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Révolte et unité, révolte et solidarité

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1.2.1. L’absurde : tragique de la condition ou pathologie ?

1.3.2.3 Révolte et unité, révolte et solidarité

Camus trouve une alternative dans le mouvement de révolte. La révolte est une notion clé au sein de la réflexion camusienne. L’homme camusien voué à une

635 « Lorsque Camus se fâche avec Sartre et Beauvoir, à l’issue d’une soirée trop arrosée chez les Vian, mi-novembre 1946, parce qu’il estime fort justement [souligné par Onfray] que, soutenu par Sartre, Merleau-Ponty justifie les camps soviétiques dans un article intitulé Le Yogi et le

Commissaire, il se lève, sort, claque la porte derrière lui, et poursuivi par Sartre et Vian, refuse de revenir », Michel Onfray, L’ordre libertaire : la vie philosophique d’Albert Camus, Paris, Editions Flammarion, 2011, p. 486.

636 Propos d’Arthur Koestler cités par Maurice Weyembergh in : Albert Camus ou la mémoire des origines, op. cit., p. 104 (note 16).

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existence absurde, doit se révolter en vue d’un monde meilleur qui, selon l’écrivain, est un monde unifié. La revendication suprême de la révolte étant l’unité.

La révolte naît du spectacle de la déraison, devant une condition injuste et incompréhensible. Mais son élan aveugle revendique l'ordre au milieu du chaos et l'unité au cœur même de ce qui fuit et disparaît. Elle crie, elle exige, elle veut que le scandale cesse et que se fixe enfin ce qui jusqu'ici s'écrivait sans trêve sur la mer637.

Camus souligne la relation d’interdépendance entre la révolte et la solidarité. « La solidarité des hommes se fonde sur le mouvement de révolte et celui-ci, à son tour, ne trouve de justification que dans cette complicité. »638 Camus reprend souvent l’exemple de l’esclave dressé contre son maître. Si l’esclave s’insurge même seul contre son maître, c’est qu’il prend conscience qu’à un moment donné, la souffrance individuelle a pris une résonance collective et qu’il se sent solidaire de la communauté des hommes. Le mal qui éprouvait un seul homme devient peste collective. Le cogito camusien s’impose :

Dans l’épreuve quotidienne qui est la nôtre, la révolte joue le même rôle que le « cogito » dans l’ordre de la pensée : elle est la première évidence. Mais cette évidence tire l’individu de sa solitude. Elle est un lieu commun qui fonde sur tous les hommes la première valeur. Je me révolte donc nous sommes639.

Aussi, dans L’Etat de siège, la résonance collective est provoquée à travers ce « je » qui se meut en un « nous » :

Malheur ! Malheur ! Nous sommes seuls, la Peste et nous ! La dernière porte s'est refermée ! Nous n'entendons plus rien. La mer est désormais trop loin. À présent, nous sommes dans la douleur et nous avons à tourner en rond dans cette ville étroite, sans arbres et sans eaux, cadenassée de hautes portes lisses, couronnée de foules hurlantes, Cadix enfin comme une arène noire et rouge où vont s'accomplir les meurtres rituels. Frères, cette détresse est plus grande que notre faute, nous n'avons pas mérité cette prison ! Notre cœur n'était pas innocent, mais nous aimions le monde et ses étés : ceci aurait dû nous sauver ! Les vents sont en panne et le ciel est vide ! Nous allons nous taire pour longtemps. Mais une dernière fois, avant que nos bouches se ferment sous le bâillon de la terreur, nous crierons dans le désert640.

637 L’Homme révolté in : OC III, p. 69. 638 Ibid., p. 79.

639 Ibid.

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veuillent ou non unis par une même appartenance : la communauté des hommes. Si la révolte est salvatrice, elle se doit de l’être pour tous les hommes ou pour personne. Si la révolte revendique le respect, elle se doit de le revendiquer pour tous les hommes. « On sert l’homme tout entier ou pas du tout »641, s’exclamait Camus dans ses Carnets. Dans le cas contraire, elle n’aura pas accompli son but ultime. Elle se doit d’être l’expression de « la reconnaissance naturelle de chacun par tous ». Le révolté « exige […] pour lui-même le respect, mais dans la mesure où il s’identifie à une communauté naturelle »642. Camus distingue deux types de révolte : la révolte métaphysique et la révolte historique. La révolte métaphysique, généralement solitaire, est la protestation contre la condition humaine et la mort considérée comme un « scandale » inadmissible parce qu’elle est l’anéantissement de la chair. L’individu, frustré par la création, le non-sens du monde, sa finitude et la fuite implacable du temps, refuse d’être traité en objet. L’homme, livré à la mort, cherche la règle d’une conduite revendiquant une unité heureuse contre la mort et les souffrances infligées à l’homme. Suit la révolte historique qui est la révolte de la pensée contre tout ce qui nie cette chair et qui n’est que mensonge et démesure. Il s’agit finalement d’une révolte contre tout ce qui s’interpose entre l’homme et son bonheur qui n’est, pour Camus, que l’alliance de l’homme avec le monde. La révolte historique a inévitablement recours à la violence. Cependant, la violence, pour ne pas devenir démesure, doit être utilisée de façon temporaire. De l’usage qui en est fait, mesuré ou au contraire démesuré, dépend le sort heureux ou malheureux des hommes. La révolte, pour rester fidèle à elle-même, doit être soumise à une perpétuelle tension entre le « oui », affirmation d’un droit, et le « non », l’expression d’une limite. « Qu'est-ce qu'un homme révolté ? Un homme qui dit non. Mais s'il refuse, il ne renonce pas : c'est aussi un homme qui dit oui, dès son premier mouvement »643. Dans Le journalisme moral d’Albert camus, Senda Souabni-Jlidi affirme que :

641 « Cahier V » in : OC II, p. 1070. 642 L’Homme révolté in : OC III, p. 74. 643 Ibid., p. 71.

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savoir dire oui et non en même temps aide à freiner les tentations nihilistes. Cela neutralise les forces de négation pour favoriser celles qui, modestement, parce qu’elles n’ont pas perdu foi en l’homme, cherchent à recréer un monde humain, simplement humain644.