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Koestler et le sionisme

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1.2.1. L’absurde : tragique de la condition ou pathologie ?

1.3.1.1 Koestler et le sionisme

Arthur Koestler intègre le mouvement sioniste dans le désir de procurer aux juifs une terre dans laquelle ils pourraient s’enraciner et ainsi remédier à cette maladie du déracinement dont ils souffrent. Son engagement sioniste n’est donc pas le fruit d’un mol attendrissement, ni celui d’une révolte haineuse. « Je suis devenu sioniste pour des convictions théoriques. Et mon engagement dans la lutte pour l’indépendance d’Israël fut tout à fait volontaire. Il se place sur un plan pratique et n’a pas son origine dans un sentiment de persécution »502. A dix-sept ans, il intègre l’Unitas, où il ressent « la plus forte des émotions sociales ; le sentiment de camaraderie, le sentiment d’appartenance »503. Mais Koestler découvre bientôt le

501 Charles Péguy, Le Rouge et Le Bleu, 7 mars 1942, n°19, p.12. 502 Pierre Debray-Ritzen (Dir.), Cahier Koestler, op. cit., p. 26.

503 Arthur Koestler, La Corde raide in : Athur Koestler. Œuvres Autobiographiques, Phil Caoar (Dir.), op. cit., p. 87.

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monde juif reclus de Vienne qui ne lui inspire qu’ « une aversion immédiate »504. Dans son autobiographie, Koestler décrit ce monde étranger qu’il découvre, entre autres, au cœur d’une nouvelle littérature :

Je lus des récits de la vie de ghetto, traduits du yiddish, et me sentis encore plus loin de tout cela. Ils exhalaient un air de renfermé, une odeur de rues étroites, d’inceste intellectuel et de mœurs retorses ; ils étaient épicés d’un humour trop mûr et fait d’un dénigrement de soi-même. On respirait, dans cette littérature, un mélange de servilité et d’orgueil spirituel, de ruse et de sentimentalité, de mysticisme et de cupidité, qui me donnait une sensation de claustrophobie, une envie de briser des vitres pour laisser entrer l’air pur505.

Selon l’auteur hongrois, c’est parce que les Juifs avaient été rejetés partout où ils avaient tenté de s’installer qu’ils s’étaient laissés tenter par « l’avilissement » et « la corruption ». Il rejette « la légende du peuple élu » et critique la religion judaïque. Ce malaise qui se crée entre lui et les Juifs du ghetto renforce néanmoins ses convictions sionistes.

Plus j’en apprenais sur le judaïsme, plus j’étais désolé, mais aussi plus mon sionisme devenait fervent. L’Etat juif était le seul remède à une maladie que j’étais incapable de nommer et de définir, mais qui me semblait intimement liée à la situation où se trouvaient les Juifs d’un pays et d’un drapeau à eux. L’absence de ces liens les obligeait à vivre en pension chez des étrangers, où, qu’ils y fussent tolérés ou battus, on les considérait toujours comme différents ; là était la racine du mal. Une fois l’Etat juif rétabli, le remède agirait automatiquement et tout irait bien506.

En 1926, il part en Palestine, mais en revient ruiné et déçu. Dans une interview à Pierre Debray-Ritzen qui qualifie l’expérience sioniste de Koestler comme « une défaite sentimentale »507, il confie :

Après avoir abandonné mes études, j’ai voulu aller travailler la terre dans un Kibboutz. Mais je me suis aperçu que pour être paysan il faut une vocation qui me manquait. L’expérience et la déception furent amères. J’avais essayé d’embrasser l’absolu et c’était une faillite. Parce qu’il n’y avait pas de

504 Michel Laval, L’Homme sans concessions. Arthur Koestler et son siècle, op. cit., p. 47.

505 Arthur Koestler, La Corde raide in : Athur Koestler. Œuvres Autobiographiques, Phil, Caoar (Dir.), op. cit., p. 100.

506 Ibid., p. 103.

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Le premier vent de la désillusion le frappe dès son arrivée à Heftziba, dissipant l’euphorie de l’Orient des premiers jours à Haïfa.

J’arrivais à Heftziba un soir d’avril 1926. La première vue de l’établissement fut un choc. J’avais débarqué à Haïfa quelques jours auparavant et j’étais encore ébloui par le spectacle oriental, pittoresque et coloré des bazars et du port. A présent, je me trouvais en plein désert, dans une oasis terne et misérable dont les habitations consistaient en des cabanes de bois […] Les uniques bâtiments de béton étaient l’étable des vaches et une maison blanche carrée où les enfants des pionniers vivaient à l’écart de leurs parents. Je ne sais comment je m’étais représenté l’établissement, mais certainement pas ainsi509.

Malgré cinq semaines de dur labeur à bêcher la terre, en tant qu’ouvrier agricole, la Kvoutza refuse d’intégrer Koestler à ses membres. Soulagé, Arthur reprend le chemin de Haïfa et, pendant plusieurs mois, fait l’expérience de la misère. "La croisade pour l’Etat juif" est la première croisade de Koestler, effectuée sous l’influence de son premier mentor politique Vladimir Ze’ve Jabotinsky. Son expérience sioniste prend définitivement fin en 1929, lorsqu’il quitte, une seconde fois, la Palestine.

J’étais de plus en plus las de la Palestine. Le sionisme de 1929 était immobile. […] Le nazisme, […] n’était encore qu’un monstre en formation dans le ventre de l’avenir. J’étais parti pour la Palestine, jeune, enthousiaste, poussé par une impulsion romantique. Au lieu de l’utopie, j’avais trouvé la réalité : une réalité extrêmement complexe qui m’attirait et me repoussait, mais où l’effet repoussant domina peu à peu, à cause de la langue hébraïque510.

L’appel et la « soif » de l’Europe ont raison de l’auteur hongrois. « Je pouvais renoncer au statut de citoyen européen, mais non à la culture européenne […] Mon âme et ma pensée aspiraient à l’Europe, avaient soif de l’Europe, se desséchaient loin de l’Europe »511. Koestler s’inspire de l’expérience sioniste pour écrire La Tour d’Ezra, roman dans lequel le problème nazi et antisémite est

508 Pierre Debray-Ritzen, Arthur Koestler. Un Croisé sans Croix, op. cit., p. 38.

509 Koestler Arthur, La Corde raide in : Athur Koestler. Œuvres Autobiographiques, Phil, Caoar (Dir.), op. cit., p. 124.

510 Ibid., p. 178. 511 Ibid.

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également posé. A propos du Nazisme, Koestler écrit : « dans cette lutte nous combattons le mal absolu au nom d’une demi-vérité »512.