnel d’une société. Comme le résume Marc W. Steinberg, « un cadrage réussi dépend de la mesure selon laquelle des cadres résonnent avec la compréhension potentielle des adhérents et des sympathisants, qui est à son tour fonction de leur fidélité narrative, de leur commensu-rabilité expérimentale et de leur crédibilité empirique » (401). En outre, ce phénomène de résonance est souvent renforcé par un travail d’alignement de cadres, qui consiste à relier le discours des mouvements sociaux aux idées et aux représentations des adhérents potentiels (402), et/ou le mettre en adéquation à un cadre maître.

Toutefois, si mon terrain confirme l’existence d’un travail discursif de nature stratégique de la part des partisans de l’ouverture du mariage, il nuance la priorité qui lui est accordée. Les dynamiques discursives apparaissent beaucoup plus dialogiques (403) et un certain nombre d’éléments discursifs ne semblent pas répondre de manière principale à des préoccupations stratégiques. En effet, le contexte discursif dans lequel évoluent ces activistes leur impose des thèmes de débats face auxquelles ils doivent se positionner et/ou qui limitent l’horizon des discours tant audibles que pensables, y compris par ces activistes. Par conséquent, le discours des mouvements sociaux constitue le « produit commun des actions rationnelles des challengers et des contraintes du contexte discursif » (404).

Certains des cadres articulés dans ces discours ne sont donc pas délibérément choisis, mais se sont plutôt invités dans le discours militant. Cela a par exemple été le cas du discours sur l’égalité des droits. Comme je l’ai déjà indiqué dans le parcours historique et l’approfondirai dans le dernier chapitre, celui-ci relève moins d’un choix politique, conscient et stratégique, à un moment donné, de certains activistes, que de la reprise plus ou moins diffuse d’un mode de raisonnement présent de manière plus vaste et particulière-ment prégnante dans la société. Il ne s’agit donc pas, avant tout, d’un choix stratégique destiné à maximiser les gains du mouvement en question, même si cet élément était présent, mais de l’influence d’un cadre de pensée plus large sur quelques militants. Premièrement, le fait que la question posée était d’ordre juridique et que, pour cette raison, plusieurs des activistes impliquées aient été des juristes (Daniel Borrillo, Pedro Zerolo, Michel Pasteel, etc.) a contribué à la reprise et à la diffusion d’un discours très présent en Droit. Ces activistes ont ainsi agi à partir des outils à leur disposition et dont ils étaient familiers. Deuxièmement, il importe de comprendre les modalités du travail militant. La plupart du temps, les organisations qui ont porté la revendication du droit au mariage étaient faibles et disposaient de peu de ressources tant humaines que financières. Dans ce cadre, elles ont souvent travaillé dans l’urgence et ce qui peut apparaître dans une lecture

a posteriori comme le résultat d’une stratégie a souvent surgi en partie par hasard, dans une démarche fondée sur le bon sens et dans une volonté de saisir un événement pour sortir dans les médias ou contacter les politi-ques. Troisièmement, comme je le discuterai dans le chapitre suivant, un certain nombre d’influences exté-rieures, notamment à travers la reprise de modèles étrangers, ont joué.

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(401) Marc W. Steinberg, « The Talk and Back Talk of Collective Action : A Dialogic Analysis of Repertoires of Discourses among Nineteenth-Century English Cotton Spinners », American Journal of Sociology, vol. 105, n° 3, 1999, p. 738.

(402) David A. Snow et Robert D. Benford, « Ideology, frame resonance, and participant mobilization », International Social Movement Research, vol. 1, 1988, p. 197 - 218.

(403) Marc W. Steinberg, op. cit.. Id., « Tilting the frame : Considerations on collective action framing from a discursive turn »,

Theory and Society, vol. 27, n° 6, 1998, p. 845 – 872.

(404) Marc W. Steinberg, « The Talk and Back Talk of Collective Action : A Dialogic Analysis of Repertoires of Discourses among Nineteenth-Century English Cotton Spinners », op. cit., p. 736.

Pour ces différentes raisons, il me paraît plus opportun d’utiliser la notion d’univers du discours politique. Ce concept, proposé par Jane Jenson, désigne l’espace de lutte discursive entre les acteurs, « un espace dans lequel des identités socialement construites émergent dans la lutte discursive » (405). Cet espace naît des luttes, de la part des différents acteurs qui coexistent dans une société, pour l’attention sociale et la légitimité de leurs pratiques et systèmes de signification. Tout en reconnaissant et en soulignant l’existence d’un espace de lutte au niveau du discours, ce concept ne présage pas de la nature nécessairement stratégique du travail des mouvements sociaux et permet de mieux appréhender le caractère dialogique, voire multidirectionnel et polyphonique, des discours proposés, qui se situent entre positionnement stratégique et influence des structures. En effet, « les contributions que [peuvent] faire les acteurs dépendent non seulement des stratégies adoptées, mais aussi des caractéristiques des structures dans lesquelles ils viv[ent] ». Le concept d’« univers du discours politique » permet donc de considérer à la fois ce que font les acteurs et la manière dont ils sont « faits » par leur environnement. Jane Jenson affirme que « les acteurs sont à la fois assujettis aux structures et des sujets agissants véhiculant dans leurs pratiques et systèmes de significations les possibilités tant de la stabilité que du changement social » (406).

En outre, cette notion permet de considérer l’influence des rapports de pouvoir, dans la mesure où l’univers du discours politique limite « premièrement, la diversité des acteurs auxquels le statut de participant légitime est reconnu, deuxièmement, la diversité des sujets considérés comme appartenant au royaume des débats politiques sensés, troisièmement, les alternatives de politiques publiques considérées comme pouvant être mises en œuvre et, quatrièmement, les stratégies d’alliance à disposition pour réaliser le changement social » (407). De cette manière, « alors que la notion de cadre reste cantonnée à la question de l’adéquation culturelle entre une revendication et le contexte dans lequel elle est énoncée, la notion d’univers du discours politique (…) permet de rendre compte des rapports de pouvoir qui déterminent quels discours sont légitimes » (408).

Cette notion a notamment été appliquée par Jane Jenson à l’étude des revendications féminines relatives au travail des femmes et à la protection des mères et de leurs enfants en France et aux États-Unis avant 1914. Tout en restituant l’action des mouvements de femmes dans chacun de ces deux pays, il lui permet de souligner le caractère matriciel des deux contextes nationaux pour les revendications avancées et de conclure qu’« opérant à l’intérieur des interstices de deux univers du discours politique qui fournissent des limites différentes à l’espace dans lequel elles pourraient manœuvrer, les femmes françaises et américaines continuèrent à chercher après 1914 leur voie vers l’émancipation, la libération et l’égalité dans la différence » (409).

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(405) Jane Jenson, « Paradigms and Political Discourses : Protective Legislation in France and the United States Before 1914 »,

Revue canadienne de science politique, vol. 22, n° 2, 1989, p. 238 ; Id., « Representations in Crisis : The Roots of Canada’s Permeable Fordism », Revue canadienne de science politique, vol. 23, n° 4, 1990, p. 663 et Id., « Gender and Reproduction : Or, Babies and the State », Studies in Political Economy, n° 20, 1986, p. 9 – 46.

(406) Jane Jenson, « Paradigms and Political Discourses : Protective Legislation in France and the United States Before 1914 »,

op. cit., p. 236.

(407) Jane Jenson, « Struggling for identity : The women’s movement and the state in Western Europe », West European Politics, vol. 8, n° 4, 1985, p. 7.

(408) Éléonore Lépinard, op. cit., p. 248. (409) Ibid., p. 258.

Trois exemples issus de mon terrain illustrent la nature éminemment sociale et dialogique du discours tenus par les mouvements sociaux. Les deux premiers concernent la France et traitent, respectivement, des liens entre mariage et filiation et du rapport au républicanisme. Le troisième étudie la place du référent familial dans le discours des associations espagnoles. Ces trois exemples montrent les limites d’une approche uniquement stratégique du discours des partisans de l’ouverture du mariage et permettent de comprendre certaines spéci-ficités discursives présentées dans le chapitre précédent.

4.4.2. filiation et ordre symbolique

J’ai indiqué au cours des pages qui précèdent combien la filiation a constitué un débat politique central en France et combien il s’est agi d’un thème incontournable, par rapport auquel tout acteur a été obligé de se positionner. En effet, à partir de l’intervention d’Irène Théry, le projet de pacs et encore plus celui d’ouverture du mariage ont été attaqués au nom du respect de l’organisation de la filiation et de la défense d’un « ordre symbolique » reposant sur la différence des sexes et jugé fondamental pour le maintien de la société (410). Dans ce cadre, c’est avant tout suite à l’émergence de ces critiques et à leur réception favorable dans la société française que les défenseurs du pacs et du droit au mariage se sont positionnés sur le terrain glissant de la filiation. Stratégiquement, la plupart d’entre eux auraient sans doute préféré éviter ce débat, dont ils n’étaient de plus souvent pas familiers. Ainsi, Éric Fassin ne connaissait par exemple pas en profondeur l’anthropologie de la parenté avant d’entrer dans cette polémique et s’est vu obligé de l’assimiler à ce moment-là pour pouvoir riposter (411). Il a donc été contraint d’intervenir sur le terrain choisi par ses détracteurs.

En outre, la comparaison avec l’Espagne et la Belgique, où ces discussions anthropologiques et psychanalytiques n’ont pas été aussi importantes, révèle la spécificité française de cet axe de débat. Il serait donc trompeur, en suivant les hypothèses relatives au cadrage, d’interpréter le discours des militants sur cette question comme une volonté d’entrer en résonance avec un cadre plus global de la société française, même s’il est vrai que ce thème y est particulièrement prégnant. Il s’est au contraire agi pour la plupart d’entre eux d’une réponse – obligée – aux attaques dont ils ont fait l’objet ainsi qu’aux arguments qui, à droite comme à gauche, justifiaient de n’ouvrir ni le mariage, ni la filiation ou l’adoption aux unions de même sexe. La vraie question, posée par des auteurs comme Judith Butler ou Bruno Perreau (412), est donc plutôt pourquoi l’enjeu de la filiation occupe une telle place dans les débats et l’imaginaire hexagonaux.

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(410) Bruno Perreau, op. cit.

(411) Entretien avec Éric Fassin, op. cit.

(412) Bruno Perreau, Genre et politique : Une archéologie de l’action publique de l’adoption en France : Thèse de doctorat en science politique, Paris : Université Paris I Panthéon - Sorbonne, 2006 ; Judith Butler, « Is Kinship Always Already Heterosexual ? », in Id., Undoing Gender, op. cit., p. 102 – 130.

4.4.3. le mariage, entre communautarisme et républicanisme

Au cours des années 1990, les débats sur le modèle français d’intégration et les natures des liens unissant la communauté politique ont connu un nouveau regain (413). Au moment où plusieurs catégories de la population française, des femmes aux descendants de l’immigration en passante par les homosexuel-le-s (414), en ont dénoncé les promesses non tenues, de nombreux intellectuels et acteurs politiques ont mis en garde contre les risques de fragmentation de l’espace public et de fragilisation des valeurs nationales, à leurs yeux inhérents à ce type de revendication. Contre ce qu’ils ont présenté comme les dangers du « communautarisme », souvent synonyme d’américanisation de la France (415), ils ont alors réaffirmé le modèle républicain, fondé sur l’abstraction d’un citoyen neutre, l’universalisme de la règle de droit et la séparation stricte des espaces public et privé. Cette polémique reposait de plus sur l’héritage d’un modèle politique plus ancien, qui en a renforcé les effets. Propre à la France, il y influence profondément l’organisation des rapports sociaux et du système politique. À ce titre, il joue un rôle de matrice pour les mouvements sociaux, dont il contribue à façonner l’imaginaire et les représentations (416). Enfin, comme l’ont soulevé plusieurs auteurs, ces débats sur le ciment de la nation française n’étaient pas étrangers à ceux portant sur la filiation et, pour Camille Robcis, l’anthro-pologie structuraliste et la psychanalyse, « et plus précisément le concept du symbolique, ont fourni un modèle de parenté qui « correspond » d’une certaine manière à la configuration républicaine et laïque de la France » (417).

Dans ce cadre, comme l’a montré Éléonore Lépinard, l’universalisme tel que défini au cours de ces débats s’est à la fois imposé aux mouvements sociaux comme une contrainte et un registre de légitimation incontournable de leurs revendications, faisant obstacle à des demandes plus catégorielles ou à la défense d’un « droit à la différence ». Il leur fallait en effet prouver que les revendications avancées n’allaient pas ébranler l’unité et les principes de la République et qu’elles servaient l’intérêt général alors qu’elles portaient sur des discriminations qui ne touchaient qu’une partie de la population. Dans ce contexte, Éléonore Lépinard écrit au sujet du mouvement paritaire que, « délégitimées au nom de principes républicains intangibles, les mili-tantes en faveur de la parité ont été sommées de traduire leur demande d’inclusion dans des termes compatibles avec la doctrine républicaine » (418). Le même constat peut être appliqué en ce qui concerne les défenseurs du

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(413) Pour une analyse des transformations du républicanisme durant cette période, Jeremy Jennings, « Citizenship Republicanism and Multiculturalism in Contemporary France », British Journal of Political Science, vol. 30, n° 4, 2000, p. 575 – 598, ainsi que Sophie Heine, « La dimension communautarienne du républicanisme français : L’affaire du foulard islamique comme réactivation d’un imaginaire national », Raison publique, n° 9, 2008, ainsi que le numéro sur

la « politique républicaine de l’identité » de la revue Mouvements. Mouvements, n° 38, 2005. (414) Joan W. Scott, Politics of the Veil, Princeton : Princeton University Press, 2007.

(415) Eric Fassin, « Homosexualité et mariage aux États-Unis. Histoire d’une polémique », Actes de la recherche en sciences sociales, 125, 1998, p. 63 - 73 ; Id., « Homosexualité et mariage aux États-Unis », op. cit.. À partir des débats sur l’action positive, Bruno Perreau, « L’invention républicaine. Eléments d’une herméneutique minoritaire », Pouvoirs, n° 111, 2004, p. 41 – 53.

(416) Jan Willem Duyvendak, op. cit. p. 60 – 64.

(417) Camille Robcis, « How the Symbolic Became French : Kinship and Republicanism in the PACS Debates », Discourse, vol. 26, n° 3, 2004, p. 122.

(418) Éléonore Lépinard, L’égalité introuvable…, op. cit., p. 157. Lire aussi Éléonore Lépinard, « The Contentious Subject of Feminism : Defining Women in France from the Second Wave to Parity », op. cit. ; Laure Béréni et Éléonore Lépinard, « « Les femmes ne sont pas une catégorie ». Les stratégies de légitimation de la parité en France », Revue française de science politique,

droit au mariage (419). Souvent accusés d’être communautaristes, ils ont dû prouver la nature républicaine de leur projet. Au-delà de l’ironie de cette situation, tant cette demande serait considérée comme la quintessence de l’universalisme dans d’autres pays, cela montre une nouvelle fois les limites d’une approche strictement stratégique de ces discours. En effet, si l’argumentation selon laquelle l’ouverture du mariage poursuit un projet universaliste s’inscrit évidemment dans une démarche stratégique qui vise à inscrire cette revendication dans un cadre de pensée fondamental du système politique français, contribuant à sa pensabilité et à son acceptabilité, il serait erroné de restreindre l’analyse à ce constat.

Il s’agit tout d’abord, comme je viens de le souligner, d’un discours en retour, d’une réponse à certaines attaques. Les activistes en faveur du mariage ont dû plus particulièrement prendre position sur deux fronts. D’une part, au sein du mouvement homosexuel français, certains groupes ont dénoncé le communautarisme de la demande d’ouverture du mariage, lui préférant d’autres solutions comme le CUC ou le pacs. Les défenseurs du Contrat d’union civile, proches de Jean-Pierre Chevènement, dont le républicanisme constituait un des chevaux de bataille, se sont positionnés sur ce terrain en présentant leur projet comme le seul véritablement républicain, étant donné son ouverture à tout type de duo et à l’absence de mention aux relations homo-sexuelles. Pour cette raison, la proposition de CUS, puis la demande d’ouverture du mariage, ont été jugées communautaristes parce qu’elles insistaient sur la reconnaissance en tant que couple de l’union homosexuelle et mettant l’accent, dans le contexte de sida, sur l’homosexualité. Cette ligne d’attaque été poursuivie par d’autres défenseurs du pacs, tels que Frédéric Martel. Cet intellectuel membre de la commission Hazan et ancien conseiller de Martine Aubry, écrit ainsi dans l’épilogue de son livre Le rose et le noir : « Au fond, le pacs

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