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Le principe consécutif dit « de l’Or monétaire »

Dans le document Le tiers dans le contentieux international (Page 51-59)

Section I Les principes généraux du contentieux international protégeant les tiers

B- Le principe consécutif dit « de l’Or monétaire »

La qualité de tiers, c’est-à-dire la qualité d’une entité qui n’est pas partie à une instance faute de consentement à la juridiction (entre autres conditions) peut faire échec à la possibilité pour la Cour d’exercer sa compétence pour statuer. En rendant son arrêt en l’affaire de l’Or monétaire pris à Rome en 1943, la CIJ affirme le « principe général de l’impossibilité de statuer sur la responsabilité d’un tiers au procès sans son consentement, lorsque l’examen de cette responsabilité constitue “l’objet même” de la décision future »136.

Dans cette affaire, l’Italie, demandeur, estimait que les gouvernements défendeurs devaient lui remettre une certaine quote-part d’or monétaire appartenant à l’Albanie à titre de réparation, et devant primer sur la réparation à laquelle le Royaume-Uni pouvait prétendre suite à la décision de la Cour rendue en l’affaire du Détroit de Corfou137. Quelques mois après le dépôt de sa requête, l’Italie soulevait une « question préliminaire », en remarquant que sa « requête invite la Cour à se prononcer sur la responsabilité de l’Albanie envers l’Italie »138. Dès lors, « des doutes peuvent s’élever sur la compétence de la Cour pour statuer sur une telle question sans le consentement de l’Albanie »139 .

      

135 Selon les termes de l’article 40, §1, du Statut de la CIJ : « [l]es affaires sont portées devant la Cour, selon le cas, soit par notification du compromis, soit par une requête, adressées au Greffier ; dans les deux cas, l’objet du différend et les parties doivent être indiquées » (v. également l’article 24, §1, du Statut du TIDM, ou encore les articles 46 et 47 du Règlement de la CEDH).

136 BRANT L. N. C., L’autorité de la chose jugée en droit international public, op. cit., p. 85. 137

CIJ, Or monétaire pris à Rome en 1943, arrêt, op. cit., p 22. L’Italie s’estimait lésée par le décret albanais du 13 janvier 1945, en vertu duquel l’Albanie « avait confisqué, sans compensation, les avoirs de la Banque nationale d’Albanie, dont (…) la majorité des actions était détenue par le gouvernement italien » (JOUANNET E., « Le principe de l’Or monétaire. A propos de l’arrêt de la Cour du 30 juin 1995 dans l’affaire du Timor

oriental (Portugal c. Australie) », RGDIP, 1996, p. 681).

138

CIJ, Or monétaire pris à Rome en 1943, arrêt, op. cit., p. 22.

139 Id. La Cour admet la possibilité pour le demandeur de soulever une exception préliminaire (Ibid., p. 29). La nature de cette exception préliminaire ne sera pas précisée par la Cour, ni en 1954 ni dans la jurisprudence ultérieure. Selon E. JOUANNET, il s’agit d’une exception d’irrecevabilité, « mais [d’]une exception d’irrecevabilité d’une nature particulière car elle est relative à la sauvegarde de la fonction juridictionnelle contentieuse de la Cour » (JOUANNET E., « Le principe de l’Or monétaire. A propos de l’arrêt de la Cour du 30 juin 1995 dans l’affaire du Timor oriental (Portugal c. Australie) », op. cit., p. 704-705). Il est également possible de considérer que la spécificité d’une telle exception se rattache à la compétence de la Cour, sans

En analysant la requête italienne, la Cour relève que la résolution du différend nécessite d’établir, préalablement, « si l’Albanie a commis un délit international contre l’Italie et si elle est tenue à réparation envers elle. (…) Examiner au fond de telles questions serait trancher un différend entre l’Italie et l’Albanie »140. L’examen d’une requête introductive d’instance mentionnant l’Italie en qualité de demandeur, et la France, le Royaume-Uni et les Etats-Unis en qualité de défendeurs permet d’établir, prima facie, que l’Albanie a la qualité de tiers à l’instance141. La Cour observe en outre qu’« il n’a été soutenu par aucune des Parties que l’Albanie ait donné son consentement en l’espèce, ni expressément, ni implicitement »142. La Cour affirme alors, à l’unanimité143, le principe selon lequel « [s]tatuer sur la responsabilité internationale de l’Albanie sans son consentement serait agir à l’encontre d’un principe de droit international bien établi et incorporé dans le Statut, à savoir que la Cour ne peut exercer sa juridiction à l’égard d’un Etat si ce n’est avec le consentement de ce dernier »144.

La Cour s’attarde ensuite sur le caractère particulier de l’espèce, qui rendrait inopérantes les protections offertes par les articles 59 et 62 du Statut. En effet, l’Albanie, en sa qualité d’Etat tiers à l’instance, est formellement protégée par le principe de l’autorité relative de la chose jugée affirmé à l’article 59. Par ailleurs, l’article 62 lui offre la possibilité de déposer une requête à fin d’intervention dans le but de faire valoir ses droits et intérêts pouvant être affectés par la décision future. Néanmoins, « [e]n l’espèce, les intérêts juridiques de l’Albanie seraient non seulement touchés par une décision, mais constitueraient l’objet même de ladite décision »145. Dans une telle hypothèse, qui doit être soigneusement distinguée de la situation dans laquelle la décision pourrait affecter les intérêts d’un Etat tiers sans que ces intérêts constituent l’objet même de la décision, la protection offerte aux tiers par le principe de l’autorité relative de la chose jugée ne peut

      

être, pour autant, une exception d’incompétence à proprement parler : si les conditions sont réunies vis-à-vis des parties, la Cour est compétente, mais l’absence d’un ou plusieurs Etat(s) tiers indispensable(s) à la résolution du différend fait obstacle à l’exercice d’une telle compétence.

140 CIJ, Or monétaire pris à Rome en 1943, arrêt, op. cit., p. 32. La Cour se prononce ici sur la première conclusion italienne formulée dans la requête introductive d’instance. La seconde, quant à elle, s’inscrit dans une relation de dépendance avec la première. Elle pose la question de la « priorité entre la prétention de l’Italie et celle du Royaume-Uni. [Cette question] ne se pose que si, dans les rapports entre l’Italie et l’Albanie, il a été décidé que l’Italie doit recevoir l’or » (Ibid., p. 33).

141

v. en ce sens, la Déclaration de Sir A. MCNAIR, Président, jointe à l’arrêt (Ibid., p. 35). 142 Ibid., p. 32.

143 v. le dispositif de l’arrêt (Ibid., p. 34). 144 Ibid., p. 32.

145 Id.

jouer car, en amont146, la Cour est empêchée de rendre une décision obligatoire pour les parties à l’instance. Comme l’explique la Cour,

« [la règle formulée à l’article 59] suppose que la Cour est pour le moins en mesure de rendre une décision qui lie les parties. En revanche, là où, comme dans le cas présent, la question essentielle à trancher a trait à la responsabilité internationale d’un Etat tiers, la Cour ne peut, sans le consentement de ce dernier, rendre sur cette question une décision qui soit obligatoire pour aucun Etat, ni pour l’Etat tiers, ni pour aucune des parties qui sont devant elle »147.

A plusieurs reprises, la Cour réaffirme le principe dégagé dans l’affaire de l’Or

monétaire, sans l’appliquer aux cas qu’elle estime distincts148. Ce principe trouve également un écho dans la jurisprudence rendue dans l’exercice de sa compétence consultative, la Cour ayant timidement identifié dans l’affaire du Sahara occidental l’hypothèse d’une « confusion des voies de recours »149, c’est-à-dire l’introduction de demandes d’avis consultatifs dans le but de résoudre des différends150.

      

146

JOUANNET E., « Le principe de l’Or monétaire. A propos de l’arrêt de la Cour du 30 juin 1995 dans l’affaire du Timor oriental (Portugal c. Australie) », op. cit., p. 686 : « [la Cour] ne s’intéressait donc pas, en aval, à la question de la portée effective de l’effet protecteur de l’article 59, mais, en amont si l’on peut dire, à celle de la force légale de sa décision qui est incluse dans le principe de l’autorité de la chose jugée ». 147 CIJ, Or monétaire pris à Rome en 1943, arrêt, op. cit., p. 33. Ainsi, selon l’analyse d’E. JOUANNET, « ce n’est pas l’impossibilité de se prononcer sur les droits ou la responsabilité d’un tiers au procès en l’absence de son consentement que consacre la jurisprudence de l’Or monétaire, c’est le principe de l’impossibilité de rendre une décision obligatoire entre les parties en l’absence de ce consentement » (JOUANNET E., « Le principe de l’Or monétaire. A propos de l’arrêt de la Cour du 30 juin 1995 dans l’affaire du Timor oriental (Portugal c. Australie) », op. cit., p. 689).

148 v. notamment CIJ, Activités militaires et paramilitaires au Nicaragua et contre celui-ci (Nicaragua c. Etats-Unis d’Amérique), arrêt (compétence de la Cour et recevabilité de la requête), 26 novembre 1984, p. 431, §88 ; CIJ, Différend frontalier terrestre, insulaire et maritime (El Salvador / Honduras), arrêt (requête du Nicaragua à fin d’intervention), op. cit., p. 116, §56 ; et CIJ, Activités armées sur le territoire du Congo (République démocratique du Congo c. Ouganda), arrêt, 19 décembre 2005, p. 237-238, §203-204.

149

v. FORTEAU M., « La saisine des juridictions interétatiques à vocation universelle », in RUIZ-FABRI H., SOREL J.-M. (Dir.), La saisine des juridictions internationales, op. cit., p. 29-31.

150 « [L]e défaut de consentement d’un Etat intéressé peut, dans certaines circonstances, rendre le prononcé d’un avis consultatif incompatible avec le caractère judiciaire de la Cour. Tel serait le cas si les faits montraient qu’accepter de répondre aurait pour effet de tourner le principe selon lequel un Etat n’est pas tenu de soumettre un différend au règlement judiciaire s’il n’est pas consentant. Si une telle situation devait se produire, le pouvoir discrétionnaire que la Cour tient de l’article 65, paragraphe 1, du Statut fournirait des moyens juridiques suffisants pour assurer le respect du principe fondamental du consentement à la juridiction » (CIJ, Sahara occidental, avis consultatif, 16 octobre 1975, p. 25, §33. v. également CIJ,

Applicabilité de la section 22 de l’article VI de la convention sur les privilèges et immunités des Nations Unies, avis consultatif, 15 décembre 1989, p. 191, §38 ; CIJ, Conséquences juridiques de l’édification d’un mur dans le territoire palestinien occupé, avis consultatif, 9 juillet 2004, p. 159, §50 ; ainsi que CPJI, Statut de la Carélie orientale, op. cit., p. 27-28, spéc. p. 28 : « [o]r, le consentement de la Russie n’a jamais été

donné ; par contre, elle a nettement et à maintes reprises déclaré qu’elle n’accepte aucune intervention de la Société des Nations dans son différend avec la Finlande. Les refus que la Russie avait déjà opposés aux démarches suggérées par le Conseil ont été renouvelés lorsque la requête d’avis lui a été notifiée. Par conséquent, la Cour se voit dans l’impossibilité d’exprimer un avis sur un différend de cet ordre »).

La Cour fait une seconde fois application de ce principe dans l’affaire du Timor

oriental en retenant, à quatorze voix contre deux151, l’exception préliminaire australienne. En l’espèce, le Portugal introduisait une instance contre l’Australie en estimant que le traité bilatéral entre celle-ci et l’Indonésie dit du « Timor Gap » (1989) portait atteinte aux droits du Portugal, puissance administrante du territoire du Timor oriental, ainsi qu’au droit du peuple du Timor oriental à disposer de lui-même et à la souveraineté permanente sur ses ressources naturelles. L’Australie soulevait plusieurs exceptions préliminaires, dont une tirée du principe de l’Or monétaire selon laquelle « la requête du Portugal obligerait la Cour à statuer sur les droits et obligations d’un Etat qui n’est pas partie à l’instance, à savoir l’Indonésie »152. A cela, le Portugal répondait que sa requête portait sur le seul comportement australien, « parfaitement détachable de toute question relative à la licéité du comportement de l’Indonésie »153. La Cour estime :

« qu’il ne lui est pas possible de porter un jugement sur le comportement de l’Australie sans examiner d’abord les raisons pour lesquelles l’Indonésie n’aurait pu licitement conclure le traité de 1989 alors que le Portugal aurait pu le faire ; l’objet même de [sa décision] serait nécessairement de déterminer si, compte tenu des circonstances dans lesquelles l’Indonésie est entrée et s’est maintenue au Timor oriental, elle pouvait ou non acquérir le pouvoir de conclure au nom de celui-ci des traités portant sur les ressources de son plateau continental. La Cour ne saurait rendre une telle décision en l’absence du consentement de l’Indonésie »154.

Par rapport à l’affaire de l’Or monétaire à l’occasion de laquelle il fallait tout

d’abord déterminer la responsabilité de l’Albanie avant de se prononcer sur la remise

éventuelle de l’or à l’Italie, le caractère préalable et nécessaire de l’appréciation du comportement indonésien pour statuer sur la responsabilité de l’Australie a été critiqué, par le demandeur ainsi que par certains juges dans leurs opinions dissidentes155. La Cour       

151 CIJ, Timor oriental (Portugal c. Australie), arrêt, 30 juin 1995, p. 106, §38. 152 Ibid., p. 99, §20 (v. également p. 100, §24).

153

Ibid., p. 101, §25.

154 Ibid., p. 102, §28 (les italiques sont de nous). La Cour affirme en outre que, si le droit des peuples à disposer d’eux-mêmes est effectivement un droit opposable erga omnes, « l’opposabilité erga omnes d’une norme et la règle du consentement à la juridiction sont deux choses différentes. Quelle que soit la nature des obligations invoquées, la Cour ne saurait statuer sur la licéité du comportement d’un Etat lorsque la décision à prendre implique une appréciation de la licéité du comportement d’un autre Etat qui n’est pas partie à l’instance. En pareil cas, la Cour ne saurait se prononcer, même si le droit en cause est opposable erga

omnes » (Ibid., §29).

155

v. Ibid., les opinions dissidentes des Juges SKUBISZEWSKI (spéc. p. 245, §66) et WEERAMANTRY (p. 150- 178, spéc. p. 156-169). Le fait que la Cour retienne l’exception préliminaire australienne à l’égard de toutes les demandes portugaises a également été critiqué : v. à ce propos JOUANNET E., « Le principe de l’Or

monétaire. A propos de l’arrêt de la Cour du 30 juin 1995 dans l’affaire du Timor oriental (Portugal

affirme néanmoins dans les motifs de l’arrêt qu’elle « devrait nécessairement statuer sur la licéité du comportement de l’Indonésie préalablement à toute décision sur l’affirmation du Portugal selon laquelle l’Australie a violé l’obligation qui lui incombait »156.

L’Australie avait invoqué une première fois et en vain le principe de l’Or monétaire à titre d’exception préliminaire dans l’affaire de Certaines terres à phosphates à Nauru. Le différend entre Nauru, demandeur, et l’Australie, défendeur, portait sur la remise en état des terres à phosphates, exploitées avant 1967 par l’autorité administrante dans le cadre d’un accord de tutelle onusien. Arguant de la composition de l’autorité administrante regroupant les gouvernements australien, néozélandais et britannique, l’Australie estime que la Cour ne peut se prononcer sur sa responsabilité sans juger, dans le même temps, des responsabilités de la Nouvelle-Zélande et du Royaume-Uni, « ces deux Etats [étant] en réalité “parties au différend”, [sans être] parties à l’instance »157. Selon l’Australie, « un tel jugement serait contraire au principe fondamental selon lequel la compétence de la Cour procède exclusivement du consentement des Etats »158. Dans son arrêt, la Cour examine les régimes de mandat et de tutelle s’étant successivement appliqués au territoire de Nauru, et constate que l’Australie exerçait, en réalité, l’essentiel du pouvoir d’administration du territoire159. Ces considérations et les différences entre les deux instances amènent la Cour à décider qu’en l’espèce,

« les intérêts de la Nouvelle-Zélande et du Royaume-Uni ne constituent pas l’objet même de la décision à rendre sur le fond de la requête de Nauru et [que] la situation est à cet égard différente de celle dont la Cour a connu dans l’affaire de l’Or monétaire. En effet, dans cette dernière affaire, la détermination de la responsabilité de l’Albanie était une condition préalable pour qu’il puisse être statué sur les prétentions de l’Italie. Dans la présente espèce, la détermination de la responsabilité de la Nouvelle-Zélande ou du Royaume-Uni n’est pas une condition préalable à la détermination de la responsabilité de l’Australie, seul objet de la demande de Nauru »160.

      

156 CIJ, Timor oriental, arrêt, op. cit., p. 104, §33 (les italiques sont de nous). v. également Ibid., p. 104-105, §34 ; THOUVENIN J.-M., « L’arrêt de la CIJ du 30 juin 1995 rendu dans l’affaire du Timor oriental (Portugal c. Australie) », AFDI, 1995, p. 342-346 ; CONFORTI B., « L’arrêt de la Cour internationale de Justice dans l’affaire de Certaines terres à phosphates à Nauru (Exceptions préliminaires) », AFDI, 1992, p. 464-467. 157 CIJ, Certaines terres à phosphates à Nauru (Nauru c. Australie), arrêt, 26 juin 1992, p. 255, §39. 158

Ibid., p 259, §49.

159 Ibid., p. 256-258, §40-47.

160 Ibid., p. 261, §55. L’exception préliminaire est rejetée à neuf voix contre quatre (v. le dispositif de l’arrêt, p. 268, §72. v. en outre les opinions dissidentes des Juges JENNINGS (Président), p. 301-302 ; AGO, p. 326- 328 ; et SCHWEBEL, p. 329-343, spéc. p. 337-343).

Le principe de l’Or monétaire a également trouvé application dans le cadre de l’arbitrage, à l’occasion de la sentence Larsen c. Royaume d’Hawaii161. L’individu, citoyen et résident d’Hawaii, se plaignait de violations par le défendeur du traité d’amitié, de commerce et de navigation conclu entre le Royaume d’Hawaii et les Etats-Unis d’Amérique. Rappelant la jurisprudence de la CIJ relative au principe de l’Or monétaire, le Tribunal arbitral estime que le différend qui lui est soumis nécessite de se prononcer préalablement sur la responsabilité des Etats-Unis d’Amérique et conclut ainsi : « the

Tribunal is compelled to find that in the present case there is no dispute between the parties on which this Tribunal can adjudicate without falling foul of the Monetary Gold principle »162.

Dans le cadre du principe de l’Or monétaire, le tiers au procès a pu être qualifié de « partie indispensable »163. Suite à l’arrêt de 1954, les décisions du début des années 1990, particulièrement celle rendue en l’affaire Certaines terres à phosphates à Nauru, « clarifie[nt] [la] jurisprudence quant au principe de l’Or monétaire en expliquant que pour faire échec à la compétence de la Cour, les intérêts du tiers qui constituent l’objet même de la décision à rendre doivent également représenter une condition préalable pour qu’il puisse être statué »164 . Afin de résumer de manière concise mais complète le contenu du principe, nous reprendrons les propos d’E. JOUANNET :

« disons que le prononcé judiciaire sur la situation juridique du tiers au procès doit être la condition sine qua non du prononcé judiciaire sur la situation juridique des parties : il est nécessaire que la Cour se prononce sur la situation juridique du tiers au procès pour

      

161 CPA, Larsen c. Royaume de Hawaii, Sentence, 5 février 2001, p. 14-15, §13 et p. 29-42, §11.8-12.19. 162 Ibid., p. 39, §12.10. v. également, pour une application du principe par la Cour centraméricaine au début du XXème siècle : DELCOURT B., « Un seul Etat vous manque… (L’application de la jurisprudence de l’Or monétaire à l’affaire du Timor oriental) », RBDI, 1996, p. 193-194. En outre, dans le cadre de l’OMC, le principe de l’Or monétaire a été invoqué par le défendeur, la Turquie, dans le cadre du différend portant sur les Restrictions quantitatives à l’importation de produits textiles et de vêtements. Selon l’argumentation turque, rejetée par le Groupe spécial, l’Union européenne (à l’époque les Communautés européennes) constituait une partie indispensable à la résolution du différend (Turquie – Restrictions quantitatives à

l’importation de produits textiles et de vêtements, Rapport du Groupe spécial, WT/DS34, 31 mai 1999,

p. 120-123, §9.4-9.13). 163

CIJ, Activités militaires et paramilitaires au Nicaragua et contre celui-ci, arrêt (compétence de la Cour et recevabilité de la requête), op. cit., p. 431, §88. v. également TORRES BERNARDEZ S., « The new theory of “indispensable parties” under the Statute of the International Court of Justice », in WELLENS K. (Ed.),

International law : theory and practice : Essays in honour of Eric Suy, La Haye, Nijhoff, 1998,

p. 737-750.

164 JOUANNET E., « Le principe de l’Or monétaire. A propos de l’arrêt de la Cour du 30 juin 1995 dans l’affaire du Timor oriental (Portugal c. Australie) », op. cit., p. 685. Cette clarification est réaffirmée dans l’affaire du Timor oriental (Id., v. également DELCOURT B., « Un seul Etat vous manque… (L’application de la jurisprudence de l’Or monétaire à l’affaire du Timor oriental) », op. cit., p. 203-204).

résoudre le différend qui lui est soumis, et donc pour qu’elle rende une décision obligatoire liant les parties »165.

Ce principe a ainsi pour effet d’offrir une protection aux Etats tiers à l’instance. Cette protection est indirecte car elle est en réalité fondée sur le principe du consentement à la juridiction, et sur l’obligation qu’a la Cour de rendre une décision obligatoire entre les parties. La situation dans laquelle les droits ou les intérêts d’un Etat tiers au procès risquent d’être « simplement » touchés ou affectés par la décision de justice sans en constituer l’objet même ne permet pas, en revanche, l’application du principe de l’Or monétaire. Si la compétence de la Cour est établie, et si la requête est recevable, la Cour tranchera le différend. Dans un tel cas, « la Cour peut être amenée à se prononcer indirectement sur la situation juridique du tiers parce qu’elle s’est prononcée sur celle des parties »166. Les droits et intérêts des Etats tiers bénéficieront cependant de la protection directe garantie par le principe de l’autorité relative de la chose jugée.

      

165 JOUANNET E., « Le principe de l’Or monétaire. A propos de l’arrêt de la Cour du 30 juin 1995 dans l’affaire du Timor oriental (Portugal c. Australie) », op. cit., p. 686.

166

II- Le principe de l’autorité relative de la chose jugée, moyen direct de

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