• Aucun résultat trouvé

L’épuisement préalable des voies de recours internes, « règle bien établie du droit international coutumier »

Dans le document Le tiers dans le contentieux international (Page 187-189)

Section I – Une recevabilité de l’action conditionnée par des caractéristiques propres au tiers protégé

B- Une exigence certaine dans le cadre de la protection diplomatique

1- L’épuisement préalable des voies de recours internes, « règle bien établie du droit international coutumier »

La règle de l’épuisement des voies de recours internes exige que l’individu (ou la personne morale) cherche tout d’abord à obtenir réparation devant les juridictions internes de l’Etat hôte, avant de solliciter ou de bénéficier de la protection diplomatique de son Etat de nationalité684. Comme le précisait la CPJI dans l’affaire des Concessions Mavrommatis, « c’est un principe élémentaire du droit international que celui qui autorise l’Etat à protéger ses nationaux lésés par des actes contraires au droit international commis par un autre Etat, dont ils n’ont pu obtenir satisfaction par les voies ordinaires »685. La règle trouverait son fondement dans la souveraineté de l’Etat hôte, qui se voit offrir la possibilité de redresser les torts conformément à sa législation, avant que des mécanismes internationaux ne soient invoqués à cet effet. Au contentieux, l’épuisement des voies de recours internes est une condition de recevabilité de l’action du demandeur686.

Le comportement du tiers, personne physique ou morale, au regard de la satisfaction de cette condition de recevabilité sera au centre de la démonstration des parties et de l’analyse effectuée par le juge. C’est en effet à la personne dont la réclamation sera éventuellement endossée par l’Etat demandeur de tenter de trouver d’abord une solution dans l’ordre juridique de l’Etat hôte, comme le montre la pratique juridictionnelle pertinente. Ainsi, dans l’affaire de l’Interhandel, la troisième exception préliminaire soulevée par les Etats-Unis tendait à obtenir de la CIJ une décision d’incompétence687,       

683 Expression empruntée à la Cour internationale de Justice (CIJ, Interhandel, op. cit., p. 25).

684 Sur les origines de la règle, v. CPJI, Chemin de fer Panevezys-Saldutiskis, op. cit., opinion dissidente du Juge VAN EYSINGA, p. 36-37.

685 CPJI, Concessions Mavrommatis en Palestine, op. cit., p. 12 (les italiques sont de nous). Selon J. FAWCETT, la règle ne peut s’appliquer qu’en présence d’une double violation, c’est-à-dire d’une violation concurrente du droit interne et du droit international. En effet, selon l’auteur, en cas de violation du seul droit international « since there has been nothing done contrary to the local law, there can be no local remedies to

exhaust ». v. FAWCETT J., « The Exhaustion of Local Remedies : Substance or Procedure », British Yearbook

of International Law, 1954, p. 454-458.

686 Il est cependant possible d’écarter cette règle non impérative par traité, ou le cas échéant par le jeu de l’estoppel (v. AMERASINGHE C.F., « The Exhaustion of Local Remedies », in AMERASINGHE C.F., Diplomatic Protection, op. cit., v. « Waiver of the Rule », p. 161-173). Toutefois, la renonciation tacite à la règle de

l’épuisement des voies de recours internes ne semble pas avoir la faveur de la CIJ, qui a considéré dans l’affaire ELSI qu’on « ne saurait accepter qu’on considère qu’un principe important du droit international coutumier a été tacitement écarté sans que l’intention de l’écarter soit verbalement précisée » (CIJ,

Elettronica Sicula S.p.A (ELSI), (Etats-Unis d’Amérique c. Italie), arrêt, 20 juillet 1989, p. 42, §50).

687 CIJ, Interhandel, op. cit., p. 24 : la Cour considèrera que « bien que visant la compétence de la Cour, cette exception doit être considérée comme dirigée contre la recevabilité de la requête » (v. contra., Ibid., déclaration du Juge KOJEVNIKOV) et l’examinera à ce titre en dernier.

« pour le motif que l’Interhandel, dont le Gouvernement suisse épouse la cause, n’a pas épuisé les recours internes dont il disposait devant les tribunaux des Etats-Unis »688. Dans cette affaire, la Cour affirme qu’en effet, « la règle selon laquelle les recours internes doivent être épuisés avant qu’une procédure internationale puisse être engagée est une règle bien établie du droit international coutumier »689. La Cour examinera alors le parcours judiciaire, aux Etats-Unis, de la société anonyme dont la Suisse endosse la réclamation, pour constater qu’une procédure est, à cet égard, toujours en cours sur le sol américain690. Sur cette base, elle retient le défaut d’épuisement préalable des voies de recours internes et rejette la réclamation suisse691. Egalement, dans l’affaire Elettronica

Sicula S.p.A (ELSI), l’Italie soulevait à l’encontre de la requête américaine une exception

d’irrecevabilité tirée du non-épuisement des voies de recours internes par les deux sociétés américaines contrôlant la société italienne ELSI, Raytheon et Machlett, au nom desquelles les Etats-Unis ont introduit la demande. La Chambre constituée pour connaître du différend examine la situation des tiers au regard de l’épuisement des voies de recours internes et précise que la preuve du non-épuisement des voies de recours internes incombe à celui qui se prévaut de ce moyen d’irrecevabilité – classiquement, le défendeur à l’instance : « l’Italie devait démontrer qu’il existait néanmoins un quelconque recours interne qui n’avait pas été tenté ou du moins tenté mais pas épuisé »692. Après un examen détaillé de la situation du tiers693, la Chambre rejette d’ailleurs, à l’unanimité, l’exception d’irrecevabilité fondée sur le non-épuisement des voies de recours internes, pour défaut de preuve par l’Italie qu’il subsistait des recours non tentés ou non épuisés.

      

688 CIJ, Interhandel, op. cit., p. 9.

689 Ibid., p. 25. La règle a également pu trouver son fondement dans le droit conventionnel (v. par exemple Article 10, alinéa 3 de l’Accord de coopération franco-américain du 28 juin 1948 : « (…) aucun des deux gouvernements ne présentera (…) de réclamations d’un de ses ressortissants avant que celui-ci n’ait épuisé les voies de recours qui lui sont ouvertes devant les tribunaux administratifs et judiciaires du pays où la réclamation prend naissance »).

690

v. l’examen de la situation du tiers, Ibid., p. 14-17 et p. 24-25.

691 Le gouvernement suisse, sans parvenir à convaincre la Cour, argumenta en faveur d’exceptions à la règle dans le cas d’espèce, d’une part car la mesure lésant la société était une mesure émanant du gouvernement des Etats-Unis et non d’une autorité subalterne, et d’autre part, car le litige n’était pas approprié pour la justice interne en ce qu’il présentait de multiples aspects de droit international. (Ibid., p. 25-27).

692

CIJ, Elettronica Sicula S.p.A (ELSI), op. cit., p. 46, §59. v. également p. 47-48, §63.

693 Pour un compte-rendu de la situation générale du tiers, v. Ibid., p. 23-40, §13-45. Pour un compte-rendu ciblé sur la question de l’épuisement des voies de recours internes, v. Ibid., p. 44-48, §56-63. Sur la question de l’épuisement des voies de recours internes dans la procédure écrite : v. CIJ, Elettronica Sicula S.p.A

(ELSI), mémoire des Etats-Unis d’Amérique, 15 mai 1987, p. 64-67 et p. 359-389 ; Ibid., contre-mémoire de

l’Italie, 16 novembre 1987, p. 9-25 et p. 264-267 ; Ibid., réplique des Etats-Unis d’Amérique, 18 mars 1988, p. 374-377 ; Ibid., duplique de l’Italie, 18 juillet 1988, p. 450-456 ; et Ibid., procès-verbaux des audiences publiques, CR/1987, p. 12-15, p. 81-92, p. 147, p. 156-166, p. 194, p. 283-291 et p. 379-381.

L’obligation d’épuiser préalablement les voies de recours internes s’impose également à la personne physique, avant que son Etat national ne prenne le cas échéant fait et cause pour elle. Ainsi, dans l’affaire Diallo, la Guinée ne contestait pas l’application de la règle mais estimait qu’elle « ne [pouvait] être opposable à M. Diallo », invoquant l’inefficacité et l’inaccessibilité des recours, notamment car « [l]a détention arbitraire et [l’]expulsion immédiate [du tiers l’avaient] placé dans l’impossibilité d’intenter des recours internes au Congo »694. L’argumentation guinéenne dans cette affaire suggère l’exigibilité variable de l’obligation, dont la teneur doit dès lors être précisée.

2- La teneur de l’obligation : que signifie « épuiser les voies de recours

Dans le document Le tiers dans le contentieux international (Page 187-189)

Outline

Documents relatifs