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Du CUC au PACS

Dans le document Espagne : Belgique France (Page 100-103)

CHAPITRE 2 | TROIS HISTOIRES NATIONALES

3.3. L’impact des débats sur le pacs : le mariage devient une revendication

3.3.1. Du CUC au PACS

Au début des années 1990, les différentes propositions de loi relatives à la reconnaissance légale des couples de même sexe rencontrèrent peu d’intérêt de la part des milieux politiques et la question mit du temps à atteindre l’agenda politique. Tant la proposition de Jean-Luc Mélenchon que celle de Jean-Yves Autexier ne furent pas discutées et ne connurent pas de suites politiques. Après les législatives de 1993, remportées par la droite, le Mouvement des Citoyens, entre-temps séparé du PS et dont Jan-Paul Pouliquen, lui-même chevè-nementiste, était membre, reprit le dossier. Le 21 décembre 1993, les députés Jean-Pierre Michel, Jean-Pierre Chevènement et Georges Sarre redéposèrent la proposition de la loi sur le CUC (241). Face à l’enlisement du dossier, le Collectif pour le CUC contacta les maires du MDC pour leur demander de délivrer des certificats de vie commune. En septembre 1995, le maire de Saint-Nazaire, Joël Batteux, répondit le premier à cette de-mande. Il fut suivi par trente maires de son parti, puis par les six maires d’arrondissement socialistes de Paris. Les maires de quelques grandes villes françaises embrayèrent également (Strasbourg, Quimper, Montpellier, Lille. arrondissements socialistes et verts de Lyon, Lourdes, Tours, Amiens notamment).

En septembre 1995, les choses commencèrent à bouger au sein du Parti socialiste. Adeline Hazan, secrétaire nationale aux questions de société, fut chargée de constituer un groupe de travail sur le CUS. Animé par Christophe Clergeau, celui-ci comprenait Christophe Chantepy, Stéphane Foin, Frédéric Martel, Stéphane Martinet, Christine Priotto, Emmanuelle Prouet, Corinne Bord, Muriel Mauriat, Stéphane Junique et Pierre Rivoallan. Ses conclusions, réunies dans le rapport « Des droits nouveaux pour les couples hors mariage : le contrat d’union sociale », rendues publiques le 30 mai 1996 et adoptées en bureau national le 20 juin de la même année, posa les jalons de la politique du PS en la matière (242). Elles invitaient « à chercher de façon pragmatique des solutions qui aillent dans le sens de l’égalité des droits et du libre choix par chacun de l’organisation de sa vie privée ». Toutefois, ce rapport posait des limites claires, qui renvoyaient à la cohésion de la société, à la défense de la famille et à l’universalisme républicain. Il soulignait ainsi que « cette recon-naissance accrue des libertés individuelles doit aller de pair avec le souci de la cohésion sociale et de la solidité des formes d’organisation collective de la société. (…) Ainsi la reconnaissance de droits nouveaux pour les couples hors mariage, hétérosexuels ou homosexuels, ne s’inscrit aucunement dans une logique de guerre

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(241) Jean-Pierre Michel, Jean-Pierre Chevènement et Georges Sarre, « Proposition de loi tendant à créer un contrat d’union civile », Assemblée nationale, Doc. parl., n° 880, 21 décembre 1993.

(242) Ces positions furent confirmées dans cette tribune : Martine Aubry, Bertrand Delanoë, Elisabeth Guigou, Adeline Hazan, François Hollande, Bernard Kourchner, Jack Lang, Pierre Mauroy, Jean-Pierre Michel Rocard, Catherine Trautmann, Daniel Vaillant, Dominique Voynet et al., « Vers une meilleure citoyenneté. Le contrat d’union sociale », Le Monde, 22 juin 1996.

idéologique contre le mariage mais au contraire dans une volonté de renforcer le cadre familial en diversifiant ses formes d’organisation » (243). Il ajoutait un peu plus loin que, « bien que la création d’un statut nouveau pour tous les couples hors mariage corresponde à une intervention législative lourde, nous considérons qu’il s’agit de la seule méthode permettant de concilier la garantie de droits effectifs, l’équilibre entre droits et de-voirs, et le respect de l’universalisme républicain » (244). Au même moment, Homosexualité et Socialisme (HES), groupe LGBT proche du PS et acteur important du pacs, initia une réflexion interne sur la recon-naissance du couple homosexuel et le CUS, au cours duquel un argumentaire, un contre-argumentaire et une stratégie d’explication et de lobbying auprès du PS furent élaborés. Ce groupe, dont plusieurs membres avaient participé à la commission Hazan, devint ainsi un des fers de lance de la bataille du pacs.

La victoire de la gauche lors des élections de 1997 et la constitution d’un gouvernement de « gauche plurielle » dirigé par Lionel Jospin, accélérèrent le traitement du dossier. Si plusieurs propositions de loi avaient été déposées juste avant les élections (245), Elisabeth Guigou, la nouvelle Garde des Sceaux, déclara le 23 juin, que le nouveau gouvernement respecterait ses engagements en ce qui concerne le CUS. Toutefois, le dossier fut confié au Parlement. Le 27 juin de la même année, Catherine Tasca, nouvelle prési-dente de la Commission des lois de l’Assemblée nationale, fut saisie d’une nouvelle proposition de loi visant à instaurer le CUCS par Jean-Pierre Michel (MDC) (246). Le PS déposa le projet du CUS, proche des propo-sitions de Aides et, en juillet, une proposition de loi sur le CUCS. En septembre, Catherine Tasca confia à Jean-Pierre Michel, rapporteur pour la commission des lois, et Patrick Bloche, rapporteur pour la commission des affaires culturelles, familiales et sociales, la réalisation d’une synthèse des propositions et la concertation avec les ministres concernés. Les débats sur ce qui deviendrait le pacs avaient commencé (247).

En février 1998, le CUCS fut rebaptisé « Pacte civil de solidarité (PaCS) » et le projet de loi fut offi-ciellement présenté le 22 mai de la même année. Le 17 juin, le gouvernement confirma au cours d’une réunion à Matignon entre Olivier Schrameck, directeur de cabinet de Lionel Jospin, Dominique Marcel, directeur de cabinet de Martine Aubry et Christian Vigouroux, directeur de cabinet d’Elisabeth Guigou, que ce serait le pacs et non le PIC (248) qui serait défendu. Fin septembre, la commission des lois approuva la proposition de loi sur le pacs et Catherine Tasca annonça la discussion de ce texte le vendredi 9 octobre, dans la niche parlementaire du PS. chapitre 2 | T rois histoir es na tionales

(243) Adeline Hazan, Christophe Clergeau, et al., Des droits nouveaux pour les couples hors mariages : le contrat d’union sociale, Paris., 1996, p. 8 et 9.

(244) Ibid., p. 11.

(245) Laurent Fabius et al. [groupe socialiste], « Proposition de loi relative au contrat d’union sociale », Assemblée nationale, Doc. parl., n° 3315, 23 janvier 1997. ; Georges Hage et al. [groupe communiste], « Proposition de loi relative aux droits des couples non mariés », Assemblée nationale, Doc. parl., n° 3367, 20 février 1997. ; Claude Estier et al. [groupe socialiste], « Proposition de loi relative au contrat d’union sociale », Sénat, Doc. parl., n° 274, 19 mars 1997.

(246) Jean-Pierre Michel, « Proposition de loi visant à créer un contrat d’union civile et sociale », Assemblée nationale, Doc. parl., n° 88, 23 juillet 1997. .

(247) Georges Hage et al. [groupe communiste], « Proposition de loi relative aux droits des couples non mariés », Assemblée nationale,

Doc. parl., n° 249, 30 septembre 1997.

(248) Le Pacte d’intérêt commun (PIC) fut proposé par la mission Hauser, du nom d’un professeur de droit de Bordeaux chargé par Jacques Toubon (RPR) de réfléchir à la question du contrat entre deux personnes du même sexe, confirmé dans ses fonctions par Elisabeth Guigou (PS). Il reposait sur un acte notarié ne concernant que la répartition des biens.

Les partisans du pacs s’attendaient à un passage discret et en douceur de la loi. Certains parlementaires de droite leur avaient même marqué leur soutien dans les couloirs du Palais Bourbon (249). Or, contre toute attente, cette séance parlementaire s’avéra désastreuse pour ce texte. Dans un hémicycle déserté par la gauche, les élus de droite, assez nombreux, torpillèrent la proposition de loi. De plus, malgré les tentatives du président Fabius et du parti socialiste de rappeler des élus socialistes, la droite fit adopter une exception d’irrecevabilité, qui annula purement et simplement le texte pour inconstitutionnalité (250). Celui-ci ne put donc pas être examiné. Plusieurs raisons ont été avancées pour expliquer cette bérézina. Un certain nombre d’auteurs, pro-ches des associations les plus radicales et généralement critiques à l’égard du PS, y virent la preuve du « défaut de conviction à gauche » (251) D’autres invoquèrent plutôt des éléments conjoncturels. Le vendredi est un mauvais jour pour des votes serrés parce que la plupart des députés sont dans leur circonscription. En outre, les élus du RPR étaient fortement présents suite au congrès de leur parti le jour suivant à Menton, pour lequel un vol charter avait été affrété depuis Paris. Dans cette configuration, la déroute du pacs leur permettait de plus d’envoyer un signal fort au gouvernement de Lionel Jospin (252).

Cet événement initia la « bataille du pacs » (253), caractérisée par une intensification de l’opposition au projet, tant au parlement que dans la rue ainsi que par la multiplication des débats intellectuels au sujet du pacs (254). Dans les jours qui suivirent, cinq propositions de loi furent introduites par les partis de gauche (255), dont deux, celles déposées par le MDC et le PS, donnèrent naissance au pacs un an plus tard. En raison, notamment, de l’intervention de Matignon, leur contenu différait sensiblement du texte présenté le 9 octobre afin de dissocier au maximum le pacs du mariage, ce qui a incité certains commentateurs à parler de pacs I et II. A l’issue d’un débat parlementaire extrêmement long, émaillé de nombreuses interventions homophobes, et d’un processus de navette difficile entre l’Assemblée nationale et le Sénat, le pacs fut approuvé le 13 octobre 1999 par 315 voix contre 249. Deux députés de droite, Roselyne Bachelot (RPR) et Gérard Grignon (UDF), votèrent en faveur du texte et deux autres s’abstinrent (Philippe Seguin (RPR) et Alain Madelin (DL)). Le Conseil constitutionnel fut directement saisi par 213 députés et 115 sénateurs (256). Celui-ci considéra le texte comme constitutionnel le 9 novembre 1999.

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(249) Entretien avec Jean-Pierre Michel, op. cit. ; Entretien avec Patrick Bloche, Paris, 19 octobre 2007.

(250) C’était la deuxième fois dans l’histoire de la République que l’invocation d’irrecevabilité était invoquée. Daniel Borrillo et Pierre Lascoumes, op. cit., p. 79.

(251) Ibid., p. 62.

(252) Frédéric Martel, Le rose et le noir, op. cit., p. 637 – 638 et Entretien avec Jean-Pierre Michel, op. cit.

(253) Selon l’expression de Frédéric Martel. Frédéric Martel, Le rose et le noir,op. cit.., p. 628.

(254) Pour une synthèse, certes partisane, de ces débats, Éric Fassin, « Usages de la science et science des usages : à propos des familles homoparentales », in Éric Fassin, L’inversion de la question homosexuelle, Paris : Éditions Amsterdam, 2005, p. 137 – 159 (publié pour la première fois dans L’Homme en 2000).

(255) Jean-Pierre Michel, « Proposition de loi relative au pacte civil de solidarité », Assemblée nationale, Doc. parl., n° 1118, 13 octobre 1998 ; Jean-Marc Ayrault et al. [groupe socialiste], « Proposition de loi relative au pacte civil de solidarité », Assemblée nationale, Doc. parl., n° 1119, 13 octobre 1998; Alain Boquet et al. [groupe communiste], « Proposition de loi relative au pacte civil de solidarité », Assemblée nationale, Doc. parl., n° 1120, 13 octobre 1998. ; Guy Hascoët, Marie-Hélène Aubert ; André Aschieri, Yves Cochet ; Noël Mamère et Jean-Michel Marchand, « Proposition de loi relative au pacte civil de solidarité », Assemblée nationale, Doc. parl., n° 1121, 13 octobre 1998 ; Alain Tourret, « Proposition de loi relative au pacte civil de solidarité », Assemblée nationale, Doc. parl., n° 1122, 14 octobre 1998.

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