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Figures de substitution paradigmatique

2.2.2 Jeux phoniques et défigement

Le langage peut avoir une fonction essentiellement ludique. On joue sur les similarités phoniques à partir d'expressions populaires, c'est le défigement. Les défigements consistent à explorer les limites des variations sur des expressions toutes faites et supposent une conscience précise des règles de la langue (Pierre Fiala et Benoit Habert, 1989 : 86). Sullet-Nylander (2002 : 767) remarque qu'à cause de la régularité de ces formes dans les titres de presse, il s'agirait plus d'une stratégie discursive que d'un véritable jeu gratuit. L'expressivité, la créativité de l'auteur du titre affronte le figement linguistique et culturel. On peut ainsi parler de manifestations polyphoniques du genre à tendance humoristique.

Premier anniversaire de la mort de Jeanne L'adieu aux larmes (LP 30.07.93)

De "L'adieu aux armes" commun aux militaires et à Hemingway, le veuf président dit adieu aux larmes versées pour pleurer sa femme.

An 1 de la victoire volée

"Bon anniversaire" parce que M. Biya célèbre sa première année au pouvoir après des élections difficiles et contestées ; "bombe" parce que cet évènement est douloureux pour l'opposition, il lui rappelle sa frustration de ladite élection. L'opposition œuvre donc pour que l'évènement se déroule sous tension. L'évocation de la bombe montre bien la peur du journal que le pays, un volcan qui semble endormi, ne s'embrase. La polyphonie ici se situe dans la multiplicité et la diversité des formes énonciatives contractées en une seule, et dans l'éternel jeu de contraste entre un discours social "objectif" (le "bon anniversaire" de rigueur pour l'évènement) et un discours individuel subjectif (l'évaluation de la situation et sa caractérisation comme une "bombe").

Fauve qui peut !

Ou comment Poupoul a piégé Fru Ndi (LP 16.07.02)

Le jeu de mots semble très complexe ici, l'interlocuteur devant faire le lien entre Biya, surnommé le Lion et l'évocation du fauve, l'exploit qu'il réalise en piégeant son principal opposant et l'exclamation qui peut!. On annonce de ce fait le récit des exploits dans la manœuvre politique du président. Nous semblons bien éloignés du sauve qui peut qui montre la panique, l'appel à la fuite. Mais, du moment où le défigement porte sur une seule lettre, le journal peut avoir voulu attirer les regards par l'annonce d'une mise en garde qui n'en est véritablement pas une.

Goni déclanche l'agonie de la douane (LP 19.11.02)

A partir du nom du directeur des douanes et d'un bilan que l'on lui impute, le journaliste fait un jeu de mots.

Succession orageuse Faim et fin de funérailles à Bandjoun (LP 18.12.03)

L'homonymie entre "fin" de l'issue de la cérémonie et "faim" l'impossibilité de manger génératrice d'un sentiment de la mauvaise organisation permet le jeu de mots. Il faut d'ailleurs comprendre ici que le mot funérailles dans le contexte a une connotation culturelle et festive d'ampleur.

Les jeux phoniques et structurels ne sont pas l'apanage des journaux satiriques. Par exemple, l'homéotéleuthe montre la capacité à manier les ressources de la langue :

La rumeur fait toujours fureur (CT 17.06.93)

Dénouement de la crise à la Camair Etoudi impose Etoundi (LM 26.01.98)

Nous avons sélectionné et regroupé les structures de défigements en trois rubriques : ceux relatifs à des expressions figées (des slogans) ayant un sens contextualisé, ceux relatifs à la syntaxe française classique et ceux relatifs à la culture générale.

187 Une rentrée pas ordinaire (LN 07.09.98) : "l'école ordinaire" était le credo du ministre Etoundi Charles dès sa prise de fonction comme ministre de l'éducation nationale. Le journal souligne l'inefficacité de cette politique du point de vue des parents.

Police Au service de tous et de …l'argent (LN 07.08.00) : on montre la gangrène qu'est la corruption dans les milieux de la police en retournant la devise des corps armés camerounais, "au service de tous et de chacun".

Large escroquerie nationale – Grande débâcle nationale (LN avril et mai.93) : défigement du "grand débat national", forum de réconciliation entre les forces vives du Cameroun, que le président de la république voulait éviter, il parlera plutôt de "large débat national"

Pour les défigements de la syntaxe française :

Moutomè avocat du diable devant l'Éternel ? (LM 26.04.93) : Moutomè est un avocat célèbre et le barreau est opposé à la politique du président Biya. L'avocat prend position en faveur du régime en place et sera nommé ministre.

Succession Marafat perd le Nord. Alim Hayatou lamido de Garoua (LN 26.06.00) : Marafa n'est pas devenu fou, il perd simplement son combat dans la lutte hégémonique qui l'opposait aux frères Hayatou pour le contrôle politique de la province du Nord.

Ngoa Ekelle L'Assemblée n'est plus nationale (LM 03.05.00) : l'Assemblée nationale se trouve à Ngoa ekelle et le locuteur semble contester l'orientation qui est la sienne.

Pour les défigements de structures de culture générale :

Malaise à la Camrail Le train sifflera-t-il encore trois fois ? (LN 26.04.00) : le défigement du titre d'un film "Le train sifflera trois fois". Le sens de l'énoncé c'est que l'entreprise de gestion du rail camerounais est en déclin, le train risque devenir un souvenir.

Université de Douala Peur sur le campus (LM 10.10.06) : encore un film célèbre "Peur sur la ville"; le titre traduit l'état de psychose qui a régné à l'université de Douala pendant les grèves estudiantines.

Conseil d'administration de la Socinada Salut les coquins (LN 07.08.00) : "Salut les copains", le titre du journal subit un défigement pour montrer la solidarité d'une bande d'individus uniquement liés par l'appât du gain.

Les figures de rhétorique présupposent l'existence d'une norme linguistique unique et la manipulation des outils du langage à des fins expressives. Elles permettent de passer du rapporté au commentaire, de l'information à la communication par la mobilisation de ressources linguistiques et culturelles. La compétence de communication réside autrement dans l'adaptation de la langue française à son environnement social et linguistique, à la

relation existant entre les interlocuteurs et à divers objectifs de communication. Cela entraîne une autre conceptualisation du style et de la stylistique par Lefebvre (1983 : 326) :

Les locuteurs possèdent-ils effectivement plusieurs codes parmi lesquels ils opèrent un choix, ou n'en possèdent-ils qu'un seul dont ils s'écartent lorsqu'ils désirent changer de style ?

Le style peut donc être doublement défini. Il représente l'art de la manipulation des ressources d'une langue, mais aussi un choix opéré dans la multitude des codes que possède le locuteur. Le fondement de la validation de cette double hypothèse réside dans la double perspective que l'on a de la langue : objet statique ou équilibre dynamique. Ce dernier cas pose comme hypothèse que le locuteur a à sa disposition plusieurs états de langues (ou "codes"). Dans le cas d'espèce, il existe des mécanismes de passage d'un code à un autre qui ne sont peut-être pas explicités mais dont on dit qu'ils dépendent du jugement du locuteur de la situation. Si ces mécanismes sont intuitifs, a-t-on réellement marqué un progrès par rapport à la notion de compétence du générativisme ? Ce choix entre différents codes est une position relevée chez les ethnolinguistes dans leurs recherches sur le code switching, et également dans l'approche psycholinguistique de Bourhis sur la sélection des codes de communautés bilingues. En admettant que le locuteur francophone camerounais est un locuteur bilingue et que les journaux représentaient une classe de locuteurs des codes du français au Cameroun, pourra-t-on obtenir une certaine "traçabilité" des formes et usages discursifs ? Le lieu dans la langue où se manifeste le plus rapidement et visiblement ce dynamisme linguistique c'est le lexique.