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2.1.2 Les traces d'inscription langagière : l'appareil formel de l'énonciation comme objectivation d'une instance d'émissionl'énonciation comme objectivation d'une instance d'émission

2.1.2.1 Les indices de personne

Ce sont les indices de la première personne et de la deuxième personne. La relation je/tu permet de se poser comme sujet dans le discours, en relation avec un destinataire. La première personne du pluriel est une désignation autique de celui qui parle : c'est le nom propre du locuteur (Benveniste, 1974 : 200). Ouzounova estime que la catégorie pronominale est envisagée dans un rapport nécessaire quand celui-ci est posé avec une instance personnelle assumant sa parole. (1996 : 2). Le journal étant un locuteur collectif, le pronom personnel Je n'y apparaît que lorsqu'on rapporte, les paroles d'un personnage en le nommant :

Thomas Nkono : ce que je compte apporter aux lions (CT 06.04.98)

Lorsque le journal assume la référence, il utilise le Nous :

133 Le nous "interne" associe l'énonceur, qui ne dépasse pas l'expérience perceptive, et un locuteur dont la caractéristique est le sentiment d'association avec l'interlocuteur. Il s'agit probablement de la communauté de la rédaction. Le nous énonceur (ou plutôt interlocuteur) comprend le destinataire et lecteur des écrits de Olanguéna. Le second nous, locuteur, qui est au contact du public, va exprimer l'expérience du nous premier, et peut-être l'évaluer. Le nous en première instance peut aussi inclure la communauté des lecteurs si le journal veut insister sur la convergence des leurs idées, sur une "communautarisation" de l'activité d'écriture-lecture. Malgré la présence marquée du nous, on a donc une multidimensionnalité de la personnalité du sujet énonciateur qui incarne une identité corporative. Dans l'exemple suivant, le nous désigne exclusivement la rédaction, le locuteur-journal et il participe à la construction d'un ethos discursif :

Le PMUC et nous (LM 21.01.00)

En titre, un journal va se poser comme une entité citoyenne et présenter à ses lecteurs une réalité qui est camerounaise. Il affirme alors son identité territoriale en tant que média camerounais dont le public se veut exclusivement camerounais. Les interlocuteurs possèdent donc un construit commun sur la base duquel le sujet énonciateur fonde ses opinions. Des opinions engageant en plus de ses lecteurs, toute la société (du moins c'est l'intention), pourront être véhiculées de la sorte, avec patriotisme et même avec un brin de chauvinisme.

[a] Nos universités sont en cessation de paiement (MU 10.08.04) [b] En cinq ans 115 milliards de notre pétrole ont disparu (LM 04.10.93) [c] Notre forêt est-elle surexploitée (CT 09.06.93)

[d] Claude Le Roy nous mènera au Paradis. Voici pourquoi (LP 16.04.98)

Dans ces exemples, le locuteur abstrait qu'est le journal est un JE qui s'adresse à des interlocuteurs abstraits. La situation d'énonciation dans le premier énoncé permet l'implicite. Ce qu'il y a de commun entre le locuteur (le JE) et le public (le VOUS), qui constitue la personne bipartie du nous, c'est probablement d'être au Cameroun et possiblement d'être des Camerounais. Le locuteur présent dans cet énoncé décrit la réalité. Cependant, dans le cas [b], Claude Le Roy mènera tous les Camerounais au Paradis, il s'agit d'une évaluation du locuteur dont les marques sont implicites dans le nous. Cette évaluation a des fins pragmatiques car il s'agit d'orienter favorablement le jugement de ses interlocuteurs. Le langage, l'énonciation transforment l'environnement, les représentations mentales tant du locuteur que de l'auditeur. Pour cela, l'autonyme nous aura l'objectif d'établir une communauté de destin entre le lecteur et le journal, communauté à laquelle le sujet évoqué, Claude Le Roy, ne semble pas appartenir. Le football étant un facteur d'union nationale, le journal joue sur le sentiment

patriotique pour se poser comme sujet Camerounais dans la situation camerounaise de la parution du journal : le Cameroun est engagé dans une compétition internationale de football et aucune entité "nationale" n'y est insensible, aucune n'est neutre devant les nombreux débats en cours. Comme quoi ce n'est pas un raccourci que de dire que aussitôt que l'image du pays devant l'étranger est en jeu, un sentiment d'appartenance nationale émerge.

Lorsque le chauvinisme cède la place au pédagogisme, le journal se soustrait de la réalité de ses interlocuteurs pour mieux les interpeller. Cette interpellation directe dans les textes écrits ainsi que le point d'exclamation sont des procédés d'écriture qui permettent l'oralisation, la modification de la situation de communication. Contrairement au nous d'égalité psychologique, le vous établit une situation de hiérarchie entre les participants à la communication. Pour comprendre l'usage du vous dans l'énoncé, il faut le considérer comme relevant d'une propriété du discours du titre de presse que Kronning (2002) appelle discours de la catégorie médiative. Cela signifie que le locuteur reprend une information empruntée à un énonceur donné (dans ce cadre appelé locuteur-source).

Vous payerez plus d'impôts ! (MU 02.07.98)

Impôts et taxes : ce que vous payerez (CT 02.07.93)

La loi budgétaire est publiée, et les interprétations sont diverses. Les journaux essaient de présenter de chacun sa lecture de la loi. Nous pouvons également penser ces énoncés comme des interprétations de discours en circulation dans le sens de Laurence Rosier (2005 : 160), un discours (qui) doit avoir fait l'objet de plusieurs transmissions et progressivement s'imposer comme une évidence, par sa transmission. Ces interprétations donnent lieu à des discours nouveaux sur le sujet, discours qui positionnent le locuteur comme source et transmetteur d'information. La particularité de l'allocutaire ici c'est qu'il ne peut répondre directement à son interlocuteur, la situation de communication immédiate entre le journal et ses lecteurs refusant la co-locution. La conséquence de cette pseudo co-locution est la valeur de vérité générale attribuable à l'énoncé, valeur que l'on reconnaît aux maximes et proverbes. Cette valeur se retrouve même dans les énoncés moins impératifs :

Opportunité pour les hommes d'affaires 1000 milliards F CFA à votre portée… (LM 27.04.98)

La référence du vous est déterminée par les autres séquences du texte. Le sous-titre de l'énoncé de Cameroon Tribune (Sur les 546 milliards de francs du budget 1993-1994, les recettes fiscales s'élèvent à 399 milliards dont 185 milliards d'impôts et taxes assimilées. Cette dernière somme représente ce que les Camerounais devront payer comme impôts et taxes pour la réalisation du budget.) identifie les Camerounais comme référence du pronom, le surtitre pour le second identifie les hommes d'affaires comme référence du vous (votre).

135 Pour conclure, on dirait que le locuteur-journal manifeste assez souvent une certaine identité par les pronoms personnels de la première personne du pluriel. Ces marques grammaticales indiquent tantôt le caractère collectif de l'ontologie du locuteur, tantôt visent à manifester un locuteur social, ayant des traits identitaires avec ses lecteurs-destinataires. La faible proportion de pronoms de la deuxième personne illustre le souci constant du locuteur de ne pas se disjoindre de ses lecteurs. Le sentiment d'appartenance à une entité commune, à une communauté est un facteur du sentiment d'interpellation et d'adhésion du lecteur par/aux les sujets développés et donc un argument d'attraction.