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Le navire protégé par l’Etat du pavillon : un lien juridique de rattachement assimilé à la nationalité

Dans le document Le tiers dans le contentieux international (Page 174-178)

Section I – Une recevabilité de l’action conditionnée par des caractéristiques propres au tiers protégé

B- La nature variable du lien de rattachement dans le cadre de l’endossement

2- Le navire protégé par l’Etat du pavillon : un lien juridique de rattachement assimilé à la nationalité

Dans le cadre des procédures de prompte mainlevée, c’est le pavillon qui constitue le lien juridique de rattachement entre l’Etat et le navire. Le Dictionnaire de droit

international public définit généralement639 le navire comme étant « toute construction flottante conçue pour naviguer en mer et y assurer, avec un armement et un équipage qui lui sont propres, le service auquel elle est affectée »640. L. LUCCHINI et M. VOELCKEL

considèrent qu’un navire doit « se défini[r] d’abord et avant tout comme un engin évoluant en mer sous la responsabilité d’un Etat auquel il peut être rattaché par le lien de nationalité et qui peut récuser toute ingérence d’un autre Etat »641. Le navire possède en effet une nationalité, qui est celle de l’Etat dont il est autorisé à battre le pavillon642. A l’instar de la       

637 Pour le Juge KRYLOV, les représentants gouvernementaux ne peuvent être qualifiés d’ « agents de l’Organisation » (Ibid., opinion dissidente du Juge KRYLOV, p. 218).

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Ibid., opinion individuelle du Juge AZEVEDO, p. 195.

639 Des définitions plus précises (« navire auxiliaire », « navire de cartel », « navire de commerce », « navire de guerre », « navire d’Etat », « navire de plaisance », « navire de pêche », « navire ennemi », « navire- hôpital », « navire insurgé », « navire neutre », « navire privé », etc.) peuvent également être consultées :

v. SALMON J. (Dir.), Dictionnaire de droit international public, op. cit., p. 729-732. 640 Ibid., p. 729.

641 Id. 642

nationalité à laquelle il est assimilé, l’octroi du pavillon est une compétence qui relève du domaine réservé de l’Etat. En 1905, dans sa sentence consacrée aux Boutres de Mascate, la CPA admettait en effet que, sauf accords particuliers contraires, « il appartient à tout [Etat souverain]643 de décider à qui il accordera le droit d’arborer son pavillon et de fixer les règles auxquelles l’octroi de ce droit sera soumis »644. En revanche, tout comme la nationalité, pour que le pavillon d’un navire soit opposable aux autres Etats, un lien substantiel doit unir le navire à l’Etat dont il bat pavillon645. En outre, aux fins de contrôle et de protection, la CNUDM exige que les navires aient une – et une seule – nationalité646.

Les affaires de prompte mainlevée dont le TIDM a à connaître visent à « met[tre] fin aux effets de l’immobilisation ou de la saisie d’un navire »647, et correspondent à un différend interétatique entre l’Etat du pavillon et l’Etat qui a procédé à l’immobilisation du navire, et éventuellement à la détention de l’équipage. Le fait illicite susceptible d’engager la responsabilité ne réside cependant pas dans l’immobilisation du navire ni dans la détention de l’équipage per se, mais dans « tout manquement ultérieur de l’Etat

      

643 Comme le précise l’article 90 de la Convention des Nations Unies sur le droit de la mer (« CNUDM »), cela concerne tant les Etats côtiers que les Etats sans littoral.

644 CPA, Boutres de Mascate (France / Grande-Bretagne), Sentence, 8 août 1905, RSA, vol. XI., p. 93. 645 Selon les termes de l’article 91 de la CNUDM, « 1. Chaque Etat fixe les conditions auxquelles il soumet l’attribution de sa nationalité aux navires, les conditions d’immatriculation des navires sur son territoire et les conditions requises pour qu’ils aient le droit de battre son pavillon. Les navires possèdent la nationalité de l’Etat dont ils sont autorisés à battre le pavillon. Il doit exister un lien substantiel entre l’Etat le navire. 2. Chaque Etat délivre aux navires auxquels il a accordé le droit de battre son pavillon des documents à cet effet » (les italiques sont de nous).

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Ainsi que l’exprime l’article 92, « 1. Les navires naviguent sous le pavillon d’un seul Etat et sont soumis, sauf dans les cas exceptionnels expressément prévus par des traités internationaux ou par la Convention, à sa juridiction exclusive en haute mer. Aucun changement de pavillon ne peut intervenir au cours d’un voyage

ou d’une escale, sauf en cas de transfert réel de la propriété ou de changement d’immatriculation. 2. Un

navire qui navigue sous les pavillons de plusieurs Etats, dont il fait usage à sa convenance, ne peut se prévaloir, vis-à-vis de tout Etat tiers, d’aucune de ces nationalités et peut être assimilé à un navire sans nationalité » (les italiques sont de nous). Dans l’affaire Saïga, le TIDM estime que l’article 91 « codifie une règle bien établie du droit international général » (TIDM, Affaire du navire « Saïga » (No. 2) op. cit., p. 36-37, §63). Cependant, l’exigence d’un rattachement effectif du navire à l’Etat « n’est guère respectée dans la pratique, [et] il reste très difficile d’obtenir des Etats l’adoption de critères conventionnels de nature à concrétiser cette obligation » (DAILLIER P., FORTEAU M., PELLET A., Droit international public, op. cit.,

p. 552, §325). La règle du lien substantiel est en outre relativisée par le TIDM, qui dans la même affaire

Saïga considère que la Convention de Montego Bay (et particulièrement son article 94) ne permet pas « à un

Etat, qui découvre la preuve de l’absence d’une juridiction et d’un contrôle appropriés par l’Etat du pavillon sur un navire, de refuser de reconnaître le droit qu’a le navire de battre le pavillon de l’Etat du pavillon » (TIDM, Affaire du navire « Saïga » (No. 2), op. cit., p. 41, §82).

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[immobilisateur] à satisfaire à ses obligations de procéder à la prompte mainlevée dès le dépôt d’une caution raisonnable »648. Selon les termes du Juge TREVES,

« [l]’article 292 de la Convention établit, à des fins limitées, une forme de protection diplomatique. En présentant une demande de mainlevée, l’Etat du pavillon prend à son compte une prétention d’ordre privé de personnes ayant un lien avec l’Etat du pavillon par le biais de la nationalité du navire. Ceci devient encore plus évident lorsque l’on prend en considération le fait que la demande peut également être présentée directement par les personnes privées intéressées “au nom” de l’Etat du pavillon »649.

En effet, selon l’article 292, paragraphe 2, de la CNUDM, « la demande de mainlevée ou de mise en liberté ne peut être faite que par l’Etat du pavillon ou en son nom » : l’Etat du pavillon est donc le seul titulaire du droit de saisir le Tribunal, il peut toutefois déléguer cette prérogative. Pour que la demande soit recevable, le navire immobilisé doit ainsi avoir la nationalité de l’Etat demandeur, c’est-à-dire battre son pavillon en toute régularité. Même en l’absence de contestation de ce lien d’allégeance par le défendeur, le Tribunal doit s’assurer que cette condition de recevabilité de la requête est satisfaite650. Ainsi que le Tribunal en a décidé dans l’affaire Grand Prince, l’absence de preuve du lien de nationalité, fondé sur le pavillon, unissant le navire immobilisé à l’Etat demandeur rend la requête irrecevable651. Le Président du TIDM WOLFRUM a en outre

reconnu l’applicabilité, aux navires, de la règle de la continuité de la nationalité : « [t]out comme pour les affaires relatives à la protection diplomatique, les procédures de prompte mainlevée exigent que la nationalité reste inchangée entre le moment du dépôt de la demande auprès du Tribunal et la commission de l’acte illicite sur laquelle se fonde la demande »652.

La nationalité des personnes se trouvant à bord importe peu. Ainsi, dans l’affaire

Saïga, « [l]e capitaine et les membres de l’équipage du navire étaient tous de nationalité

      

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Communication présentée par S. E. le Juge Rüdiger WOLFRUM, Président du Tribunal international du droit de la mer devant la Commission du droit international, op. cit., p. 7.

649 TIDM, Grand Prince, op. cit., opinion individuelle de M. TREVES, p. 63, §1.

650 TIDM, Affaire du navire « Saïga » (No. 2), op. cit., p. 30, §40 (v. la démonstration du Tribunal aux paragraphes 55 à 74 (s’agissant de l’immatriculation du navire) et aux paragraphes 75 à 88 (s’agissant du lien substantiel entre le navire et l’Etat)) ; et TIDM, Grand Prince, op. cit., p. 41, §78-79.

651 Ibid., p. 42-44, §83-94 (spéc. p. 44, §93).

652 Communication présentée par S. E. le Juge Rüdiger WOLFRUM, Président du Tribunal international du droit de la mer devant la Commission du droit international, op. cit., p. 7. v. également QUENEUDEC J.-P., « A propos de la procédure de prompte mainlevée devant le Tribunal international du droit de la mer »,

Annuaire du droit de la mer, 2002, p. 85-86, spéc. p. 85 : « il y a lieu de faire application du principe de

l’immutabilité ou de la continuité de la nationalité, en tant que principe du droit international général applicable en matière de protection diplomatique des nationaux à l’étranger ».

ukrainienne. Il y avait également à bord trois ressortissants sénégalais employés comme peintres »653. Selon le Tribunal,

« la Convention [des Nations Unies sur le droit de la mer] considère un navire comme constituant une unité, en ce qui concerne les obligations qui incombent à l’Etat du pavillon à l’égard du navire, le droit qu’a un Etat du pavillon de demander réparation pour toute perte ou tout dommage subi par le navire à la suite d’actes d’autres Etats et le droit qu’a cet Etat d’introduire une instance conformément à l’article 292 de la Convention. Ainsi, le navire, tout ce qui se trouve sur le navire, et toute personne impliquée dans son activité ou ayant des intérêts liés à cette activité sont considérés comme une entité liée à l’Etat du pavillon. La nationalité de ces personnes ne revêt aucune pertinence »654.

Pour cette raison (et pour d’autres évoquées dans les développements ultérieurs), les procédures contentieuses de prompte mainlevée ne peuvent être considérées comme relevant, stricto sensu, de la protection diplomatique. Cependant, étant donné que l’Etat du pavillon, demandeur, prend fait et cause pour le navire en élevant une réclamation internationale à l’encontre de l’Etat responsable de son immobilisation, cette procédure relève bien de l’endossement au sens où nous l’entendons655. Par ailleurs et surtout, le fait de considérer le navire comme une unité englobant « tout ce qui [s’y] trouve, et toute personne impliquée dans son activité ou ayant des intérêts liés à cette activité » (sic.) permet de prendre en considération les tiers personnes physiques (membres de l’équipage ou toute autre personne) dans le cadre de la procédure. L’Etat de nationalité du navire est ainsi habilité à demander réparation pour tout dommage subi, non seulement par le navire mais également par les personnes se trouvant à bord.

Un lien juridique de rattachement clairement identifiable est donc exigé dans le cadre de l’endossement, tant en matière de protection fonctionnelle que s’agissant des demandes de prompte mainlevée adressées au TIDM. En revanche, les spécificités du       

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TIDM, Affaire du navire « Saïga » (No. 2), op. cit., p. 27-28, §31.

654 Ibid., p. 48, §106. A cet égard, le Projet d’articles sur la protection diplomatique de la CDI contient un projet d’article 18 intitulé « Protection des équipages des navires », disposant que « [l]e droit qu’a l’Etat de nationalité des membres de l’équipage d’un navire d’exercer sa protection diplomatique n’est pas affecté par le droit qu’a l’Etat de nationalité d’un navire de demander réparation au bénéfice de ses membres d’équipage, quelle que soit leur nationalité, lorsqu’ils ont été lésés en raison d’un préjudice causé au navire par un fait internationalement illicite ».

655 Comme l’affirme J.-P. QUENEUDEC, « [q]ue [l’Etat du pavillon] agisse lui-même directement devant le Tribunal international du droit de la mer, ou qu’il agisse indirectement en autorisant une personne à saisir en son nom le Tribunal, dans l’un et l’autre cas il est considéré comme ayant pris fait et cause pour un navire de sa nationalité et il apparaît toujours comme le requérant dans l’instance de prompte mainlevée ouverte par sa demande propre ou sur son autorisation expresse » (QUENEUDEC J.-P., « A propos de la procédure de prompte mainlevée devant le Tribunal international du droit de la mer », op cit., p. 85.).

contentieux de l’OMC font qu’en dépit de la « logique d’endossement » qui sous-tend la procédure, le lien de rattachement entre l’opérateur économique privé et le Membre demandeur est généralement indéterminé.

3- L’opérateur économique privé dans le cadre de l’ORD de l’OMC : un lien de

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