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Un personnage se fait le porte-parole d'un autre locuteur. Il présente un cas d'hétérogénéité discursive et rapporte un discours tel qu'il a été formulé et prononcé, conserve la spontanéité et l'authenticité du discours historique. Ce discours dans les titres est marqué par des indices typographiques comme les guillemets, les tirets, les deux points, la mise à la ligne ou un grand espacement. Ces signes marquent l'indépendance syntaxique du DD par rapport au verbe introducteur, quand il y en a un. Il est en effet souvent introduit par un support qui indique l'identité de celui qui parle et la manière dont il parle. Dans ce cas, les paroles rapportées sont en position COD du verbe de parole. Parfois le verbe introducteur est masqué, pour la rapidité des enchaînements et pour les rapprocher davantage de l'oral. Les points d'exclamation ou les points d'interrogation, les indices de l'énonciation sont repris pour garder le mimétisme du contexte d'énonciation.

Douleur se révèle "Je n'ai jamais porté de masque !" (LP 05.12.02)

On trouve couramment l'identification des deux protagonistes lorsqu'il s'agit d'un discours intercepté ou d'un discours imaginaire entre deux personnages. Le locuteur-journal semble s'abstraire de l'énonciation et met en scène, à la manière d'un texte théâtral les personnages :

Poupoul à Wouking "Je vous verrai même au Paradis" (LP 26.11.02)

Wouking est ici un COS d'un verbe de parole elliptique (dire, déclarer). Poupoul (dit) X à Wouking. X représente le discours rapporté et assume la fonction COD d'un verbe elliptique. Ce discours imaginaire n'a pas la spécification de l'énonciateur, mais le cotexte permet de l'identifier. Le discours imaginaire fait fi de la censure "naturelle" du discours oral, encore plus accrue dans le discours écrit. Il permet d'avoir des renseignements sur la manière dont on évoque l'intériorité des personnages et donc de quelle manière ils sont perçus.

"Quand les autres bouffent, personne ne parle, quand j'achète une vroum-vroum, tout le monde crie."

157 On imagine mal un premier ministre s'exprimant de manière aussi triviale: usage concomitant du registre familier (bouffent), des onomatopées nominalisées familières (une vroum-vroum pour voiture), de contenus improbables. On suppose ici que l'intimité favorise l'émergence des inhibitions. Puisque le propos reste du domaine de l'irréel, aucun verba dicendi, potendi ou sentendi ne vient le lier à un quelconque locuteur cité. On suppose seulement que l'énoncé est d'Achidi du moment où il est la seule référence animée.

Dans le DD, le locuteur parle, il ne parle pas seulement au journaliste ou au journal, puisque ses propos sont rapportés au public, il s'adresse indirectement à celui-ci. Ce faisant, il manifeste sa liberté, son indépendance et même son courage de prendre position. Le journal de son côté se dédouane en principe de tout procès de partialité.

Bien qu'il se veuille strictement neutre, le journal ne peut l'être entièrement. Ainsi, dans les DD, le verbe introducteur peut à lui seul modaliser le discours cité. C'est le cas dans le premier exemple avec le verbe se révèle qui se trouve être un jugement des propos cités. "Se révéler" implique des discours précédents qui n'ont pas assez montré ou présenté le concerné, il implique également une attitude de dissimulation de l'artiste. L'énonciateur-journaliste estime le contenu de ces propos (et pas seulement ceux du titre) assez caractéristiques du personnage. Toutefois, l'omission d'un verbe introducteur comme c'est le plus souvent le cas dans le corpus montre que même le nom (identifié aux propos) peut modifier la perception que l'on a d'un propos, du moment où il est chargé d'une histoire, d'antécédents qui font qu'il ait un sens, que son discours entre dans une certaine cohérence liée au contexte.

Lorsqu'on rapporte par exemple de Etame Mayer "Je quitte les Lions, c'est décidé"(LP 24.12.02), l'information quitte le stade des supputations, de la rumeur et devient officielle. Le DD sert donc à donner une information ou à la confirmer, étant entendu que les participants partagent un ensemble de connaissances communes sur le citant. Le DD se révèle l'espace d'expression de sentiments, lorsque le journal veut garder les termes exacts des propos du locuteur, termes problématiques. Ainsi de Joseph Mboui "Hogbe Nlend m'a déçu"(LP 03.10.02), on doit savoir le lien qui unit les protagonistes pour pouvoir saisir la mesure du propos. Le propos viendrait d'un antagoniste intérieur au parti divisé de Hogbé, cela n'aurait pas la même valeur que quand viennent d'un patriarche qui revendique son parrainage politique et sa parenté.

Le critère d'autorité détermine le choix de l'interviewé, c'est pour cela qu'on a un pourcentage élevé de négations (60%) parmi les discours directs, et plus souvent encore des pronoms personnels de référence autonymique : il s'agit en effet de rétablir une vérité ignorée

ou bafouée sur soi. Cela veut dire qu'aucun discours ne paraît ex nihilo. Il y a toujours un soubassement cognitif duquel part la vérité d'un entretien.

Séverin Tchounkeu : "Je ne suis pas en collusion avec le pouvoir" (LP 20.11.03)

Djeukam Tchameni " Je n'ai jamais reçu de l'argent d'Amnesty International" (LP 16.10.03)

Certainement, Tchounkeu a la réputation de flirter avec le pouvoir en place, ou a pu le faire au moins une fois. Tchameni est accusé d'avoir détourné de l'argent d'Amnesty International dans ses propres comptes ou d'en recevoir souvent de cet organisme. L'interview fonctionne dans ces cas comme un droit de réponse par rapport à un discours en circulation. Les règles de ce droit de réponse ne sont fixées nulle part et l'autorisation à le faire est toute subjective. Le locuteur citant peut donner son opinion d'expert. Il n'exprime plus des sentiments, il pose de véritables déductions qui annoncent des démonstrations rigoureuses.

Bonaventure Ndjonkep "On ne donne pas la chance aux nationaux" (LP 02.10.03)

Charles Twining, l'ambassadeur des USA au Messager

"La bonne gouvernance est une condition pour la paix au Cameroun" (LM 10.08.98)

Autre argument montrant la subjectivité permanente du DD : pourquoi tel extrait est mis en valeur plutôt qu'un autre ? Dans l'interview de John Fru Ndi (LP 23.04.98), pourquoi ressortir le "je n'ai pas d'écorces" plutôt que toute autre parole ? Nous savons déjà que l'interviewer oriente les questions et donc, quelque part, les réponses dans un entretien. En titre, on choisit de mettre en valeur un propos en fonction de la sensibilité ou d'un ensemble d'objectifs du journal. L'énonciation neutre ne semble donc pas exister, comme dans tous les discours destinés.

Quand le discours doit garder l'authenticité de ses sources et que le locuteur-rapporteur veut dévoiler plusieurs pans d'un riche entretien, on peut assister à une alternance de discours direct et de discours narrativisé, le DN étant l'idée, le résumé de segments longs, le tout donnant une impression générale de DD à forme énumérative.

Claude Le Roy s'explique

La vérité sur la liste

J'ai le temps

Tchoutang, Mimboé, Etchi : j'ai mieux

Mes choix tactiques (MU 13.05.98)

En fait, la polyphonie est poussée au point où on ne distingue plus l'instance d'énonciation. Maingueneau et Charaudeau (2002 : 194) recommandaient d'abandonner l'idée que le discours direct serait plus "fidèle" que le discours indirect et qu'il reproduirait des paroles effectivement tenues. Le segment Claude Le Roy s'explique est le segment introducteur avec un verbe de parole subjectivant nécessairement le segment dit "autonome"

159 du DD. Mais, dans ce qui est présenté comme un DD, on remarque une confusion de locuteurs, entre le cité et le citant. Le locuteur citant semble omnipotent puisqu'il peut paraphraser les propos du cité et leur donner des pronoms à la première personne. Le citant a donc une interprétation du discours cité, discours qu'il a raccourci, résumé (la vérité sur la liste). C'est d'ailleurs la raison pour laquelle ce discours se présente sans ponctuation de dépendance syntaxique. Cette alternance de types de discours montre le besoin d'efficacité, par la recherche de la maîtrise par le journal de la substance du propos de l'auteur. Efficacité qui réside à la fois dans la capacité à amener le lecteur à s'intégrer directement dans la communication avec l'énonciateur premier, dans la possibilité que le message conserve sa crédibilité, mais également dans le maintien du caractère synthétique du support. Ce type "discours direct" est fréquent dans les titres journalistiques, lorsqu'on présenter l'essentiel des articulation d'une interview sans donner l'impression de travestir les propos du locuteur. Entre le mode synthétique du genre titre et la contrainte formelle du type d'énoncé, l'énoncé journalistique du titre de presse a construit un type de discours représenté hybride et spécifique.