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L’opérateur économique privé dans le cadre de l’ORD de l’OMC : un lien de rattachement indéterminé

Dans le document Le tiers dans le contentieux international (Page 178-182)

Section I – Une recevabilité de l’action conditionnée par des caractéristiques propres au tiers protégé

B- La nature variable du lien de rattachement dans le cadre de l’endossement

3- L’opérateur économique privé dans le cadre de l’ORD de l’OMC : un lien de rattachement indéterminé

Seuls les Membres de l’OMC ont accès à la procédure de règlements des différends de l’Organisation. L’Organe d’appel le « soulig[nait] d’emblée » dans son rapport rendu en l’affaire Etats-Unis – Crevettes :

« seuls les Membres de l’Organisation ont accès au processus de règlement des différends de l’OMC. En vertu de l’Accord sur l’OMC et des autres accords visés actuellement en vigueur, les personnes ou les organisations internationales, qu’elles soient gouvernementales ou non gouvernementales, n’y ont pas accès »656.

Le contentieux à l’OMC est, dès lors, essentiellement interétatique657. Cependant, ce sont avant tout les opérateurs économiques privés qui bénéficient du droit de l’OMC et, conséquemment, qui pâtissent d’éventuelles violations658. Dès lors, sans occulter les intérêts économiques propres qu’ils y défendent, il est possible d’envisager que les réclamations portées devant l’ORD par les Membres de l’OMC sont endossées par ceux-ci au bénéfice des opérateurs économiques privés lésés659. Comme l’écrivent L. RUIZ-FABRI

et L. BOY, « bien que réputés interétatiques au titre de la procédure dont relève leur

traitement, bien des litiges économiques concernent de très près, voire se confondent avec, les intérêts d’acteurs économiques privés, au point qu’il est évident que l’Etat se fait en       

656 Etats Unis – Prohibition à l’importation de certaines crevettes et de certains produits à base de crevettes, Rapport de l’Organe d’appel, op. cit., p. 38, §101.

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Tout territoire douanier autonome peut être membre de l’OMC. Selon l’article XII de l’Accord instituant l’OMC, « [t]out Etat ou territoire douanier distinct jouissant d’une entière autonomie dans la conduite de ses relations commerciales extérieures (…) pourra accéder au présent accord (…) ». Dans leur immense majorité, les Membres de l’OMC sont des Etats (v. la liste des Membres sur le site de l’Organisation, https://www.wto.org/french/thewto_f/whatis_f/tif_f/org6_f.htm (consulté le 21/09/2018)).

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v. à ce propos, CARREAU D., JUILLARD P., Droit international économique, 4ème éd., Paris, Dalloz, 2010, p. 91 ; CANAL-FORGUES E., Le règlement des différends à l’OMC, 3ème éd., Bruxelles, Bruylant, 2008, p. 21 ; RACINE J.-B., « Les entreprises et l’Organisation mondiale du Commerce », in GARCIA T., TOMKIEWICZ V. (Dir.), L’Organisation mondiale du commerce et les sujets de droit. Colloque de Nice des 24 et 25 juin 2009, Bruxelles, Bruylant, 2011, p. 231.

659 v. LE FLOCH G., « OMC, protection diplomatique et endossement », in TOMKIEWICZ V., avec la collaboration d’HOEFFNER W., PAVOT D. (Dir.), Organisation mondiale du commerce et responsabilité.

réalité le porte-parole de ces intérêts »660 ; en d’autres termes, les Membres de l’OMC « n’agissent que sous la pression de leurs entreprises »661. Derrière celles-ci, ce sont les intérêts d’actionnaires, de salariés et de consommateurs qu’il s’agit de faire valoir. Dans ce cadre, D. CARREAU et P. JUILLARD estiment qu’« une forme de protection diplomatique » est « de facto ressuscitée »662. Par l’endossement, le Membre de l’OMC prendrait alors fait et cause pour un opérateur économique privé, décidant discrétionnairement663 d’élever sa réclamation au rang de litige international. Selon les termes de G. LE FLOCH,

« [u]n opérateur économique privé qui souhaite qu’un Membre de l’OMC endosse sa réclamation contre un autre Membre doit lui transmettre une demande en ce sens. Celle- ci, comme n’importe quelle demande d’exercice de la protection diplomatique, est adressée à l’Etat par des canaux informels. Les demandes d’endossement de réclamation contre un Membre de l’OMC peuvent être alternativement adressées au Ministre des affaires étrangères, à la délégation auprès de l’OMC ou encore à l’ambassade située dans l’Etat visé par la demande de plainte »664.

Et de poursuivre en expliquant qu’« [a]ucune procédure spécifique n’encadre cette demande d’endossement »665. Aucune précision, ni dans les textes régissant la procédure ni dans les propos de l’auteur, ne permet de déterminer la nature du lien qui unit le Membre de l’OMC à l’origine de la plainte devant l’ORD et l’opérateur économique privé dont il épouserait la cause. Tout au plus, nous apprenons que le lien de nationalité n’est pas une condition de recevabilité de la plainte :

« (…) [a]ucun lien spécifique de nationalité n’est exigé entre le Membre qui introduit la plainte et l’opérateur économique privé au nom de laquelle cette dernière est présentée. En pratique, il est vrai que le Membre qui endosse la réclamation est celui de la nationalité de l’opérateur économique privé. Si l’on se fonde sur le contentieux des aéronefs civils, il n’étonnera personne que la réclamation de Boeing a été endossée par les

      

660 RUIZ-FABRI H., « La juridictionnalisation du règlement des litiges économiques entre Etats », Revue de

l’Arbitrage, 2003, p. 897.

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BOY L., « Le déficit démocratique de la mondialisation du droit économique et le rôle de la société civile », RIDE, 2003, p. 487.

662 CARREAU D., JUILLARD P., Droit international économique, op. cit., p. 91.

663 Aux termes de l’article 3, §7 du MARD, « avant de déposer un recours, un Membre jugera si une action (…) serait utile ». v. également LE FLOCH G., « OMC, protection diplomatique et endossement », op. cit., p. 54-59. L’auteur traite notamment de considérations économiques pragmatiques pouvant dissuader, le cas échéant sous la pression d’autres opérateurs économiques privés, le Membre d’agir.

664 Ibid., p. 51. v. également COTE C.-E., « L’accès des particuliers au système de règlement des différends de l’OMC », in BLIN O. (Dir.), Regards croisés sur le Règlement des différends de l’Organisation mondiale du

commerce : Actes de la Journée d’études du 1er décembre 2006 organisée par l’Institut de recherche en droit européen, international et comparé (IRDEIC) à l’Université des Sciences Sociales de Toulouse, Bruxelles,

Bruylant, 2009, p. 42. 665

Etats-Unis, celle d’Airbus par l’Union européenne, celle d’Embraer par le Brésil et enfin celle de Bombardier par le Canada. Cependant, il ne s’agit pas d’une condition de recevabilité de la demande comme cela l’est pour le mécanisme de la protection diplomatique. A titre d’illustration, un Etat A peut très bien chercher à vouloir défendre les intérêts d’une société de nationalité X contre un Etat Y parce que les actionnaires sont de nationalité A. Dans cette configuration, ainsi que le rappelle l’affaire de la Barcelona Traction, l’Etat A ne peut exercer sa protection diplomatique. Rien ne l’empêche en revanche d’introduire une plainte à l’ORD puisqu’il n’est pas nécessaire d’établir un lien de rattachement par le biais de la nationalité »666.

Il n’est même pas, à vrai dire, nécessaire qu’un lien d’allégeance d’aucune sorte unisse le demandeur et l’opérateur économique privé. Il suffit que ce dernier soit établi sur le territoire d’un Membre de l’OMC, et que ce Membre subisse ou risque de subir une « annulation ou une réduction des avantages découlant des accords » du fait d’un autre Membre. Il peut également s’agir d’actionnaires ou de commerçants étrangers exerçant leurs activités économiques sur le territoire d’un Membre qui adopte des législations contraires au droit de l’Organisation, conduisant ces personnes privées à demander l’endossement à l’Etat (ou aux Etats) dont elles ont la nationalité. Ces cas de figure peuvent encore permettre d’identifier, respectivement, un lien de nature territoriale ou un lien de nationalité entre l’opérateur économique lésé et le Membre qui prend fait et cause pour lui, rattachant ces plaintes aux titres de compétence dévolus classiquement à l’Etat par le droit international. Il est également possible d’imaginer, compte tenu de la conception extrêmement large de la notion d’intérêt à agir qui caractérise le contentieux à l’OMC, qu’un Membre soit sollicité pour un endossement sans qu’aucun lien de rattachement d’aucune sorte n’existe à l’égard de l’opérateur économique privé. En effet, dans le contentieux particulier de l’OMC, l’introduction d’une plainte est justifiée par le seul risque d’annulation ou de réduction des avantages résultant des accords de l’Organisation. Toujours selon G. LE FLOCH,

« (…) [a]ucune disposition du Mémorandum d’accord ni des Accords de l’OMC n’exige la présence d’un “intérêt juridique” ou d’un “intérêt économique” pour introduire une requête devant l’Organe de règlement des différends. Ainsi, lorsqu’un Membre introduit une plainte au soutien d’une entreprise privée, il intervient juridiquement en son nom propre pour faire valoir ses propres intérêts et non au nom d’un opérateur économique privé même si en pratique l’objectif est de mettre un terme au préjudice éventuellement subi par ce dernier »667.

      

666 LE FLOCH G., « OMC, protection diplomatique et endossement », op. cit., p. 60. 667

Dès lors, l’intérêt pouvant être porté aux réclamations économiques privées dans le cadre de l’OMC ne saurait être assimilé à une forme de protection diplomatique (d’autant plus que le plaignant peut ne pas être un Etat, ainsi en est-il des plaintes introduites par l’Union européenne) ; il est également permis de douter qu’il s’agisse véritablement d’un endossement. En effet, la nature juridique du lien rattachant la personne privée lésée au Membre demandeur à l’instance demeure indéterminée. Plus encore, l’intérêt de cette détermination est tout relatif dans la mesure où l’existence même d’un tel lien n’est pas nécessaire pour que la plainte soit recevable. Cela présente l’avantage de pouvoir obtenir plus facilement le traitement juridictionnel de situations litigieuses liées à l’application du droit de l’OMC, ce qui bénéficiera in fine aux tiers que sont les opérateurs économiques privés, c’est-à-dire des actionnaires, des salariés, ou encore des consommateurs. Comme nous le développerons ultérieurement, la situation de ces tiers demeure cependant problématique car le contentieux de l’Organisation ne permet pas de leur octroyer une quelconque réparation.

Ainsi, sauf dans le cadre de l’OMC, l’examen d’un moyen d’irrecevabilité tiré du lien juridique de rattachement autorisant le demandeur à agir au bénéfice de la personne protégée peut justifier un examen approfondi – bien qu’incident – de la situation de cette dernière, tiers à l’instance, dès lors que les faits qui la concernent et qui sont pertinents pour prouver la recevabilité de la réclamation sont contestés entre les parties. Une telle analyse de la situation du tiers peut également survenir lorsqu’il s’agit de s’assurer qu’avant de bénéficier de la protection diplomatique de son Etat, celui-ci a au préalable cherché à obtenir réparation conformément aux lois de l’Etat hôte.

II- Le tiers protégé, tenu à l’épuisement préalable des voies de recours

Dans le document Le tiers dans le contentieux international (Page 178-182)

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