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Révolte et Révolution

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1.2.1. L’absurde : tragique de la condition ou pathologie ?

1.3.2.1 Révolte et Révolution

Camus oppose la Révolution à la Révolte :

La révolution n'est pas la révolte. Ce qui a porté la Résistance pendant quatre ans, c'est la révolte. C'est-à-dire le refus entier, obstiné, presque aveugle au début, d'un ordre qui voulait mettre les hommes à genoux. La révolte, c'est d'abord le cœur. Mais il vient un temps où elle passe dans l'esprit, où le

616 Henrik Ibsen, Les Revenants, traduit par Terje Sinding, Paris, Imprimerie nationale, collection "Le Spectateur Français", 1991.

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Koestler, lui, oppose l’attitude du Commissaire à celle du Yogi, l’action à la contemplation. Koestler définit le comportement du Commissaire, qui s’apparente à la définition camusienne de la Révolution, comme suit :

The commissar believes in Change from without. He believes that all the pests of humanity, including constipation andthe Œdipus complex, can and will be cured by Revolution ; that is, by a radical reorganization of the system of production and distribution of goods ; that this ends justifies the use of all means, including violence, ruse, treachery and poison ; that logical reasoning is an unfailing compass and the universe a kind of very large clock-work in which a very large number of electrons once set into motion will fo ever revolve in their predictable orbits ; and that whoseover believes in anything else is an escapit618.

La Révolution est en termes koestlériens une « Transformation par l’Extérieur ». Le Commissaire s’intéresse au rapport Homme-Société. Au nom de la raison absolue, le Commissaire justifie tous les moyens par la fin. Le Commissaire tombe alors, pour reprendre l’expression de Camus dans la démesure. La révolution est par définition « un changement brusque, profond et souvent violent en vue de substituer un ordre nouveau à l’ordre ancien »619 ; « un soubresaut de l’histoire »620. L’histoire justement nous fournit les preuves que la révolution est une forme pervertie de la révolte. Camus affirme qu’il y a une « opposition irréductible entre le mouvement de révolte et les acquisitions de la révolution »621

dès l’instant où la révolte trahit ses origines, ses motivations premières. Camus atteste que « toutes les révolutions modernes ont abouti à un renforcement de l’Etat,

617 Albert Camus dans Combat le 19 septembre 1944 in : OC II, p. 532.

618 YC, p. 9 ; trad. p. 13-14 : « Le Commissaire croit à la Transformation par l’Extérieur. Il croit que tous les fléaux de l’humanité, y compris la constipation et le complexe d’Œdipe peuvent et doivent être guéris par la Révolution, c’est-à-dire par une réorganisation radicale du système de production et de distribution de marchandises ; il croit que cette fin justifie les moyens, y compris la violence, la ruse, la trahison et le poison ; il croit que le raisonnement logique est une boussole infaillible, et l’univers une sorte de vaste mouvement d’horlogerie dans lequel un très grand nombre d’électrons, une fois mis en branle, tourneront pour toujours dans leurs orbites calculées à l’avance, et que quiconque pense différemment est un fuyard. »

619 Dictionnaire de philosophie Durozoi-Roussel

620 Etienne Barilier, Albert Camus philosophie et littérature, Lausanne, Coll. Amers, L’Age d’homme, 1977, p. 95.

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1789 amène Napoléon, 1848 Napoléon III, 1917 Staline, les troubles italiens des années 20 Mussolini, la république de Weimar Hitler »622. Koestler lui fait écho :

History has a few glorious examples of the first [true revolutions], and abounds in illustrations of the second course [ghastly pseudo-revolutions]. Again and again the revolutionary masses, having shaken off the fetters of an outworn regime, carried a new tyranny into power. Thus Hitler was carried into power by the anti-capitalistic nostalgia of the impoverished German middle-classes ; thus the revolutionary maquis of Eastern Europe may become a tool of Russian expansion623.

Dans The Age of Longing, Vardi exprime et explique son refus de la révolution : « If we renounced the revolution it was because the revolution has renounced its ideal ; our position is simply the negation of a negation »624.

Dans la réflexion camusienne, la Révolution est associée à la notion de démesure. La démesure est liée au nihilisme, aux idéologies, à l’univers totalitaire et concentrationnaire, à la peine capitale. Elle différencie l’assassin du juste. La démesure ou l’Hybris était considérée comme un crime dans la Grèce antique. Du grec ancien ὕϐρις / húbris est un sentiment inspiré par l’orgueil auquel les Grecs opposaient la modération. L’hybris représente la faute fondamentale au sein de la civilisation grecque antique et est considérée comme l’hamartia (du grec ancien ἁμαρτία et qui signifie « faute », « erreur », « pêché ») des héros tragiques. Dans un extrait d’Aristote, le terme hybris est traduit par outrage.

Celui qui outrage méprise. En effet, l'outrage c'est le fait de maltraiter et d'affliger à propos de circonstances qui causent de la honte à celui qui en est l'objet, et cela dans le but non pas de se procurer autre chose que ce résultat, mais d'y trouver une jouissance. Ceux qui usent de représailles ne font pas acte d'outrage, mais acte de vengeance625.

622 L’Homme révolté in : OC II, p. 212.

623 YC, p. 220 ; trad. p. 323 : « L’Histoire a peu d’exemples glorieux de vraies révolutions et abonde en exemples contraires. Maintes et maintes fois, les masses révolutionnaires, après avoir brisé les fers d’un régime usé, ont porté une nouvelle tyrannie au pouvoir. Hitler fut ainsi porté au pouvoir par la nostalgie anticapitaliste de la classe moyenne allemande appauvrie ; les maquis révolutionnaire de l’Europe orientale peuvent de même devenir l’instrument de l’expansion russe. » 624 AL, p. 169 ; trad. p. 192 : « Si nous avons renoncé à la révolution, c’est parce que la révolution a renoncé à son idéal ; notre position n’est autre chose que la négation d’une négation. »

625 Aristote, Poétique et Rhétorique, Livre II, Chapitre 2, Fragment V, traduit par Ch. Emile Ruelle, collection "Chefs d'oeuvres de la littérature grecque", Librairie Garnier Frères, 1922.

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première manifestation de l’hybris, selon Koestler, serait apparue quand les hominidés seraient partis en chasse de « proies plus rapides et plus fortes qu’eux »626.