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L’agent protégé par son organisation internationale : un lien de nature fonctionnelle

Dans le document Le tiers dans le contentieux international (Page 171-174)

Section I – Une recevabilité de l’action conditionnée par des caractéristiques propres au tiers protégé

B- La nature variable du lien de rattachement dans le cadre de l’endossement

1- L’agent protégé par son organisation internationale : un lien de nature fonctionnelle

La protection fonctionnelle désigne : « [le] fait pour une organisation internationale de présenter une réclamation à l’encontre d’un Etat (ou d’une autre organisation internationale) responsable d’un fait illicite à l’égard d’un de ses agents. Cette protection est dite “fonctionnelle” car elle repose sur le rapport de fonction existant entre l’Organisation et son agent »623. Qualifiée en 1964 par le TAOIT de « principe général du       

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droit de la fonction publique internationale »624, la question de la protection fonctionnelle des agents est posée à la CIJ par l’Assemblée générale des Nations Unies le 4 décembre 1948625, en ces termes :

« I. Au cas où un agent des Nations Unies subit, dans l’exercice de ses fonctions, un dommage dans des conditions de nature à engager la responsabilité d’un Etat, l’Organisation des Nations Unies a-t-elle qualité pour présenter contre le gouvernement de jure ou de facto responsable une réclamation internationale en vue d’obtenir la réparation des dommages causés a) aux Nations Unies, b) à la victime ou à ses ayants droit ?

II. En cas de réponse affirmative sur le point I b), comment l’action de l’Organisation des Nations Unies doit-elle se concilier avec les droits que l’Etat dont la victime est ressortissant pourrait posséder ? »626.

En rendant son avis consultatif, la Cour se limite à apprécier, exclusivement, la compétence de l’ONU pour présenter une réclamation internationale. Par la suite, le principe de la personnalité juridique internationale de l’Organisation dégagé dans l’avis627, qui inclut la possibilité d’exercer la protection fonctionnelle, a été étendu mutatis mutandis à l’ensemble des organisations internationales628. Dans sa décision, la CIJ précise qu’elle entend par « réclamation internationale introduite contre le gouvernement de jure ou de

facto responsable » toute « réclamation dirigée contre un Etat »629. Quant au terme « agent », la Cour lui donne une signification large, « entendant par là quiconque, fonctionnaire rémunéré ou non, employé à titre permanent ou non, a été chargé par un organe de l’Organisation d’exercer, ou d’aider à exercer, l’une des fonctions de celles-ci, bref, toute personne par qui l’Organisation agit »630. C’est donc bien un lien de nature fonctionnelle qui doit exister pour donner le droit à une organisation d’exercer la protection fonctionnelle dans le cas où un de ses agents subit un dommage « dans des conditions de nature à engager la responsabilité d’un Etat »631. Le lien fonctionnel, entendu largement, existe dès lors qu’une personne est investie par une organisation de compétence(s), fonction(s) ou mission(s) et agit pour le compte de cette dernière.

      

624 TAOIT, Jurado, Jugement n°70, 11 septembre 1964, §II-3.

625 Quelques précédents en la matière peuvent notamment être trouvés dans les observations du gouvernement français adressées à la Cour (CIJ, Réparations des dommages subis au service des Nations

Unies, Exposés écrits, 28 décembre 1948, p. 16-18).

626 CIJ, Réparations des dommages subis au service des Nations Unies, Requête pour avis consultatif, 7 décembre 1948, p. 8.

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CIJ, Réparation des dommages subis au service des Nations Unies, avis consultatif, op. cit., p. 178-180. 628 DAILLIER P., FORTEAU M., PELLET A., Droit international public, op. cit., p. 661, §385.

629 CIJ, Réparation des dommages subis au service des Nations Unies, op. cit., p. 177. 630 Id.

631 Id.

La Cour insiste sur la distinction entre le lien fonctionnel et le lien de nationalité : « [i]l n’est pas possible, par un recours exagéré à l’idée d’allégeance, d’assimiler au lien de nationalité qui existe entre l’Etat et son ressortissant le lien juridique qui, selon l’article 100 de la Charte, existe entre l’Organisation d’une part, et le Secrétaire général et le personnel du Secrétariat, d’autre part »632. La protection fonctionnelle s’exerce ainsi indépendamment de la condition de nationalité ; a fortiori, elle peut s’exercer à l’égard d’un agent de l’organisation qui serait réfugié, apatride633, ou qui aurait la nationalité de l’Etat défendeur634. La compétence de l’Organisation pour demander la réparation des dommages qui ont été causés non seulement à elle mais également à la victime ou à ses ayant droits implique, si la victime possède également une nationalité, que « le droit de protection diplomatique appartenant à l’Etat et le droit de protection fonctionnelle appartenant à l’Organisation peuvent se trouver en concurrence »635. La Cour indique qu’« [e]n pareil cas, il n’existe pas de règle de droit qui attribue une priorité à l’un ou à l’autre, ou qui oblige soit l’Etat soit l’Organisation à s’abstenir de présenter une réclamation internationale »636.

Dans l’opinion individuelle qu’il joint à l’avis, le Juge AZEVEDO revient sur la

diversité des personnes pouvant exercer des fonctions dans le cadre d’une organisation internationale : fonctionnaires internationaux, représentants des Etats membres, experts,

      

632 Ibid., p. 182 (l’article 100 de la Charte des Nations Unies se lit comme suit : « 1. Dans l’accomplissement de leurs devoirs, le Secrétaire général et le personnel ne solliciteront ni n’accepteront d’instructions d’aucun gouvernement ni d’aucune autorité extérieure à l’Organisation. Ils s’abstiendront de tout acte incompatible avec leur situation de fonctionnaires internationaux et ne sont responsables qu’envers l’Organisation. 2. Chaque Membre de l’Organisation s’engage à respecter le caractère exclusivement international des fonctions du Secrétaire général et du personnel et à ne pas chercher à les influencer dans l’exécution de leur tâche »).

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v. Ibid., p. 184. Selon les observations du gouvernement américain, ce n’est qu’à l’égard d’un « stateless

individual » que la protection fonctionnelle peut s’exercer. Dès lors que l’individu lésé a une nationalité, la

capacité d’élever sa réclamation au rang de litige international appartient à l’Etat de nationalité, dans le cadre de la protection diplomatique (CIJ, Réparations des dommages subis au service des Nations Unies, Exposés écrits, op. cit., p. 22).

634 v. CIJ, Réparation des dommages subis au service des Nations Unies, avis consultatif, op. cit., p. 186. 635 Ibid., p. 185.

636 Id. Pour le Royaume-Uni, il existe bien une priorité, en faveur de l’Organisation : « the party having the

prior right to make a claim for compensation on the individual’s behalf is the Organization rather than the national State concerned, given the circumstances out of which the claim arose and the predominant allegiance to the Organization owed at the time, and in respect of his work, by the injured person » (CIJ, Réparations des dommages subis au service des Nations Unies, Exposés écrits, op. cit., p. 37-38). La Cour

précise en outre que : « [b]ien que les bases des deux réclamations soient différentes, cela ne signifie pas que l’Etat défendeur puisse être contraint à payer deux fois la réparation due à raison du dommage. Les tribunaux internationaux connaissent bien le problème que pose une réclamation à laquelle sont intéressés deux ou plusieurs Etats nationaux, et ils savent comment protéger, en pareil cas, l’Etat défendeur » (CIJ, Réparation

témoins, conseils et avocats637. Afin de savoir qui, de l’organisation internationale ou de l’Etat de nationalité, peut exercer la protection fonctionnelle ou diplomatique, le Juge propose une solution fondée sur le critère du choix de l’agent :

« [s’]il s’agit de fonctionnaires ou d’experts nommés directement par l’Organisation des Nations Unies, sans tenir compte de leur nationalité, la priorité appartiendra à l’Organisation, qui d’ailleurs pourra présenter la réclamation sans avoir besoin d’invoquer un déni de justice ni même d’établir l’épuisement préalable des voies de recours internes. Si, au contraire, ce sont des représentants des Etats membres ou même des experts désignés en considération de leurs pays, notamment si la désignation est confiée à ces derniers, l’action principale se conformera au principe de la nationalité »638.

Malgré le peu de pratique, il est établi que l’exercice de la protection fonctionnelle par une organisation internationale est possible et qu’il s’appuie sur un lien de rattachement fonctionnel, fondé sur l’octroi d’une mission que l’agent de l’organisation doit exécuter.

2- Le navire protégé par l’Etat du pavillon : un lien juridique de rattachement

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