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LES TITRES DE PRESSE COMME OBJETS TEXTUELS

La relation du titre avec ce que nous allons appeler le co-texte (le texte intérieur du journal) a amené certains à lui dénier la qualité de texte. L'une des raisons évoquées était qu'il n'était pas choisi en fonction du sens qu'il exprimait mais de celui que l'on veut appliquer à l'objet sémiotique, le texte intérieur. Le seul référent du titre serait le texte auquel il renvoyait à l'intérieur du journal. Gérard Vigner (1980 : 1) a exprimé d'une certaine manière l'embarras quant au statut générique du titre lorsqu'il parle d'unité discursive restreinte ou de micro-texte20. On en parle comme d'une structure avortée par rapport au texte intérieur, et même la pertinence textuelle tient de sa densité, plus précisément de sa densité spatiale. Certains analystes de la langue comme Claude Furet (1995 : 10), plus optimistes, le présentent comme l'élément le plus important de la plupart des textes, affirmant ainsi son appartenance immédiate à une unité supérieure qui est le texte. Est-il aussi strictement subordonnable à un autre texte lorsqu'on parle des titres à la une d'un journal ? Peut-on parler d'intertextualité dans un journal avec des textes convergeant vers le même référent ?

Si nous avons affirmé du titre qu’il était un genre textuel, c'est que son organisation répondait à des critères de cohérence interne. Déjà partageons avec Françoise Sullet-Nylander (1998 : 3) qu'il est du texte, un texte reprenant le contenu essentiel (ou considéré comme tel par le rédacteur) de l'article, sans que cela n'engendre de dépendance "textuelle" quelconque vis-à-vis de celui-ci. Il assure entièrement le rôle de transmettre la nouvelle au premier niveau de lecture. Il est aussi un genre, avec le sens que François Rastier (2004 : 125) donne à la notion, un mode de régulation du contexte interne et externe (textualité et intertextualité). Il permet enfin au texte de rester compréhensible alors même que la situation qui lui a donné naissance, ou du moins prétexte, a disparu sans retour. Autrement dit, il est un cadre de modulation de sa compétence communicationnelle à la fois comme locuteur et comme destinataire, une structure de sens extra-énonciatif relativement constante. Un genre est un acte communicationnel particulier. Denise Malrieu (2004 : 73) poursuit dans le sens d’une conception sémiotique du genre : le genre se définit à la fois par son appartenance à un domaine, par son contexte externe de communication […], par son insertion dans des surensembles d'objets sémiotiques […] et par sa structure interne. Aussi devrait-on avoir un

20 Selon lui, le titre est un micro-texte de forme et dimension variables (mot, syntagme, phrase…) dont la fonction est de désigner à l'attention du lecteur public un objet ou un système sémiotique quelconque (texte,

45 certain nombre d'isotopies dans le titre, des agencements particuliers de la matière langagière (Eliseo Veron, 1988 : 33) qui le distinguent des autres genres journalistiques, une certaine constance dans la variation des situations et des intentions qui lui sont prétextes. Ces régularités linguistiquement observables et codifiables de certaines formes du genre sont dites types, ce sont les types de pratiques sous-discursives (J.-M. Adam, 1992 : 82).

Quintilien, au Livre IX de l'Institution oratoire, associe le textus/textum à la compositio c'est-à-dire à l'inventio (choix des arguments), à l'elocutio (mise en mots) et à la dispositio (mise en ordre ou plan du texte). La disposition (dispositio) qui est, dans la rhétorique classique la partie de l'art d'écrire et de l'art oratoire qui règle la mise en ordre des arguments tirés de l'invention (J.-M. Adam in Charaudeau et Maingueneau, 2002 : 433), joue un rôle important dans la composition macro-textuelle du sens et dans le processus de communication. Avec Jacques Virbel (1989) et Fabrice Maurel (2004), nous postulons, dans la même perspective, que l'architecture du texte constitue un système dont il faut élaborer les modèles d'analyse. Même s’il ne se veut pas explicitement un modèle d’analyse sémiotique logocentriste, le MAT, Modèle d’Architecture du Texte selon Virbel se fonde sur le principe qu'un sous-ensemble de propriétés morpho-dispositionnelles et typographiques du texte possède des équivalences fonctionnelles avec des phénomènes langagiers. Ces propriétés concourent de ce fait à la signification (construction de la substance) et ont une valeur pragmatique. A partir de l'observation du processus d'oralisation de l'écrit, de la disposition sémiotique, nous analysons la mise en place du métalangage architectural des titres de presse, ceci afin de mettre en évidence à l'écrit des stratégies interprétables21.

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La conséquence en est un modèle d’oralisation des textes écrits pour être lus silencieusement (MOTELS), dans lequel nous distinguons avec Maurel trois stratégies principales interdépendantes dans l’interprétation : La description objective des marqueurs, appelée forme descriptive discursive (FDDC), par laquelle on associe une manière de présenter à une manière de parler. Comment présenter une information ? Quelle est la place du titre ? Quels sont les éléments du titre ? L'interprétation de niveau1 ou forme descriptive dénominative (FDDN), c'est le niveau métalinguistique, celui de l'attribution d'un nom à la configuration métalinguistique. L'interprétation découle de la structuration interne des objets textuels, de la fonctionnalité des éléments de la morpho-disposition les uns par rapport aux autres. On parle de forme conventionnelle injective ou de forme prosodique hors texte. Comment fonctionnent les éléments d'un titre ? Qu'est-ce qui le distingue des autres genres ? Le niveau de l'interprétation profonde des intentions du rédacteur ou forme discursive interprétative (FDI) est celui de la forme prosodique en contexte. Il s'agit entre autres de la mise en relation de la forme prosodique et informationnelle avec la situation d'énonciation et des intentions pragmatiques. L'interprétation des titres lus est donc un processus de re-construction du sens, il suit le questionnement inverse de celui de la construction significative : "comment parler maintenant de X ? En faisant de X un titre ? Comment

Ainsi, la segmentation graphique joue un rôle énonciatif et même pragmatique (dans le sens de la pragmatique des actes) dans l'énoncé, et accompagne les unités et structures lexicales et morphosyntaxiques dans la signification. Ludmilla Georgievna Védénina, dans la

Pertinence linguistique de la présentation typographique (1989) réfute l'idée que les

éléments typographiques n'auraient que des fonctions ornementales. Dans le cadre du MAT, il s'agit d'actes textuels. Les actes textuels sont des types particuliers d'actes de discours, des performatifs métalinguistiques, dont la performativité est dirigée vers le texte lui-même. Ces actes de discours, s'ils ne sont pas réalisés dans le texte par la présence explicite de performatifs, sont inférables à partir de traces de l'effacement du performatif. Ces traces (éléments typographiques, morpho-dispositionnels) représentent des ressources significatives dont le lecteur appréhende l'enveloppe spatiale et oriente son traitement du texte.

L'objet textuel (OT) qu'est le titre de presse se présente en somme comme une structure particulière, polymorphe, intentionnelle et signifiante22. Une structure caractérisée par son unité et son ouverture à d'autres textes. Sa nature implique des contraintes linguistiques et favorise l'émergence de valeurs morpho-dispositionnelles, typographiques, lexico-syntaxiques. On se trouve devant une unité de traitement considérée par Maurel (ibid.) comme plus réaliste et plus efficiente que la phrase. En effet, si nous voulons considérer le texte comme un tout signifiant, il faut appréhender de manière englobante tous les systèmes signifiants qui le constituent. De facto, le texte se présente comme un objet transdisciplinaire, raison pour laquelle il est question de dépasser le plan de texte de la rhétorique classique (plan oratoire, principalement destiné au discours judiciaire) qui comprend l’exorde, la proposition, la division23, pour voir dans la disposition des arguments un ensemble de schémas d’organisation du raisonnement spécifiques à un genre, à un corpus. Aussi avons-nous voulu une analyse de la logique argumentative d’un genre textuel indissociable de ses structures spatiolinguistiques. Il fallait convoquer, à côté des données de l’approche cognitive de la

titrer ? En centrant, soulignant…?" Cette re-construction segmente certes les données textuelles mais elle les interprète avec un souci de cohérence : Qu'est-ce qu'un titre et quels sont les éléments de sa composition ? De quoi parle-t-on dans les titres analysés ? Comment est-ce présenté ? Suit-on les plans conventionnels liés au genre ou au contraire a-t-on des plans occasionnels ?

22 C'est bien de la présentation dont nous parlons, qu'elle soit disposition, mise en ordre ou mise en forme ou mise en place des arguments.

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Avec dans le développement la confirmation, la narration, la réfutation et la péroraison. Cicéron, dans Les

Divisions du discours déclare : Les discours se composent de quatre parties : deux visent à démontrer la cause,

la narration et la confirmation, deux à émouvoir les âmes, l’exorde et la péroraison. Ce plan de texte centré sur l’un des trois genres que l’on distinguait (le judiciaire, le délibératif, l’épidictique) pourra-t-il s’appliquer à la

47 spatialisation du langage de Virbel, mais aussi des données de la théorie des cadres de discours de Charolles, diverses autres données des approches informationnelle, sémiologique, logique et linguistique pour décrire les titres journalistiques au Cameroun.

On peut déjà, pour notre unité de traitement, penser à une organisation morpho-dispositionnelle et syntaxique en trois séquences : une séquence "situative", une séquence informative et une séquence explicative ou présentative. La déclinaison des nouvelles24 la plus régulière, le type le plus courant dans les médias écrits francophones du Cameroun est la double articulation (titres bipartites ou bisegmentaux) et, en principe pour les titres "majeurs", la triple articulation.

Image1 : Titre de presse extrait de Cameroon Tribune du 30.08.05

Dans ces cas, la première structure place les circonstances de l'information, la seconde donne l'essentiel de l'information et la troisième vient apporter des précisions sur le contenu. En utilisant la nomenclature headlinese, cette structure première est le surtitre, la seconde est le titre proprement dit, la troisième est le sous-titre.

Le surtitre fonctionne comme un topique, met en place le cadre de l'information, il est supposé connu des interlocuteurs, tous ses implicites aussi. Mario Rossi (1999 : 56) propose du reste comme définition du topique : constituant de tête qui acquiert une valeur contextuelle référentielle ou inférentielle à laquelle s'ajoute, comme conséquence nécessaire de sa valeur première et de sa place dans l'énoncé, une valeur thématique. L'information se trouve dans le second segment, elle est mise en valeur : c'est le titre proprement dit.

Le titre à la une peut se présenter sous la forme de "bloc" (sans surtitre ni sous-titre). Bien qu'il s'agisse d'un énoncé, il n'y est pas toujours possible de déployer toute la gamme de structures grammaticales. D'où la surcharge informative que portent en principe les formes linguistiques et sémiotiques. Le sous-titre est le texte qui apporte davantage d’informations pour donner plus de détails aux lecteurs, les situer et les aguicher davantage.

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Dans le genre discursif qu'est le titre de presse, la préorganisation de la structuration du sens se met-elle au-dessus des nécessités sémiotiques contextuelles ou plutôt comment est-elle utilisée pour mettre en exergue ces dernières? Par ailleurs, comment interagissent les formes du lexico-syntaxiques et les autres formes sémiologiques constituant l'information environnementale dans la cohérence textuelle ?

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LE SURTITRE OU SÉQUENCE CADRATIVE ?

Élément de la titraille, le surtitre (ou sur-titre) est un segment dont les caractères contrastés par rapport au titre servent à poser le cadre dans lequel celui-ci se développe. Il est sobre, dépouillé et obéit à la règle du parler peu et dire plus. En principe et en se référent aux manuels d'écriture journalistique, la relation du surtitre au titre se fonde autour d'une altérité sur le plan pragmatique : lorsqu'il est incitatif, il favorise un développement informatif du titre, et lorsqu'il est informatif, le titre est incitatif. L'enjeu étant à la fois la cohérence discursive, l'accès immédiat au référent et l'économie maximale du langage, le surtitre a un rôle capital dans la construction du titre. Cette conception du surtitre, par ailleurs superficielle, ne nous dit pas quels sont les principaux éléments morpho-dispositionnels, lexicaux et, surtout, quelles sont les fonctions assumées par le surtitre dans la construction du texte – titre.

1.1.1 Aspects formels de la relation du surtitre au titre