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Camus et Koestler, citoyens du monde

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1.2.1. L’absurde : tragique de la condition ou pathologie ?

1.3.1.6 Camus et Koestler, citoyens du monde

Au-delà de son combat pour l’Espagne, Camus milite en faveur d’autres peuples opprimés. Cependant, nous avons orienté notre étude vers ceux qui sont susceptibles de marquer le lien qui l’unit à Koestler. Jeannine Verdès-Leroux retient trois événements qui ont poussé Camus à prendre position pour la Hongrie, pays natal d’Arthur Koestler : l’insurrection ouvrière de Berlin-Est (juin 1953), l’émeute de Poznan (juin 1956) et l’insurrection hongroise (octobre 1956). Des écrivains

604 Rapporté par Hélène Rufat, « Au-delà de l’Espagne franquiste. Albert Camus le "libertaire espagnol"in : Albert Camus et l’Espagne, Les Ecritures du Sud, Edisud, 2005, p. 97.

605 Rosa De Diego, « L’Espagne sur le cœur » in : Ibid., p. 32. 606 Olivier Todd, Albert Camus. Une Vie, op. cit., p. 109.

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Poètes, écrivains, savants du monde entier. Les écrivains hongrois s’adressent à vous. Ecoutez notre appel. Nous luttons sur les barricades pour la liberté de la Patrie, pour celle de l’Europe et pour la dignité humaine. Nous mourrons. Mais que notre sacrifice ne soit pas vain. A l’heure suprême, au nom d’une nation massacrée, nous nous adressons à vous, Camus, Malraux, Russell, Jaspers, Einaudi, T.S. Eliot, Koestler, Madariaga, Jiménez, Kazantzakis, Lagerkvist, Laxness, Hesse et tant d’autres combattants de l’esprit… Agissez…607

Sans hésiter, Camus répond à l’appel. Il invite les écrivains européens à inciter l’O.N.U. à « examiner sans désemparer le génocide dont est victime la nation hongroise »608. Le cœur et l’esprit en alerte609, rêvant d’une Europe « unie dans la liberté et la justice, face à toutes les tyrannies »610, il dit son indignation devant les gouvernements démocratiques « faibles ou cruels » qui tolèrent, par leur silence, de telles atrocités. Chaque fois que Camus est touché par un peuple, par un pays, il le compare à la terre de ses premières amours : l’Algérie. Et la cause hongroise fait partie intégrante de ces engagements qui lui tiennent particulièrement à cœur. Il dénonce la mutilation de la chair humaine « aussi méprisable à Alger qu’à Budapest ». Il partage avec les intellectuels hongrois « une force de persuasion et de vie, un immense mouvement d’émancipation qui s’appelle la culture et qui se fait en même temps par la création libre et le travail libre »611. Jeannine Verdès-Leroux souligne « l’obstination »612 de Camus « au-delà de ses engagements publics […] pour sauver des écrivains hongrois »613. Après la mort de l’écrivain de l’absurde, on apprend qu’il a financièrement aidé plusieurs familles hongroises.

607 Rapporté par Herbet R. Lottman in : Albert Camus, op. cit., p. 599.

608 Réponse à l’appel des écrivains hongrois : Pour une démarche commune à l’O.N.U. des intellectuels européens in : OC III, p. 991.

609 « Devant la tragédie hongroise, nous avons été, nous sommes encore dans une sorte

d’impuissance. Mais cette impuissance n’est pas totale. Le refus du fait accompli, l’alerte du cœur et de l’esprit, la décision d’ôter au mensonge son droit de cité, la volonté de ne pas abandonner l’innocence, même après qu’elle eût été étranglée, ce sont les règles d’une action possible. », Préface à La Vérité sur l’affaire Nagy in : OC IV, p. 600.

610 Réponse à l’appel des écrivains hongrois : Pour une démarche commune à l’O.N.U. des intellectuels européens in : OC III, p. 992.

611 « Kadar a eu son jour de peur » in : OC IV, p. 565.

612 Jeannine Verdès-Leroux, « Hongrie » in : Dictionnaire Albert Camus, op. cit., p. 394. 613 Ibid.

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Lorsque l’insurrection éclate en Hongrie et que George Mikes refuse le projet de Koestler concernant l’organisation d’une manifestation en vue de mobiliser l’opinion publique sur les événements hongrois, Arthur Koestler, fou de rage, brise les vitres de la légation de Hongrie à Londres. Koestler ne démentira jamais cet incident. Il essaie par tous les moyens de venir en aide aux réfugiés : il fait parvenir de l’argent au Hungarian Relief Fund et exprime son intention d’envoyer un groupe d’intellectuels d’Europe de l’Ouest à Budapest pour plaider la cause des victimes de l’oppression. Un projet qui ne verra malheureusement jamais le jour.

Michael Scammell souligne l’intérêt d’Arthur Koestler pour différentes causes à travers le monde, notamment concernant la Yougoslavie et la guerre de Corée.

Koestler and Sperber proposed local committees in all the big pronvincial towns of France to collect signatures, organize demonstrations, put up anti-Communist posters, circulate anti-anti-Communist pamphlets, and organize mass meetings on such subject as the Korean War or the position of Yugoslavia, preferably in conjunction with the Gaullist movement614.

Koestler s’intéresse donc à toutes les causes où l’homme est opprimé sans distinction d’origine ou de religion. Ce qui l’intéresse c’est l’homme en tant qu’être humain.

La violence et le mépris de la vie d’un homme sont intolérables. Camus et Koestler réfutent tous les fondements des régimes totalitaires contre lesquels il faut se révolter. Cependant « la punition des bourreaux ne peut pas signifier la multiplication des victimes »615. Trop de vies arrachées, trop de corps torturés et meurtris. Les régimes tyranniques du XXe siècle font fi de la dignité humaine, atteignant l’homme dans ce qu’il a de plus cher. Camus et Koestler s’irritent chaque fois que l’homme est touché dans sa chair. Ils s’évertuent donc à chercher une issue

614 Michael Scammell, Koestler. The Indispensable Intellectual, op. cit., p. 366 ; « Koestler et Sperber proposèrent des comités locaux dans toutes les grandes villes de la France pour recueillir des signatures, organiser des manifestations, publier des affiches anticommunistes, faire circuler des brochures anticommunistes et organiser des réunions de masse sur des sujets tels que la guerre de Corée ou la position de la Yougoslavie , De préférence en conjonction avec le mouvement gaulliste ».

615 « Première réponse à Emmanuel d’Astier de la Vigerie (Caliban n° 16) », Actuelles I in : OC III, p. 458.

140 1.3.2. Ni Yogi Ni Commissaire

« Le véritable esprit de révolte consiste à exiger le bonheur, ici, dans la vie. »616

e titre de cette section naît de la fusion de l’intitulé des articles camusiens de « Ni Victimes Ni Bourreaux » et de celui du Yogi et le Commissaire de Koestler. « Ni Victimes Ni Bourreaux » est le titre d’une série d’articles publiés entre le 19 et le 30 novembre 1946 dans le journal Combat et repris dans Actuelles I, ce qui montre l’importance qu’ils ont aux yeux de Camus. Avant la publication de « Ni Victimes Ni Bourreaux », l’auteur a pris du recul. Il a voyagé, s’est documenté et s’est entretenu avec des intellectuels de l’époque notamment Koestler. Ces articles mettent en place la structure conceptuelle de L’Homme révolté. The Yogi and The Commissar est un recueil d’essais, textes de combat, de Koestler, écrits entre 1940 et 1944, où il est question d’une protestation contre les régimes répressifs et d’un appel au respect de la liberté de l’homme. Au sein de cette partie, nous nous focaliserons sur le dilemme posé par l’examen des théories du Yogi et du Commissaire et sur l’étude des mouvements de révolte et de révolution. L’exemple de la révolution de Spartacus sera étudié en ce qu’il introduit la question des moyens et de la fin et le recours occasionnel à la violence. Nous nous intéresserons également au traitement par Camus, éclairé à la lumière de la réflexion koestlérienne, de la Révolution française.