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L’autorité des décisions statuant sur l’applicabilité d’une coutume internationale

Dans le document Le tiers dans le contentieux international (Page 87-96)

Section I Les principes généraux du contentieux international protégeant les tiers

B- L’autorité des décisions statuant sur l’applicabilité d’une coutume internationale

La coutume, en tant que source du droit international, se compose de deux éléments : l’élément matériel, qui correspond à une pratique étatique quasiment uniforme, répétée dans le temps et dans l’espace, et l’élément moral, entendu comme la conviction que la pratique correspond à l’exécution d’une règle juridique. Dans sa jurisprudence, la CIJ consacre à plusieurs reprises le processus de formation de la coutume. En 1969, elle déclare que « [l]es Etats intéressés doivent donc avoir le sentiment de se conformer à ce qui équivaut à une obligation juridique. Ni la fréquence, ni même le caractère habituel de ces actes ne suffisent »275. Dans l’affaire du Plateau continental (Libye / Malte), la Cour énonce qu’« [i]l est bien évident que la substance du droit international coutumier doit être recherchée en premier lieu dans la pratique effective et l’opinio juris des Etats »276. A l’occasion de l’affaire des Activités militaires et paramilitaires au Nicaragua et contre

celui-ci, la Cour rappelle à nouveau : « pour qu’une nouvelle règle coutumière fasse son

apparition, les actes correspondants doivent non seulement représenter une pratique constante, mais en outre se rattacher à une opinio juris sive necessitatis »277.

La théorie classique des deux éléments composant la coutume a cependant été dénaturée, par le biais d’une « inversion des facteurs », c’est-à-dire le fait d’affirmer l’existence d’une opinio juris et de chercher à établir celle-ci par l’établissement de pratiques concordantes, également, par le caractère de plus en plus « insaisissable » de l’opinio juris, invoquée davantage que démontrée278. Cette dénaturation de la coutume est surtout le fait du juge et notamment de la CIJ, qui irait parfois jusqu’à créer, davantage qu’identifier279, les normes coutumières. Après que la Cour a procédé, avec plus ou moins       

275

CIJ, Plateau continental de la mer du Nord (République fédérale d’Allemagne / Danemark ; République fédérale d’Allemagne / Pays-Bas), arrêt, 20 février 1969, p. 44, §77.

276 CIJ, Plateau continental (Jamahiriya arabe libyenne / Malte), arrêt, 3 juin 1985, p. 29, §27.

277 CIJ, Activités militaires et paramilitaires au Nicaragua et contre celui-ci, arrêt (compétence de la Cour et recevabilité de la requête), op. cit., p. 109, §207.

278

A ce propos, v. WEIL P., « Le droit international en quête de son identité », RCADI, 1992, p. 172-179. 279 Certains auteurs tels que P. WEIL, J. P. KELLY ou encore R. B. BAKER (v. infra) affirment clairement le rôle créateur de droit de la Cour en matière de coutume internationale. G. ABI-SAAB est plus nuancé : « [s]’il existe un fragment de règle, une certaine pratique qui peut être interprétée comme un élément d’une coutume, il peut servir de base à partir duquel un tribunal peut aller un peu plus loin. Mais s’il y a rien, le tribunal n’y peut rien. La CIJ l’a reconnu clairement dans l’affaire Compétence en matière de pêcheries (Royaume-Uni c.

Islande) en déclarant qu’en “tant que tribunal, [elle] ne saurait prendre de décision sub specie legis ferendae,

de créativité, à l’identification d’une règle coutumière dans une affaire, l’autorité de ce motif vaut pour ses décisions ultérieures. La doctrine et les juges ont observé, sinon dénoncé le phénomène. En 2013, le Juge TOMKA, alors Président de la Cour, écrivait que

celle-ci, sans « abandonn[er] son point de vue selon lequel le droit international coutumier est une “pratique générale, acceptée comme étant le droit” (…) n’a jamais estimé nécessaire de déterminer systématiquement ces éléments pour chaque règle prétendument coutumière dans un différend donné »280. Selon le Juge, la détermination des règles coutumières aux fins de la résolution d’un différend peut procéder de « l’identification directe des éléments matériels de la coutume en tant que tels »281 ou d’un recours « à des règles qui sont clairement formulées dans les textes »282. Plus spécifiquement, selon l’analyse de P. WEIL,

« [c]e phénomène [de dénaturation de la coutume] est particulièrement frappant lorsque c’est la jurisprudence qui habille du nom de droit coutumier des règles qu’elle forge elle-même, de toutes pièces, en les puisant en quelque sorte dans l’air du temps. Ainsi, la règle “accord selon les principes équitables” en matière de délimitation maritime est proclamée par la Cour règle coutumière “sur la base de principes très généraux de justice et de bonne foi” [dans l’affaire du Plateau continental de la mer du Nord]. Dans l’affaire du Différend frontalier (Burkina Faso / République du Mali) la Chambre de la Cour qualifie l’uti possidetis de “principe de droit international coutumier” constituant “l’application en Afrique d’une règle de portée générale”. Or, il est clair qu’il n’y a de pratique et d’opinio juris en ce sens qu’en Amérique du Sud, et qu’il n’y en a pas en Afrique. Incapable de faire état non seulement d’une pratique, mais même d’une opinio juris relative à l’application africaine de ce principe, la Chambre se borne à parler d’un “principe général, logiquement lié au phénomène de l’accession à l’indépendance, où qu’il se manifeste”, ou encore d’un “principe d’ordre général nécessairement lié à la décolonisation où qu’elle se produise” (…). La coutume cesse d’être le résultat d’un processus, elle existe en quelque sorte en soi. Bref, s’il y a des règles coutumières, il n’y a plus, à proprement parler, de source coutumière »283.

      

réflexions sur son rôle dans le développement du droit international », in PEREZ GONZALEZ M. (Dir.), Hacia

un nuevo orden internacional y Europeo : estudios en homenaje al profesor don Manuel Diez de Velaso,

Madrid, Tecnos, 1993, p. 26).

280 TOMKA P., « Custom and the International Court of Justice », The Law and Practice of International

Courts and Tribunals, 2013, p. 197.

281 Id. 282

Id. 283

WEIL P., « Le droit international en quête de son identité », op. cit., p. 176-177. Toujours d’après P. WEIL, « [d]es pans entiers du droit international, tels l’interprétation des traités, les réserves aux traités multilatéraux, la théorie de la nationalité effective, la théorie des lignes de base droites, le droit de la délimitation maritime tout entier, sont dus à la jurisprudence. Bien mieux, même lorsqu’une convention vient codifier ou règlementer une matière, elle ne fera souvent que reprendre des formulations jurisprudentielles (…). Lorsque le juge énonce une règle qu’il créé en même temps qu’il l’énonce, il la présentera comme une règle coutumière préexistante qu’il fera semblant de constater. L’illustration la plus remarquable est fournie par le droit de la délimitation maritime, où la jurisprudence oppose au droit conventionnel ce qu’elle appelle

Une partie de la doctrine anglo-saxonne partage également ce constat. D’après J. P. KELLY,

« [m]uch of what is commonly termed CIL [i.e. customary international law] is judge-made or judge-confirmed law. Scholars place great emphasis on the quite limited number of international domestic court and tribunal decisions on CIL, often treating dicta, concurring opinions, and even dissenting opinions as having great weight in determining customary norms (…). The ICJ opinions have helped develop CIL on subjects such as the amount of compensation for expropriation, the extent of the continental shelf, the neutrality of international canals, the evidentiary value of lump-sum agreements, and (…) the legality of the use of nuclear weapons »284.

M. G. KOHEN considère, quant à lui, que lorsque la Cour « conclut que les fonctions

d’un ministre des affaires étrangères sont telles que, pour toute la durée de sa charge, il bénéficie d’une immunité de juridiction pénale et d’une inviolabilité totales à l’étranger »285, elle fonde

« sa ratio decidendi (…) non pas sur la démonstration d’une pratique constante doublée de l’opinio juris, mais [sur] un raisonnement logique. En effet, l’arrêt dépeint de manière impeccable les fonctions d’un ministre des affaires étrangères et du besoin de lui accorder des immunités intuitu personae lorsqu’il remplit ses fonctions à l’étranger. Il s’agit donc d’une nécessité logique qui se transforme en règle générale sans avoir besoin d’une démonstration quelconque de l’existence des soi-disant deux éléments de la coutume »286.

Ainsi, la Cour forge la coutume, puis se réfère à ses décisions antérieures lorsqu’elle applique des règles coutumières aux litiges qui lui sont soumis. Ce double phénomène conduit à « promouvoir la jurisprudence au rang de coutume internationale »287. Comme le note L. N. C. BRANT, « [l]orsqu’elles sont suffisamment

      

le droit coutumier – et qui est en réalité sa propre création » (Ibid., p. 143). G. ABI-SAAB estime quant à lui que la contribution de la jurisprudence au droit international s’est « manifestée surtout dans les domaines suivants (par ordre décroissant) : (…) le droit judiciaire lui-même, ou le droit ayant trait à la fonction juridictionnelle (arbitrale ou judiciaire) [;] le droit des organisations internationales, à travers une série marquante d’avis consultatifs que la [CIJ] a émis [;] les questions territoriales, y inclus les espaces maritimes, et de responsabilité internationale » (ABI-SAAB G., « De la jurisprudence : quelques réflexions sur son rôle dans le développement du droit international », op. cit., p. 23).

284

KELLY J. P., « The Twilight of Customary International Law », Virginia Journal of International Law, 2000, p. 526.

285 CIJ, Mandat d’arrêt du 11 avril 2000 (République démocratique du Congo c. Belgique), arrêt, op. cit., p. 22, §54 (v., pour la démonstration, Ibid., p. 21-22, §53-54).

286

KOHEN M. G., « L’utilisation du précédent devant et par la CIJ : les immunités pénales des détenteurs de fonctions officielles à la lumière des affaires Yerodia et Djibouti c. France », in SFDI, Le précédent en droit

international. Colloque de Strasbourg, Paris, Pedone, 2015, p. 259.

287 L’expression est empruntée à R. B. BAKER, qui remarque que « [jurisprudence], on a wide range of

constantes pour refléter l’accord général des Etats, les décisions précédentes s’imposeront simplement comme éléments de la coutume »288. Effectivement, en 1986, dans l’affaire du

Différend frontalier (Burkina Faso / Mali), la CIJ estime que le principe de l’uti possidetis juris est un principe juridique parmi « les plus importants » qui trouve application sur le

continent africain, malgré l’absence de pratique étatique à cet égard et la difficulté d’identifier une opinio juris289. Ce raisonnement est repris par la Cour dans l’affaire portant sur le Différend frontalier entre le Bénin et le Niger, sans autre justification que la référence à sa propre décision de 1986290. De même, dans l’affaire du Différend frontalier entre le Burkina Faso et le Niger, la Cour s’appuie sur ses décisions antérieures précitées291. Une démarche similaire peut se constater en s’intéressant à la jurisprudence de la Cour en matière de Pêcheries. Dans son arrêt du 18 décembre 1951, la CIJ se prononce sur les principes du droit international applicables pour définir les lignes de base, qui permettront à la Norvège d’établir ses zones de pêche. A l’occasion de cette instance, la Cour pose les bases d’un droit international de la délimitation maritime alors fort lacunaire, et il n’échappe pas à certains juges que le caractère déclaratoire de la décision intéresse l’ensemble des Etats. Selon le Juge ALVAREZ, « [l]e litige actuel présente un grand intérêt

non seulement pour les Parties en cause, mais aussi pour tous les autres Etats »292. L’effet des aspects déclaratoires de cette décision s’étend au-delà des parties au litige puisque les principes dégagés par la Cour seront repris par le droit conventionnel293, et réaffirmés dans des affaires ultérieures294.

Considérant ainsi l’autorité des décisions statuant sur l’existence et la teneur du droit international coutumier, il semble intéressant de formuler quelques réflexions sur       

(BAKER R. B., « Customary International Law in the 21st Century : Old Challenges and New Debates »,

EJIL, 2010, p. 175).

288 BRANT L. N. C., L’autorité de la chose jugée en droit international public, op. cit., p. 158.

289 v. CIJ, Différend frontalier (Burkina Faso / République du Mali), arrêt, 22 décembre 1986, spéc. p. 565- 567, §20-26.

290 v. CIJ, Différend frontalier (Bénin / Niger), arrêt, 12 juillet 2005, spéc. p. 108, §23 ; p. 109, §26 ; p. 110, §28-29 ; p. 119, §44, et p. 120, §47.

291 CIJ, Différend frontalier (Burkina Faso / Niger), arrêt, 16 avril 2013, p. 73, §63 et p. 76, §68 pour les références à sa décision de 1986 et p. 75, §66 pour la référence à l’arrêt de 2005.

292

CIJ, Pêcheries (Royaume-Uni c. Norvège), arrêt, 18 décembre 1951, opinion individuelle du Juge ALVAREZ, p. 145.

293 Les solutions données par la Cour « ont été transposé[e]s vers la Convention de Genève de 1958 » (BRANT L. N. C., L’autorité de la chose jugée en droit international public, op. cit., p. 160. v. également SALMON J., « L’autorité des prononcés de la Cour internationale de La Haye », op. cit., p. 38-39).

294 CIJ, Compétence en matière de pêcheries (République fédérale d’Allemagne c. Islande), arrêt, 25 juillet 1974, p. 183, §22 et p. 191, §41 ; CIJ, Compétence en matière de pêcheries (Royaume-Uni c. Islande), arrêt, 25 juillet 1974, p. 11, §21 ; p. 22, §49.

l’intérêt et l’éventuelle possibilité, pour les Etats tiers, d’être admis à participer dans une instance afin d’exprimer leur point de vue à cet égard. En effet, dès lors qu’il est question, dans un différend, de l’applicabilité d’une règle coutumière, des Etats tiers à l’instance peuvent s’avérer légitimement intéressés par l’issue de celle-ci sur ce point, compte tenu de l’autorité qui s’attachera à la décision, et de la difficulté de se soustraire à l’applicabilité du droit international coutumier régional ou général295. L’identité de ces Etats tiers intéressés peut varier selon leur rapport à la règle coutumière considérée. Outre ceux qui pourraient revendiquer un intérêt général – « académique » – pour le développement du droit international, il peut s’agir d’Etats dont il est question d’utiliser la pratique ou une déclaration pour démontrer l’élément matériel de la coutume ou pour établir l’opinio juris. Il peut également s’agir d’Etats qui pourraient craindre – ou espérer – se voir appliquer ladite coutume à l’avenir, dans le cadre d’autres instances.

S’il semble ainsi aisé d’établir l’existence d’Etats tiers intéressés par l’issue des différends statuant sur l’applicabilité du droit international coutumier, envisager leur participation à l’instance soulève des questions complexes et irrésolues. Sur quel fondement pourraient-ils, le cas échéant, intervenir ?296 Les procédures prévues par les articles 62 et 63 du Statut de la CIJ ne peuvent être transposées pour couvrir cette possibilité. L’intervention prévue par l’article 63 concerne la seule hypothèse de l’interprétation des conventions multilatérales ; quant à l’intervention prévue par l’article 62, elle repose sur l’existence d’un « intérêt juridique en cause dans le différend principal, risquant d’être affecté par la décision future » : si la formulation semble plus souple, le sens donné à ces dispositions par la jurisprudence de la Cour s’avère précis et restrictif297. Dès lors, la seule possibilité qu’aurait l’Etat tiers pour exprimer ses vues sur l’existence, le contenu et l’applicabilité du droit coutumier serait de déposer un mémoire d’amicus

curiae. Les chances de succès d’une telle voie sont néanmoins très faibles : même si elle a

      

295

La théorie de l’objecteur persistant, selon laquelle un Etat pourrait « prétend[re] à l’inopposabilité à son égard du caractère obligatoire d’une coutume en cours de cristallisation » (SALMON J. (Dir.), Dictionnaire de

droit international public, op. cit., p. 762) est en effet peu opérante – malgré une apparente consécration sous

forme d’obiter dictum à l’occasion de deux affaires (v. CIJ, Droit d’asile, arrêt, op. cit., p. 277-278 ; et CIJ,

Pêcheries, arrêt, op. cit., p. 131 ; ainsi que, pour approfondir la notion de l’objecteur persistant, v. BARSALOU O., « La doctrine de l’objecteur persistant en droit international public », RQDI, 2006, p. 1-18, spéc. p. 3-7 et p. 11-17).

296 Il est possible, en outre, de se demander si une telle participation serait souhaitable. Il est difficile d’apporter une réponse tranchée: permettre aux tiers d’exprimer leurs vues contribue à la bonne administration de la justice et à la pacification des rapports internationaux. En l’absence de procédure institutionnalisée, il y a cependant un risque dilatoire important, ainsi qu’un risque de déséquilibre – voire de dilution – de l’instance, si le nombre d’intervenants s’avère excessif.

297

pu recevoir de manière informelle des informations émanant d’Etats tiers à l’instance298, la CIJ n’accueille pas favorablement les mémoires d’amicus curiae.

 

      

298

Conclusion du Chapitre I

Le principe de l’autorité relative de la chose jugée est un principe général de droit international. En vertu de ce principe, une décision de justice (et plus précisément, le dispositif de celle-ci) n’est obligatoire et définitive qu’à l’égard des parties à l’instance et uniquement dans le cas qui a été décidé. Une décision juridictionnelle ou arbitrale ne peut avoir d’effet, favorable ou défavorable, à l’égard des tiers à l’instance.

Le principe revêt une importance particulière en droit international en raison du caractère volontaire de la justice internationale. Le principe du consentement à la juridiction internationale, bien qu’aménagé sous de multiples formes aujourd’hui, demeure un principe cardinal du contentieux international. Il renforce le caractère fondamental du principe de l’autorité relative de la chose jugée, car il est d’autant plus important que les tiers qui n’ont pas consenti à voir leur litige tranché par le juge international demeurent protégés contre tout effet de la décision à leur égard. La CIJ est allée jusqu’à décliner sa compétence pour connaître d’un litige si les intérêts d’Etats tiers en constituent l’objet même ; ce principe de l’Or monétaire ayant également résonné dans le cadre de l’arbitrage international.

Les tiers dont les intérêts peuvent cependant être affectés par une décision juridictionnelle (sans qu’ils n’en constituent pour autant l’objet même) doivent pouvoir compter sur l’effet protecteur de la relativité de la chose jugée. Ils peuvent à cet égard présenter au juge leurs craintes, ou de simples informations, par le biais de la tierce intervention. Les procédures d’intervention ne peuvent cependant être imposées aux tiers et ne dispensent pas le juge international de veiller à rendre effective la protection que garantit le principe de la relativité de la chose jugée. Il appartient en effet au juge international de mettre activement en œuvre cette protection, en s’abstenant de statuer sur les droits et intérêts des Etats tiers. Cette faculté qu’a le juge de s’empêcher relève de la bonne administration de la justice internationale.

En tout état de cause, le principe de l’autorité relative de la chose jugée permettra aux tiers d’introduire une instance nouvelle sur les aspects du différend les concernant, qui n’ont pas été tranchés ou qui les auraient affectés, sans que puisse leur être opposée l’exceptio rei judicatae puisqu’il n’y aura pas identité de parties ni de cause.

Il serait cependant excessivement formaliste d’estimer que du fait de la relativité de la chose jugée, les tiers ne sont en rien concernés par les décisions de justice. S’ils ne peuvent se prévaloir ou se voir imposer le dispositif d’une décision rendue dans le cadre d’une instance à laquelle ils n’étaient pas parties, les tiers demeurent intéressés par les décisions juridictionnelles en raison de l’autorité de chose interprétée qui s’attache à leurs motifs. Comme l’exprime le Juge GROS, « bien que les motifs d’un arrêt ne participent pas à la force de la chose jugée, la pratique de la Cour et celle des Tribunaux arbitraux est de se fonder sur des motifs énoncés dans des décisions antérieures »299. Dans des différends présentant des circonstances factuelles similaires ou semblables, les motifs de fait et de droit adoptés dans des décisions antérieures peuvent être transposés par le biais d’un raisonnement par analogie. La jurisprudence internationale concerne alors l’ensemble de la communauté internationale, et sa connaissance permet notamment aux tiers de préparer au mieux un futur procès auquel ils seront parties. En fonction de ce qu’ils demandent au juge, ils chercheront à s’inscrire dans la similarité ou au contraire à distinguer leur cas de ceux traités dans des décisions antérieures, s’agissant de l’exposé des faits tout comme de l’argumentation juridique. L’autorité du précédent participe alors, elle aussi, de la bonne administration de la justice, en offrant aux tiers une protection supplémentaire, qui s’exprime notamment en termes de sécurité juridique, et qui vient compléter celle de l’autorité relative de la chose jugée.

      

299 CIJ, Barcelona Traction, Light and Power Company, Limited (Belgique c. Espagne) (Nouvelle requête : 1962), arrêt, 5 février 1970, opinion individuelle du Juge GROS, p. 267.

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HAPITRE

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AUTORITÉ DU

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