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La phrase interrogative : des appréhensions aux suggestions

L'expression de l’emphase

1.2.1.2 La phrase interrogative : des appréhensions aux suggestions

Ses marques morphologiques à l'écrit (et phonétiques à l'oral) sont le point d'interrogation, l'inversion ou redondance du sujet. Elle peut être introduite par est-ce que aussi bien à l'oral qu'à l'écrit avec l'ordre syntaxique normal de la phrase, mais cette forme est assez rare, certainement à cause de la longueur.

L'interrogation est directe lorsque la question posée constitue une phrase indépendante, indirecte lorsqu'elle est subordonnée à une proposition principale sur laquelle elle s'appuie. Elle est indirecte libre, et la syntaxe est la même que dans le style direct, mais elle subit les modifications de personne et de temps propres au style indirect. Cette dernière forme est le propre des discours intérieurs et sert à l'expression d'un certain degré d'émotion. La première et la dernière forme de cette modalité sont les plus courantes du fait des liens de l'espace discursif avec l'illusion d'oralité et de la nécessité d'économie du langage.

L'interrogation disjonctive évoque une alternative fictive, délibérative.

Intellectuels La galère, la mort ou l'exil? (MU 17.05.99)

L'interrogation totale ou globale appelle une réponse par oui ou par non. Elle porte sur l'ensemble de la phrase, et évoque l'ignorance du locuteur et la possibilité pour l'interlocuteur de nier ou d'accepter le propos.

Va-t-on annuler le Bacc ? (LM 05.09.98)

Primature Mafany Musongè va-t-il démissionner ? (LP 08.04.98) Chirac et Biya ont-ils parlé de Njawé ? (MU 07.06.98)

Jesse Jackson a-t-il mordu à l'hameçon ? (LP 02.07.93)

L'interrogation partielle use de mots interrogatifs dont la place est en tête de phrase. Ce mot représente un des termes de la phrase sur lequel on interroge. On peut ainsi s'interroger sur l'objet, sur le sujet, sur l'attribut, sur un complément déterminatif.

Que se passe-t-il au SDF ? (MU 26.10.98)

73 L'interrogation rhétorique (questionnement intérieur à haute voix) livrée au public, devient destinée, contrairement à sa nature intrinsèque.

Le garde du corps de Biya visait qui ?

Le PM chinois ? un pigeon ? ou Poupoul lui-même ? (LP 03.09.02)

Malgré la multiplicité de ses formes, Patrick Charaudeau (2006) tient à inscrire l'analyse de l'interrogation dans l'analyse des rapports de force entre les instances interlocutrices. La phrase interrogative correspond à l'expression d'un besoin du locuteur à l'interlocuteur. Le locuteur révèle son ignorance par rapport à ce qu'il demande et l'interlocuteur est supposé être compétent pour répondre. Une interrogation est donc un acte, un acte illocutoire. Le titre à la forme interrogative justifie l'idée selon laquelle il existe bien un phatique implicite ou explicite entre le média écrit et le lectorat, mis en action dès la publication et la lecture du journal. Seulement le lourd héritage scolaire ferait encore apparaître l'interrogation plus comme une structure grammaticale qu'une forme véritablement discursive. Or l'étude de l'interrogation relève de la pragmatique. Les demandes par exemple établissent la position d'infériorité du locuteur qui demande une information ou un service à un interlocuteur de fait en situation de force. Lorsque la question est une intimation à produire une réponse, le locuteur est en position de supériorité. La position la plus courante dans les médias écrits est celle de la question interpellatrice qui consiste à mettre en cause ou accuser une institution, une opinion ou un individu et à prendre le public à témoin. L'interrogation se présente donc comme une pragmatique énonciative.

Face à la dérive de notre économie Faut-il "diaboliser" les étrangers? (LM 10.02.93)

S'interroger, ce peut être l'occasion de proposer une alternative, donner le choix à son interlocuteur (ici le lecteur). C’est donc affirmer l’indépendance de celui-ci et le poser en conscience capable d’apprécier, d’évaluer un fait. Le destinateur exprime ses craintes soit pour sensibiliser ses lecteurs sur une question donnée, soit pour aller plus loin dans l'illocutionnaire et faire une suggestion ou donner un ordre. Mais la question peut être directive et brider ainsi le lecteur.

Guerre de clans ou tentative de putsch ? (LP 17.12.93)

La possibilité de choix du destinataire est limitée, celui-ci ne peut choisir qu'une alternative, alternative problématique, assez grave. Cette interrogation est en réalité une affirmation alternative : il faut dire que la situation non précisée et donc supposée connue des interlocuteurs est celle d'une soute à munitions qui a pris feu dans la capitale camerounaise et dans un camp militaire. L'évènement domine à ce point l'actualité que l'on a plus besoin de le préciser : c'est une actualité "brûlante","phagocitante","dominatrice". Cet incident pour

l'énonciateur est soit une tentative de coup d'État, soit la manifestation d'une guerre de clans (sous entendu du parti au pouvoir) et rien d'autre. On exclut donc d'emblée le caractère fortuit de l'incident. Mais un coup d'État est-il autre chose qu'une guerre de clans ? Il y a donc guerre insinue le locuteur, et la question se pose sur la valeur de ses motivations.

Un fait posé peut-être remis en question par le journal. L'énonciateur journalistique, invite par conséquent les lecteurs à analyser une situation sous un jour nouveau.

Devait-on interdire le Dombolo ? (MU 27.07.98)

Cette interrogation présuppose une affirmation, on a interdit la danse dombolo. Une question relais devrait provoquer le débat. Or s'interroger sur l'opportunité de cet acte c'est prendre position. C'est implicitement donner son opinion sur le fait, le remettre en question et c'est suggérer que l'on pouvait ou que l'on devait trouver une autre solution ou tout au moins se poser la question avant d'agir. L'interrogation est donc orientée et à forte valeur suggestive. Une autre lecture peut voir dans cette interrogation une visée analytique à la fois explicative et critique. Interroger c'est donc donner au peuple la possibilité, les moyens de choisir ce qui convient à ses mœurs. L'interrogation se présente donc comme un outil de débat démocratique, d'ouverture à autrui.

La question peut être oratoire et se substituer à un ordre ou à un conseil. La valeur impressive de l'énoncé est doublement destinée au public et à celui que l'on interpelle, infra M. Biya. L'interrogation vient d'un constat et d'un raisonnement préalable du sujet énonciateur. Il sait la réponse, le lecteur destinataire1 doit suivre son parcours réflexif, le concerné, destinataire 2 est appelé à réagir de manière positive.

« Opération épervier »

Menaces de levée des immunités de Etonde Ekoto et Boto à Ngon… Pourquoi Biya n’arrête-t-il pas les détourneurs du Dja et Lobo ? (LF 05.10.05)

45 jours après… Nsam : où est passé le rapport ? (MU 02.12.98)

En réalité la première question ne demande pas une explication des raisons pour lesquelles le président Biya ne fait pas arrêter les ressortissants de sa région natale. La réponse est évidente : la fibre tribale. Elle est donc un constat, une affirmation du tribalisme guidant les arrestations des fonctionnaires indélicats. La question est aussi par ricochet un appel à l’arrestation de tous ceux qui sont accusés de détournement des biens publics (détourneurs), quelles que soient leurs origines ethniques. La seconde interrogation interpellative demande que les pouvoirs publics mettent à la disposition du grand public les résultats de l'enquête sur la catastrophe de Nsam. Le journal, par ces deux derniers exemples devient le lieu de médiations sociales. Les destinataires sont identifiables et les faits clairement énoncés.

75 Certaines questions sont polémiques et n'attendent ni une saturation informative, ni une réponse positive ou négative. Les faits implicitement établis (présupposés) sont : l’immeuble T. Bella est saisi / Biya va en Afrique du Sud / on ne sanctionne pas les grumiers. L'interrogation porte sur l'acte même du procès. L'interlocuteur à qui s'adresse la question n'est pas précisément identifié, mais le pouvoir qu’endosse le locuteur-journal fait de lui un outil de démocratie capable d’interroger ceux qui semblent dans ce contexte bénéficier d’une certaine impunité, les décideurs de la République.

Que cache la saisie de l'immeuble T. Bella ? (MU 28.03.98)

Stratégie : Que va chercher M. Biya en Afrique du Sud ? (MU 31.08.98) A-t-on peur de sanctionner les grumiers ? (CT 01.04.98)

L'exemple 2 peut être lu comme l'expression d'un sentiment du journaliste à l'égard du voyage présidentiel. Mais le factorisateur stratégie montre bien que le locuteur regarde ce voyage du point de vue de la rentabilité. Cette rentabilité, le journaliste semble vouloir l'analyser. Une lecture identique de la première question peut être faite : le journaliste veut exposer les enjeux de la vente de l'immeuble concerné. Il va donc faire entrer dans la scène discursive son interlocuteur. Le rôle de l'interlocuteur n'est pas de réfléchir à cette complexe question, encore moins directement d'adhérer à la subjectivité de l'énonciateur sur le sujet, mais bien de porter son attention sur la suite informative explicative qui lui sera donnée. Le questionnement est donc phatique.

Nous ne sommes plus dans le phatique, mais d'emblée dans l'analyse quand dans un cas, une proposition 1 assertive précède une proposition 2 interrogative, qui vient porter sur les fondements vériconditionnels de la première : l'interrogation exprime un sentiment fort du locuteur sur un aspect ou sur la totalité du procès.

La manne tombe de l'Élysée Qui va rembourser ? (LP 09.07.93)

Les procès sont antithétiques (manne tombe / rembourser) : rembourse-t-on une manne ? L'interprétation possible serait que la France prête de l'argent au Cameroun mais c'est une manne providentielle pour les dirigeants et non pour le pays qui vit une crise économique et politique et ne bénéficie plus de la confiance de l'extérieur. Le journal s'inquiète toutefois de l'endettement du pays et de l'effort qui devra être consenti par les populations très certainement au service de la dette. Par Qui, on établit une distinction entre l'emprunteur et les "rembourseurs". Du point de vue énonciatif, on est loin de l'élocutionnement neutre de Petitjean (1987). L'interrogation marque l'appréciation de la proposition informative qui la précède.

L'interrogation peut, en outre, servir à nuancer une assertion, à présenter une éventualité ou à exprimer un doute

Y a-t-il un scandale autour du Bac 98 ? (CT 17.07.98)

Assassinat de l'étudiant Kamga Collins Et si c'était le pouvoir ? (LM 04.05.93) Jean Paul II : la fin ? (LM 14.01.00)

Intimidation contre la presse Mendo Ze et A.M. Ngono bientôt en prison ? (LM 20.04.98)

L'impression est celle d'une demande d'information supplémentaire. Le locuteur-journal vraisemblablement a des informations qui vont dans le sens de l'affirmation de la proposition, sans l'expérience de la situation ou la certitude des sources. Il refuse dès lors la prise en charge du propos. Il n'en est pas le premier "asserteur" et donc n'en assume pas la validité. Se pose alors au fond le problème du partage, de la coopération contextuelle en amont : le lecteur a-t-il le "construit" contextuel dont la question semble être l'aboutissement ? Apporte t-on une nouvelle information (ou une information nouvelle) à l'interlocuteur ? Est-ce l'atténuation d'une information pas vérifiée ? L'avant-dernier titre comporte d'ailleurs une litote intéressante à ce propos. Dendale (1993) parle d'une valeur d'emprunt pour ces informations : une information empruntée est par définition une information qui n'est pas créée par le locuteur lui-même […], ce qui a pour conséquence que cette information peut parfaitement être incertaine pour lui. Kronning (2005), cité par Sullet-Nylander (2005), sur cette non-certitude dans un énoncé, évoque plutôt le refus d'une attitude épistémique du locuteur. Il est vrai que Robert Martin disait déjà que l'interrogation suspend la valeur de vérité de la proposition qu'elle exprime : Elle apparaît comme un au-delà par rapport au vrai et au faux, comme une fonction suspensive de la valeur de vérité, comme la mise en débat d'une proposition préalablement envisagée dans quelque image d'univers comme vraie ou fausse (1987 : 21). Aussi les locuteurs exploitent-ils cette fonction suspensive, cette attitude non-thétique (Gerard Moignet, 1974 : 100) pour faire des insinuations, rapporter des thèses les plus osées alors que rien n'indique une quelconque prise de position.

Amadou Ali prépare-t-il un coup d'État ? (LN 17.01.00)

Plan d'action de l'Union pour le changement Après le 5 avril, la guerre ? (LM 17.03.93)

Il est possible que Amadou Ali fasse un coup d'État, il en a les moyens ou tout au moins des motivations, c'est ce qu'établit la proposition. De la même manière que la guerre est une éventualité vers laquelle le Cameroun pourrait se diriger. L'absence de données fiables permettant de fonder son affirmation n'est-elle pas la raison de la présence de l'interrogation ? Auquel cas on est devant un problème déontologique. Mettre en débat l'éventualité d'un coup d'État c'est une chose, mais mettre en avant une personnalité, lui attribuer la paternité d'une sédition et suspendre la valeur de vérité de la proposition est un jeu d'insinuation pouvant

77 entamer le sérieux d'un journal. De la même manière, de toutes les possibilités non prévues par l'Union pour le changement, pourquoi ne retenir que la guerre ? Le journal joue-t-il à faire peur au pouvoir en place ou aux Camerounais ? Cette suspension de la valeur de vérité de la proposition est en réalité argumentativement orientée. R. Martin (ibid. : 25) pense que ces propositions présupposent la vérité des énoncés concernés dans quelque univers possible. Le journal doit donc préciser ce monde à l'attention de ses lecteurs.

Lorsque la fonction référentielle est très marquée, que la valeur polémique est subsumée par le phatique, que celui-ci est introduit par un adverbe explicatif, la phrase perd très souvent son point d'interrogation. Il s'agit du prolongement de l'interrogation et on peut parler à ce propos d'interrogations analytiques. On peut également les considérer comme des propositions subordonnées de manière ou de cause avec ellipse de la principale.

Comment "My Gary" négocie pour avoir 7 députés (LP 16.07.02) Comment Obasanjo a roulé Poupoul à Genève (LP 19.11.02)

Corruption Pourquoi le Cameroun a perdu sa couronne (LM 18.09.00)

La récurrence de cette ellipse mettrait en avant un aspect du traitement de l'information par la presse écrite. La recherche permanente d'originalité de l'information ou tout au moins de l'originalité de l'analyse, l'expression par le commentaire. C'est un aspect marketing de l'information sur lequel nous reviendrons.

À travers l'interrogation, les titres de presse assurent trois actes de langage, trois fonctions essentielles. La première est l'expression des opinions, d'un sentiment à l'égard de faits sociaux, la seconde est l'interpellation du lecteur, la "simulation" d'une interaction langagière et la troisième est référentielle ou didactique, quand il s'agit de décrire, de présenter un fait, d'orienter. L'interrogation organise le discours en absolu et relatif, ce que l'on sait et que l'on va dire et ce que l'on veut savoir et que l'on demande. Elle rend visible la fonction de médiation du titre de presse. Comme nous nous proposons de revenir de manière plus générale sur les procédés de modalisation dans le titre de presse nous voulons également observer les formes et valeurs de la phrase impérative.