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La « réalité de la réalité » : des décisions relevant de la rationalité limitée des acteurs

du XXI ème siècle Le leadership authentique, proche, ajoute la dimension d’alignement des

FUTURS DIRIGEANTS

8.2 Les étapes de sélection des futurs dirigeants

8.2.3 La « réalité de la réalité » : des décisions relevant de la rationalité limitée des acteurs

Ready, Conger et Hill interrogent 45 grandes entreprises américaines en 2010 ; 91% d’entre elles ont un processus formel de sélection des talents. Pour la moitié d’entre elles, la revue de talents dure moins de quatre heures ; le CEO est impliqué dans 37% des cas, des membres exécutifs séniors dans deux tiers des cas.

D’après la récente étude du Corporate Executive Board (302 dirigeants HR), dans 85% des

cas, la décision s’appuie sur les recommandations du manager direct, et la revue de performance. Les outils « rationnels » de mesure du « potentiel » sont cités beaucoup moins

JUMELLE-PAULET Delphine | Thèse de doctorat | Décembre 2018

fréquemment : 37% pour les feedbacks 360°, 35% pour les tests de personnalité, 20% pour les tests de compétences, 38 % pour les interviews.

La tenue de revue de talents « groupant » les cas articule les biais de compromis, de halos, d’attente, la combinaison des ancres cognitives des décideurs, les jeux de pouvoir, dans une forme de compétition qui ne dit pas son nom ; le temps passé sur le « dossier» d’un futur dirigeant ou l’enthousiasme manifesté par ses soutiens influence la dynamique et le niveau d’aspiration pour les suivants, les challenges contextuels modifient la perception des « cas » et « potentiels » individuels.

La revue de talents, censée détecter et formaliser un plan de succession et d’accompagnement pour le développement des futurs dirigeants, impliquant entre 4 et 6 niveaux d’acteurs, repose surtout sur trois éléments : la rationalité limitée du manager, la performance actuelle ou

passée - modérément prédictive du potentiel-, et la disponibilité cognitive des acteurs de la revue de talents.

Sans prétendre à l’exhaustivité ou l’universalité du raisonnement ci-après, nous relevons plusieurs sources potentielles d’irrationalité dans le système « classique » des processus de sélection des futurs dirigeants nommés par la voie interne, en lien avec la disponibilité des informations, les rationalités limitées, et les jeux d’acteurs ou de systèmes.

Un premier niveau d’irrationalité se construit avec la détection du potentiel perçu par le

manager direct, reposant sur des présupposés rationnels qui ne sont pas toujours vérifiés dans

la pratique :

- Une relation constructive avec ses collaborateurs – un collaborateur du out-group (théorie LMX), aura du mal à faire valoir son potentiel

- Sa capacité à identifier le potentiel de développement vers des strates élevées ou à utiliser les outils mis à sa disposition

- La lecture homogène des critères du potentiel par ces managers sur une grille partagée souvent indépendante du niveau du collaborateur évalué

- Sa motivation à faire évoluer ses collaborateurs en se privant de contributeurs efficients - L’écoute, l’influence et la crédibilité de ses recommandations

JUMELLE-PAULET Delphine | Thèse de doctorat | Décembre 2018

Un second niveau de filtre se produit au cours de la People review. Son issue intègrera également sa part « d’irrationnel » :

- Le partage - ou pas - d’une vision unanime de la performance et du potentiel - Les relations d’influence entre les acteurs

- L’engagement des acteurs à promouvoir les meilleurs collaborateurs, sans laisser intervenir leurs propres enjeux de visibilité ou de succès

- Paradoxalement, les outils utilisés pour les People review compliquent la démarche. Les déficits d’intégration des données, leur caractère hétérogène, altèrent la lisibilité des informations. Le support des People review peut être un tableur Excel dans lequel les talents sont identifiés sur une échelle à trois valeurs : potentiel, OK, KO, intégrant soit trop, soit trop peu, de données. Le processus de sélection subtilement construit

perd de sa finesse, et les conclusions dépendent du temps et de la rationalité, limités,

des protagonistes.

Lors de la Talent Review, de nouveaux biais s’additionnent :

- La capacité des RH et porteurs des résultats à influencer l’issue du meeting face à un exécutif dont la vision des talents ne rejoint pas forcément celles des managers.

- Les effets de halo des besoins actuels sur les filtres cognitifs des acteurs.

- La surcharge cognitive liée à la diversité des paramètres à traiter : les exigences des postes clés existants et à venir, la planification, les ambitions, compétences et potentiels supposés des individus, les priorités organisationnelles à court et long termes.

- Le temps d’échange extrêmement limité pour conduire l’ensemble de ces décisions. - Des biais divers additionnels et jeux d’acteurs plus ou moins assumés, s’écartant des

bonnes pratiques pour de « bonnes raisons » : la sélection préférentielle de certains profils pour nourrir la diversité ; le choix de profils atypiques pour stimuler l’innovation, de diplômes en lien avec une approche conventionnaliste.

Le terrain confirme la complexité de l’application pratique : dans l’enquête Corporate Executive Board de 2013, rapportant les pratiques de gestion des talents de business units de

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3470 senior managers, 65 % rapportent définir les stratégies de succession informellement, en fonction de l’employé.

La mise en relation directe de l’employé avec des exécutifs clés est pratiquée par 60% des répondants, 15% seulement le faisant en accord avec les ressources humaines, tout comme les échanges sur les plans de succession se font deux fois plus souvent entre pairs qu’avec la direction HR. Vu du point de vue de la socio dynamique organisationnelle, le système échappe donc, au moins en partie, à la régulation par son expert.

Tous les acteurs de la sélection ont observé ces éléments : le processus est contraint par les différences de temporalité et la disponibilité – réelle ou relative- des acteurs. Il s’inscrit dans un rythme intense, les outils de sélection utilisés en amont n’étant que modestement

exploités dans la pratique. Comme l’indiquait Mintzberg, c’est « l’intuition » qui prévaut.

Les décisions se construisent dans une forme d’urgence, qui ne peut, en dépit même de l’engagement des acteurs dans les échanges, assurer une décision éclairée et rationnelle.

8.2.4 Les systèmes informels, sources d’irrationalité dans les processus de

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