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La mise en œuvre du principe de l’autorité relative de la chose jugée

Dans le document Le tiers dans le contentieux international (Page 59-63)

Section I Les principes généraux du contentieux international protégeant les tiers

A- La mise en œuvre du principe de l’autorité relative de la chose jugée

Le principe consacre « l’impossibilité d’étendre les effets de la décision juridictionnelle à des Etats tiers »176, y compris si la décision les concerne directement ou indirectement. L’économie générale du principe de l’autorité relative de la chose jugée est expliquée par la CPJI dans son Interprétation des arrêts n°7 et 8 (Usine de Chorzów) : « le but de l’article 59 est seulement d’éviter que des principes juridiques admis par la Cour dans une affaire déterminée, soient obligatoires pour d’autres Etats ou d’autres litiges »177. Ainsi que le souligne L. N. C. BRANT, « la chose jugée entre certaines parties ne peut ni

      

172 CIJ, Activités militaires et paramilitaires au Nicaragua et contre celui-ci, arrêt (fond), op. cit., p. 36, §52. 173 Ibid., p. 38, §56.

174

BRANT L. N. C., L’autorité de la chose jugée en droit international public, op. cit., p. 291.

175 CIJ, Frontière terrestre et maritime entre le Cameroun et le Nigéria (Cameroun c. Nigéria ; Guinée équatoriale (intervenant)), arrêt, 10 octobre 2002, p. 421, §238.

176 BRANT L. N. C., L’autorité de la chose jugée en droit international public, op. cit., p. 84. 177

nuire ni profiter à des tiers. La relativité de la chose jugée apparaît ainsi comme un mécanisme de protection des intérêts des tiers qui ne sauraient être liés par le résultat d’une instance à laquelle ils n’étaient pas obligés de participer »178.

La protection que permet la relativité de la chose jugée nécessite néanmoins d’être mise en œuvre activement par les juges. Dans les cas où le différend s’inscrit dans un cadre exclusivement bilatéral, la relativité de la chose jugée offre une protection aux tiers strictement formelle, théorique, et son application ne soulève aucune difficulté concrète. En d’autres termes, il est vain d’affirmer que la chose jugée ne nuit ni ne profite à des tiers si ces derniers ne sont en rien concernés par celle-ci. Dans d’autres cas, le différend s’inscrit, au moins partiellement, dans un cadre multilatéral. Il concerne donc des Etats tiers à l’instance, sans que les intérêts de ces derniers ne constituent pour autant l’objet

même de la décision à rendre. Ces Etats tiers qui n’ont pas consenti à voir un différend qui

les concerne tranché par le juge international, et qui se situent hors du champ d’application du principe de l’Or monétaire, doivent bénéficier de la protection directe du principe de l’autorité relative de la chose jugée. Ces situations requièrent un rôle actif de la juridiction qui doit garantir la relativité de la chose jugée en tranchant le différend, et non se contenter d’affirmer formellement, une fois la décision rendue, que celle-ci « ne vaut que pour les parties et dans le cas qui a été décidé ». Comme l’écrit C. SANTULLI :

« [l]e principe de l’ “autorité relative” de la chose jugée fait obstacle à ce que les décisions juridictionnelles puissent affecter les droits des tiers au procès. Il exclut la recevabilité des conclusions qui, si elles étaient adjugées, conduiraient la juridiction à se prononcer sur les droits des tiers, c’est-à-dire adopter une décision dépourvue de force obligatoire (puisque les tiers ne seraient pas liés par elle) »179.

Ou encore, selon les termes de R. BERNHARDT, « a case pending between two States may, indirectly or directly, involve the interests of a third State (or third States), which may set a limit to the Court’s jurisdiction »180. Il est donc attendu du juge international qu’il redéfinisse les limites de l’exercice de sa compétence vis-à-vis de l’objet du litige afin de trancher le différend sans porter atteinte aux droits et/ou aux intérêts d’Etats tiers qui, sans constituer l’objet même de la décision à rendre, pourraient être affectés par celle-ci. La relativité de la chose jugée, loin d’être un vœu pieu à faire après       

178 BRANT L. N. C., L’autorité de la chose jugée en droit international public, op. cit., p. 82. 179 SANTULLI C., Droit du contentieux international, op. cit., p. 272. Les italiques sont de nous. 180

avoir tranché un différend multilatéral dans le cadre d’une instance bilatérale, exige du juge une autolimitation dans l’exercice de sa compétence pour éviter de se prononcer sur la situation d’Etats tiers.

Ce pouvoir – et ce devoir – qu’a le juge international de s’autolimiter dans l’exercice de sa compétence pour ne pas affecter les droits et intérêts des tiers relève de la bonne administration de la justice. Ainsi que l’écrit R. KOLB relativement à la CIJ,

« [l]e caractère et l’intégrité judiciaires imposent à la Cour des limites dans l’action. La CIJ est un organe juridictionnel, non un corps politique omni-compétent. Dès lors, certaines limites à l’action découlent de son caractère même comme cour de justice, indépendamment de ce que les parties lui demandent de faire dans un cas donné. La Cour doit décliner d’agir selon la requête, même conjointe, des parties si elle estime que cette requête est incompatible avec son intégrité judiciaire. De cette intégrité judiciaire, la Cour est seule gardienne. Comme la Haute Juridiction l’a péremptoirement affirmé dans l’affaire du Cameroun septentrional (1963) : “[i]l y a des limitations inhérentes à l’exercice de la fonction judiciaire dont la Cour, en tant que tribunal, doit toujours tenir compte. Il peut ainsi y avoir incompatibilité entre, d’un côté, les désirs d’un demandeur ou même des deux parties à une instance et, de l’autre, le devoir de la Cour de conserver son caractère judiciaire. C’est à la Cour elle-même et non pas aux parties qu’il appartient de veiller à l’intégrité de la fonction judiciaire de la Cour.”181 Ainsi la Cour a refusé de répondre à des questions théoriques182 ; de donner des avis consultatifs à des Etats183 ; (…) de répondre à des questions non juridiques184 ; etc. Ces limites inhérentes au caractère judiciaire de la Cour découlent de sa nature comme cour de justice. A ce titre, elles sont des expressions de la bonne administration de la justice »185.

A cette liste d’exemples non exhaustive proposée par l’auteur, il faut ainsi ajouter que le juge peut, au nom de la bonne administration de la justice et plus précisément de la protection des droits et intérêts des tiers, s’autolimiter dans l’exercice de sa compétence à l’égard d’un différend. Cette autolimitation peut être totale, lorsqu’il faudrait pour statuer se prononcer obligatoirement et au préalable sur la situation d’un tiers, qui constitue ainsi l’objet même de la décision à rendre (application du principe de l’Or monétaire). Cette autolimitation peut également être partielle, lorsque, sans en constituer l’objet même, les droits et/ou les intérêts des tiers sont susceptibles d’être affectés par la décision future : le juge doit alors réévaluer l’étendue de sa compétence vis-à-vis de l’objet du différend.       

181

Citant CIJ, Cameroun septentrional (Cameroun c. Royaume-Uni), arrêt (exceptions préliminaires), 2 décembre 1963, p. 29.

182 Citant Ibid., p. 31 et s.

  

183

CPJI, Interprétation de l’accord gréco-bulgare du 9 décembre 1927, avis consultatif, 8 mars 1932, Série A/B, p. 87.

184 CPJI, Zones franches, arrêt, 7 juin 1932, Série A/B, p. 160 et s., spéc. p. 162.

185 v. KOLB R., « La maxime de la “bonne administration de la justice” dans la jurisprudence internationale »,

Une telle attitude de mise en œuvre de la relativité de la chose jugée est consacrée par la pratique judiciaire et arbitrale en matière de délimitation territoriale. Dans la sentence rendue en l’affaire de la Frontière entre la colonie de Guyane britannique et les

Etats-Unis du Venezuela, les arbitres déclarent « that the line of delimitation fixed by this Award shall be subject and without prejudice to any question now existing, or which may arise, to be determined between the Government of Her Britannic Majesty and the Republic of Brazil, or between the latter Republic and the United States of Venezuela »186. Dans l’affaire portant sur la Délimitation des espaces maritimes entre la France et le

Canada, le tribunal arbitral refuse de se prononcer sur les droits des parties sur le plateau

continental au-delà de 200 milles marins, parce qu’il estime qu’une telle démarche affecterait les tiers, envisagés ici très largement puisqu’il s’agit de l’ensemble de la communauté internationale, dans la mesure où les fonds marins au-delà de la juridiction nationale ont été déclarés patrimoine commun de l’humanité :

« [t]oute décision par laquelle le Tribunal reconnaîtrait aux Parties des droits sur le plateau continental au-delà de 200 milles marins ou rejetterait de tels droits constituerait une décision impliquant une délimitation non pas “entre les Parties” mais entre chacune d’elles et la communauté internationale, représentée par les organes chargés de l’administration et de la protection de la zone internationale des fonds marins (les fonds marins situés au-delà de la juridiction nationale) qui a été déclarée patrimoine commun de l’humanité »187.

Dans l’arrêt rendu dans l’affaire relative au Plateau continental (Libye / Malte), statuant sur la requête à fin d’intervention italienne, la CIJ explique : « [qu’il] ne fait pas de doute que, dans son arrêt futur, la Cour tiendra compte, comme d’un fait, de l’existence d’autres Etats ayant des prétentions dans la région. (…) L’arrêt futur ne sera pas seulement limité dans ses effets par l’article 59 du Statut ; il sera exprimé sans préjudice des droits et titres d’Etats tiers »188. Egalement, dans l’affaire du Différend territorial et maritime entre le Nicaragua et la Colombie, la Cour déclare qu’elle « a toujours pris soin de ne pas tracer

      

186

Sentence arbitrale, Frontière entre la colonie de Guyane britannique et les Etats-Unis du Venezuela, Décision du 3 octobre 1899, RSA, vol. XXVIII, p. 338. v. également Sentence arbitrale, Delimitation of the

frontier line between Bolivia and Peru, Décision du 9 juillet 1909, RSA, vol. XI, p. 142.

187

Sentence arbitrale, Délimitation des espaces maritimes entre la France et le Canada (Saint-Pierre et

Miquelon) (France / Canada), Décision du 10 juin 1992, RSA, vol. XXI, p. 292, §78. v. également

QUENEUDEC J-P., « La notion d’Etat intéressé en droit international », op. cit., p. 357.

188 CIJ, Plateau continental (Jamahiriya arabe libyenne / Malte), arrêt (requête de l’Italie à fin d’intervention), 21 mars 1984, p. 26-27, §43.

de frontière pénétrant dans une zone où les droits d’Etats tiers sont susceptibles d’être affectés »189.

En dehors du contentieux territorial, la CIJ a également fait application de ce principe. Notamment, dans l’affaire du Mandat d’arrêt du 11 avril 2000, le Congo demandait à ce que la Cour déclare « [q]ue la violation du droit international dont procèdent l’émission et la diffusion internationale du mandat d’arrêt du 11 avril 2000

interdit à tout Etat, en ce compris la Belgique, d’y donner suite »190. La Cour estimera qu’effectivement, l’émission et la diffusion sur le plan international par la Belgique d’un mandat d’arrêt visant le Ministre des affaires étrangères congolais en exercice méconnaissent les règles internationales relatives à l’immunité de juridiction pénale et à l’inviolabilité dont ce dernier peut jouir. Cependant, la Cour refuse « d’indiquer, dans un arrêt statuant sur un différend entre le Congo et la Belgique, quelles en seraient les implications éventuelles pour des Etats tiers, et ne saurait par suite accueillir sur ce point les conclusions du Congo »191.

Ainsi, en tranchant les différends qui leur sont soumis, les juridictions internationales sont animées du souci de ne pas heurter les droits et intérêts des tiers à l’instance. Afin d’aider celles-ci à statuer en toute connaissance de cause, et s’ils venaient à soupçonner l’insuffisance de la protection offerte par le principe de l’autorité relative de la chose jugée, les tiers intéressés peuvent solliciter une participation à l’instance par le biais des procédures de tierce-intervention.

B- Les procédures de tierce-intervention, moyen complémentaire éventuel de

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