• Aucun résultat trouvé

Les références croissantes des juridictions aux décisions antérieures d’autres juridictions : l’ « exoprécédent »

Dans le document Le tiers dans le contentieux international (Page 116-126)

Section I – La construction d’une jurisprudence internationale cohérente

A- Les références systématiques aux décisions juridictionnelles antérieures

2- Les références croissantes des juridictions aux décisions antérieures d’autres juridictions : l’ « exoprécédent »

L’expression « dialogue des juges » désigne le fait, pour une juridiction, d’utiliser des précédents émanant d’une autre juridiction399. Les « facteurs gouvernant [un tel] usage »400 ont fait l’objet, à l’aube du XXIème siècle, d’une étude sociologique dirigée par D. TERRIS, C. ROMANO et L. SWIGART401. La doctrine internationaliste s’est également

intéressée, dans la période récente, à ce dialogue inter-juridictionnel402.       

399 Selon la définition précitée, fournie par L.-A. SICILIANOS, il s’agit de « l’utilisation par une juridiction internationale de précédents émanant d’une autre juridiction internationale [dialogue horizontal], mais aussi nationale [dialogue vertical] » (SICILIANOS L.-A., « Le précédent et le dialogue des juges : l’exemple de la Cour européenne des droits de l’Homme », op. cit., p. 225).

400 FORTEAU M., « Les décisions juridictionnelles comme précédent », op. cit., p. 105.

401 Les auteurs « en ont tiré cinq conclusions : les juges internationaux seraient réticents à utiliser la jurisprudence des autres juridictions et ne le feraient que si aucune autre source d’inspiration n’est disponible ; si une juridiction estime qu’un précédent d’une autre juridiction contredit sa position, elle ne le citerait pas ; ce qui compte serait seulement le raisonnement tenu par une autre juridiction, et pas le type d’acte qui le contient (arrêt, avis, etc.) ; les juges internationaux découperaient le monde de la justice entre les juridictions généralistes et les juridictions spécialisées, et entre les universelles et les régionales, ce qui conduit à une certaine asymétrie dans les références croisées (les secondes citant plus facilement les premières sur les questions de droit international général) ; les juridictions universelles, en particulier, éviteraient de citer les juridictions régionales. Selon ces auteurs, cependant, ces facteurs ne seraient pas des directives explicites » (Id. pour consulter l’étude, l’auteur renvoie à TERRIS D., ROMANO C. P. R., SIGWART L., The international Judge : An Introduction to the Men and Women who decide the World’s Cases, Oxford,

Oxford University Press, 2007, 315 p. ; ainsi que pour une analyse de celle-ci, à BORDA A. Z., « The Direct and Indirect Approaches to Precedent in International Criminal Courts and Tribunals », Melbourne Journal

of International Law, 2013, p. 608-642 ; BORDA A. Z., « Precedent in International Criminal Courts and Tribunals », Cambridge Journal of International and Comparative Law, 2013, p. 287-313 ; et BORDA A. Z., « The Notion of “Persuasive Value” of External Precedent in International Criminal Law », Nordic Journal

of International Law, 2015, p. 29-58).

402 v. par exemple ARCARI M., BALMOND L. (Dir.), Le dialogue des juridictions dans l’ordre juridique

international. Entre pluralisme et sécurité juridique, Centre de recherche franco-italien, Naples, Scientifica,

2014, 335 p. ; TREVES T., « Cross-fertilization between different international courts and tribunals : the Mangouras Case », in HESTERMEYER H. P. (Dir.), Coexistence, cooperation and solidarity : liber amicorum

Rüdiger Wolfrum, Leyde, Nijhoff, 2012, p. 1787-1796 ; MILLER N., « An International Jurisprudence ? The Operation of “Precedent” across International Tribunals », LJIL, 2002, p. 483-526, spéc. p. 489-498.

Le dialogue des juges sur lequel se concentrent ces développements est celui qui s’opère entre juridictions internationales (dialogue horizontal)403. Divers exemples d’« exoprécédents » doivent être fournis afin de démontrer le caractère global et croissant de cette pratique. Celle-ci contribue à l’unité du droit international et a, dès lors, diverses conséquences sur la communauté internationale : la pratique de l’exoprécédent renforce la sécurité et la prévisibilité juridiques, et permet aux justiciables d’envisager l’invocation, dans un litige, de décisions antérieures d’autant plus diverses.

Les juridictions internationales ont tout d’abord tendance à se référer à la jurisprudence de la CIJ, qui en sa qualité d’organe judiciaire principal des Nations Unies et d’héritière de la CPJI, jouit d’une autorité particulière pouvant amener à la qualifier de « primus inter pares »404.

Dès 1995, dans l’affaire Papamichalopoulos c. Grèce, la CEDH trouvait dans la jurisprudence de la CPJI « une source d’inspiration très appréciable »405 pour l’aider à statuer en matière de réparation suite à une expropriation. Plus récemment, la Cour de Strasbourg s’est référée à la jurisprudence de la CIJ sur la question des immunités juridictionnelles étatiques dans l’affaire Jones et autres c. Royaume-Uni, car les arrêts de la Cour « f[ont] autorité à ses yeux quant à la teneur du droit international coutumier »406. Egalement, dans l’affaire Hassan c. Royaume-Uni, la CEDH s’appuie sur la jurisprudence de la CIJ s’agissant des liens entre le droit international humanitaire et le droit international des droits de l’Homme407 pour rejeter la thèse britannique selon laquelle ces deux branches       

403

Pour approfondir la question du « dialogue vertical », v. CASTELLARIN E., « L’emploi du précédent jurisprudentiel international dans le cadre du contrôle de constitutionnalité », in SFDI, Le précédent en droit

international. Colloque de Strasbourg, op. cit., p. 405-418 ; DUCOULOMBIER P., « Le sort des arrêts de la Cour européenne des droits de l’homme devant le juge britannique », in SFDI, Le précédent en droit

international. Colloque de Strasbourg, op. cit., p. 419-430 ; EL BOUDOUHI S., « Le précédent étranger relatif au droit international devant les juridictions indiennes et sud-africaines », in SFDI, Le précédent en droit

international. Colloque de Strasbourg, op. cit., p. 431-444 ; KINSCH P., « La méthode de la reconnaissance et le précédent », in SFDI, Le précédent en droit international. Colloque de Strasbourg, op. cit., p. 213-224 ; MAUREL R., « Le précédent jurisprudentiel international dans les conclusions des Rapporteurs publics », in SFDI, Le précédent en droit international. Colloque de Strasbourg, op. cit., p. 459-473.

404 « Being regarded as the international judge par excellence, the ICJ indirectly promotes unity and

uniformity in the interpretation of the law. It performs something – in some respect – similar to a Cour de cassation, acting in the framework of a legal order characterized instead by an inorganic and decentralized production of rules and fragmented into a plurality of juridical subsystems having particular aims or scope »

(AGNELLO F., « Dialogue between ICJ and specialized bodies in human rights matters », in ARCARI M., BALMOND L. (Dir.), Le dialogue des juridictions dans l’ordre juridique international. Entre pluralisme et

sécurité juridique, op. cit., p. 31).

405 CEDH, Papamichalopoulos c. Grèce, arrêt, 31 octobre 1995, §36. 406 CEDH, Jones et autres c. Royaume-Uni, arrêt, 14 janvier 2014, §198. 407

du droit seraient mutuellement exclusives dans leur application. Pour la CEDH, la jurisprudence de la CIJ est une aide précieuse pour l’éclairer sur les règles de droit international avec lesquelles l’interprétation de la Convention européenne des droits de l’homme doit être conciliée408. La CIADH se réfère également à la jurisprudence de la CIJ dans l’affaire Caesar v. Trinidad and Tobago, sur des points de l’affaire portant sur les réserves aux traités409 ainsi que sur la non-comparution de l’Etat défendeur410. La CADH s’appuie quant à elle sur la jurisprudence de la CIJ sur la question procédurale de la charge de la preuve411.

Le TIDM se réfère également à la jurisprudence de la CIJ412, par exemple pour rappeler le principe kompetenz-kompetenz413, s’agissant des négociations préalables à la saisine du juge414, ou encore relativement à la non-comparution d’une partie à la procédure415. Les références à la jurisprudence de la Cour sont en outre extrêmement fréquentes dans les affaires de délimitation maritime tranchées par le Tribunal. Dans son arrêt rendu en l’affaire de la Délimitation de la frontière maritime entre le Bangladesh et le

Myanmar dans le golfe du Bengale, le Tribunal s’appuie sur la jurisprudence de la Cour

sur le caractère contraignant que peuvent revêtir les procès-verbaux416, ou encore sur les principes qui régissent la délimitation maritime, notamment « le principe selon lequel la terre domine la mer du fait de la projection des côtes ou des façades côtières »417. En tout,       

408

« [L]a Convention ne peut s’interpréter dans le vide mais doit autant que faire se peut s’interpréter de manière à se concilier avec les autres règles du droit international, dont elle fait partie intégrante » (Ibid., §77).

409 CIADH, Caesar v. Trinidad and Tobago, op. cit., p. 7, §21, p. 9, §27. 410

Ibid., p. 21-24, §73, §76-77 et §81. 411

CADH, Kennedy Owino Onyachi et autres c. République-Unie de Tanzanie, arrêt, 28 septembre 2017, p. 40, §143 et CADH, Nguza Viking, Johnson Nguza c. République-Unie de Tanzanie, arrêt, 23 mars 2018, p. 21-22, §72.

412

Ainsi qu’occasionnellement, à celle de la CPJI : v. TIDM, Affaire du navire « Saïga » (No. 2), op. cit., p. 52, §120 ; et TIDM, Affaire du navire « Virginia G », op. cit., p. 71, §226.

413 TIDM, Affaire du « Grand Prince » (Belize c. France), arrêt, 20 avril 2001, p. 41, §78.

414 TIDM, Affaire relative aux travaux de poldérisation par Singapour à l’intérieur et à proximité du détroit

de Johor, op. cit., p. 20, §52.

415 TIDM, Affaire de l’« Artic Sunrise » (Royaume des Pays-Bas c. Fédération de Russie), ordonnance (mesures conservatoires), 22 novembre 2013, p. 242-243, §48 et §51-52.

416 TIDM, Différend relatif à la délimitation de la frontière maritime entre le Bangladesh et le Myanmar

dans le golfe du Bengale, op. cit., p. 35, §90. Le Tribunal reconnaît qu’un procès-verbal peut constituer un

accord, respectant ainsi la décision rendue par la CIJ en l’affaire Délimitation maritime et questions

territoriales entre Qatar et Bahreïn, à laquelle il s’était déjà référé dans l’affaire Hoshinmaru (CIJ, Délimitation maritime et questions territoriales entre Qatar et Bahreïn (Qatar c. Bahreïn), arrêt, 1er juillet 1994, p. 120, §23 et TIDM, Affaire du « Hoshinmaru », op. cit., p. 46, §86).

417 TIDM, Différend relatif à la délimitation de la frontière maritime entre le Bangladesh et le Myanmar

dans le golfe du Bengale, op. cit., p. 56, §185, citant CIJ, Délimitation maritime en mer Noire (Roumanie c.

Ukraine), arrêt, 3 février 2009, p. 89, §77 ; puis CIJ, Plateau continental de la mer du Nord, op. cit., p. 51, §96.

le Tribunal opère cent quarante-huit références à la jurisprudence de la Cour dans son arrêt418. Dans l’arrêt rendu en l’affaire de la Délimitation de la frontière maritime entre le

Ghana et la Côte d’Ivoire dans l’océan Atlantique, les références à la jurisprudence de la

CIJ sont au nombre de vingt-six et portent, entre autres, sur la valeur probatoire des éléments liés aux activités halieutiques s’agissant de la détermination de la frontière419 et sur le suivi de « la méthode en trois étapes » (côtes pertinentes, équidistance, circonstances pertinentes)420.

Dès son premier rapport rendu dans l’affaire Etats-Unis – Essence, l’Organe d’appel estimait qu’« il ne faut pas lire l’Accord général en l’isolant cliniquement du droit international public »421 et se référait à des fins interprétatives à l’article 31 de la Convention de Vienne sur le droit des traités. Inscrivant le droit international du commerce tel que régi par les Accords de l’OMC dans la discipline plus générale du droit international public, l’Organe d’appel s’appuie également sur la jurisprudence de la CIJ lorsque sont en jeu des questions générales de droit international. Par exemple, dans l’affaire Etats-Unis – Essence précitée, l’Organe d’appel s’appuie sur les principes dégagés par la Cour en matière d’interprétation des traités dans les affaires du Détroit de Corfou et du Différend territorial (Jamahiriya arabe libyenne / Tchad)422. Pareille démarche est suivie dans l’affaire Etats-Unis – Crevettes, dans laquelle l’Organe d’appel fait référence à l’avis consultatif rendu par la Cour en 1971 dans l’affaire des Conséquences juridiques

pour les Etats de la présence continue de l’Afrique du Sud en Namibie423. En outre, dans l’affaire Communautés européennes – Hormones, l’Organe d’appel se réfère à l’arrêt

Gabcikovo-Nagymaros pour estimer que le principe de précaution « n’a pas encore fait

l’objet d’une formulation faisant autorité »424.       

418 Ce nombre inclut également les références faites par les parties à la jurisprudence de la Cour, qui sont retranscrites par le Tribunal dans son traitement des conclusions. De nombreuses références sont également issues de l’arbitrage international et le TIDM « ne semble (…) pas opérer de hiérarchie dans le recours qu’il fait aux exoprécédents, ce qui renforce encore davantage l’impression d’unité du contentieux du droit de la délimitation maritime » (BELKAHLA M., « Le précédent jurisprudentiel international dans le contentieux de la délimitation maritime : entre cohérence et développement du droit », op. cit., p. 277).

419 TIDM, Différend relatif à la délimitation de la frontière maritime entre le Ghana et la Côte d’Ivoire dans

l’océan Atlantique (Ghana / Côte d’Ivoire), arrêt, 23 septembre 2017, p. 75, §226.

420

Ibid., p. 107, §360.

421 Etats-Unis – Normes concernant l’essence nouvelle et ancienne formules, Rapport de l’Organe d’appel, WT/DS2/AB/R, 29 avril 1996, p. 18-19.

422

Ibid., pp. 19 et 26.

423 Etats-Unis – Prohibition à l’importation de certaines crevettes et de certains produits à base de crevettes, Rapport de l’Organe d’appel, op. cit., p. 52, §130.

424 Communautés européennes – Mesures concernant les viandes et les produits carnés (Hormones), Rapport de l’Organe d’appel, WT/DS26/AB/R, WT/DS48/AB/R, 16 janvier 1998, p. 52-53, §123.

Tout en affirmant son indépendance par rapport à la CIJ425, le TPIY a eu l’occasion de se référer à sa jurisprudence426. La CPI a fait de même, sur des questions de procédure427 comme de fond (qualification des éléments constitutifs du génocide428, qualification du caractère international d’un conflit armé429, par exemple).

Les tribunaux CIRDI ont également utilisé la jurisprudence de la Cour, notamment en matière d’interprétation des traités internationaux430.

Bien qu’elle ait pu sembler réticente à cet égard 431, la CIJ se réfère elle aussi aux décisions antérieures d’autres juridictions, s’inscrivant ainsi dans les pas de sa

      

425

TPIY, Le Procureur c. Miroslav Kvocka et consorts, Chambre d’appel, décision du 25 mai 2001, IT-98- 30/1-AR73.5, §17 : « no legal basis exists for suggesting that the International Tribunal must defer to the

International Court of Justice such that the former would be legally bound by decisions of the latter » ;

TPIY, Le Procureur c. Duško Tadić, Chambre d’appel, arrêt du 2 octobre 1995, IT-94-I, §11. Le TPIY n’a d’ailleurs pas hésité à s’écarter de la jurisprudence de la CIJ sur la question du critère de contrôle afin de déterminer si des personnes privées agissent au nom du gouvernement d’un Etat (contrôle « effectif » selon la CIJ, « global » selon le Tribunal. v. notamment TPIY, Le Procureur c. Duško Tadić, Chambre de première instance I, jugement du 7 mai 1997, IT-94-1-T, p. 231-234, §585-588).

426

TPIY, Le Procureur c. Goran Jelisić (« Brčko »), Chambre de première instance I, jugement du 14 décembre 1999, IT-95-10-T, p. 19-20, §60 (sur le caractère coutumier des dispositions de la Convention pour la prévention et la répression du crime de génocide, le caractère de jus cogens de l’interdiction du génocide ainsi que la définition de ce crime) ; TPIY, Le Procureur c. Mucić et consorts (« Camp de Čelebić »), Chambre d’appel, arrêt du 20 février 2001, IT-96-21-Ap. 94, §76-77 (sur l’effet du droit interne sur le plan international) ; TPIY, Le Procureur c. Milan Martić (« RSK »), Chambre d’appel, arrêt du 8 octobre 2008, IT-95-11-A, p. 108, §297 (sur les règles d’interprétation des textes internationaux).

427 CPI, Le Procureur c. Jean-Pierre Bemba, Chambre préliminaire III, décision du 3 mars 2009, ICC-01/05- 01/08, p. 13, §30.

428 CPI, Le Procureur c. Oman Hassan Ahmad al Bashir, Chambre préliminaire I, décision du 4 mars 2009, ICC-02/05-01/09, p. 44, §114, p. 50-51, §135, p. 51-53, §138-140, p. 54-57, §142-146.

429 CPI, Le Procureur c. Thomas Lubanga Dyilo, op. cit., p. 63-65, §212-220, spéc. §212-217. Pour approfondir la question des rapports entre la CIJ et la CPI, v. HAMULI KABUMBA Y., « Incidence de la jurisprudence de la CIJ sur les règles d’interprétation du Statut de Rome, sur la qualification des faits et sur la preuve devant la CPI », RGDIP, 2010, p. 779-810.

430 v. Tribunal CIRDI, Azurix Corp. c. Argentine, op. cit., §391 ; Tribunal CIRDI, Tulip Real Estate and

Development Netherlands BV v. Republic of Turkey, Decision on Bifurcation, 5 mars 2013, ARB/11/28, §47 ;

Tribunal CIRDI, Asian Agricultural Products Ltd. v. Democratic Socialist Republic of Sri Lanka, Sentence, 27 juin 1990, ARB/87/3, §40 (v., pour d’autres exemples, PELLET A., « The Case Law of the ICJ in Investment Arbitration », ICSID Review, 2013, p. 223-240, spéc. p. 231-239).

431

AGNELLO F., « Dialogue between ICJ and specialized bodies in human rights matters », op. cit., p. 32 : « in a first very long phase (…) the ICJ never referred to the case law of the specialized jurisdictions, neither

for taking advantage of it, nor for distancing itself from it » (v. Ibid., p. 32-38 pour des exemples d’affaires

dans lesquelles la Cour ignore les décisions rendues par d’autres juridictions sur des questions juridiques et factuelles pourtant semblables). v. également PELLET A., « The Case Law of the ICJ in Investment Arbitration », op. cit., p. 225 : « [t]he Court – mindful of its prestige – seems to ignore the case law of other

international courts and tribunals » ; MIGAZZI C., « Vers un dialogue des juridictions dans le domaine de l’énergie ? », in ARCARI M., BALMOND L. (Dir.), Le dialogue des juridictions dans l’ordre juridique

international. Entre pluralisme et sécurité juridique, op. cit., p. 280 : « [d]e leur côté, la CPJI et la CIJ se sont

montrées plus réticentes à l’importation de jurisprudences extérieures » ; RÖBEN V., « Le précédent dans la jurisprudence de la Cour internationale », op. cit., p. 392-393 : notant une référence par la Cour à une sentence arbitrale, l’auteur remarque : « [c’]est un phénomène plutôt rare dans la jurisprudence de la Cour, qui était toujours très réticente de tenir compte des instances judiciaires indépendantes ».

devancière432. Dans l’affaire Nottebohm par exemple, la Cour se réfère à la sentence arbitrale de l’Alabama pour rappeler qu’« un tribunal international est juge de sa propre compétence, et a le pouvoir d’interpréter à cet effet les actes qui gouvernent celle-ci »433. En matière d’Application de la Convention pour la prévention et la répression du crime de

génocide, la CIJ a eu recours à la jurisprudence des TPI : dans l’affaire opposant la Bosnie-

Herzégovine à la Serbie-et-Monténégro, elle s’appuie notamment sur le jugement

Kupreškić pour apprécier la teneur de l’élément intentionnel qui caractérise le crime

international de génocide434, ainsi que sur « la jurisprudence constante du TPIY et du TPIR » s’agissant de la caractérisation d’une « intention de détruire au moins une partie substantielle » d’un « groupe »435. Dans l’affaire opposant la Croatie à la Serbie, la Cour se réfère au jugement rendu en l’affaire Stakić pour « rappelle[r] que le viol et d’autres actes de violence sexuelle sont susceptibles de constituer l’élément matériel du génocide »436. En matière de délimitation territoriale, la Cour se réfère à certaines sentences arbitrales437, ainsi qu’à la jurisprudence du TIDM438. En outre, dans l’affaire Diallo, s’agissant du calcul de la réparation à octroyer à l’individu faisant l’objet de la protection diplomatique, la Cour affirme expressément qu’elle :

« tient compte de la pratique d’autres juridictions et commissions internationales (telles que [le TIDM, la CEDH, la CIADH], le Tribunal des réclamations Etats-Unis / Iran, la Commission des réclamations entre l’Erythrée et l’Ethiopie et la Commission d’indemnisation des Nations Unies), qui ont appliqué les principes généraux régissant l’indemnisation lorsqu’elles ont été appelées à fixer le montant d’une indemnité,

      

432 Par exemple, v. CPJI, Service postal polonais à Dantzig, avis consultatif, op. cit., p. 30 : la Cour se réfère à la sentence arbitrale rendue par la CPA en l’affaire des Fonds pieux de Californie le 14 octobre 1902 ; CPJI, Jaworzina, avis consultatif, 6 décembre 1923, Série B, p. 42 : la Cour se réfère à la sentence arbitrale rendue par le Tribunal arbitral en l’affaire du lac Meerauge le 13 septembre 1902 ; et CPJI, Lotus, arrêt, 27 septembre 1927, Série A, p. 26 : la Cour se réfère à la sentence arbitrale rendue en l’affaire Costa Rica

Packet le 4 mars 1897.

433

CIJ, Nottebohm (Liechtenstein c. Guatemala), arrêt (exception préliminaire), 18 novembre 1953, p. 119. 434 CIJ, Application de la Convention pour la prévention et la répression du crime de génocide (Bosnie- Herzégovine c. Serbie-et-Monténégro), arrêt, 26 février 2007, p. 121-122, §188.

435 Ibid., p. 126, §198. 436

CIJ, Application de la Convention pour la prévention et la répression du crime de génocide (Croatie c. Serbie), arrêt, 3 février 2015, p. 70, §158. v. également, pour une analyse des « échanges » entre la CIJ et le TPIY, AGNELLO F., « Dialogue between ICJ and specialized bodies in human rights matters », op. cit., p. 39- 42.

437

CIJ, Frontière terrestre et maritime entre le Cameroun et le Nigéria (Cameroun c. Nigéria ; Guinée équatoriale (intervenant)), arrêt, op. cit., p. 405, §205 ; p. 433, §272 ; p. 445, §297 ; p. 447, §304 ; et CIJ,

Différend territorial et maritime (Nicaragua c. Colombie), arrêt, 19 novembre 2012, p. 691, §178 ; p. 698,

§198 ; p. 705, §220 ; p. 706, §223 ; p. 707, §227 ; p. 708-709, §231 ; p. 715-716, §241 ; et p. 716-717, §244. 438

notamment à raison du préjudice découlant d’une détention ou d’une expulsion illicites »439.

Indépendamment de la CIJ, les juridictions internationales se livrent elles aussi à un dialogue inter-juridictionnel. La CEDH et la CJUE, par exemple, ont « dialogué » s’agissant de la protection des droits fondamentaux des individus face aux sanctions ciblées adoptées par le Conseil de sécurité des Nations Unies dans le cadre de la lutte contre le terrorisme440. Dans l’affaire « Kadi II », la CJUE se réfère à l’arrêt Nada c. Suisse rendu par la CEDH441. Cette dernière se référera à l’arrêt Kadi dans l’affaire Al-Dulimi442. La CEDH s’est également appuyée sur des décisions antérieures rendues par d’autres juridictions, notamment la CIADH et les juridictions pénales internationales (TPIY, TPIR, CPI), lorsqu’elle a eu à traiter des questions liées à l’interdiction de la peine de mort443, ou encore à l’interdiction de la torture444. La CIADH se réfère également à la jurisprudence de

      

439 CIJ, Ahmadou Sadio Diallo (République de Guinée c. République démocratique du Congo), arrêt (indemnisation), op. cit., p. 331, §13 (v. en outre p. 333, §18 ; p. 335, §24 ; p. 337, §33 ; p. 339-340, §40 ; p. 342, §49 ; et p. 343-344, §56 pour des références à des décisions de la CEDH, de la CIADH et du TIDM).

v. également, pour une analyse doctrinale, AGNELLO F., « Dialogue between ICJ and specialized bodies in

Dans le document Le tiers dans le contentieux international (Page 116-126)

Outline

Documents relatifs