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Récit ou discours ?

1.4.2 À la recherche du pathos par l'image

Les titres principaux ont leur signification accentuée, suggérée par une caricature ou par une photographie. La caricature procède par grossissement des traits d'un personnage, avec pour objectif de dévoiler, d'illustrer les défauts et les méfaits d'un personnage. Le Popoli est le journal qui propose principalement à sa une des caricatures pour accompagner ses titres principaux. Les autres journaux présentent une image photographique.

La caricature permet de faire la satire de la société en multipliant les thématiques, de la politique au sport, du fait divers aux débats sociaux. Les personnages sont croqués par hyperbolisation de leurs traits physiques distinctifs. L'image est symbolique du discours et constitue sa métaphorisation.

Images 4 et 5 : Unes du Popoli des 05.10.05 et 28.11.00

Le personnage le plus récurrent au journal Le Popoli est Poupoul, la caricature de Paul Biya, auquel on prête des traits d'animaux. Les paroles qu'on lui attribue sont éloignées de l'ethos prédiscursif du personnage réel. L'image et le discours construisent un ethos particulier des personnages de l'univers du journal.

On scénarise des faits en leur donnant volontairement un caractère ridicule, grossier, parfois même très vulgaire. Pour Patrick Charaudeau (2006), les caricatures de presse participent du commentaire critique sur l'actualité et ont en plus une fonction humoristique. Aucune des deux fonctions ne l'emporte sur l'autre. En effet, mettre en exergue l'humour dans une caricature, c'est atténuer son aspect critique. A l'inverse, l'interpréter sur son aspect critique c'est négliger la dimension humoristique, le plaisir gratuit. Parce qu'il s'agit d'une vision à la fois analytique et ludique du monde, Charaudeau semble refuser toute analyse critique d'un aspect ou d'un autre de la caricature. Le lecteur doit donc intégrer "naïvement" l'univers caricatural mais garder une distance critique de ce qu'une caricature véhicule toujours une perception et une interprétation singulière de la réalité. Il est nécessaire de mettre en avant la valeur symbolique de la caricature afin d'éviter illusion référentielle. Toutefois, la compétence des lecteurs de titres leur permet-elle d'avoir une distance critique vis-à-vis des images caricaturales ? Si ce n'est pas le cas pour la majorité, Le Popoli devient un danger pour la société camerounaise.

Les autres journaux proposent des photographies des personnages. Primauté est au texte sur l'image. On peut se passer de l'image en titre mais pas du texte. Ces images sans un texte

117 n'ont pas de sens, ou tout au moins n'ont pas un sens complet. D'ailleurs elles sont peu parlantes, l'essentiel étant de mettre un visage sur le nom, sur le référent évoqué. Il s'agit pour l'essentiel d'images dénotées, enregistrant, dans un rapport quasi tautologique, la référence aux objets qu'elle représente. Il n'existe pas de véritable transformation entre le signifiant et le signifié au niveau dénotatif (J-M Adam, 2005 : 178, citant Roland Barthes, 1964) et l'image exerce ainsi une fonction testimoniale : on montre de qui il s'agit, que quoi il s'agit, où cela se passe.

Image 6 : une de Cameroon Tribune du 18.07.08

La qualité des images et la récurrence des mêmes images illustrent bien la pauvreté du travail symbolique à ce niveau. Mais cette image doit au moins donner l'impression d'évoquer son objet, et, selon J.-M. Adam (ibid. : 96), faute d'une telle mimesis référentielle, elle tomberait dans la gratuité et perdrait sa pertinence argumentative.

En fait, de temps en temps, le lecteur est appelé à donner un sens (connoté) aux images, sens qui se fait par l'injection de signifiés connotatifs, secondaires et culturels, sur les signifiants du niveau dénoté (ibid.). Cela signifie que cette image dégage des traits de sens polysémiques, qu'il faut pouvoir canaliser. La genèse de ce sens dans le cotexte est une intention pragmatique : une intention illocutoire, informer, montrer et interpeller par l'image et une intention perlocutoire, choquer, émouvoir.

Image 7 et 8 : La Nouvelle expression du 15.03.00 et Le Messager du 04.05.93 L'image a par conséquent une force argumentative tributaire du texte qu'elle accompagne, force qui fait d'elle un acte indirect. Dans ce sens, par l'image – choc (ici des photos de morts), les journaux voudraient combler le fossé qui s'est crée entre la télévision, les nouveaux médias et eux. Dans ces images, on ne veut plus seulement dire la mort, on veut la montrer [9], on ne veut plus dire l'horreur [8], on veut la présenter. Est-ce la faillite du discours ? S'il y a faillite, à quoi est-ce dû ?

Des études sur les usages du public montrent que celui-ci voit encore plus qu'il ne lit. La une de presse doit véritablement positionner la presse dans l'univers concurrentiel des médias et doit donner à voir : voir le titre et /ou les images et provoquer des réactions intellectuelles ou émotionnelles. En définitive et de prime abord, on ne lit pas un titre, on le voit. Et les journaux camerounais déploient une batterie de stratégies pour affronter ce marché de la perception, la une du journal rassemblant le matériau nécessaire pour être vue.

En conclusion de ce chapitre, les titres segmentent et hiérarchisent eux-mêmes l'information par la disposition des structures textuelles. Une disposition variable de quatre séquences textuelles principales, dont trois discursives et une sémiologique. De ce fait, l'interprétation de ce type de texte est le résultat de l'interaction d'un aspect visuel, d'un aspect lexico-sémantico-syntaxique et d'un contexte. Les titres participent donc doublement à la construction significative de la une : non seulement ils segmentent et hiérarchisent les

119 informations, mais leur contenu sémantique interagit avec le contenu sémantique du texte intérieur du journal. Il est aisé de parler d'une portée argumentative, à la fois persuasive et convaincante dans la convocation des outils sémiologiques et linguistiques de la une. L'aspect formel, la dispositio n'est pas cloisonné de l'aspect lexico-syntaxique. Cette disposition, en même temps qu'elle définit le genre textuel illustre l'envie d'utiliser et de dépasser le cadre générique, celui de la technique, pour plus d'expressivité. Ce dynamisme met déjà en avant le cadre de la communication, le contexte, et l'action des participants de ce cadre sur le cadre générique. Le choix des arguments, l'elocutio et donc l'implication de la subjectivité dans la communication est au centre de l'acte de titrer.

CHAPITRE II :

MODÈLES D'ANALYSE DES ACTES DE LANGAGE DANS LE