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2.1.2 Les traces d'inscription langagière : l'appareil formel de l'énonciation comme objectivation d'une instance d'émissionl'énonciation comme objectivation d'une instance d'émission

2.1.2.2 Les indices de temps et de lieu

2.1.2.2 Les indices de temps et de lieu

Les unités de repérage, des points d'ancrage du texte à la situation d'énonciation, outre ceux de la personne forment un véritable système autour des marqueurs de la temporalité et ceux de la localisation spatiale. Ils permettent d'assigner des "valeurs référentielles" aux éléments de l'énoncé par rapport au sujet de l'énonciation. Entre ces unités et le contexte, se noue une relation d'interdépendance et Calame (1986 : 15) pense qu'il y a non seulement échange entre le contexte signifiant de production du discours et ce discours même, mais il y a constitution mutuelle par l'intermédiaire du sujet parlant et énonçant, de l'un par l'autre, de l'un dans l'autre. Il ne s'agit donc pas seulement d'examiner le statut du sujet et de son contexte situationnel dans le discours, on devra également déterminer l'influence dudit contexte sur le comportement linguistique, sur la perception du sujet. Les unités linguistiques du système indiciel du temps et de l'espace se rencontrent dans la catégorie des verbes (et des temps) et des adverbes.

La référence énonciative envisage un procès dans l'une des époques du temps. Le temps dont il s'agit n'est pas du temps indivis, mais bien un temps actualisé, le temps triparti (Imbs, ibid. : 248), c'est-à-dire un temps dont la localisation se fait en une série d'époques se succédant sur la ligne progressive du temps. Les divisions sont obtenues à partir d'un point d'origine. Le point d'origine dans le système dit de "l'appareil formel de l'énonciation" est le présent, pas le présent "réel", pas celui de la coïncidence avec le moment de production du discours (parce que la communication ici est différée), mais un présent absolu.

À partir du moment de l'énonciation, on peut alors envisager l'avenir. Les indices comme bientôt sont des marques de la situation d'un moment à venir non encore déterminé par rapport au jour, à la période de parution (d'énonciation) du journal. C'est la prépondérance du temps psychologique, insaisissable qui amène l'annonce de la situation encore incertaine.

Congrès du RDPC Poupoul bientôt à Douala (LP 05.12.02)

Bientôt l'Etat en cessation de paiement ? (LP 21.10.03)

Autrement dit, que Consty Eka et la Camair aillent devant un tribunal, que Poupoul soit à Douala, que l'État du Cameroun soit en cessation de paiement, cela est du domaine des possibles. Il n'y a donc aucune certitude quant à la réalisation du procès, un ensemble de signes amènent le locuteur à envisager cette réalité.

Prochain par contre marque la situation d'un évènement ou d'un moment dont la réalisation est attendue et programmée dans l'avenir.

Prochain septennat Les nouveaux dauphins du Lion (LP 17.12.02)

Biya - Fru Ndi La rencontre programmée en mars prochain? (LP 26.03.98)

Le calendrier prévoit les références dont l'adverbe vient modifier le sens à savoir le septennat et mars. Le locuteur veut donner un contenu aux références d'un avenir certain. L'avenir peut s'exprimer par le futur simple, temps très souvent associé à la valeur de vérité. Gustave Guillaume le nomme d'ailleurs futur catégorique, distinct entre autres d'un futur hypothétique (le conditionnel).

Roger Milla succèdera à Manga après la CAN (LP 22.01.98) Marc-Vivien Foé ne jouera pas la Coupe du Monde (MU 25.06.98) Le tribunal annulera –t-il l'élection ? (MU 18.06.98)

Pierre Wome ne viendra pas (MU 04.12.06)

Cette valeur de certitude attribuée au verbe peut venir d'une circonstance précisée en surtitre, dans un raisonnement faussement déductif :

La Snec devient Française L'eau coûtera plus chère (LM 27.05.00)

Le futur périphrastique partage les valeurs du futur catégorique, le modal portant imperceptiblement lesdites valeurs. Le futur périphrastique renforce le caractère absolu du procès.

Barbara Nkono va épouser Emah Basile (LP 25.06.98)

Bourses de l'Université Ce qui va changer (CT 16.11.93) Budget de l'État Va-t-on hausser les salaires (LM 16.06.00)

L'évocation récurrente de ces procès à-venir peut être interprétée comme la volonté de protéger son public des mensonges et des non-dits institutionnels. Le journal apparaît comme remplissant de réelles missions de service public.

L'accompli, en rapport avec l'espace-temps de l'énonciation, est marqué par des adverbes comme dernier. Il indique la situation d'un événement accompli par rapport à d'autres faits similaires et par rapport au moment de l'énonciation.

137 Le repère est le moment où l'on parle, le dernier est donc le plus proche de ce moment-là. Actualiser des faits, c'est les classer dans le temps. Implicitement, il y a eu de précédentes tentatives de contrôle de l'espionnage et celles-ci ont eu des formes diverses. Le feuilleton actualisé est décrit par les mots suicide et meurtre. Le dernier signifie-t-il qu'il n'y en aura plus ou alors qu'au moment où on parle, il n'y en a pas de plus récent ?

Le passé composé situe dans un passé avec une incidence psychologique au présent :

Tumi-Biya Comment le Vatican a manœuvré (LP 28.10.03)

Comment les américains ont piraté le Dr Anomah Nguh (LP 23.12.03)

Onel Comment l'Undp a été piégée. La loi scélérate est promulguée (LN 20.12.00)

Les faits dont on parle sont parfaits, accomplis, incidents mais ils demandent une explication, un apport de vérité nouvelle, bref, une actualisation. Cela veut dire que les médias usent du pouvoir de reconstruction ou de reconstitution d'événements historiques en insistant à la fois sur l'aspect actuel du fait (à partir des incidences remarquables) et sur l'aspect historique (le fil des évènements, le rôle et la dimension des personnages, etc.). Le passé composé joue donc sur ce contraste entre ce que l'on sait, le présupposé et un apport d'information pas nécessairement connu (amené par "comment" et par le tour interrogatif).

L'usage du présent de l'indicatif est problématique car, comme nous l'avons vu, il a souvent la valeur narrative, itérative et même la valeur de vérité générale. Quand bien même le présent serait celui de l'énonciation, il est difficile de circonscrire le moment dit de l'énonciation. La communication écrite étant une communication différée, il est très difficile que les faits soient exactement concomitants au temps de l'écriture ou au temps de lecture. Il ne peut s'agir dans l'absolu du jour de la lecture (celle-ci pouvant être de longtemps différée), mais est-ce le jour de parution ? Dans l'exemple suivant :

Le Lion se prend pour Moise (LP 19.05.93)

L'action s'est certainement déroulée avant le jour de la parution, et elle est vue beaucoup plus sous l'aspect duratif. Cette valeur aspectuelle du temps en accomplissement, pour la simplifier, on peut la gloser par "est entrain de + infinitif". Dans

Chirac attend la feuille du remaniement (LP 22.08.02)

On aurait Chirac est entrain d'attendre la feuille du remaniement. Ce n'est pas le cas des procès à valeur narrative comme

Les fondateurs du SDF blâment le Chairman (LP 03.02.98)

Qui ne peut subir la transformation Les fondateurs du SDF sont entrain de blâmer le Chairman et garder la conformité sémantique. Le sens de l'énoncé est par contre : les fondateurs du SDF ont (récemment) blâmé le Chairman. Ces faits sont peut-être incidents avec l'espace-temps de la conception du journal, mais au moment de sa parution, ils sont

accomplis, et le présent tend à garder le procès dans l'actualité : ce présent peut être dit "informatif".

Cependant la nuance entre le présent de l'indicatif exprimant un "à venir" et le futur catégorique n'est pas simple. Pourquoi Bla bla ou le discours qu'il prononcera ce soir (LP 31.12.02) et Massayo se remarie ce soir ! (LP 06.08.93) ?

Probablement pas à cause du sémantisme verbal, nous voyons ici une opposition du perfectif à l'imperfectif peu pertinente puisque le perfectif sied mieux à l'expression du présent-futur. En fait, l'action au présent suggère que la décision est prise, l'action est déclenchée, irréversible. Le futur, selon Imbs (ibid. : 45) indique au contraire que l'action future est envisagée en elle-même et pour elle-même. Le futur de prononcera détache l'action du présent et projette entièrement les faits dans un processus situé dans le futur.

Ainsi, la difficulté de la saisie du présent de l'indicatif vient de la particularité du temps opératif dans les écrits dits "oralisés". Du temps opératif "indivis" de Gustave Guillaume que l'on a dans les situations de communication directe, on a ici des temps opératifs séquentiels à cause des contraintes matérielles et de la spécificité du support. Le temps de l'énonciation est-il donc le moment de conception – réalisation du journal ? Est-ce le jour de la parution ? En réalité, il existe psychologiquement un espace-temps d'actualité dont les limites ne sont pas fixes39, mais dont l'axe de rotation est le jour de parution du journal.

Revenons sur l'exemple de Massayo se remarie ce soir, il ne s'agit pas du soir de la conception du journal, mais bien du lendemain, jour de la publication de celui-ci. L'adjectif démonstratif renforce l'actualité du présent. Pour ancrer dans la situation d'énonciation, on n'a pas besoin en plus de précisions objectives, parce qu'elles sont évidentes à la réalité de l'interlocuteur – lecteur. L'évidence c'est qu'on ne dira par exemple pas : Massayo se remarie ce soir 06 août 1993, puisque le journal est déjà daté.

Quant aux structures nominales, l'actualité d'un fait permet de le mettre au présent de l'indicatif. Ses valeurs de temps de l'évocation de faits situés dans un passé ou dans un futur proche favorisent l'automatique conjugaison au présent. Le sémantisme de certains mots marque l'accomplissement.

Des milliers de faux timbres-poste en circulation (MU 07.08.98) Du sang infecté de VIH dans nos hôpitaux (MU 14.12.98)

Le feuilleton de la roublardise Onobiono dans l'étau (LN 30.09.93)

139 Cela donnerait comme interprétation : Des milliers de timbres-poste sont en circulation. Du sang infecté se trouve dans nos hôpitaux. Onobiono est dans l'étau. L'on peut adjoindre à chacun de ces verbes l'adverbe actuellement ou présentement pour renforcer la valeur d'actualité.

Le procès peut relever de l'accompli. Un participe passé adjectif épithète sera la marque de l'accompli. Le passif permet de mettre en exergue la victime de l'action.

Un enfant décapité à l'Université de Yaoundé I (MU 22.06.98) Song Bahanag braqué, Njitap victime d'un accident (LP 09.07.02)

Des déictiques anaphoriques peuvent servir à la situation du contenu du journal dans la

situation de communication immédiate. On se réfère ainsi à des "objets" perceptibles par les interlocuteurs.

Voici ce qu'on reproche à Urbain Olanguena (LF 14.09.06) Voici les successeurs de Wouking !! (LP 28.11.02)

Le couple Biya à Paris : voici pourquoi (LN 04.05.98) Toute l'actualité sportive dans ce journal (LP 22.10.02) Cet homme est dangereux ! (LN 02.06.08)

Ces déictiques (voici, ce) illustrent à suffisance l'acception que cette catégorie de mots n'a de sens que par rapport à une référence situationnelle ou contextuelle. On situe le contenu du journal par rapport au contenu des autres journaux du kiosque, par rapport aux précédentes publications du journal (ce) et aussi par rapport à un élément sensé être perçu par le destinataire. Cette auto-référenciation marque comme nécessaire la démarcation de la doxa, positionner le journal en rupture avec les discours en circulation, et donc inviter le lecteur à se rapprocher du "bon" journal. Malgré l'imprécision du point de référence, les anaphoriques affirment la présence de la réalité désignée dans un espace que le lecteur est "naturellement" capable de situer : l'intérieur du journal, en plus signalé par le numéro de page à la suite. Ces déictiques sont autant de promesses de récit et d'analyse qui rendent indispensable la lecture suivie du journal. Les déictiques assurent à la fois les fonctions de cohérence intertextuelle et des fonctions commerciales.

Ainsi la une, par une photo, celle du désigné, peut être le point référentiel du journal. L'interaction du texte et de l'image prend à ce moment une grande valeur de captation. Si l'on considère l'anaphore comme une mise en relation interprétative cognitivement déterminée d'au moins deux séquences textuelles et que l'on considère l'image comme une séquence pouvant guider l'interprétation du "cet", on est moins devant un déictique que devant une anaphore. Cela signifie que l'image est une séquence du texte, et, dans ce cas, l'image photographique de Samuel Eto'o, une icône populaire camerounaise, plusieurs fois cité en

exemple à la jeunesse par les pouvoirs publics, est en contradiction avec le titre qui barre la une (on l'aurait attendu plus commodément sur la photo d'un bandit ou d'un criminel fortement recherché). Il faut comprendre ici que les journaux ont plusieurs fois relevé les bourdes du footballeur, mais cette fois-là, il s'était attaqué physiquement à un journaliste, et il fallait casser le mythe. Cela explique probablement le caractère brutal du titre qui exprime à suffisance l'état d'âme du locuteur.

Image 9 : Une de la Nouvelle Expression du 02 juin 2008

Personne, singulièrement et physiquement, ne saurait cependant s'assumer comme responsable des propos d'un journal en dehors de lui-même, le locuteur-collectif. On ne peut toutefois pas réifier ses énoncés, ils sont le produit d'une situation de communication. Le journal s'identifie comme une personnalité collective40, assumant des discours, prenant position, se démarquant des citations, avec des tensions entre les différents énonciateurs, tout comme les sujets physiques qui peuvent intérieurement vivre des conflits que le discours exprimé ne reflète pas toujours.