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Le problème identitaire chez Camus et chez Koestler

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1.2.1. L’absurde : tragique de la condition ou pathologie ?

1.2.2.1 Le problème identitaire chez Camus et chez Koestler

Le problème identitaire, chez Camus, se traduit par la recherche du père364. Son père, mort un an après sa naissance, laisse un vide immense dans la vie de l’auteur. Dans plusieurs écrits, Camus fait référence à la mort du père. Souvent, c’est par son absence que la figure paternelle hante l’œuvre camusienne. Condamné à mort, Meursault pense à ce père qu’il n’a jamais connu et dans Caligula, Scipion perd son père, exécuté par l’empereur. Épreuve traumatisante pour le jeune poète qui explique, entre autres, l’ambiguïté relationnelle qui se crée entre le tyran et le jeune artiste. Dans d’autres textes, le père représente un pouvoir contre lequel il est nécessaire de se révolter. Considérons que, dans La Mort Heureuse, Zagreus est le substitut du père de Mersault. Ce dernier le tue, « s’affranchit de son moi passé et

362 Norman Mailer. http://qqcitations.com/citation/132933 (Dernière consultation le 18/04/2016). 363 Denise Toboul, Problème du mal et conscience humaniste après 1945 : George Orwell, Arthur Koestler, Angus Wilson, Iris Murdoch, thèse de doctorat d’Etat, Université de Provence, Département d’Etudes Anglo-américaines, (Dir.) Pons Christian, Octobre 1986, p. 98.

364 Cette analyse s’appuie sur l’excellente analyse de la figure paternelle de Jacques Le Marinel dans le Dictionnaire Albert Camus.

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révolte contre le père prend alors une autre dimension et se transforme en révolte contre la société.

Durant son enfance et son adolescence, des substituts du père aideront Camus à forger sa personnalité. Son oncle Etienne lui transmet son goût pour l’hédonisme et son oncle Gustave Acault prend soin de lui366 et oriente ses lectures. A la mort de ce dernier, Camus confie : « C’était le seul homme qui m’ait fait imaginer un peu ce que pouvait être un père »367. Ses professeurs Louis Germain, et, plus tard, Jean Grenier développent son intellect et son sens de l’écriture.

Grenier et Camus ont en commun cette passion pour les paysages méditerranéens et la culture méditerranéenne. Le professeur de philosophie aura une grande influence sur l’étudiant et l’écrivain Camus. En 1959, Camus avoue : « Aujourd’hui encore, il m’arrive d’écrire ou de dire, comme si elles étaient miennes, des phrases qui se trouvent pourtant dans Les Îles368 ou dans les autres livres de son auteur » 369 . Oliver Salazar-Ferrer constate que la relation professeur/élève se transforme en une relation amicale lorsque Camus prend son envol. Dans sa préface aux Îles, Grenier écrit : « A la fin, le maître se réjouit lorsque le disciple le quitte et accomplit sa différence, tandis que celui-ci gardera toujours la nostalgie de ce temps où il recevait tout, sachant qu’il ne pourrait jamais rien rendre »370. Koestler a lui aussi eu ses shamans. De la longue série, le professeur Gergely en est le premier. Mais le premier shaman politique d’Arthur Koestler est Vladimir Jabotinsky,

cet orateur hors pair qui faisait chavirer les foules par la puissance et la beauté voluptueuse de son verbe, ce journaliste prolixe et inspiré, cet intellectuel brillant qui parlait huit langues et pouvait troquer la plume contre le revolver, ce militant qui était prêt à tout jouer, sa liberté et sa vie, pour la cause qu’il

365 Jacques Le Marinel, « Père » in : Dictionnaire Albert Camus, op. cit., p. 660. 366 Il « adopte » Camus durant sa convalescence.

367 Marie-Christine Pavis, « Acault, Gustave » in : Dictionnaire Albert Camus, op. cit., p. 11. 368 Livre de Jean Grenier paru en 1933 et réedité dans une version où s’ajoutent plusieurs chapitres en 1959.

369 Olivier Salazar-Ferrer, « Grenier, Jean » in : Dictionnaire Albert Camus, op. cit., p. 354. 370 Préface aux Îles de Jean Grenier.

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défendait, cet enfant terrible du mouvement sioniste qui disait que la nation hébraïque était son "Dieu absolu"371.

Leader de l’aile droite du mouvement sioniste, Jabotinsky initie Koestler au sionisme, première croisade de l’écrivain hongrois. Un autre shaman de Koestler s’incarne en la personne d’Andor Németh372, « the fisrt real writer he had met »373, rencontré plus tôt, en 1919. Koestler le décrit comme un « personnage baroque »374, une « espèce de Kafka hongrois »375. Puis vient l’adhésion au parti communiste et la rencontre de Willy Münzeberg. Tous ses mentors ont exercé sur lui une influence considérable, mais celle de Jabotinsky est indéniablement la plus importante.

His English teacher in Budapest, the Hungarian writer Andor Németh, and his Zionist mentors, Otto Hahn and Wolfang von Weisl, had all exercised a strong influence on him, but Jabotinsky seemed a giant in comparison with them, o poet, a soldier, orator, and statesman, a doer as well as thinker376. Chez Koestler, la quête identitaire est, entre autres, due à une généalogie mystérieuse. En effet, le grand-père paternel de l’auteur, un certain Léopold, personnage énigmatique, alimente ce mystère. Il aurait fui la Russie pour s’installer en Hongrie. La raison de cet exil demeure obscure. « Naturellement, dit Koestler, je préfère penser qu’il était révolutionnaire »377. Le nom même de Koestler est une invention de Léopold qui ne révélera jamais sa véritable identité. Ce trouble identitaire explique certainement les analepses au sein des romans d’Arthur Koestler. S’il ne peut faire la lumière sur ses origines, il s’applique à créer un passé à ses personnages et à leur donner, de ce fait, de la consistance. Ce procédé lui permet, d’une part, de pallier à ses propres lacunes, et, d’autre part, d’analyser et de justifier le profil psychologique des protagonistes. Dans Arrival and Departure, il

371 Michel Laval, L’Homme sans concessions. Arthur Koestler et son siècle, op. cit., p. 55-56. 372 1891-1953 : écrivain hongrois.

373 Michael Scammell, Koestler. The Indispensable Intellectual, op. cit., p. 27 ; « le premier vrai écrivain qu’il ait rencontré ».

374Arthur Koestler, Hiéroglyphes in : Arthur Koestler. Œuvres Autobiographiques, Phil Casoar (Dir.), op. cit., p. 453.

375 Ibid., p. 454.

376 Michael Scammell, Koestler. The Indispensable Intellectual, op. cit., p. 39 ; « Son professeur d'anglais à Budapest, l'écrivain hongrois Andor Németh et ses mentors sionistes, Otto Hahn et Wolfang von Weisl, ont tous exercé une forte influence sur lui, mais Jabotinsky semblait un géant par rapport à eux, poète, soldat, orateur , et homme d'État, un auteur aussi bien qu’un penseur. »

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des pans du passé de Solovief sont narrés et expliquent la lucidité dont fait preuve le personnage. Au fil des pages du Zéro et l’Infini, le parcours de Roubachof est mis en lumière au moyen de cette figure de style. Enfin, dans The Age of Longing, l’enfance de Fédia Nikitine et celle de Heydie sont retracées et aident le lecteur à cerner la personnalité des deux héros et à comprendre les choix qu’ils font.

Le besoin de recouvrer ses origines pousse probablement Koestler à entreprendre l’écriture de La Treizième tribu. L’Empire Khazar et son héritage. Il y développe la thèse selon laquelle les Ashkénazes sont majoritairement des Khazars et non des descendants des anciens israélites. C’est aussi un moyen subtil pour laïciser le problème juif.